dimanche 29 janvier 2012

Famille Mansour 1-France 0


La guerre au milieu des populations présente ce point commun avec la Bourse que son évolution dépend de l’action de quelques grands acteurs politiques mais surtout des anticipations de très nombreux « petits porteurs ». La population civile est peut-être le centre de gravité de ce type de conflit mais c’est un ensemble vivant fait d’une juxtaposition de micro-stratégies individuelles, familiales, claniques, etc. aux objectifs divers, la survie en premier lieu. Ces civils interviennent donc de multiples façons dans la guerre depuis la simple fourniture de renseignement jusqu’à l’enrôlement dans une des armées opposées, en passant par le coup de feu occasionnel. Ces milliers d’actes isolés sont parfois forcés mais le plus souvent volontaires, par intérêt ou en réaction, mais aussi par anticipation surtout lorsqu’on « sent » que l’on entre dans la phase finale de la guerre.

Dans cette phase, les grands acteurs politiques armés sont plutôt incités à prendre moins de risques afin de rester sur un bilan acceptable pour la force sur le départ ou de préparer le combat suivant. De fait, il est préférable pour les Taliban de prendre des risques plutôt face à l’armée nationale afghane que face à des Américains sur le départ. En revanche, beaucoup de familles, de clans ou de groupes divers doivent se positionner rapidement pour la suite des évènements. Il n’est ainsi pas rare pour une famille afghane d’avoir un fils dans l’armée nationale mais aussi dans le groupe rebelle dominant dans la région. Il peut être bon aussi de montrer sa vaillance contre les forces étrangères et la rétractation de ces dernières sur leurs bases, outre qu’elles confirment les anticipations, modifient simplement les modes d’action. Au lieu d’accrocher les troupes de la coalition sur le terrain, il suffira de surveiller les axes logistiques, de lancer des projectiles sur les bases ou, si la motivation est importante, de profiter du recrutement massif des forces de sécurité afghanes pour s’infiltrer et frapper. Comme l’indiquait un journaliste français, l’attaque d’Abdul Mansour le 20 janvier dernier sur la base Gwan est sans doute le résultat non pas des Taliban ou du HiG, qui n’ont pas revendiqué l’attaque, mais de la pression de sa famille.

Les gages des « amateurs » locaux tendent ainsi à se substituer aux offensives des organisations et grands groupes, en général plus efficaces et meurtrières. Les pertes de la coalition en Afghanistan (mais pas celles de l’armée nationale afghane) peuvent ainsi se réduire mais pas autant qu’espéré et sans que le nombre d’incidents diminue par ailleurs. Il y a 18 soldats français tués de janvier à juillet 2011 inclus, période d’opérations actives, mais encore 11 d’août à janvier 2012, période de rétractation. Encore ne s’agit-il là que des pertes visibles. La rétractation sur les bases et la fin des périodes offensives a un effet déprimant, tant le fait de subir est plus stressant que l’action offensive et active. Les pertes psychologiques britanniques en Irak sont devenues aussi élevées que pendant la Seconde Guerre mondiale à partir de la fin de 2005 lorsque le gouvernement Blair a réduit les opérations offensives pour des raisons électorales. A une toute autre échelle, l’armée américaine au Vietnam s’est effondrée moralement lorsqu’elle ne bougeait plus de ses bases après l’offensive du Têt en 1968.

Cette politique de retrait intérieur comme préalable au retrait du pays, n’est d’ailleurs pas un gage de réussite si elle ne se fonde pas sur une amélioration réelle et non racontée de la situation locale. Au printemps 2004, quelques jours après la capture de Saddam Hussein, le général Odierno, alors commandant de la 4e division d’infanterie déclarait que la rébellion était à genoux et que la situation serait complètement normalisée six mois plus tard. Trois mois plus tard, les Américains devaient faire face simultanément à la résistance de Falloujah, à la révolte mahdiste et aux révélations d’Abou Ghraïb. A la fin de 2005, après la reprise des villes tenues par les rebelles et la réussite des élections, les Américains se repliaient dans de grandes bases. Quelques semaines plus tard, l’Irak basculait dans la guerre civile. L’exécutif américain a eu au moins le courage de changer de stratégie, changement lui-même rendu possible par l’acceptation d’une pensée militaire critique par le commandement américain.

mercredi 25 janvier 2012

France 3 Histoire immédiate

Ce soir sur France 3 l’émission « Histoire immédiate » est consacrée au service militaire.

L’émission débute à 20h35 par un documentaire de 80 minutes et se poursuit avec un débat où j’interviens aux côtés de Martin Hirsch, Eric Ciotti et Annie Crépin.

lundi 23 janvier 2012

Bienvenue à Guerres et conflits



J’ai le plaisir de vous annoncer la naissance de « Guerres et conflits XIXe et XXIe siècle » le blog de mon ami Rémy Porte. Longue vie au nouveau-né.



dimanche 22 janvier 2012

Destination danger politique


La Ve République offre au Président une grande liberté quant à l’emploi des forces armées. Cela évite d’avoir à « façonner » préalablement l’opinion publique et permet un engagement rapide susceptible de traiter la crise au plus tôt. Cet avantage opérationnel se paye d’une stérilisation du débat stratégique, les représentants de la nation n’étant guère incités à s’intéresser à des questions sur lesquelles ils n'ont aucune prise et, par ailleurs, de moins en moins de connaissances. Le Président de la République se trouve donc en première ligne pour assumer les effets politiques de des décisions d’engagements militaires dont la particularité est d’être, « normalement », dialectiques, c’est-à-dire qu’ils s’exercent face à des ennemis qui vont s’efforcer de les contrer et de les enrayer. Un « coup » ennemi peut survenir à tout moment, qui, s’il n’est pas compensé par un succès ou un espoir de succès de l’opération dans son ensemble (voir « Le mythe de l’aversion publique aux pertes » en date du 7 septembre 2011), touche aussi politiquement le chef des armées.

Une manière de protéger le Président contre les effets politiques d’une opération peu populaire peut consister à la camoufler médiatiquement mais dans ce cas les coups ennemis se doublent de la surprise et prennent soudain plus d’ampleur. La méthode la plus couramment consiste en réalité à vouloir refuser la dialectique en refusant simplement le combat. On placera donc plutôt les forces en mission de stabilisation ou d’interposition mais surtout pas de « guerre », et si possible dans une zone peu dangereuse. Cette approche présente de nombreux inconvénients. En refusant l’affrontement on se prive du meilleur moyen d’obtenir une victoire, qui reste quand même un bon indicateur du succès d’une opération militaire. Cette gesticulation n’est même pas l’assurance de ne pas prendre de coups car ne pas vouloir d’ennemi n’est pas suffisant pour ne pas en avoir. Sur 308 soldats morts « pour la France » depuis 1963, peu d’entre eux l’ont été par un ennemi désigné et assumé. Cette posture de simple présence est également inconfortable lorsqu’on agit au sein d’une coalition où certains alliés, dont le principal d’entre eux, font le choix inverse de se battre.

Si la situation de guerre ne peut être évitée ou niée, la tentation est forte de réduire les risques en contenant au strict minimum l’action des forces terrestres, les plus dangereuses pour l’ennemi mais aussi et surtout pour la côte de popularité du Président. Ce sont en effet les forces terrestres qui « encaissent » plus de 90 % des tués et blessés. Le problème est que ce sont aussi ces forces terrestres qui, au bout du compte, emportent la « décision » sur le terrain. Les remplacer entièrement par d’autres moyens, aériens par exemple, c’est se condamner à trouver des forces de substitution, pas toujours fiables. On peut aussi limiter politiquement le volume des forces terrestres, quitte à en affecter la cohérence (comme si on réduisait l’équipage d’un porte-avions en considérant qu’un tel volume est un signal trop fort) ou, pire encore, intervenir directement dans la conduite des opérations. Ce dernier risque est évidemment très fort lorsqu’on considère que chaque « coup » militaire donné par l’ennemi doit faire l’objet d’une réaction politique. Dans ce cas, comme lors d’un accident important ou d’une catastrophe naturelle, la réaction peut devenir une fin en soi, depuis le déplacement sur les lieux, comme François Mitterrand au lendemain de l’attentat du Drakkar, jusqu’à la prise immédiate de « mesures », presque toujours synonymes d’une réduction de la liberté d’action, comme le regroupement sur les bases de Beyrouth. Dans un contexte dialectique, l'ennemi s'adapte aux différentes mesures de protection (attaques-suicide, infiltrations, tirs de mortiers, etc.) d'autant plus que celles-ci accroissent sa liberté d'action à lui. On peut d’ailleurs se demander si l’objectif premier de l’ennemi n’est pas de provoquer cette intrusion-réflexe dans les opérations. 

On considère souvent que la véritable cible de l’ennemi asymétrique, le « faible » est l’opinion publique du fort. Dans la France de la Ve République, le centre de gravité est d’abord la personnalité du Président. « La dissuasion, c'est moi », disait François Mitterand. En réalité, tout engagement militaire « est » le Président de la République. 

mercredi 18 janvier 2012

A propos du wargame dans l'armée de terre

Pour répondre à un commentaire sur le billet précédent, le wargame dans l’armée n’est pas handicapé par son origine allemande (cela supposerait un minimum de culture historique) mais parce que son caractère ludique et son faible coût ne le rendent pas sérieux. Une petite anecdote pour illustrer cela. En 2001, alors que j’étais capitaine au bureau opération du 2e Régiment d’infanterie de marine, j’ai conçu un système de simulation pour l’entraînement tactique des cadres du régiment. J’avais fait acheter des cartes d’Advanced squad leader (les initiés comprendront), fait réaliser des petits pions en carton pour représenter les cellules tactiques du régiment (dont les cadres) et conçu une règle de jeu très simple. Réunis dans une salle, les chefs de section « jouaient » leur mission face à un adversaire et communiquaient par radio avec leur capitaine. Pendant une demi-journée, les chefs de section et un commandant de compagnie pouvaient ainsi simuler une mission d’unité.
Tout cela fonctionnait bien, ne coutait quasiment rien (300 euros pour le 2e RIMa) et pouvait être utilisé n’importe où, en camp de manœuvre, en OPEX, sur un BPC, etc. J’ai donc eu l’idée folle de vouloir en faire un vrai wargame professionnel, en boite avec de jolis pions, et d’en faire profiter toute l’armée de terre. J’ai présenté mon projet à la mission innovation de la DGA qui m’a octroyé 30 000 francs pour le développer (trois fois ce que j’avais demandé, juste pour faire plus sérieux) avec comme seule condition, obligatoire, d’avoir l’accord de la Section technique de l’armée de terre. Un mois, plus tard, je recevais une lettre de la STAT expliquant qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’un tel produit, les outils de simulation informatique étant bien suffisants. Le projet a été enterré.
Quelques années plus tard, alors au CDEF, j’ai relancé le projet, avec l’appui du général Desportes, alors directeur du CDEF, et le feu vert de la division de simulation opérationnelle (qui gère les systèmes de simulation informatique). La mission innovation a renouvellé son accord et demandé à nouveau son avis à la STAT. Celle-ci a répondu au bout de trois mois en exigeant d'abord un avis de l’Ecole d’infanterie. Je suis donc allé à Montpellier où j’ai réalisé un exercice en parallèle d’un même exercice joué sur Janus. Mon système soutenait largement la comparaison avec Janus, à ce détail près qu’il coûtait mille fois moins cher (compte tenu de l’infra, des spécialistes, etc.). Le compte-rendu (très positif) de l’Ecole d’infanterie est arrivé à la STAT qui a enfin donné son accord…au moment où j’étais affecté au cabinet du CEMA et où je n'ai plus eu le temps de m'en occuper.
J’ai retenu de cette expérience la difficulté de mener un projet à terme dans l’armée de Terre lorsqu’on conjugue l’inertie bureaucratique et le turn over du personnel, surtout pour un homme seul face à des institutions qui conçoivent les nouveautés comme des agressions.   

lundi 16 janvier 2012

Wargame à l'Ecole de guerre

L’Ecole de Guerre a créé cette année un club wargame au sein de la 19ème promotion. Ce club regroupe les officiers des trois armées et de la gendarmerie ainsi que des officiers étrangers pour pratiquer cette activité.

Dans ce cadre, nous organisons une convention ouverte au public le week-end des 02 et 03 juin 2012 à l'Ecole Militaire à Paris, 1 place Joffre, 75007. Celle-ci sera ouverte à tous les types de jeu et toutes les époques.

Une participation de 5 euros sera demandée, l’intégralité des bénéfices sera reversée à l'association Terre Fraternité qui aide les soldats blessés au combat. Une loterie sera organisée pour remettre aux gagnants les jeux que de nombreux éditeurs nous ont gracieusement offerts.

Une présentation des armées et de l'Ecole de Guerre sera également proposée.

Je serai présent au cours de ce week-end ainsi qu’une dizaine d’officiers de l’Ecole de Guerre.

Renseignements et inscriptions : wargame.ecoledeguerre@hotmail.fr »

lundi 2 janvier 2012

Dissonances stratégiques

2 janvier 2012 

Au milieu des années 1950 aux Etats-Unis, Mme Keech entra un jour en contact télépathique avec le messie extraterrestre Sananda. Charismatique, elle forma rapidement autour d’elle un petit groupe de disciples à qui elle annonça qu’un déluge allait submerger l’Amérique le 21 décembre suivant mais qu’une soucoupe volante viendrait les sauver. Le jour dit, le sociologue Léon Festinger, introduit dans le groupe, put étayer in vivo sa théorie de la dissonance cognitive. Il n’y eu cette nuit-là ni apocalypse, ni sauveteur céleste, ce qui plaça comme prévu les membres de la secte dans un trouble profond. La contradiction entre la réalité et les croyances avait conduit à une forme de sidération dont il n'était possible de sortir que par une abjuration ou, au contraire, une fuite en avant dans l’illusion. Opportunément, quatre heures après l’heure prévue pour l’apocalypse, une transmission télépathique annonça à Me Keech que c’était la foi des disciples qui avait empêché la catastrophe et qu’il fallait désormais l’annoncer au monde.

Dans le domaine stratégique, les cas de dissonances cognitives sont nombreux. La déclaration du Président de la république annonçant que la France n’avait pas d’ennemi au Liban quelques jours avant l'attaque la plus violente contre le contingent français à Beyrouth le 23 octobre 1983 en constitue un parfait exemple. Le général Cann en conclura ironiquement que les 58 hommes avaient été tués par personne.

Les cas de décalage entre le discours et la réalité semblent cependant se multiplier depuis le 11 septembre 2001. Le 1er mai 2003, le président des Etats-Unis annonce la fin des combats en Irak sur fond de bannière « Mission accomplie » accrochée à la tour du porte-avions Abraham Lincoln. Toute l’intelligentsia politique, militaire et même médiatique est d’accord avec lui alors que 97 % des pertes américaines en Irak ne sont pas encore survenues. Cette déclaration est suivie d’autres communiqués de victoire, au printemps 2004 juste après la capture de Saddam Hussein et juste avant le siège de Falloujah, la révolte mahdiste et les révélations des exactions d’Abou Ghraïb ou encore à la fin de 2005 quelques semaines avant le basculement dans la guerre civile. Le 24 avril 2006, le ministre britannique de la défense John Reid déclare son espoir qu’aucune cartouche ne soit tirée au cours de la mission prévue pour les forces britanniques dans la province afghane de Helmand. Cinq mois plus tard, le premier bataillon engagé en aura déjà tiré 120 000 au cours de combats plus violents que pendant la guerre des Malouines. Le 12 juillet 2006, à la suite d’un raid d’un commando du Hezbollah en territoire israélien, le Premier ministre Olmert annonce que Tsahal va détruire le Parti de Dieu. Le lendemain, le chef d’état-major, le général Dan Halutz déclare que « partie est gagnée ». Un mois plus tard et malgré les 200 frappes aériennes et 5 000 obus qu’Israël lance chaque jour sur un rectangle de 45 km sur 25, le Hezbollah résiste encore et continue de lancer des roquettes sur Israël.  Tous ces exemples ont été suivis d’une fuite en avant coûteuse et aux résultats pour le moins mitigés. 

Ce décalage entre la construction politico-médiatique de la réalité stratégique et celle du terrain provient certes d'une certaine méconnaissance mais aussi d’une différence de vitesse d’évolution. Les visions institutionnelles politiques et militaires restent souvent fondées sur des schémas cognitifs hérités, comme par exemple l’association de l’état de guerre avec celui d’affrontement contre un autre Etat et non, plus largement, contre un ennemi politique. Les réalités locales sont en revanche beaucoup plus mouvantes qu’il y a quelques années grâce au surcroît de capacités de résistance donné aux « particuliers » par rapport au « général » grâce à la diffusion des armes légères, les nouvelles technologies de l’information ou des rapports à la mort différents. Le mouvement de ces particules élémentaires échappe facilement à la vision des grands, surtout si ceux-ci sont étrangers et très sûrs d’eux.
                                                                                                                
Voir Fureur et stupeur, Politique étrangère, 2008/4
http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2008-4-page-843.htm