dimanche 11 décembre 2011

La loi de Pareto et les tranchées

Quand on examine de près les statistiques des combats de la Grande guerre, on constate que les fantassins français, en quatre ans, ont tué ou blessé environ 1 100 000 soldats allemands (sur un total de 4 millions de pertes sur le front de France). Si on écarte les pertes qui résultent de tirs de saturation de mitrailleuses (au moins le tiers) et en considérant qu’environ six millions de Français ont porté les insignes de l’infanterie et que quelques autres des autres armes ont eu à faire usage d’armes individuelles, on en conclut que seul un soldat sur dix a visé et touché un homme avec son fusil ou, plus rarement, une grenade.

Environ 40 % des pertes allemandes dues à l’infanterie ont eu lieu pendant les années de guerre des tranchées, de 1915 à 1917. En combat défensif, l’infanterie y utilisait surtout ses mitrailleuses ; en combat offensif, c’est la grenade qui prédominait largement. Le fusil Lebel était tellement peu utile et encombrant que l’on a envisagé un temps son abandon. Quant aux armes blanches, leur emploi a largement relevé du mythe (seulement 1 600 Allemands tués ou blessés en trois ans par baïonnette ou couteau). Durant cette période, au maximum 150 000 soldats allemands ont été mis hors de combat en combat rapproché (à 50 mètres de distance au maximum). Avec peut-être un total de 4 millions de fantassins, cela donne un ordre de grandeur d’un homme sur 25 qui a touché un ennemi en combat rapproché. Il est probable par ailleurs que les quelques dizaines de milliers d’hommes des corps francs ont accaparé une bonne partie de ces pertes. Autrement dit, la très grande majorité des poilus ne s’est jamais battu en duel contre des soldats adverses. Ils ont résisté aux tirs d’artillerie ou au feu des mitrailleuses et dans les attaques ils ont suivis une poignée de combattants naturels. Cela ne réduit en rien leur courage mais celui-ci était bien plus stoïcien qu’homérique.

Si on ne considère que le retour de la guerre de mouvement en 1918, chaque fantassin a tiré en moyenne 1 000 cartouches en dix mois, soit un peu moins d’un sixième de la quantité nécessaire alors pour toucher un homme. Autrement dit, dans les conditions de 1918 un poilu aurait dû combattre en moyenne pendant 58 mois pour tuer ou blesser un soldat allemand. La grande majorité des cartouches ont été en réalité tirées par des armes automatiques, rendues offensives par leur allègement et surtout leur association avec le moteur dans les chars ou les avions.

Ces chiffres confirment une nouvelle le très faible rendement d’une troupe au combat. Une petite élite y fait 80 % du bilan mais sans le regard des autres, cette petite élite ne fait rien.

11 commentaires:

  1. Il serait intéressant de comparer les statistiques d'une armée de conscription avec celle d'une armée professionnelle.

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  2. C'est la différence entre une armée de civils et une armées de professionnels.

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  3. ...ça aurai bien fait rire Otto Carius dans sa pharmacie!!!

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  4. En fait, les poilus sont rapidement de vrais professionnels.La plupart des As de la chasse ou d'ailleurs, comme le capitaine Conan du roman, étaient des civils qui n'auraient jamais envisagé une carrière militaire sans la guerre.

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  5. Désolé d'avoir fait le Troll...pas pu m'empêcher...mais qu'est-ce qui prime alors:l'entrainement du professionnel,le talent inné ,ou simplement le hasard (ou le chaos sur le plan mathématique)?de l'évolution façon Gould?

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  6. Ce qui compte à mon sens, c'est l'extraordinaire travail logistique fournit par l'état-major pour que la France dispose, à la veille de la guerre, d'un instrument militaire efficient. 817000 hommes mobilisés au 1er août, plus de 3.6 millions le 16 août. Cela suppose une organisation conséquente dans les provinces pour équiper, nourrir et acheminer ces soldats vers le front. Dans un conflit de masse, la distinction entre une armée professionnelle et une armée de conscription n'a guère de sens: la mobilisation générale fait loi. La France était alors dans une logique de guerre totale.

    Ainsi que le souligne le colonel Goya, l'expérience vient vite, et le civil supplée rapidement au militaire, voir le surpasse. Si l'armée professionnelle soutient le choc initial, c'est l'armée mobilisée qui supporte l'effort de guerre sur le long terme grâce à ses effectifs pléthoriques. Établir une distinction qualitative entre les deux, ainsi que le laissent entendre certains commentaires, me semble totalement déplacé et hors de propos.

    @Renaud : Je ne pense pas que l’art de la guerre soit une chose innée. Tout au plus l’entraînement vise à créer une accoutumance factice au combat à travers l’enseignement d’actes réflexes et instinctifs, afin d’atténuer le choc du feu. Le soldat peut se raccrocher au drill s’il vient à être dépassé par les évènements.

    À mon sens, celui qui survit acquiert une intelligence pratique du combat, expérience qui ne cesse de croître avec la durée du conflit. À un tel niveau, la chance et l’entraînement n’ont plus de place.

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  7. @Revens:fine analyse."Les amateurs parlent tactique ,les professionnels logistique".Pas d'autres juges que l'experience alors?pourquoi pas...il est vrai que la 2GM nous a fourni un vivier solide pour les guerres "coloniales".Alors devrions nous nous doter d'une armée "de cadres" pour faire face aux opérations de basse intensité,tout en gardant un oeil sur l'hypothese d'une nouvelle guerre de masse,un peu dans le style de l'armée de Weimar?

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  8. Ces remarques devraient être rapprochées des enseignements américains du Viet-Nam ou même ceux de l'Afghanistan (et ce pour toutes les nations engagées). La consommation de munitions de petit calibre par l'infanterie est trés importante pour un rendement faible (voire trés faible). Pourtant les résultats des unités d'infanterie françaises passant au CEITO (centre d'entrainement et d'instruction au tir opérationnel) montrent des rendements plus élevés.
    J'en conclus qu'une troupe engagée dans une action de feu dans laquelle chacun peut tuer et être tuer, choisit d'abord de se protéger donc de limiter instinctivement ses capacités d'observation et de tir, ce qui nuit au rendement. De plus, le stress au combat qui ne peut se simuler devient aussi un facteur limitant.
    L'expérience du feu, qui permet une accoutumance à la prise de risque et donc contre-balance les facteurs limitant, est à mon sens le seul moyen d'acquérir une meilleur efficacité.

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  9. Le CEITO sert avant tout à faire du score pour des capitaines qui pensent à leur carrière, avec toute la "triche" que cela comporte.

    Là est la grosse différence.

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  10. Il y a une excellente comparaison à faire avec le rugby: un seul homme finalise l'action collective en aplatissant derrière la ligne d'essai; il est pourtant rare qu'un individu seul y arrive sans un travail de préparation titanesque de tous. Celui qui tue au combat est celui qui est placé dans la zone d'effort et qui a su ou pu se préparer à l'action principale. Grâce au coaching, on peut ainsi faire partie de l'équipe depuis le banc des remplaçants et jouer un rôle majeur en réalisant l'action décisive pendant les quelques minutes où l'on est sur le terrain alors que celui qui joue tout le match pourra ne pas toucher un ballon! La manoeuvre et la logistique n'ont d'objet que la marque que l'on imprime à l'adversaire, la véritable domination c'est d'imposer son rythme, son jeu et de prendre l'ascendant suffisant pour "marquer": la victoire réside dans la destruction de la volonté de vaincre de l'adversaire et pas seulement dans le nombre de pertes qu'on lui inflige, rien à voir avec un système d'évaluation statistique comme le CEITO qui est tourné uniquement vers l'application et le contrôle de la technique du tir au niveau collectif.

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