vendredi 23 décembre 2011

France 24 invité à l'émission Le débat du 21 décembre


Départ américain d’Irak : le pays s’enfonce dans la crise politique


http://www.france24.com/fr/20111222-irak-sunnites-chiites-arm%C3%A9e-usa

http://www.france24.com/fr/20111222-irak-sunnites-chiites-arm%C3%A9e-usa-partie2

Opération Haboob...et si la France s'était engagée en Irak en 2003

L’opération Haboob (« Tempête de sable » en arabe) est le nom de l’engagement des forces françaises dans le Sud irakien de 2003 à 2009 dans le cadre de la coalition menée par les Etats-Unis. L’opération est évidemment imaginaire et le nom est inventé. Pour autant, si on en croît, entre autres, les documents révélés par Wikileaks, avec un autre Président de la République que Jacques Chirac et jusqu'au pouvoir actuel cette opération aurait pu avoir lieu. Il n’est donc pas complètement inutile d’en faire l’uchronie.

Il est probable que le volume du contingent français engagé aurait été assez proche de celui des Britanniques, sans doute un peu inférieur du fait de nos moyens un peu plus limités et de nos engagements ailleurs. Comme les autres contingents alliés, une fois le régime de Saddam Hussein abattu nous aurions été installés dans le Sud, mais probablement pas à Bassorah réservée aux Britanniques, alliés privilégiés et anciens occupants de la ville. Compte tenu de notre volume de forces et de la qualité de nos états-majors nous aurions pu prendre la tête de la division multinationale Centre-Sud à la place des Polonais, entre Bagdad et les zones pétrolifères. Outre le noyau dur de l’état-major de division qui aurait pris en compte une vingtaine de contingents aux règles d’engagement plus complexes et restrictives les unes que les autres, nous aurions fourni également deux ou trois groupements interarmes pour sécuriser les lieux saints de Nadjaf et Kerbala et les axes logistiques en provenance du Koweit.

Compte tenu du faible soutien de l’opinion publique française à cette opération celle-ci aurait été « blanchie » en faisant appel à toutes les vertus de l’action humanitaire. Les forces auraient reçu des consignes strictes de prudence ainsi que des moyens « au plus juste » et surtout pas « agressifs ».  Comme les autres, nous aurions donc pris de plein fouet la révolte mahdiste de 2004. Rappelons qu’à l’époque, les contingents alliés n’avaient pas combattu et avaient fait appel aux Américains pour réduire les forces de l’armée du Mahdi. En admettant que nous ayons été plus combatifs, ce que je crois, nous aurions été engagés, seuls ou plus probablement aux côtés des Américains, pendant plusieurs mois de combat (la crise a duré d’avril à octobre 2004). Nous aurions perdu entre 100 et 200 tués et blessés dans ces combats.

Par la suite, nous aurions, comme les Britanniques à Bassorah, sans doute assisté impuissants à la mainmise des provinces chiites par les différentes milices et, en seconde ligne, à la guerre civile de 2006. A l’approche des élections présidentielles françaises de 2007, les forces auraient été priées de quitter le moins possible les bases et d’adopter un profil bas. Une partie d’entre elles auraient même été rapatriées, à des fins électorales. Les dernières unités françaises auraient discrètement quitté le pays en 2008, profitant de la réussite inattendue du Surge américain.

Au bilan, en comparant avec les autres alliés notamment britanniques, nous aurions eu aux alentours de 150 soldats tués et 1000 blessés, plus des coûts humains indirects (suicides, troubles psychologiques graves, non renouvellement de contrats, etc.) du même ordre, soit l’équivalent de deux régiments complets perdus. Financièrement, en cumulant les coûts militaires et l'aie civile cette opération aurait coûté entre 5 et 10 milliards d’euros à l’Etat, sans parler des coûts indirects (pensions pour les blessés, remise en condition du matériel, etc.) difficilement calculables mais probablement supérieurs.

Pour ce prix, le nombre d’armes de destruction massive aux mains de malfaisants n’aurait pas diminué dans le monde, ni le nombre de terroristes. La France aurait contribué à l’élimination d’une tyrannie, ce qui est loin d’être négligeable, et à l’établissement d’une démocratie, imparfaite, corrompue et très fragile. Son image auprès des Américains aurait été préservée mais peut-être pas dans le reste du monde.

Mais bien entendu tout cela n'est qu'imagination. 

jeudi 22 décembre 2011

Mad Men

Au début des années 1960, le directeur du grand magasin newyorkais Macy’s confiait son désappointement devant le succès inattendu de la branche électroménager qu’il venait d’ouvrir. Les bénéfices de l’électroménager tendaient à dépasser ceux de la branche traditionnelle et prestigieuse de l’habillement et cela n’était pas « normal ». Il concluait que la seule chose à faire était de diminuer les ventes de l’électroménager « pour les remettre à la place qui est la leur ». Il témoignait ainsi du début de sclérose du modèle taylorien-fordiste de management américain fondé sur une grande centralisation, une structure pyramidale et une intégration verticale des fonctions. Ce système qui avait parfaitement fonctionné pour la production de masse s’avérait de moins en moins adapté aux évolutions de la société et cela personne dans les grandes entreprises américaines ne le voyait.

A tous les étages le système se rigidifiait et perdait de son efficacité. Les ouvriers et les employés, satisfaits dans leurs besoins de base et plus éduqués que leurs prédécesseurs aspiraient à autre chose que le « travail en miettes » de la chaîne. Cela se traduisit par une insatisfaction générale, un absentéisme croissant et de nombreux défauts de fabrication. Au milieu de la pyramide, les cadres avaient surtout pour fonction d’analyser et de faire monter l’information. Jugés sur cette information plus que sur des actes, ils étaient bien évidemment incités à ne montrer à leurs chefs que ce que ceux-ci voulaient voir. Une étude de 1962 établissait ainsi le lien direct entre le degré d’ambition et la dissimulation des problèmes aux supérieurs. Le problème était encore exacerbé par le travail par réunions qui fonctionnait surtout comme une machine à produire des solutions consensuelles et l’énorme étagement hiérarchique. Au sommet, les quelques dirigeants WASPS, tous issus du même milieu et des mêmes écoles, étaient confortés dans leurs décisions par les rapports édulcorés de leurs subordonnés et l’habitude du succès.

Le résultat fut un processus de production de plus en plus lent (15 réunions dont une avec le PDG pour décider du dessin d’un phare chez General Motors), des choix désastreux, comme l’Edsel de Ford, une diminution constante du nombre d’innovations puis un tassement de la productivité. Lorsque le problème devint enfin évident au début des années 1970, la réaction fut une fuite en avant bureaucratique avec un surcroît de centralisation, que l’on croyait facilitée par l’informatique, un accroissement de la réglementation afin, pensait-on, d’avoir un contrôle plus fin sur l’emploi de chaque dollar, une rationalisation par regroupement des fonctions, le remplacement des hommes par les machines et l’organisation matricielle. Tout cela ne fit qu’ajouter des fils autour de Gulliver. Dans une entreprise décrite dans Le prix de l’excellence, une idée devait désormais suivre 223 voies pour être acceptée.

Pendant ce temps, les sociétés japonaises, à l’imitation du système de Taiichi Ohno chez Toyota, prenaient le problème à l’envers, en s’intéressant d’abord aux clients pour le satisfaire avec des produits adaptés et de qualité. Pour y parvenir, on donna plus d’autonomie et de responsabilités aux simples ouvriers et employés, tout en leur apportant un environnement social très sécurisant. Leurs avis et idées furent même sollicitées (plusieurs millions de propositions furent ainsi produites dans les années 1980 chez Toyota). On mit en place des méthodes très simples, comme le Kanban, pour, par une simple circulation d’étiquettes, ne produire que ce qui était nécessaire et éviter ainsi les stocks. On simplifia enfin les structures (5 échelons hiérarchiques chez Toyota contre 15 chez Ford). Les Japonais parvinrent ainsi à créer en moyenne deux fois plus vite que les Américains des produits de meilleure qualité et mieux adaptées aux besoins.

Les grandes entreprises américaines furent au bord du gouffre à la fin des années 1970 et n’eurent plus d’autre choix que de se transformer en profondeur et de miser à leur tour sur l’humain plutôt que sur la bureaucratie. Un nouveau modèle apparut dans la Silicon Valley, avant que toute cette embellie de management ne soit à son tour annulée par la dérégulation de la finance.

samedi 17 décembre 2011




Pour montrer son soutien à nos soldats en opérations. Merci à Theatrum Belli de cette initiative.



http://www.theatrum-belli.com/archive/2011/12/15/operation-nuntius-belli-pres-de-1400-messages-de-soutien-exp.html

Gulliver ligoté

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=1457


Je viens de retrouver un article d’août 2003 où je décrivais ma vision de l’avenir de la présence américaine en Irak. Je sous estimais la capacité d’adaptation des Américains et surtout la capacité d’Al Qaïda en Irak à se faire détester mais globalement c'était pas complètement idiot. 

dimanche 11 décembre 2011

Alternatives internationales

http://www.alternatives-internationales.fr/le-regard-du-militaire--peut-on-vraiment-anticiper-l-evolution-d-un-conflit_fr_art_1114_56498.html

La loi de Pareto et les tranchées

Quand on examine de près les statistiques des combats de la Grande guerre, on constate que les fantassins français, en quatre ans, ont tué ou blessé environ 1 100 000 soldats allemands (sur un total de 4 millions de pertes sur le front de France). Si on écarte les pertes qui résultent de tirs de saturation de mitrailleuses (au moins le tiers) et en considérant qu’environ six millions de Français ont porté les insignes de l’infanterie et que quelques autres des autres armes ont eu à faire usage d’armes individuelles, on en conclut que seul un soldat sur dix a visé et touché un homme avec son fusil ou, plus rarement, une grenade.

Environ 40 % des pertes allemandes dues à l’infanterie ont eu lieu pendant les années de guerre des tranchées, de 1915 à 1917. En combat défensif, l’infanterie y utilisait surtout ses mitrailleuses ; en combat offensif, c’est la grenade qui prédominait largement. Le fusil Lebel était tellement peu utile et encombrant que l’on a envisagé un temps son abandon. Quant aux armes blanches, leur emploi a largement relevé du mythe (seulement 1 600 Allemands tués ou blessés en trois ans par baïonnette ou couteau). Durant cette période, au maximum 150 000 soldats allemands ont été mis hors de combat en combat rapproché (à 50 mètres de distance au maximum). Avec peut-être un total de 4 millions de fantassins, cela donne un ordre de grandeur d’un homme sur 25 qui a touché un ennemi en combat rapproché. Il est probable par ailleurs que les quelques dizaines de milliers d’hommes des corps francs ont accaparé une bonne partie de ces pertes. Autrement dit, la très grande majorité des poilus ne s’est jamais battu en duel contre des soldats adverses. Ils ont résisté aux tirs d’artillerie ou au feu des mitrailleuses et dans les attaques ils ont suivis une poignée de combattants naturels. Cela ne réduit en rien leur courage mais celui-ci était bien plus stoïcien qu’homérique.

Si on ne considère que le retour de la guerre de mouvement en 1918, chaque fantassin a tiré en moyenne 1 000 cartouches en dix mois, soit un peu moins d’un sixième de la quantité nécessaire alors pour toucher un homme. Autrement dit, dans les conditions de 1918 un poilu aurait dû combattre en moyenne pendant 58 mois pour tuer ou blesser un soldat allemand. La grande majorité des cartouches ont été en réalité tirées par des armes automatiques, rendues offensives par leur allègement et surtout leur association avec le moteur dans les chars ou les avions.

Ces chiffres confirment une nouvelle le très faible rendement d’une troupe au combat. Une petite élite y fait 80 % du bilan mais sans le regard des autres, cette petite élite ne fait rien.

samedi 26 novembre 2011

Sang et or. La crise économique comme facteur de paix entre les peuples

Je débute avec ce billet une série de réflexions sur l'impact stratégique des crises économiques avec plus particulièrement l'intention de comparer la situation des années 1930 avec celles de nos jours. Tous les commentaires sont les bienvenues.

Si on associe les idées de Gaston Imbert, de Luigi Scandella et de Bernard Wicht on obtient l’image de cycles économiques longs (les Kondratieff essentiellement) porteurs soit de crises extérieures lorsqu’ils sont positifs et de crises internes lorsqu’ils sont négatifs. 

En Europe, la période qui va de la fin du Ier Empire aux révolutions de 1848 se caractérise par un cycle long de dépression économique qui privilégie les tendances conservatrices et offre moins de ressources à l’Etat et à son armée. Il y a peu de guerres interétatiques mais les tensions politiques internes sont de plus en plus fortes. A partir de la fin des années 1840, la tendance économique s’inverse. L’Etat commence à disposer de ressources importantes qui lui permettent d’en consacrer une partie importante à des efforts collectifs et à poursuivre ses ambitions propres à l’extérieur. Le « concert européen » se délite et les grandes guerres européennes réapparaissent (Crimée, Italie, guerres « prussiennes »). En revanche, la « grande dépression » qui débute en 1873 s’accompagne d’une décroissance guerrière dans une Europe qui retrouve des règles collectives de gestion de crises. En France, à la fin de ce cycle comme au début du XIXe siècle, les forces armées sont à nouveau employées comme instrument de répression intérieure. Au début du XXe siècle, le retour de la prospérité en Europe voit aussi le retour du nationalisme et la réapparition des conflits jusqu’à la Première Guerre mondiale. Loin du « doux commerce » évoqué par Montesquieu, la prospérité semble donc plus belligène que la dépression par la combinaison de confiance collective et de ressources qu’elle suscite.

                                                                                                                                                                                                 

vendredi 25 novembre 2011

Colonels-bloggeurs. Reproduction d'un billet de Marc Hecker sur Ultima ratio


En 2011, deux colonels de l’armée de Terre ont ouvert leur blog. Ces officiers sont François Chauvancy (FC) du Centre Interarmées de Concepts, de Doctrines et d’Expérimentations (CICDE) et Michel Goya (MG) de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). Pour mieux comprendre les motivations et les pratiques de ces colonels-blogueurs, nous leur avons posé quatre questions.

1) Le phénomène des « milblogs » vient des Etats-Unis – où il est d’ailleurs aujourd’hui en reflux – et n’a jamais connu le même engouement en France. Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre blog en 2011? Est-ce lié à une volonté de remettre la Défense sur le devant de la scène à l’approche des échéances électorales de 2012?

- FC : Le lancement de mon blog en août 2011 sur le site du quotidien Le Monde, en tant qu’abonné,  répondait avant tout à un besoin de m’exprimer en tant que soldat-citoyen, d’être aussi plus en phase avec l’actualité, ce qui se fait rarement dans le cadre de l’expression des militaires. Je n’avais et n’ai cependant pas la prétention de mettre la défense au cœur de la campagne électorale. En revanche, j’ai eu le sentiment, encore plus qu’avant, que les questions de défense méritaient d’être traitées par les principaux concernés dans leurs domaines de compétence. Certains points de vue se doivent d’être librement exprimés à titre personnel, avec la possibilité d’un débat notamment au contact des citoyens qui ne connaissent plus l’Armée. C’est l’objet de ce blog. Il s’agit aussi d’un défi : serai-je capable d’intéresser, d’alimenter régulièrement d’une manière construite et réfléchie ce blog sur les questions de défense ? Je constate sur le second point que, toutes les semaines, la sécurité extérieure de notre pays ou des questions concernant les armées sont évoquées sous une forme ou sous une autre. M’exprimer en tant qu’officier supérieur d’une relative ancienneté et en tant que citoyen m’est apparu donc un devoir dans une société où beaucoup parlent pour les armées avec une légitimité discutable.

- MG : Ce blog, avec ses ramifications Twitter, Facebook, Viadeo, etc., est avant tout conçu comme un prolongement dans « la longue traîne » d’une activité de réflexion officielle. Je le vois comme un laboratoire où je soumets en direct mes réflexions à la critique. Il n’y a pas de lien avec les échéances électorales même si je pense que les militaires doivent aussi être présents dans les débats, ne serait-ce que parce qu’ils restent, comme le dit le général Desportes, les meilleurs experts de leur propre métier.

2) Avez-vous eu besoin d’une autorisation de votre hiérarchie pour lancer votre blog? Vos billets doivent-ils être approuvés avant publication?

- FC : J’ai pris le risque de ne pas demander à ma hiérarchie l’autorisation d’ouvrir mon blog, encore moins de publier un billet. J’écris depuis 1988 et prends position depuis que je suis capitaine, sans commentaires extérieurs mais avec parfois quelques sueurs froides sur mon avenir. Un ancien chef d’état-major de l’armée de terre m’a confirmé il y a quelques mois que je l’avais (sans doute) « payé » et je me demande parfois… Je rappellerai cependant que notre hiérarchie demande aux militaires de s’exprimer depuis une dizaine d’années. Il n’y a donc pas de contradiction entre ouvrir un blog et ne pas en demander l’autorisation. Par ailleurs, pour moi, un officier n’est pas un serviteur de l’Etat comme les autres. Il a le devoir de s’exprimer certes dans les limites du statut … que je connais bien. En revanche, attirer l’attention sur une question me paraît une obligation morale de l’officier même si cela surprend parfois dans notre société. Cela ne veut pas dire que j’ai raison dans mes écrits. Ce même chef d’état-major de l’armée de terre évoqué précédemment m’avait cependant fait le compliment que, certes, j’agaçais parfois mais que je faisais réfléchir ! Cela n’a rien changé à mon avenir mais cela m’a fait plaisir.
- MG : Partant du principe que le nouveau statut des militaires a supprimé toute autorisation préalable à une publication, je n’en ai demandé aucune. Il en est de même pour les billets.

3) Au cours des dernières années, plusieurs officiers – Vincent Desportes et Jean-Hugues Matelly, en particulier – ont été sanctionnés en raison de leurs écrits. Vous imposez-vous des lignes rouges à ne pas franchir pour ne pas vous retrouver dans la même situation?

- FC : Outre le respect du statut général des militaires, je me donne effectivement des limites. J’appartiens à la communauté militaire et je ne m’exprime pas pour la mettre en difficulté, encore moins quand cela concerne les camarades aux « affaires » et confrontés à une tâche de plus en plus lourde. Cela ne veut pas dire forcément se taire et ne pas s’exprimer avec franchise. Cela signifie aussi que j’évite certains sujets, surtout si je ne les connais pas. Ensuite, j’ai une compréhension militaire des sujets que je traite. Mes réactions et mes réflexions ne sont pas bien différentes d’une grande partie de celles de mes camarades. Ma réflexion doit donc être constructive et le résultat d’un travail qui pourrait au moins partiellement être utile, en toute modestie, au service des armées de la République ! Enfin, si je dois être sanctionné, je l’assume. S’exprimer ne doit pas s’exercer à travers la crainte d’une éventuelle sanction. Il est indéniable que plus vous exprimez des idées, plus vous vous exposez, plus vous donnez une image de vous-même qui suscite soutien ou rejet et donc provoque des effets secondaires. Cependant, faire ce que l’on pense être conforme à ses valeurs permet d’assumer cette prise de risque responsable. C’est une question, oserais-je dire, d’honneur et de rigueur intellectuelle conforme à l’état d’officier, valeurs qui doivent apparaître dans les écrits publiés.
- MG : Je m’efforce de ne pas trahir de secrets (c’est facile, je n’en connais aucun) et de ne pas exprimer d’opinions religieuses et politiques. Par ailleurs, je commente assez peu l’actualité. Je m’efforce de donner des courtes notes d’explorations, autant que possible étayées, ou de faire connaître d’autres travaux, afin de nourrir la réflexion sur les questions de défense et d’emploi des forces. J’accepte tout à fait le risque d’être puni.

4) De manière générale, quelle est aujourd’hui la place des médias sociaux dans les armées françaises?

- FC : Sur cette question particulière des réseaux sociaux, je précise que je n’y adhère pas malgré leur modernité. Sans doute une question de génération. Je ne connais donc pas la place que tiennent les réseaux sociaux dans les armées. Je comprends que cela soit un moyen de se relier aux autres et de partager ce que l’on vit. Cependant, une vie privée n’a pas, à mon avis, à être exposée sur internet même avec des proches sélectionnés, surtout si on est soi-même en opérations. J’aborderai donc surtout cette question des réseaux sociaux sous l’aspect de la sûreté de l’information. Etre militaire implique une vigilance permanente sur l’information que l’on diffuse sur soi ou sur les autres, notamment en opérations. J’ai donc une certaine « inquiétude » sur la présence des militaires sur les réseaux sociaux dans la mesure où, sans précaution, cela peut avoir de graves conséquences pour eux ou pour la communauté militaire. Je pense en revanche qu’une « éducation » aux réseaux sociaux s’avère aujourd’hui indispensable au sein des armées.
- MG : Les médias sociaux sont d’abord une source d’informations parallèle aux canaux officiels, tant en interne que vis-à-vis du reste de la nation. Ils permettent de renforcer les liens armée-nation sur lesquels on s’interroge souvent. Ils constituent aussi un substitut à la rareté des indispensables espaces de libre réflexion pour les militaires et les civils intéressés. Ils sont complémentaires d’organes de réflexion institutionnels, qui par construction, ne peuvent rien produire de très original.

Merci à Marc Hecker

samedi 12 novembre 2011

Le cas étrange des sous-mariniers américains

Même dans l’armée il ne suffit pas de l’ordonner pour que les habitudes changent. Ce sont parfois les hommes eux-mêmes qu’il faut remplacer. La transformation de la pratique de la flotte sous-marine américaine pendant la guerre du Pacifique est une parfaite illustration de ce phénomène.

En 1941, la destruction de navires civils, cause officielle de leur entrée en guerre en 1917, fait particulièrement horreur aux Américains. La doctrine d’emploi des sous-marins américains est presque entièrement orientée vers le renseignement au profit de la flotte de surface dans son combat direct contre la flotte adverse, avec cette idée issue des exercices réalisés avant-guerre de l’extrême vulnérabilité de ces bâtiments à l’approche de l’ennemi. En réalité, ces exercices ont été réalisés dans des eaux très défavorables aux sous-marins et en surestimant grandement l’efficacité de l’aviation dans la lutte anti sous-marine mais ils vont enfermer toute une génération dans un piège cognitif. Ils conduisent à développer des méthodes d’approche et d’attaque extrêmement prudentes fondées sur le repérage des cibles au sonar et non au périscope, jugé trop voyant.

L’agression japonaise sur Pearl Harbor fait sauter toutes les réticences quant à la guerre de course et pendant des mois il s’agit pratiquement de la seule possibilité offensive offerte aux Américains. La mission prioritaire de la flotte sous-marine devient d’un seul coup la traque de la marine marchande au loin et dans la durée. Le résultat de cette première campagne est pourtant un échec, sans qu’il soit possible d’en déterminer véritablement la cause. Tous les commandants mettent en cause la torpille MK XIV. En juin 1942, le nouveau commandant de la flotte sous-marine du Pacifique, l’amiral Charles Lockwood, ordonne une série de tests qui permet d’améliorer les tirs. Simultanément, la flotte se dote des excellents bâtiments de la classe Gato et de radars de surface SJ. Pour autant, les résultats sont loin de progresser au rythme des innovations techniques. Plus exactement, un petit groupe d’équipage obtient désormais de bons résultats tandis que la grande majorité ne progresse guère. Le problème est donc surtout humain.

Avec ce type de combat, il n’y a plus d’échelon entre l’état-major à Pearl Harbor et les commandants de sous-marins et le succès repose d’abord sur l’agressivité, la prise d’initiative et la résistance au stress de ces derniers. Or, on s’aperçoit que la majorité des commandants persiste à reproduire les schémas extrêmement prudents qu’ils ont appris. Beaucoup continuent à tenter de repérer les cibles au sonar plutôt qu’au périscope, ce qui s’avère à la fois peu efficace et exagérément prudent face à des navires marchands. L’amiral Lockwood décide alors de relever de son commandement tout commandant qui n’aura pas obtenu une seule victoire en deux patrouilles. En 1942, 30 % des commandants sont changés, 14 % en 1943 et autant en 1944. La moyenne d’âge diminue alors de cinq ans à rapport à 1941. Simultanément, les « bonnes pratiques » sont diffusées et, à l’aide des premiers ordinateurs IBM, les patrouilles individuelles sont remplacées par des « meutes » concentrées sur des zones et des cibles de plus en plus précises comme les pétroliers au large de l’île de Luçon. L’efficacité monte alors en flèche et avec seulement 1,6% des effectifs de l’US Navy, la flotte sous-marine finit par couler 60 % de la flotte marchande japonaise (et même 30 % des navires de guerre), ce qui contribue largement à l’effondrement du Japon. Ce résultat remarquable est obtenu au prix de la perte de 3 503 hommes d’équipage sur 16 000 et de 52 bâtiments sur 200. Le seul inconvénient de ce type de combat qui repose sur des officiers subalternes est qu’il passe généralement inaperçu.

Il ressort de cette expérience qu’il n’est pas possible d’opérer une transformation importante sans susciter des problèmes de tous ordres, et il est souvent difficile, lorsque surgit un blocage, d’identifier entre les équipements, les structures et les hommes quelle en est la clé. Dans le cas des sous-mariniers américains, il a surtout fallu changer des hommes à qui on ne pouvait reprocher que d’avoir été de bons élèves. 

lundi 7 novembre 2011

Le management du poisson


En 1986, John Yokoyama racheta le vieux marché au poisson de Pike Place à Seattle. Il s’agissait alors d’un gouffre financier avec des salariés démotivés, une clientèle rare et des recettes en berne. Quelques années plus tard, le marché était florissant et connu dans le monde entier. Le secret ? Yokoyama persuada ses collaborateurs que, chaque jour, ils devaient s’appliquer à embellir la vie de leurs collègues et de leurs clients.

Peu à peu, le marché de Pike Place est devenu un lieu associant un travail de grande qualité avec la bonne humeur. Partant du principe qu’on ne choisit pas toujours son métier mais que l’on peut toujours choisir la manière de l’exercer, les poissonniers ont décidé de s’amuser en permanence entre eux et avec les clients. Pike Place est ainsi devenu un endroit où on vient vendre et acheter avec le sourire et le succès a été tel que la nouvelle renommée a encore ajouté au plaisir des poissonniers et donc aussi des clients. Les recettes sont remontées en flèche, sans licenciement ou restructuration quelconque autre que psychologique.  

Le succès de Pike Place a inspiré une nouvelle forme de management baptisé Fish philosophy plaçant au cœur des préoccupations le bonheur au quotidien des employés et des clients. Cela a fait le succès d’autres organisations comme par exemple Zappos, entreprise américaine de vente en ligne de chaussures au chiffre d’affaire d’un milliard de dollars après dix ans d’existence. Les collaborateurs y bénéficient d’une totale autonomie et l’excentricité y est encouragée.

Au bilan le bien-être des gens par l’humour, l’insolite, l’attention s’avère un formidable générateur de succès. 


N’oublions surtout pas la déconne dans nos armées. 

vendredi 4 novembre 2011

Camille et l'opium


Dans le dernier DSI, un excellent papier de la non moins excellente Camille Sicourmat sur l’opium comme défi à l’épreuve de l’approche globale en Afghanistan.

Après l'Afghanistan

Nouvelle question :

2014…les unités de combat de la coalition auront normalement quitté l’Afghanistan. Quelles en seraient les conséquences selon vous :

-         Sur la situation en Afghanistan.
-         Sur la sécurité des nations occidentales, la France en particulier.
-         Sur notre outil de défense.

Merci.

Pour ou contre la re-création de l'ESMIA

Résultat de cette enquête flash.

Sondage : tendance forte pour la fusion de l’EMIA et de l’ESM avec 74 % des votes mais nombre total insuffisant (43) pour être satistiquement significatif. Il faut que je trouve un autre système de vote plus simple.

Cette tendance favorable à l'ESMIA se retrouve également dans les commentaires sur le blog ou ailleurs (je rappelle mon adresse mail goyamichel2@yahoo.fr).

Les officiers d’origine EMIA sont plutôt favorables ; ceux qui y sont opposés sont le plus souvent des Saint-Cyriens.

Les arguments contre sont les suivants :
-         Des populations différentes impliquent des formations différentes.
-        Les économies réalisées par la suppression d’un encadrement seraient inférieures à celle du réaménagement de la formation académique.
-      Les élèves de recrutement direct n’ont pas grand-chose à apprendre de jeunes sous-officiers.

Les arguments pour sont les suivants :
-         Cela permettrait d’accroître la cohésion du corps des officiers.
-         Cela permettrait de faire des économies.
-    Les « semi-direct » apporteraient une expérience militaire ; les « directs », une compétence universitaire.
-  Les formations académiques, correspondant par ailleurs à des populations sociologiquement de plus en plus proches, sont de toutes façons en pleine convergence. Autant aller jusqu’au bout.
-     Cela permettrait d’équilibrer les chances de carrière dès le départ (remarque : ne serait-ce que parce qu’il est moins pénalisant pour un « semi-direct » d’être inscrit à l’annuaire à partir d’un classement commun plutôt que derrière le dernier des Saint-Cyriens).

Pour conclure et ouvrir de manière un peu iconoclaste, plus de vingt ans après ma sortie de l’EMIA, je me demande même à quoi m’a servi mon passage dans cette école. Je n’ai pratiquement aucun souvenir de ma formation académique (je suis pourtant l’archétype du bon élève) et je pense que j’aurais pu acquérir plus de compétences militaires en passant directement deux ans en école d’armes ou en corps de troupe (pourquoi pas plusieurs, dans les deux cas). Seul vrai bon souvenir et acquis : les copains. 

jeudi 27 octobre 2011

Sondage : Etes-vous pour ou contre la recréation de l'ESMIA ?

De 1947 à 1961, l’Ecole spéciale militaire interarmes a regroupé les élèves officiers issus à la fois des concours directs et internes. Je suis personnellement favorable à la recréation de cette école par le regroupement de l’Ecole spéciale de Saint-Cyr et de l’Ecole militaire interarmes. Qu’en pensez-vous ? Exprimez-vous par vos commentaires et en répondant à ce sondage.


http://fr.toluna.com/polls/1756911/Etes-vous-favorable-recreation-Ecole-speciale.htm

dimanche 16 octobre 2011

Le point de non retour

Ceci est l’histoire d’une armée construite, entraînée et équipée pour faire face à une menace venue de l’Est et qui, en l’espace de quelques années s’est transformée en force professionnelle à vocation expéditionnaire. Cette armée, l’armée britannique de l’entre deux guerres, a ensuite été obligée de faire le chemin en sens inverse et cela s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu.

L’armée britannique de 1918 est une magnifique organisation qui est parvenue dans les cent derniers jours de la guerre à organiser magistralement une succession d’opérations très complexes. Dès 1919 cependant, les Britanniques renouent avec une petite armée d’intervention qui sera équipée selon le principe du « Ten years rule », c’est-à-dire le strict minimum s’il n’y a pas de risque majeur dans les dix ans à venir. Pour autant, de la Russie à l’Afghanistan en passant par l’Irak, les forces britanniques sont engagées partout dans monde et souvent violemment. Toutes ces opérations de « stabilisation » provoquent un surcoût qui entame le faible budget d’entraînement et dès le début des années 1920, les unités de l’Army et de la Royal Air Force (RAF) en métropole ne sont plus que de simples réservoirs de force pour les missions extérieures. L’angélisme et le Ten years rule prennent fin en 1932 avec l’invasion de la Mandchourie par les Japonais et la montée du nazisme mais le chemin du retour à la puissance militaire est difficile.

En 1933, la part du budget de la défense ne représente plus que 10,5 % du budget total du gouvernement contre 30 % en 1913 mais au cours de la même période le service de la dette est passé de 6,1 % à 21,4 %. Dans une économie en plein marasme, et alors que l’Allemagne et les Etats-Unis font le pari inverse, le Trésor freine tout augmentation de crédits pour ne pas déplaire aux marchés financiers. Ce n’est qu’à partir de 1938 que les budgets d’équipement prennent vraiment de l’ampleur mais la faiblesse des commandes a été telle pendant une quinzaine d’années que de nombreux savoir-faire industriels ont disparu. Les quelques industries restantes s’entendent pour imposer des prix élevés. Même l’industrie aéronautique, qui bénéficie pourtant de la priorité des crédits a du mal à « décoller ». Les rares ressources sont concentrées la conception de bombardiers à long rayon d’action, dont les délais de mise au point sont beaucoup plus longs que prévu. En 1931, c’est une riche aristocrate, Lady Houston, qui supplée l’absence de fond public pour financer le prototype de ce qui deviendra le Spitfire. La défense aérienne est malgré tout la seule réussite de la période.

En 1936, on renoue avec les grandes manœuvres pour découvrir que cette armée professionnelle, présente de graves lacunes. Dans les années 1918-1920, le Journal of the Royal Artillery était rempli d’articles techniques et tactiques inspirés de l’expérience récente. Au début des années 1930, il n’y a plus que des articles sur les vertus du polo et de la chasse au renard. Le seul débat existant dans les années 1920 est provoqué par les apôtres des chars qui parviennent à imposer de 1927 à 1931 la création d’une force blindée expérimentale qui ne survit pas à la crise économique. La réflexion doctrinale institutionnelle ne commence véritablement qu’en 1932 avec la commission Kirke qui se propose, enfin, de tirer les enseignements de la Grande Guerre.

Finalement lorsque le Royaume-Uni entre en guerre, il ne dispose pas de l’immense flotte de bombardiers qui lui aurait, paraît-il, permis de mettre à genoux l’Allemagne. Le corps expéditionnaire en Europe, malgré le rétablissement de la conscription quelques mois plus tôt, dépasse à peine en volume celui de 1914. Et s’il se révèle solide au combat, il est aussi particulièrement rigide. Alors que les Britanniques étaient des pionniers en matière de chars, ils ne parviennent à déployer qu’une seule division blindée et ne seront capables de produire un char efficace, le Centurion, qu’en 1945. Alors qu’ils étaient également des pionniers en matière de porte-avions, ceux-ci sont encore équipés de biplans. Pire encore, alors que la première bataille de l’Atlantique en 1917 avait failli être fatale, les Britanniques sont toujours incapables de lutter efficacement contre les U-Boots. Il faut attendre véritablement la fin 1942, et grâce à l’aide américaine, pour voir une armée britannique efficace. Jusque là, elle a surtout accumulé des désastres, dont beaucoup auraient pu être évités avec une politique de Défense d’avant guerre plus clairvoyante.

Résumé d'une fiche au chef d'état-major des armées, 2007.

mardi 11 octobre 2011

La petite muette

Une question me taraude depuis quelques semaines : a-t-on le droit d'exiger d'un officier qu’il demande préalablement une autorisation pour toutes ses interventions dans les médias ou dans des colloques ? N'est-ce pas contraire au nouveau statut général des militaires qui a supprimé toute idée de censure préalable ? 

Bien entendu, il ne s’agit là que d’une hypothèse.

samedi 8 octobre 2011

Réformer une grande organisation : le cas de Big blue

IBM a longtemps été l’entreprise la plus admirée au monde pour la dévotion de son personnel, qui n’avait rien à envier à celle des sociétés japonaises. Mais IBM fonctionnait aussi comme un mastodonte exploitant rationnellement quelques produits phares comme le mythique IBM 360 dans les années 1960 ou le Personal Computer de la fin des années 1970. Les années 1980 ont changé la donne en privilégiant les entreprises plus innovantes comme Microsoft ou Intel. Empêtrée dans sa bureaucratie (au début des années 1990, IBM compte 128 directeurs des technologies de l’information, 266 systèmes de comptabilité et 155 centres de données), ralentie par l’obsession perfectionniste de ses laboratoires qui mettent des années à sortir un nouveau produit, oublieuse de ses clients (qui peuvent attendre deux mois une réponse à un problème technique), IBM perd pied. Le pachyderme n’est plus capable de fabriquer l’intégralité des composants de ses PC et doit passer commande de circuits intégrés et de logiciels à d’autres entreprises. Les bénéfices s’érodent inexorablement jusqu’à disparaître à la fin des années 1980.

Face à cette crise, la direction réagit en tentant une nouvelle organisation et en supprimant  100 000 postes. Ces deux approches sont des échecs. Les nouvelles divisions mises en place, sans simplification des structures de commandement, ne font finalement qu’ajouter à la complexité en créant des « fiefs » locaux. Les protocoles d’accord entre divisions sont si ardus qu’ils nécessitent des stages spécifiques pour les comprendre. De son côté, la réduction du personnel, traumatisante dans une entreprise qui pratiquait l’emploi à vie, s’est effectuée sur la base de l’incitation financière, ce qui a eu tendance à faire partir les meilleurs, et de la sanction, ce qui a eu tendance à tuer toute initiative. La réduction en quelques années d’un quart du personnel ne pouvait pas non plus ne pas augmenter la pression sur ceux qui restaient.

L’IBM de la fin des années 1980 est alors devenue ainsi une organisation de méfiance. Une coupure nette est apparue entre une direction plus zélée à obéir aux intérêts des actionnaires qu’à ceux de ses employés. Tenter quelque chose et échouer ou même simplement soulever un problème, c’est donner un prétexte à un licenciement. De plus, la chasse aux coûts à réduit aussi considérablement les petits surplus (slack) qui permettait à certains d’expérimenter des idées personnelles. La réforme rigidifie IBM alors que le monde et les concurrents ont tendance à évoluer à grande vitesse. Ce décalage rend d’ailleurs l’entreprise moins attrayante pour les jeunes talents et le niveau général du personnel décline, entraînant IBM dans une spirale de médiocrité.

Dès son arrivée à la tête d’IBM en 1993, Lou Gerstner met en place une nouvelle politique fondée sur les hommes. Un surplus financier est formé en vendant des actifs non essentiels à l’entreprise. Ce surplus est utilisé pour investir dans les nouvelles technologies et surtout dans les hommes. Les rapides et les innovants reçoivent des bonus et tout le monde est associé aux résultats globaux d’IBM. La formation interne est remise en honneur et les bureaux d’étude retrouvent des financements. Un nouveau système d’évaluation (dite à 360°) est mis en place qui privilégie la compétence réelle sur le diplôme. IBM redevient une entreprise qui attire les talents. Gerstner passe la moitié de son temps sur le terrain et martèle qu’il ne veut entendre que la vérité. Lui-même donne l’exemple en refusant la langue de bois et en jouant la transparence totale. Pour améliorer encore la circulation de l’information, les états-majors sont réduits et la structure matricielle est abolie au profit d’une pyramide classique dans laquelle tout le monde se retrouve. La plupart des task forces et autres modules sont également supprimés. Ces hommes et ce système sont mis au service d’un projet bien plus mobilisateur que les simples économies financières : le détachement de la fonction de constructeur d’unités centrales d’ordinateurs pour se réorienter vers les services informatiques (IBM Global Services et e-business). Lorsqu’il quitte IBM en mars 2002, Gerstner laisse derrière lui une entreprise florissante.

Résumé d’une fiche au chef d’état-major des armées, avril 2008.

samedi 1 octobre 2011

Les pertes invisibles

L’esprit humain est ainsi fait qu’il se concentre presque exclusivement sur ce qu’il voit et néglige les phénomènes peu visibles. Tout le monde a en tête les images des attentats du 11 septembre 2001 et ses 3 000 victimes. On néglige en revanche le fait que la peur de prendre l’avion qui en a découlé a engendré un surcroît de trafic routier finalement plus meurtrier que les attentats. De fait, dans la majorité des cas, le conflit en Afghanistan n’apparait sur nos écrans que lorsque nos soldats tombent et selon un processus exponentiel : un seul décès est un « évènement », à partir de trois on parle de « choc » et au-delà de huit on atteint le niveau de « drame national ». La lumière faite sur ces pertes visibles empêche de voir d’autres phénomènes plus discrets.

On pourrait déjà faire remarquer que chaque année la drogue afghane tue trente fois plus de Français que les balles ou les engins explosifs afghans (et accessoirement que ceux que nous soutenons sur place sont parfois impliqués dans ce trafic d’opium). On pourrait aussi constater que la route française est actuellement la zone d’engagement la plus meurtrière pour les forces françaises (environ 30 décès par an dans le cadre du service et 220 hors service), sans que cela suscite la moindre couverture médiatique. Il est vrai aussi que dans ce dernier cas le taux de pertes par accident routier est très inférieur pour les militaires en service à celui de la moyenne de la population. Il n’est donc pas indispensable d’avoir une exposition médiatique suivie de réactions « visibles » (en général, l’annonce d’un surcroît de réglementation et de contrôle) pour adopter des méthodes efficaces de contrôle des risques.

Il existe cependant une différence de nature entre les soldats perdus dans des accidents et ceux qui tombent dans des opérations de guerre. Vouloir réduire à tout prix les pertes par la force protection, qui n’est autre qu’une adaptation de la fonction « sécurité et prévention des accidents », a effectivement des effets visibles. En proportion des risques encourus et des effectifs engagés, les pertes au combat des troupes engagées en Afghanistan sont les plus faibles de notre histoire militaire. La probabilité d’être tué en Afghanistan, même depuis 2008, est par exemple trois à quatre fois inférieure à celle de la guerre d’Algérie.

La question se pose maintenant de savoir quels sont les effets invisibles à long terme de ces mesures visibles immédiates lorsqu’on agit non pas dans le cadre d’un service courant en métropole qu’il s’agit d’optimiser mais dans celui d’un affrontement dialectique armé avec sa logique parfois paradoxale (en combat, le chemin le plus court n’est pas forcément le meilleur car c’est celui où on sera le plus attendu par l’adversaire). A force de prudence et en voulant gagner chaque engagement à « 1-0 plutôt qu’à 3-1 » ne prolonge-t-on pas les opérations en n’obtenant rien de décisif ? Pire encore, en voulant éviter à tout prix les pertes, n’est-on pas tenté de réduire même ces engagements en restant dans les bases ? Tout cela n’engendre-t-il pas une frustration prolongée avec ses conséquences psychologiques ? S’est-on d’ailleurs inquiété des pertes invisibles engendrées par nos manières de procéder (suicides, dépressions, démotivation, non renouvellement de contrat) ? En échangeant de l’argent contre des risques (blindages, appuis, etc.) n’échange-t-on pas aussi une usure physique contre une usure économique ? Beaucoup de questions et pour l’instant peu de réflexions visibles.

vendredi 30 septembre 2011

Res Militaris advanced


Je remercie les commentateurs de m’avoir signalé la sortie de mon propre livre. La 2e édition de Res militaris est parue. 

C’est une version dopée de la première avec 10 fiches en plus, en fait des courts articles rédigés depuis mon arrivée à l’Irsem.

Courrez-y donc !


samedi 24 septembre 2011

Une autre manière de combattre

Dans les conflits au milieu des populations, il est important de bien analyser son ennemi. En 1964, lorsqu’il prend le commandement des forces américaines au Sud-Vietnam, le général Westmoreland, considère le Viêt-cong (VC) comme un simple auxiliaire de l’armée nord-vietnamienne (ANV), à la manière des partisans soviétiques combattants en liaison avec l’Armée rouge. Il engage donc les forces américaines dans la recherche et la destruction de ces bandes armées sans se préoccuper du sort de la population sud-vietnamienne. De son côté, le Corps des Marines, qui prend en charge le nord du pays, analyse plutôt le Viêt-cong comme un mouvement politique national qu’il faut couper de son soutien local. 

L’idée des Combined action platoons (CAP) naît ensuite du décalage entre les effectifs des bataillons de Marines déployés et la dimension de leurs zones de responsabilité. En s’inspirant surtout des méthodes utilisées par les Marines au Nicaragua de 1925 à 1933, le chef du 3e bataillon du 4e régiment propose d’injecter un groupe de combat (14 Marines et 1 infirmier de la Navy) dans chaque section des forces populaires (FP, milices villageoises sud-vietnamiennes de 15 à 35 hommes) de son secteur. Cette première expérience permet de mettre en évidence les difficultés d’une telle «  greffe » (langue, adéquation culturelle, décalage de combativité avec les FP) mais aussi des grandes potentialités de l’association des capacités tactiques américaines et de la connaissance du milieu des Vietnamiens.

Au début de 1966, le succès de ces premières CAP est tel qu’il est décidé d’en former une nouvelle chaque semaine avec des volontaires américains acceptant de passer au moins six mois dans un village vietnamien, quite à prolonger leur tour de service au Vietnam (60 % des Marines qui ont participé à l’expérience ont demandé une prolongation de séjour). Un premier bilan réalisé à la fin de l’année montre que la « zone CAP » est deux fois plus sécurisée que celle où les Américains ne pratiquent que du « search and destroy ». Le Viêt-cong n’y recrute pratiquement plus et ne peut plus y percevoir de taxes et de riz alors que l’administration du gouvernement peut s’y exercer normalement. Le taux de désertion des FP y est resté pratiquement nul (contre plus de 15 %  pour le reste du Sud-Vietnam) et pour 6 Marines et 5 FP tués, 266 VC-ANV ont été éliminés.

L’année 1969 est celle de la plus grande activité. Le nombre de CAP atteint la centaine répartie avec plus de 2 200 soldats américains et près du double de Vietnamiens. Chacune d’entre elles effectue dans l’année environ 1 500 patrouilles-embuscades pour éliminer en moyenne 24 ennemis, tués ou capturés, au prix d’un mort américain et d’un mort FP. Un Américain inséré dans une CAP élimine donc deux fois plus d’ennemis (et pour un coût financier au moins trois fois inférieur) qu’un Américain agissant au sein d’une unité de combat purement nationale, tout en aidant la population et en instruisant les forces locales.

Grâce à la protection invisible de la connaissance du milieu et de la population, les pertes par mines et pièges sont marginales alors qu’elles représentent 30 % des pertes totales américaines. Les CAP ont l’initiative des combats dans plus de 70 % des cas, ce qui suffit généralement à l’emporter, alors que la proportion est inverse avec les opérations de « va et vient » depuis les bases, ce que les bataillons américains sont obligés de compenser par une débauche de feux.

Malgré leur efficacité les CAP ne connaissent pourtant qu’une extension limitée, car cette manière de faire heurte à la fois le commandement militaire sud-vietnamien qui n’aime pas voir une partie de ses forces lui échapper, l’ambassadeur américain Robert Komer qui estime avoir le monopole de tout ce qui relève de la pacification et le haut-commandement militaire américain au Vietnam qui refuse d’admettre la conclusion implicite du succès du CAP qui est que les ressources immenses dont il dispose en équipement et technologie sont inadaptées à ce type de guerre.

Résumé d'une fiche au chef d'état-major des armées, publiée in extenso dans Res Militaris.

jeudi 22 septembre 2011

De la liberté de proposer et de son influence sur la victoire



Sous le Second Empire, le maréchal de Mac Mahon rayait de l’avancement « tout officier qui a son nom sur un livre ». En 1935, le général Gamelin imposait son imprimatur à toute publication d’article ou de livre par un militaire. Dans les deux cas, dans les années qui ont suivi, la France a subi un désastre militaire qui, à chaque fois, a été qualifié de défaite intellectuelle.

La Grande armée du Premier Empire, celle de 1918 ou de la Libération, jusqu’à l’armée du plan Challe qui écrase l’ALN, ont toutes été précédées d’un bouillonnement intellectuel né d’une grande liberté de réflexion et d’expression accordée aux militaires. Il est vrai qu’il a fallu à chaque fois un choc- la guerre de Sept Ans, 1870, Dien Bien Phu-pour obtenir cette liberté.

Où nous situons-nous en ce moment ?

lundi 19 septembre 2011

De l'emploi et de la reconnaissance des super-combattants

Albert Roche
Pendant la campagne sous-marine américaine contre le Japon de 1942 à 1945, contribution majeure à la victoire, la moitié des navires coulés fut le fait d’un 1/6e des capitaines. Les 44 meilleurs tireurs d’élite soviétiques ont, officiellement au moins, abattu plus de 12 000 hommes, dont beaucoup de cadres allemands, pendant la Grande guerre patriotique. Le record historique dans cette catégorie particulière appartient sans doute au Finlandais Simo Hayha, avec 542 « victoires » à son actif en 100 jours seulement. Parmi les fantassins, et en examinant seulement les Français pendant la Grande guerre, on découvre des dizaines d’hommes comme Maurice Genay, du 287e Régiment d’Infanterie, quatorze fois cité, ou Albert Roche, du 27e Bataillon de chasseurs alpins, décoré de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire, de la  Croix de guerre avec 4 citations et 8 étoiles. Il a été blessé neuf fois et a fait, entre autres, un total de 1180 prisonniers allemands. Du côté des tankistes, le cas de Michael Wittmann, crédité de 200 destructions diverses (et de l’arrêt d’une division blindée britannique à Villers-Bocage le 13 juin 1944) a souvent été mis en avant. On connaît moins le sergent Lafayette G. Pool de la 3e division blindée américaine, qui a obtenu, avec son équipage de char Sherman  plus de 258 victoires dans les combats en Europe de 1944 à 1945. 


Le phénomène semble s’appliquer à toutes les formes d’affrontements mais c’est dans le combat aérien qu’il est le plus facile à mettre en évidence. Si on examine le cas des As de la chasse française de 1915 à 1918, on trouve les noms de 182 pilotes, crédités d’au moins cinq victoires aériennes. Cette poignée d’hommes, à peine 3% des pilotes de chasse formés en France, a totalisé 1756 victoires homologuées sur un total général revendiqué de 3950, soit près de la moitié.

Une armée est finalement une machine à former les tueurs de faible rendement. Dans une application guerrière de la loi de Pareto, la majorité des résultats micro-tactiques sont le fait d’une minorité d’individus doués et dont ceux qui survivent assez longtemps obtiennent le statut d’As. On peut sur une seule action de combat, apparaître héroïque et brillant alors que l’on est que chanceux. Avec la répétition, le facteur chance s’élimine et les héros survivants apparaissent alors vraiment comme des experts. Outre d’être chanceux, leur point commun reste une stabilité émotionnelle et des capacités de coordination sensorielles et motrices supérieures à la moyenne. Passé un premier seuil d’expériences, ces capacités innées se développent très vite en se nourrissant de chaque victoire, jusqu’à un seuil de quasi invincibilité mais aussi souvent de dépendance.

Ces soldats d’exception contribuent grandement à la victoire, quand ils ne les arrachent pas eux-mêmes par leur seule action. Il reste à déterminer leur place dans l’organisation militaire et dans la société. Dans un article du Times, l’historien britannique Ben Macintyre constatait qu’alors que les Britanniques déploraient la mort de plus de 500 soldats en opérations depuis 2003, aucun héros combattant n’était connu du grand public. Il constatait également que les soldats mis en avant par l’institution étaient des héros « secouristes », comme le caporal Beharry, récompensé de la Victoria Cross pour avoir sauvé des camarades lors d’embuscades en Irak en 2004 ou, dans le cas américain, des héros « victimes » comme Pat Tillman, tué en Afghanistan (par des balles américaines), ou Jessica Lynch, prisonnière en Irak et héroïne fabriquée. Tout se passait comme si combattre était devenu honteux.

Les réactions en France après l’embuscade de la vallée d’Uzbeen, le 18 août 2008, rejoignent cette analyse. Si la perte de dix hommes a suscité une grande émotion, voire une sur-réaction victimaire, il n’a jamais été fait mention, par exemple, du comportement remarquable du sergent chef du groupe de tête, qui a réussi à s’extraire du piège en abattant lui-même plusieurs adversaires tout en commandant le repli de ses hommes. Les combattants naturels, et donc les As potentiels, existent toujours. Il reste à déterminer si une société et son armée peuvent espérer vaincre en refusant de les reconnaître.

Extrait de « Le complexe d’Achille », in Inflexions n°16, mars 2011.