samedi 15 décembre 2018

Waterloo revisité ? « L’entretien du Northumberland, Les Anglais méritaient-il de gagner à Waterloo ? »-Thierry Allemand


Tout aurait été dit sur la campagne de 1815 et son point d’orgue, la bataille de Waterloo, qui décida du sort de Napoléon et du 1er Empire. 

Surement ! Mais dans une analyse historique soit on s’attache à enchaînement des faits et à leurs interrelations, soit on peut vouloir s’intéresser au comment les responsables pensent, leur paradigme intellectuel, et delà à la façon dont ils  entreprennent leurs actions, leurs expériences passées, et ses résurgences dans l’actions.

L’Histoire militaire trouve souvent des explications plus pertinentes dans cette approche qui confine à une anthropologie du fait guerrier et c’est ce que nous  nous sommes donné comme objectif.

En août 1815, deux mois après la bataille finale, Napoléon était en homme libre à bord d’un’ 74 canons’ de l’amirauté britannique en rade de Plymouth demandant l’asile politique. Le refus du gouvernement britannique en fit un prisonnier qui allait en emprunter un autre, le Northumberland, avec Sainte Hélène comme destination.

L’empereur est en mauvaise condition physique et psychologique, deux abdications en 14 mois et son mal endémique en sont les causes. Le dialogue qui se noue alors entre Napoléon et Wellington pour réel que la forme lui donne, n’est le fait que du premier, un songe explicatif et introspectif. 

On s’exprime pour expliquer, dire et mettre en œuvre. La conversation qui va les unir permet, d’en brosser un portrait psychologique, de faire un bilan de leurs savoir-faire, enfin de mesurer l’efficacité de leurs entreprises lors de la campagne de juin 1815.

Pour Wellington, qui des son retour des Indes écrit en 1805 de Sainte Hélène ; Que le soldat britannique est le meilleur du monde et que face à Bonaparte, lui seul sera de taille à l’affronter et à le vaincre, car n’en n’ayant aucune peur ! Cette conversation permet de comprendre,  autant ses savoirs  tactiques, que son processus d’apprentissage des modes d’actions des troupes de la Révolution Françaises, jusqu’à ces analyses des pratiques napoléoniennes. Pour Napoléon on mesure le ‘mépris’ qui a été le sien face à ce « général de Cipaye » dont il estimait que seul une ‘échauffourée’ marquerait le temps de leur confrontation sur la route qui le mènerait à Bruxelles.

Alors, entre les ‘délais’ de réalisations du plan français nourrit de l’histoire de la campagne de Jourdan en 1794, aux accords d’airain entre Wellington et Blücher, et coups de pouces offerts par les troupes du prince d’Orange, l’irruption de Napoléon à Charleroi allait tournée court.

Pourquoi … simple ! Wellington monte un piège tactique, n’agit qu’en contre, mobilisant l’incertitude en toute chose et le feu qui tue, dans l’attente des prussiens. En face un état-major qui fonctionne mal, des choix tactiques qui relèvent de craintes des pratiques britanniques, des actions lancées sans ordre et d’hommes qui en grande symbiose, agissent avec trop d’habitudes et pas assez de prise en compte du réel de ce dimanche 18 juin ; seul le ‘maître’ tentera vers 19H30 avec sa Garde une ultime action, qui, si elle est un chef d’œuvre conceptuel, s’avérera une impasse par carence de moyens !


Tout cela se découvre par le dévoilement des modalités d’actions que sont : Le Carré de Jomini ; Les 10 Règles de Bourcet ; Les 4 Constantes de Reichel, et Les 4 Temps de la bataille selon Napoléon.

Plus qu’un essai « l’Entretien du Northumberland » se veut une ‘forme pédagogique’ !

Thierry Allemand

« L’entretien du Northumberland, Les Anglais méritaient-il de gagner à Waterloo  »

Thierry Allemand ; Edt Balland, Février 2018 / 320 pages 20€ 


samedi 8 décembre 2018

Lutter contre les organisations armées : les innovations militaires africaines

Avec le camarade Laurent Touchard une petite étude en 17 pages sur les innovations d'un certain nombre d'armées africaines dans la lutte contre les organisations irrégulières.


Disponible en version Kindle (ici) pour 2,99 euros ou pour ceux qui ne disposent pas de liseuses il est toujours possible de demander une version pdf à goyamichel@gmail.com

Après si cela vous a plu mais sans aucune obligation, il est toujours possible de faire un petit don (en haut, à droite). 

lundi 26 novembre 2018

La France et le jeu de l'ultimatum

Réédition d'un billet du 30 octobre 2011


Le jeu de l’ultimatum est une expérience de sociologie très simple qui consiste à donner 10 euros à un cobaye A et lui demander de partager cet argent avec un cobaye B. Il ne peut lui faire qu’une seule offre et si B refuse personne ne gagne quoi que ce soit. Dans le monde froid et rationnel des Homo economicus A propose toujours quelque chose comme « 9 euros pour moi et 1 pour toi », de façon à s’emparer du maximum d’argent, et B accepte toujours car 1 c’est toujours mieux que rien. Dans le monde des hommes réels, les choses ne se passent pas tout à fait de la même façon et A a plutôt tendance à proposer quelque chose comme « moitié-moitié » car il sait qu’une proposition inégale apparaîtra comme injuste et qu’une proposition injuste a de fortes chances d’être refusée, même si cela doit coûter de l’argent à celui qui refuse. 

En résumé, deux paramètres entrent en ligne de compte : le degré d'avidité de celui qui dispose de l'argent à répartir et le pouvoir de rétorsion de celui qui ne l'a pas. L'équilibre entre les deux s'établit sur le sentiment partagé de ce qui est juste.

Il est intéressant de noter que lorsque le jeu de l’ultimatum est précédé d’un test qui détermine la répartition des rôles (A est celui qui obtient le meilleur résultat), l’échange peut s’effectuer de manière plus inégalitaire. B accepte alors plus facilement que A gagne plus d’argent que lui comme si ce dernier, en ayant réussi le test initial le plaçait dans une position justifiant de gagner plus. La perception de ce qui est juste a évolué en faveur du « premier de cordée ». La différence acceptée est ainsi proportionnelle à la différence des résultats au test.

Si on augmente la somme attribuée à A, l’inégalité résultant des tests est toujours tolérée, elle peut même s’accroître un peu à condition que la part de B augmente aussi. On appelle cela aussi la loi de Rawls : l'accroissement des inégalités est acceptable à condition que tout le monde en profite. 

Avec l'élévation des sommes, on constate aussi un accroissement des tensions. Les sommes engagées dans le jeu représentent un part plus importante des revenus totaux des deux joueurs. Le coût relatif du refus devient donc aussi plus important. Il devient de plus en plus difficile de l'envisager surtout pour celui qui a les autres revenus les plus faibles. Autrement dit, des riches A (c'est-à-dire des riches à qui on donne beaucoup d'argent) placés face à des pauvres B sont en position de force et peuvent accroître les inégalités de répartition. Inversement si le destin fait que A est initialement pauvre mais reçoit d'un seul coup de l'argent, il sera encore en position de faiblesse par rapport à un riche B qui perdra peu s'il refuse l'échange. 

Le résultat du jeu de l'ultimatum est simple : dans un contexte de rapport direct entre une classe riche et une classe pauvre, sans intermédiaire régulateur donc, les inégalités de répartition des richesses s'accroîtront mécaniquement de la première, surtout s'il s'agit d'héritiers (capital disponible avant le jeu) et non de méritants (résultat du test initial). Cet écart croissant met en tension le sentiment de justice. Tant que l'on reste dans le calcul rationnel rien ne se passe. Il peut survenir cependant un moment où le sentiment d'injustice devient tel qu'il provoque des réactions irrationnelles comme celles d'accepter de perdre beaucoup, en se révoltant par exemple, pour y mettre fin.

Regardons maintenant l’évolution du partage des richesses dans la société française depuis les années 1950, on s’aperçoit tout d’abord que la répartition entre le capital et les salaires s’est modifié en faveur du premier d’environ 5 %. Quand on examine ensuite l’évolution des salaires, on constate une hausse spectaculaire des hauts revenus depuis les années 1990, surtout dans quelques secteurs d’activités comme la finance. Les 1500 salariés les mieux payés gagnent 60 fois plus que la moyenne contre 25 fois plus en 1995 (le chiffre est aussi de 20 contre 10 pour les 15 000 premiers salaires). De fait, les hauts salaires ont capté la majeure partie des revenus supplémentaires d’une croissance économique par ailleurs assez faible. De plus, la part des salaires dans la valeur ajoutée inclut les cotisations sociales et celles-ci ont fortement augmentées depuis les années 1950 tout en affectant de plus en plus les salaires supérieurs à 1,6 fois le Smic. Au bilan, la part des salaires nets de la classe moyenne a diminué de 10 points dans la répartition des salaires. Quand on observe enfin l’évolution du capital, on constate que depuis les années 1970 la part des dividendes a été multipliée par 2,5 pour atteindre 8 % des revenus, niveau jamais atteint jusque-là dans l’Histoire.

Toutes les évolutions vont dans le même sens : le revenu dégagé par les activités économiques réalisées en France va de plus en plus aux riches, qu’ils soient propriétaires du capital ou salariés recevant des très hautes salaires (quand ce ne sont pas les mêmes). Aux Etats-Unis, depuis quarante ans, 50 % de la hausse des revenus a été capté par les 1 % les plus riches. La proportion en France est certainement moindre mais une différence majeure entre les deux sociétés est que la composition de ce 1 % varie assez régulièrement aux Etats-Unis (cf les listes du magazine Fortune) et très peu en France. Cette situation pénalise tout autant la consommation que l’investissement des entreprises. La croissance s’en trouve donc affaiblie ainsi que l’ampleur des recettes budgétaires de l’Etat (d’autant plus que les hauts revenus échappent largement à l’impôt).

Fort sentiment de répartition injuste des revenus (pour 86 % des Français), stagnation du pouvoir d’achat moyen malgré la croissance, échange inégal imposé, les Français ont perdu le jeu de l’ultimatum. C’est la revanche des homo economicus sur les hommes réels, de l’avidité sur la justice, de l’esprit de profit sur l’esprit d’entreprise. C'est l'accroissement continu du sentiment d'injustice.

Voir Arnaud Parienty, « Comment a évolué le partage des richesses ? », in Alternatives économiques n°307, novembre 2011 ; Thierry Pech, Le temps des riches, Seuil, 2011 ou François de Closets, L’échéance, Fayard, 2011.

dimanche 25 novembre 2018

Pour l'amour du fisc


Déjà publié le 08/04/2013

En 2000, Simon Gächter et Ernst Fehr, deux économistes autrichiens spécialisés dans l’étude du comportement coopératif réalisent une expérience très simple. 240 étudiants sont répartis en groupes de 4. Chacun des membres du groupe dispose d’une monnaie fictive de 20 jetons avec la possibilité, à l’insu des autres, d’investir dans un pot commun autant de jetons qu’il souhaite. A la fin du tour, chacun reçoit la somme totale recueillie dans le pot multipliée par 0,4 et ce quel que soit son investissement (y compris nul). Si, par exemple, si trois participants investissent un jeton et le quatrième n’investit rien, chacun recevra 1,2 jeton.

Les deux attitudes rationnelles pour gagner sont donc soit d’investir et d’espérer que les autres (au moins 3) en fassent autant, sinon le gain sera inférieur à l’investissement ; soit au contraire de ne rien investir mais en espérant cette fois que les autres n’en fassent pas autant.

Ce dilemme s’applique en réalité à toutes les situations où des individus doivent payer ou prendre des risques personnels pour un résultat qui va affecter tout le monde. L’impôt direct en constitue un cas exemplaire car ceux qui ne le payent pas (les « passagers clandestins ») bénéficient de son emploi au même titre que ceux qui le payent. Alors certes, contrairement au jeu de Gächter et Fehr, l’impôt sur le revenu semble obligatoire mais les contrôles sont tellement rares (5 000 sur 35 millions par an) qu’en réalité le système repose largement sur la bonne volonté des contribuables.

Reprenons l’expérience de Gächter et Fehr. Ceux-ci ont rapidement identifié trois groupes parmi les joueurs : les égoïstes purs, qui n’investissent jamais ; les altruistes purs, au comportement contraire ; les consentants conditionnels enfin, largement majoritaires, qui n’investissent que si les autres en font autant. En général, ces consentants conditionnels commencent par investir, plutôt prudemment, avant de s’apercevoir que d’autres ne le font pas et profitent donc in fine de leurs investissements. Ils en viennent alors rapidement à ne plus investir eux-mêmes. Le plus souvent, au bout du quatrième tour, les consentants conditionnels ne veulent plus être les dindons de la farce et même les altruistes finissent par douter. Au bout du compte, le  bien collectif n’augmente plus.

Les choses changent nettement lorsque les transactions deviennent transparentes et que le comportement égoïste devient visible. Elles changent radicalement lorsque, à la fin du tour, les joueurs reçoivent la possibilité de punir les égoïstes en payant 1/3 de jeton pour leur enlever un jeton. Comme dans le jeu de l’ultimatum, ce comportement n’est pas économiquement rationnel puisque celui qui punit perd des jetons sans retour mais il est pourtant fréquent (ce qui prouve par ailleurs qu’il existe d’autres besoins que le gain d’argent, le besoin de justice par exemple). Toujours est-il que ce contrôle social a pour effet immédiat de réduire le nombre des « passagers clandestins » et donc d’augmenter le bien commun. Le nombre de punitions se réduit donc aussi jusqu’à disparaître. La simple possibilité du contrôle et de la sanction suffit à maintenir la coopération.

Rapporté au cas de l’impôt sur le revenu, cela signifie que l’existence d’un contrôle fiscal et l’image que l’on a de son efficacité potentielle, est, avec l’idée que l’argent est bien employé, la clé de voûte de la bonne volonté générale. Chacun paie l’impôt car il sait que les autres le font aussi. Il n’y a pas de dindons et tout le monde en profite. Que le doute s’installe puis que la confiance disparaisse et le système fiscal s’effondre.

Imaginons maintenant un pays où tout la moitié des adultes ne paye pas d’impôt direct sur le revenu, qu'en revanche tout le monde paye des taxes sensiblement de la même façon quels que soit ses revenus, qu’il existe autant de niches fiscales qu’il existait de pensions royales sous Louis XV, que les plus fortunés disposent de moyens légaux de payer peu et que la mondialisation leur donne de nombreux moyens de s’exiler ou de cacher leur fortune, que le ministère qui collecte les impôts peut empêcher la Justice de mettre son nez dans les fraudes (on appelle cela le « verrou de Bercy» ), qu’un ancien ministre du budget nage dans la piscine d’un fraudeur notoire ou, pire, qu’un autre ministre du budget fraude lui-même, que la charge se reporte finalement essentiellement sur une seule catégorie qui en vient à considérer cela comme injuste et dissuasif. Combien de temps faudra-t-il pour que le système implose ?

mardi 20 novembre 2018

Princes d’Ambre et Cours du chaos


Réédition d'un post de 2013
+ ajout d'une remarque sur Carlos Ghosn
Dans le cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny, les princes d’Ambre se déplacent dans l’univers comme bon leur semble grâce au pouvoir de la Marelle. Avec le Logrus, leurs ennemis des Cours du chaos ont le pouvoir inverse de faire venir à eux ce qu’ils veulent. D’un côté, de riches bénéficiaires d’une sorte d’hyper-mondialisation. De l’autre, de pauvres êtres mais qui disposent d’un accès inédit à l’information et à la création.
Dans notre monde, c’est le pouvoir des princes d’Ambre qui s’est exprimé en premier grâce à la suppression des frontières et règlements qui entravaient la circulation des capitaux. Ces heureux grands actionnaires et grand patrons (également actionnaires), auxquels se joignent des vedettes et quelques rares entrepreneurs, ont récrée la classe hyper-capitaliste de Marx en y ajoutant le kérosène (Carlos Ghosn dort en moyenne 100 jours par an dans un avion). Ces riches nomades parlant anglais ont captés, parfois avec mérite mais surtout en se contentant de naître, la plus grande partie de la richesse créée depuis le début des années 1990, tout en rendant le moins possible aux Etats et donc à la collectivité.
Et puis est apparu le Logrus sous la forme d’une information disponible à un niveau inédit. Dans La longue traîne, Chris Anderson a décrit comme la démocratisation croissante des nouvelles technologies de l’information a autorisé une extension de l’offre économique avec la création d’une multitude de petits producteurs qui sont venus concurrencer les sociétés déjà installées. Sur une courbe d’une loi statistique, avec la production d’effets en ordonnée et le nombre des « effecteurs » en abscisse, cela se traduit pas un tassement de la « tête », les quelques grosses organisations, et l’allongement sans fin de la « traîne », les petits groupes, de plus en plus nombreux et de plus en plus petits. Cela a commencé dans l’espace culturel lorsqu’on a constaté que les produits sélectionnés ou fabriqués par les grandes Maisons se vendaient moins. Le nombre de disque d’or et de platine diminuait constamment et il devenait de plus en plus difficile pour un film de dépasser le seuil de rentabilité.
D’autres phénomènes étranges apparurent ensuite dans le champ politique. L’accroissement soudain de la capacité à créer et diffuser des idées est souvent porteur de déstabilisation. L’invention de l’imprimerie en Europe a favorisé le développement du mouvement Protestant avec toutes ses conséquences. Au XVIIIe siècle, la création des journaux a joué un grand rôle dans la capacité des Révolutionnaires français à agiter les idées et à mobiliser les foules. Depuis la généralisation du réseau Internet, la distribution de l’information de toute sorte s’est également modifiée, les grands médias ont vu leur audience diminuer au profit d’autres canaux, blogs, réseaux sociaux, etc. plus réduits mais nombreux. La miniaturisation des machines jusqu’aux smartphones a également permis à cette information abondante d’être portable. La capacité de contestation et de coordination s’est accrue. Dans la même année 2005 en France, grâce au Logrus de parfaits inconnus comme Etienne Chouard contestaient avec succès le projet de constitution européenne porté par presque tous les princes politiques et médiatiques du pays puis des bandes dispersées parvenaient à s’organiser pour déclencher des émeutes dans les grandes banlieues. Hors de France, toutes les « nouvelles guérillas » ont été et sont toujours dopée par le Logrus ainsi que les foules du « printemps arabe ».
Dans le monde occidental, la classe dirigeante est prise, d’une part, entre la rapacité des Princes qui, en captant les revenus de la mondialisation et en cachant une grande partie, ont réduit les entrées fiscales et, d’autre part, la contestation par le bas de leur monopole de réflexion. Les moyens d’action des Etats se réduisent. En France, on consacre moins de 3 % de la richesse aux ministères régaliens contre 4,5 % en 1990 et 6,5% en 1960. Cette réduction s’accompagne aussi de centralisation et de bureaucratisation, sous prétexte de rationalisation, et donc aussi d’une rigidité accrue. Leurs organes de réflexion sont de plus en plus réduits et contrôlés, alors que le Logrus offre de plus en plus de souplesse et de capacités aux membres des Cours du chaos. Les Etats occidentaux sont de plus en plus condamnés à être obligé de réagir à des événements surprenants, chez eux ou ailleurs, avec des moyens de plus en plus réduits et rigides, jusqu’à un horizon inconnu.

lundi 12 novembre 2018

Et si les Etats-Unis n'étaient pas entrés en guerre en 1917


Extrait de Guerres et Histoire HS n°3, novembre 2017.

Le 8 janvier 1917, un grand conseil se réunit autour de l’empereur Guillaume II au château de Pless. La principale question traitée est celle du lancement ou non de la guerre sous-marine « à outrance », c’est-à-dire visant la destruction de tous les navires marchands, y compris neutres, alimentant les pays de l’Entente. Selon l’amiral Holtzendorff, représentant de l’Amirauté, cela doit amener la capitulation du Royaume-Uni en six mois. Le chancelier Bethmann Hollweg y est de son côté très hostile. Le Kaiser, à qui revient la décision finale, est indécis. Il attend l’avis du maréchal Hindenburg, chef suprême de l’armée allemande, et de son quartier-maître, le général Ludendorff. C’est ce dernier qui prend la parole pour déclarer, à la surprise générale, qu’après un examen très approfondi et malgré un avis initial contraire, il lui apparaît désormais qu’une telle stratégie serait finalement désastreuse pour le Reich.

Ludendorff rappelle que la guerre sous-marine à outrance entraînerait automatiquement l’entrée en guerre des Etats-Unis dès qu’un de leurs navires serait frappé, peut-être même avant. Les  Etats-Unis n’ont certes pas encore les moyens d’intervenir tout de suite sur le continent européen, mais cette grande puissance de 100 millions d’habitants, déjà la première sur le plan économique, ne peut manquer de disposer, si elle le souhaite, d’une force considérable qui ne manquera pas de transformer fatalement le rapport des forces en défaveur des Puissances Centrales, au pire en 1919. Dans l’immédiat, les Etats-Unis ne sont pas non plus « zéro, deux fois zéro, trois fois zéro » comme se plaît à le répéter le Grand amiral Von Capelle. Ils possèdent une flotte puissante dont 79 destroyers immédiatement disponibles et, selon les rapports de l’ambassadeur Bernstorff, d’une capacité de construction navale civile et militaire, qui avec l’appoint de puissances latino-américains qui se joindront à eux, contribuera certainement à enrayer l’efficacité de cette guerre sous-marine.

En conséquence, Ludendorff recommande de ne provoquer en rien les Etats-Unis et d’attaquer avec la plus extrême prudence les navires marchands. Il recommande aussi de renoncer totalement aux sabotages sur le territoire américain, comme celui du dépôt de Black Tom Island le 30 juillet 1916, aux effets militaires négligeables, ainsi que d’abandonner le projet chimérique du ministre des Affaires étrangères de l'Empire allemand, Arthur Zimmermann, d’alliance avec le Mexique, dont le seul effet concret serait de provoquer inutilement l’indignation de l’opinion publique américaine.

A Washington, le président Wilson, élu difficilement sur un programme pacifiste, respire. Les Etats-Unis sont les grands fournisseurs des pays de l’Entente et s’enrichissent de ce commerce, depuis un peu plus d’un an. Ils ont donc tout intérêt à la victoire des pays de l’Entente et, à l’exception des communautés irlandaise et allemande, un fort courant de sympathie s’est développé à leur égard. Pour autant la majorité de la population américaine reste hostile à toute entrée en guerre. Sans guerre sous-marine à outrance et sans maladresse allemande, il aurait été difficile de faire basculer l’opinion et d’obtenir le vote majoritaire nécessaire au Congrès pour déclarer la guerre.

Cela aurait-il cependant suffit à faire basculer l’histoire au profit des Empires centraux ? Cela n'est pas sûr.

Un soutien économique maintenu

Les Etats-Unis, qui, au nom de la liberté de commerce et de navigation, avaient vivement critiqué le blocus économique des Empires centraux par les Alliés, se trouvent rapidement bénéficiaires de la nouvelle situation. Si le commerce avec l’Allemagne chute, la valeur des exportations vers le Royaume-Uni est multipliée par quatre entre 1914 et 1916 et le surplus commercial du commerce vers l’Europe est multiplié par sept durant la même période. Les Etats-Unis ne vendent pas de matériels militaires mais fournissent une grande quantité de produits qui permettent à la France et au Royaume-Uni de se consacrer pleinement à l’effort de guerre. Les Américains fournissent ainsi la totalité du sucre, la moitié des céréales et le cinquième de la viande consommée en France en 1916 mais aussi la moitié des métaux et des machines-outils indispensables à l’industrie ainsi que 90 % du pétrole. Les banques d’outre-Atlantique  contribuent également à financer la guerre avec deux milliards de dollars prêtés à la France, au Royaume-Uni et à la Russie jusqu’en avril 1917.

L’aide économique et financière américaine est indispensable à l’effort de guerre de l’Entente et assure à ces derniers un avantage considérable par rapport aux Empires centraux soumis à un blocus sévère. Cette aide et l’organisation interne de la production de guerre en France et en Grande-Bretagne portent pleinement leur fruit au cours de l’année 1917. La production augmente presque exponentiellement et dans certains domaines, comme celui des munitions, chacun des deux principaux alliés fabrique autant de matériel que l’Allemagne. La supériorité alliée est plus particulièrement évidente dans l’industrie des engins à moteur : avions, automobiles et camions et chars, dont les Allemands sont faiblement pourvus. Cette supériorité est d’autant plus marquée que les Alliés bénéficient du pétrole américain alors que les Allemands doivent faire face à une pénurie croissante de carburant qui pénalise l’action des unités motorisées ainsi que l’entrainement des équipages.

En 1917, la prospérité des industries et, encore plus, des banques américains dépend de la victoire alliée, sans laquelle les emprunts ne pourraient être remboursés et beaucoup d’achats resteraient impayés. Il est donc probable que ce soutien économique aurait perduré et même augmenté même sans l’entrée en guerre des Etats-Unis, facilité encore par l’absence de guerre sous-marine à outrance. La seule vraie différence entre la paix et l’entrée en guerre réside dans la possibilité accordée dans ce dernier cas à faire appel au Trésor américain, par le Liberty Bond Act, à prêter directement aux Etats de l’Entente. Il n’est pas exclu cependant que cette facilité ait quand même été possible la neutralité maintenue. Dans tous les cas, cette neutralité et l’absence de guerre sous-marine à outrance, les deux étant intimement liées, n’auraient sans doute pas fondamentalement changé les paramètres économiques très favorables aux Alliés. Si on ne peut plus attendre les Américains, les chars eux seront là.

L’impact stratégique du maintien de la neutralité américaine

Au printemps 1917 lorsque se décide l’entrée ou non des Etats-Unis dans la guerre, la situation stratégique est favorable à l’Entente. L’alliance américaine est espérée mais on croît alors pouvoir s’en passer pour vaincre. Les Alliés ont une forte supériorité numérique qu’ils comptent exploiter en attaquant massivement et simultanément sur tous les fronts. Puis tout bascule en l’espace de quelques mois. L’offensive franco-britannique débutée en avril en France contre la nouvelle ligne dite « Hindenburg » est un échec grave qui provoque le trouble dans une grande partie de l’armée française tandis que l’armée britannique s’épuise à poursuivre l’offensive dans les Flandres. En octobre, c’est au tour des Italiens de subir un désastre à Caporetto. Surtout, à partir de février 1917 et des premières émeutes  à Pétrograd, le front russe se désagrège progressivement jusqu’à la prise du pouvoir par les Bolcheviks et le traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918.

Au printemps 1918, l’Allemagne peut donc transférer à l’ouest une grande partie des forces de l’Est tandis que l’occupation de la Roumanie et de l’Ukraine semblent pouvoir donner un peu d’air à l’économie du pays. Forte de cette supériorité numérique mais aussi du développement de nouvelles méthodes de combat expérimentées avec succès en Russie, en Italie et même en France à Cambrai, c’est au tour de l’armée allemande de disposer d’une nette supériorité sur le front de l’Ouest avec, au mois de mars 1918, plus de 197 divisions face à 172 divisions françaises, britanniques, belges et portugaises. La supériorité numérique est réelle mais pas si importante qu’il n’y paraît, les divisions allemandes étant souvent inférieures en effectifs à celles des Alliés.

Fort de cette supériorité et sans la perspective de l’engagement massif de l’armée américaine à partir de l’été 1918, le commandement allemand pouvait peut-être envisager d’autres stratégies que celle de la recherche de la victoire décisive au plus vite à l’Ouest. Il pouvait par exemple concentrer plutôt son effort sur les fronts italien ou balkanique et maintenir la ligne défensive à l’Ouest comme en 1917. Il est quand même probable compte-tenu de la dégradation politique intérieure croissante mais aussi de la personnalité des chefs qu’il ait quand même cédé à la tentation d’arracher la victoire en France. Du côté de l’Entente, il n’y avait guère d’autre choix que de continuer la lutte comme avant, sans le stimulant de la perspective de l’arrivée des Américains.

Du 21 mars au 15 juillet, les esprits sont concentrés sur l’immédiat, c’est-à-dire les six offensives allemandes successives. Les combats sont très rudes, en particulier après les percées allemandes du 21 mars et du 27 mai, mais Français et Britanniques résistent. Dans la réalité durant cette phase, les unités américaines sont intervenues trois fois : le 28 mai à Cantigny avec un régiment de la 1ère division américaine, le 15 juillet sur la Marne avec la 3e division et surtout du 3 au 22 juin au Bois-Belleau avec la 2e Division. Avec 26 000 hommes, chaque division d’infanterie américaine représente l’effectif de deux divisions françaises ou britanniques mais certainement pas deux fois leur efficacité. Les « Sammies » font l’unanimité pour leur courage et leur enthousiasme mais ils sont aussi inexpérimentés, sous équipés de matériels lourds et sous encadrés. Pour des actions similaires, leurs pertes sont très supérieures à celles de leurs alliés. Avec les quatre régiments de noirs américains intégrés dans l’armée française, ces trois divisions représentent au mieux l’équivalent de six divisions franco-britannique, soit 4 % du nombre total de celles-ci, qui sont par ailleurs souvent engagées plusieurs fois.

L’engagement américain est un peu plus important en volume (douze engagements de divisions) dans les premières offensives alliées, du 18 juillet au 10 août, date  de la formation de la 1ère armée américaine. Au total, toute la période de mai à août représente un quart des pertes totales des pertes américaines au combat de toute la guerre, soit environ 12 000 morts et 50 000 blessés, à comparer aux 800 000 pertes des autres armées alliées au même moment. La contribution américaine a donc été importante mais pas décisive. La tension forte sur les effectifs des armées britannique et française aurait été accrue mais il  existait encore des ressources humaines qui auraient sans doute été mobilisées pour y faire face comme le retour de toutes les divisions britanniques et françaises en Italie, la dissolution des divisions de cavalerie, le recours accru aux troupes coloniales, l’appel anticipée de la classe d’âge 1920, etc. Le contingent britannique qui représente environ 60 % du contingent français et n’avait subi que la moitié des pertes de ce dernier pour une population mobilisable supérieure pouvait encore fournir des hommes. Des ressources existaient donc pour un effort ultime en prenant des mesures difficiles que le spectacle des 200 000 soldats américains débarquant chaque mois en France à partir de mai a sans doute retardé.

Cet effort de compensation aurait été par ailleurs moins important que l’on peut imaginer car si l’armée américaine fournit des hommes en 1918, elle ponctionne aussi beaucoup de matériel. Avant d’avoir un impact positif dans les combats, la présence du corps expéditionnaire a d’abord pour effet paradoxal de plutôt affaiblir les autres armées et plus particulièrement l’armée française, son principal fournisseur. Le 15 mars 1918, alors que le contingent américain est encore modeste, la France a déjà fourni aux Américains, 156 batteries de 75 mm, 33 batteries de 155 Court, 5 groupes de pièces modernes très lourdes, 2 894 mitrailleuses et 12 864 fusils mitrailleurs. Au moment de la constitution de la Ière armée américaine, le 10 août, le Groupe d’armées de réserve de Fayolle, alors engagé dans la bataille de Montdidier, doit à lui seul fournir 45 batteries de campagne, 30 batteries d’artillerie lourde et 6 groupes de pièces extra-lourdes. Bien souvent également les servants accompagnent les pièces qu’ils sont encore souvent les seuls à pouvoir les mettre en œuvre. La 12 septembre 1918, lors de la bataille de Saint-Mihiel, la première grande victoire de Pershing, commandant la force expéditionnaire, la Ière armée américaine bénéficie de l’aide de quatre divisions françaises mais aussi de 3 000 pièces d’artillerie, presque toutes fournies par les Français ainsi que 267 chars légers (avec pour moitié des équipages français) et tous les avions, les camions ou tous les obus utilisés. C’est autant de moyens matériels en moins pour les Français et donc aussi sans aucun doute plus de pertes pour eux.

Vaincre sans la Ière armée américaine

La bataille de Saint-Mihiel est un succès. Pour autant, cette bataille n’a que peu d’influence sur le cours de la guerre. Foch envisageait sérieusement d’y renoncer et  les Allemands étaient en train d’organiser le repli du saillant au moment de l’attaque. Sans l’insistance de Pershing, cette bataille n’aurait probablement jamais eu lieu.

Beaucoup plus importante pour Foch était la prise de Sedan et surtout de Mézières-Charleville, nœud ferroviaire essentiel à l’approvisionnement des forces allemandes en Belgique et dans le nord de la France. Si trois grandes offensives de groupes d’armées sont lancées quasi-simultanément du 26 au 28 septembre, l’effort est clairement porté sur le front Meuse-Argonne, confié à la IVe armée française et la Ière armée américaine. Celle-ci, qui engageait 600 000 soldats américains (mais aussi quatre divisions françaises) déçoit finalement. Après une forte progression le premier jour, les Américains marquent rapidement le pas autant gênés par le raidissement de la défense allemande et le terrain difficile que par le désordre d’une logistique que les états-majors américains ne maîtrisent pas à cette échelle.

Les Américains sont également très affectés par la grippe dite espagnole qu’ils ont contribué à faire venir en Europe et dont ils sont les principales victimes. Plus la moitié des pertes militaires américaines sont le fait de ce fléau qui affecte aussi les populations et toutes les autres armées sans que l’on puisse dire vraiment laquelle est la plus pénalisée. Jusqu’au 15 octobre, la progression américaine dont on espérait tant est finalement plus lente que celle des armées françaises et britanniques qui s’emparent de la ligne Hindenburg. Les Américains avancent beaucoup plus vite après cette date mais comme toutes les autres armées alliées face à une armée qui se désagrège.

Que se serait-il passé sans l’existence des la Ière armée américaine (suivie d'une 2e formée en octobre et peu engagée) ? Sans doute sensiblement la même chose. Au moment de l’offensive générale de fin septembre, la production de guerre cumulée franco-britannique dépasse largement celle de l’Allemagne, presque le double dans certains domaines, pour des effectifs combattants similaires. Grâce à la leur mobilité très supérieure (ils disposent de trois à quatre fois de camions que les Allemands et avec un carburant illimité), les Alliés sont alors capables de concentrer des forces le long du front bien plus rapidement et souplement que les Allemands. Ils deviennent capables de monter en deux semaines des offensives engageant de deux à quatre armées, là où il fallait des mois en 1916. Les Allemands, qui dépendent de la voie ferrée et de leur réserve d’artillerie lourde, sont incapables d’une telle performance et à partir du 18 juillet sont obligés de laisser l’initiative des opérations à leurs adversaires. La logistique alliée est également très supérieure, capable de former l’équivalent de trois, voire quatre, « Voie sacrée » de Verdun et d’alimenter autant d’offensives de groupes d’armées, là où les Allemands ne peuvent engager qu’un groupe d’armées à la fois.

A l’échelon tactique, alors que les divisions d’assaut allemandes sont usées et que les divisions de secteur sont faibles, toutes les divisions françaises et britanniques bénéficient d’un équipement et d’un soutien logistique supérieur à ceux des Allemands. Elles disposent également d’un appui aérien de plus en plus dominant et surtout de l’arrivée massive des chars dont le major Von dem Busche, délégué du Grand quartier général, déclare le 2 octobre devant le Reichstag qu’ils sont le facteur principal de la puissance des Alliés. En septembre 1918, les Français disposent de 21 bataillons de chars légers (soit 945 engins en ligne). La moitié de tous les engagements de chars français de toute la guerre survient entre le 26 septembre et le 2 novembre 1918. Les Britanniques ne sont pas en reste avec leurs chars plus lourds (530 sont engagés le 8 août).

Les Franco-Britanniques sont ainsi capables de s’emparer seuls de vastes portions de la ligne Hindendburg comme lors de la percée vers Cambrai, peut-être la victoire alliée la plus spectaculaire de la guerre, et ils auraient sans doute pu pallier l’absence des Américains en Argonne. La IIe armée française aurait sans doute reçu cette mission en disposant du matériel lourd donné aux Américains. L’effort demandé (les Américains ont eu 26 000 morts au combat durant cette bataille) aurait pu être compensé par une moindre action ailleurs, au centre du front par exemple. En réalité, si les combats sont encore très violents, la prise des lignes Hindenburg et Hermann-Hunting se fait assez rapidement, l’armée allemande ayant perdu ses meilleurs soldats dans les offensives et une grande part de sa volonté de combattre.

De plus, la situation des fronts extérieurs évolue rapidement sans rien devoir aux Américains. La percée des armées  alliées d’Orient en Macédoine le 15 septembre, la prise de Damas le 30 du même mois et la victoire italienne de Vittorio Veneto le 24 octobre entraînent la mise hors de combat de tous les alliés de l’Allemagne entre le 28 septembre et le 3 novembre. Le rapport de forces est complètement renversé sur ce théâtre et l’Allemagne se retrouve isolée et obligée de défendre un nouveau front. La situation stratégique est alors complètement intenable pour les Allemands.

Il est alors possible de porter un coup de grâce à l’armée allemande qui ne se bat plus en France et en Belgique. Au centre du front, le 8e corps d’armée français perd 5 500 tués ou blessés de 10 octobre au 4 novembre mais seulement 7 hommes dans la semaine qui suit alors qu’il progresse de 10 km par jour en Belgique. L’armistice est finalement accepté le 11 novembre, ce qui soulage tout le monde mais surprend aussi beaucoup. Certains ont accusé les Anglo-Saxons d’avoir voulu éviter un effondrement total de l’Allemagne alors que d’autres ont plutôt vu le désir de la France d’obtenir la victoire avant qu’elle ne soit attribuée aux Américains, qui auraient été très majoritaires sur le front en 1919. Il est possible que sans la présence américaine, l’offensive française prévue en Lorraine aurait eu lieu et les combats poursuivis jusqu’à la destruction de l’armée allemande en Belgique.

Difficile ensuite d'imaginer ce qu'aurait été le Traité de paix sans la présence du Président Wilson. La suite du XXe siècle aurait sans doute été très différente. Dans quel sens ? nul ne peut le dire.

mardi 6 novembre 2018

Voir et entendre dans les combats de tranchées


En pénétrant dans une zone de combat, le fantassin sait d’abord qu’il va évoluer dans un paysage surréaliste et sinistre. Ernst Jünger parle d’un « désert calciné où le bombardement a raboté toutes les inégalités du paysage, où les explosions des obus jaillissent en gerbes hautes et denses comme les geysers dans les zones volcaniques d’Islande [ …] une terre noire et fissurée où stagne encore la vapeur brûlante des gaz asphyxiants […] Tout cela fait l’effet au premier coup d’œil d’un paysage onirique qui, avec ses détails et ses invraisemblances, s’empare des sens en un éclair, les fascine et les éblouit en même temps [1]». Jean Galtier-Boissière décrit un village perdu dans le no man’s land : « C’est une vision d’infernal cauchemar, le lugubre décor de quelque conte fantastique d’Edgar Poe. Ce ne sont pas des ruines : il n’y a plus de maisons, plus de murs, plus de rues, plus de formes. Tout a été pulvérisé, nivelé par le pilon. Souchez n’est plus qu’une dégoûtante bouillie de bois, de pierres, d’ossements, concassés et pétris dans la boue [2]. »

La zone de combat est elle-même nettement délimitée. Généralement, dans un assaut, un fantassin ne reste en première ligne que sur quelques centaines de mètres, entre deux ceintures de retranchements associant réseaux de barbelés, postes avancés, nids de mitrailleuses et deux ou trois tranchées reliées par des bretelles. Pendant les combats, cette zone de terre travaillée et modelée est recouverte par « la voûte imposante de nos projectiles qui recourbe très haut au-dessus de nous ses arcs élancés » et, sous les obus, « le sifflement multiple et venimeux des trajectoires tisse au-dessus de nos têtes un filet à mailles serrées, dans un ressac brûlant qui, pareil au fameux feu grégeois, nous entoure comme un élément homogène [1]. » A partir de 1916, le cloisonnement est accentué par les barrages d’artillerie, en particulier le barrage roulant, « terrible muraille, haute comme une tour, qui dissimule les profondeurs de l’espace derrière un rideau de terre jaillissante » et qui précède les fantassins dans leur marche. En cachant les assaillants, le barrage roulant angoisse le défenseur et fascine les assaillants qui se sentent aspirés par ce mur d’obus qui bondit de cent mètres toutes les deux minutes.

Régulièrement, le paysage est ponctué de fusées de couleurs variées, qui achèvent de donner un caractère surréaliste à l’ensemble. L’air lui-même est imprégné d’un mélange d’odeurs cadavériques, de terre remuée, de poudres diverses, de fumées d’échappement de chars et de vapeurs empoisonnées. Cette « mer de lourdes vapeurs, de fumées et de poussière […] estompe, même à très courte distance, les formes des gens et des choses [1]. »

Le fantassin aguerri sait également, que dans ce monde, il ne rencontrera que peu d’ennemis. Pour résister au feu de l’artillerie, les défenseurs sont tapis, voire pelotonnés dans des trous. Les assaillants, de leur coté, font des bonds rapides, d’entonnoir en entonnoir, le dos rond et le nez au sol, prêts à se coucher immédiatement. L’observation, des deux cotés se fait, au ras du sol, au milieu des poussières. Enfin, la peur induit plutôt des engagements à grande distance, où les armes automatiques ont le beau rôle. De ce fait, le paysage de la zone de mort apparaît vide. Un officier décrit ainsi son arrivée à Verdun en 1916 : « C’est une impression d’immensité et de désert. [...] Où sont-ils ? Où sont les nôtres ? Rien, on ne voit rien de vivant. Seraient-ils tous morts, balayés par l’ouragan qui déferle sur eux depuis quatre mois ? [...] Sur ce pays désert et mort, une seule chose manifeste sa vie, c’est le canon [3]. » Pour le sergent Chenu, qui se prépare à partir à l’assaut : « L’ennemi ? Comme d’habitude, nous ne le verrons pas. Ce seront des obus, des balles ; tout ou plus, au loin, des silhouettes se dressant, s’absorbant dans le sol [4]. »

Le fantassin sait, en revanche, qu’il rencontrera presque à coup sûr des spectacles horribles. Le choc des premières visions de morts ou de blessés graves est surmonté au moment de l’action par un blocage de la sensibilité, puis par l’accoutumance. En 1918, lors d’une attaque, Jünger, combattant aguerri, est gêné par un corps : « J’enjambe le cadavre et trois pas plus loin l’événement s’est déjà effacé de ma mémoire [1]. » Mais certaines visions particulièrement horribles peuvent encore bouleverser les vétérans. Le même Jünger, lors de la même offensive, voit sa compagnie frappée par un obus de très gros calibre : « Ce que j’aperçois alors de ma petite niche, de ce balcon d’où je plonge sur l’entonnoir béant comme sur une arène effroyable, cela me transperce le cœur comme une lame glacée et me jette d’un seul coup dans un désarroi total, me paralyse comme une apparition criarde dans une vision de cauchemar […]Le cœur voudrait écarter ce lui cette image et pourtant il enregistre tous ses détails [1]. » Jünger s’enfuit. Ces visions refoulées de cadavres aux postures grotesques, les cris de soldats mourant étouffés, les troupes entières fauchées resurgissent souvent dans l’esprit des hommes, en particulier dans la période d’attente du combat. 

Si le champ de bataille apparaît souvent vide, il est, en revanche, bruyant, avec un spectre des bruits qui va des cris de blessés à l’éclatement des obus en passant par les sons variés des balles, les bruits de moteurs et de chenilles. Comme le combattant voit peu d’ennemis et quasiment jamais de départs de coups, il est donc obligé, le plus souvent, de se fier à son ouïe pour appréhender le menaces. Avec le temps, il apprend à trier les sons dans le chaos.

Les bruits les plus fréquents proviennent des balles de fusils et, surtout, de mitrailleuses. Ces bruits sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. La balle, animée d’une vitesse initiale supérieure à celle du son, produit par son choc dans l’air, un claquement, distinct de la détonation du départ et du sifflement qui accompagne le projectile glissant sur sa trajectoire. Ce claquement est le son le plus bruyant, c’est lui qui meuble essentiellement l’ambiance du combat d’infanterie. Lors de la préparation d’un coup de main en 1918, le lieutenant-colonel Armengaud, appuyé par un groupement de 84 mitrailleuses tirant en tir indirect au-dessus de sa tête, n’entendait plus les barrages d’artillerie, couverts par le bruit des claquements de balles [5]. De plus, au point de vue psychologique, ces « bangs » supersoniques projettent leur son de haut en bas et oppressent le soldat.

La méconnaissance de ce phénomène peut avoir des conséquences graves. Le claquement, que l’on entend en premier, peut être confondu avec la détonation de départ. Les soldats inexpérimentés situent alors l’ennemi dans une mauvaise direction et plus près qu’il n’est en réalité. Des unités ont même paniqué croyant être débordées sur leurs arrières. Ces confusions sont à l’origine de multiples légendes (fusils à deux détonations, mitrailleuses postées dans les arbres et surtout les balles explosives). Un officier à la brigade de fusiliers marins, explique la difficulté de faire comprendre cela à ses hommes : « Ils craignent le claquement de l’onde de Mach. Je n’ai jamais pu réussir à leur donner une idée de ce phénomène. Ils s’en tiennent à une explication simpliste : si le claquement désagréable se produit au voisinage d’arbres ou de maisons, il résulte du choc de la balle sur un obstacle, arbre ou mur ; s’il se produit en l’air…plus de doute possible, c’est une balle explosive [6].»

L’origine du tir d’une mitrailleuse est encore plus difficile car la succession de claquements étouffe complètement les faibles détonations de départ. Une oreille exercée, si le bruit de la bataille le lui permet, pourra déceler éventuellement les chocs sonores très faibles des dernières balles tirées. Elles seules indiquent la véritable direction de l’arme. Comme le plus souvent les mitrailleuses tirent en flanquement par rapport à la cible, l’erreur la plus courante est de situer la mitrailleuse devant soi, dans l’axe des claquements. De plus, la mitrailleuse, au crépitement régulier et rythmé, impressionne plus que les balles de fusils, « bruissements d’insectes », en donnant l’impression « d’un mécanisme insensible comme une faucheuse automatique de vies humaines propre à semer la mort avec une précision extrême [7] »

Le claquement, peut être suivi d’un sifflement. Ce son surprend moins mais produit une sensation désagréable. Il induit instinctivement un abaissement de tête, on « salue », attitude vaine car le projectile est déjà loin. Les vieux soldats apprennent à ne pas « saluer » mais savent que ce sifflement, perceptible dans un court rayon autour de la balle, signifie de manière certaine que l’on est pris sous le feu.

Pour être complet, il faut ajouter les ricochets et les échos, en particulier en milieu urbain ou dans les bois. Le son du claquement se répercute sur les murs ou les arbres et déconcerte encore plus les hommes. Il faut également ajouter un son beaucoup plus macabre : celui de l’impact sur les corps. Les balles et éclats d’obus produisent un bruit assez sourd, mais qui peut devenir aiguë lorsqu’ils sont déviés par un os.

A partir de 1916, l’oreille du fantassin doit s’accoutumer également aux canons d’infanterie, armes à tir tendu qui projettent à grande vitesse initiale des petit obus, explosifs ou non, et surtout, aux grenades, à main ou par fusil et mortier léger. Leur arrivée, souvent silencieuse ou précédée d’un léger bruit (mortier), est cachée. Pour s’en parer, il faut observer le ciel en permanence, ce qui suffit généralement à en éviter les effets. Les grenades dites offensives, au seul effet moral, n’impressionnent guère les hommes aguerris qui les reconnaissent vite à l’éclatement sec et l’absence de sifflements d’éclats.

Avec les balles, l’environnement sonore est occupé par les obus. Les phénomènes sont identiques à ceux des balles, en plus fort et avec un éclatement à l’arrivée. La détonation de départ n’est pas toujours entendue par le fantassin à cause de l’éloignement et du défilement des pièces. Le claquement n’a lieu que lorsque la vitesse initiale de l’obus est supérieure à celle du son. Ce bruit est assez loin de l’infanterie et son volume est atténué par la distance. Le premier rôle est donc au sifflement et à l’éclatement.

Beaucoup plus fort que celui de la balle, le sifflement annonce l’arrivée. « L’obus avant d’éclater, grince ou jette dans les airs au cours de son trajet comme un long cri strident. Selon qu’il est fusant ou percutant, selon son calibre, sa vitesse, la tension de la trajectoire, le vacarme varie depuis le bruit de la sirène jusqu'au bruit de ferraille d’un train rapide en marche. Tous les combattants avaient appris à distinguer chacun des calibres des obus, depuis les 77 allemands jusqu'au 420, par le seul ronflement, miaulement ou bruit particulier qui les caractérise. Mais c’est au bruit de l’éclatement, au tonnerre de l’explosion que réagissaient intensément les auditeurs : vibrations terrestres, poussées aériennes, aspirations violentes, ajoutaient leurs effets psychologiques aux milles réactions auditives que les éclats, le bruit de terre soulevée et des cailloux projetés produisaient au même instant [7]. » Les effets de la peur sont accrus par la surprise du fracas et les troubles respiratoires ou circulatoires dus au souffle de l’explosion.

On distingue trois types d’obus : les obus à balles (ou schrapnels) ont une détonation moins forte que l’obus explosif et un rayon d’action plus restreint. Très utilisés au début de la guerre, ils ont été rapidement délaissés car peu efficaces ; les obus explosifs fusants produisent un gros volume sonore, intégralement répercuté dans l’air. Ils sont difficiles à régler et leur efficacité reste limitée au personnel ; les obus explosifs percutants sont les plus efficaces grâce à la projection des éclats, un puissant effet moral qui agit à la fois par la vue (geyser de terre, panaches de fumées et de poussières), l’ouïe (fracas des explosions) et le système nerveux (secoué par le souffle et l’ébranlement du sol). Ces obus, les plus utilisés, sont également les seuls à avoir un effet matériel important contre les retranchements mais ils sont plus ou moins neutralisés par l’enfouissement dans le sol avant d’éclater et il existe de nombreux angles morts dans la gerbe d’éclats.

Les obus de gros calibre sont reconnaissables au « doux chuintement » de leur parcours assez lent. Au voisinage de leur point de chute, les « gros » peuvent être vus en l’air, tombant au sol comme de grosses pierres. Si les hommes sous abris ne craignent pas le souffle et les éclats des obus, ils subissent de plein fouet l’ébranlement du sol. Dans les abris bétonnés, le martèlement continu de la dalle par les obus de gros calibre, que l’on n’entend pas venir, est une épreuve nerveuse terrible. Le 23 octobre 1916, le fort de Douaumont est ainsi abandonné par sa garnison allemande, terrorisée par les obus de 400 mm qui s’abattent toutes les dix minutes.

Pour le fantassin des tranchées, les obus constituent la principale menace. Les hommes sont terrifiés par les mutilations qu’ils provoquent et par le sentiment d’impuissance que l’on éprouve face à eux. « Sous l’averse de fer et de feu on sent la même impuissance qu’en présence d’un effroyable cataclysme de la nature. A quoi peuvent nous servir nos grenades et nos petits fusils contre cette avalanche de terre et de mitraille ? A quoi nous sert notre courage ? Un homme se défend-il contre le tremblement de terre qui va l’engloutir ? Tire-t-on des coups de fusil sur un volcan qui vomit sa lave enflammée  [2] ? »

Outre les éclats, l’explosion de l’obus produit un « souffle », en fait une onde aérienne condensée à l’avant (compression de l’air) et dilatée à l’arrière (raréfaction de l’air), dont la vitesse de propagation est supérieure à celle du son. Ce souffle provoque de multiples commotions notamment cérébrales (surdité, mutisme, anesthésie, tremblement, paralysie, etc...) et lésions organiques sans plaies extérieures. La résistance au souffle en amplifie les effets. Certains peuvent ainsi être soulevés de sol et être indemnes alors que l’on cite, par exemple, le cas de mitrailleurs retrouvés morts figés devant leur pièce par un effet de souffle agissant sur eux verticalement et qui n’a pu être transformé en  mouvement.

Les énormes obus de l’artillerie de tranchées sont les plus impressionnants : « Une torpille, qui se balançait ne l’air, tombe à quelques mètres : l’explosion est formidable. On sent ses poumons éclater, sa tête se vider et le « coup de poing sur la nuque », caractéristique du souffle. Des lueurs rouges, vertes, jaunes, passent devant les yeux [8]. »

Lorsque le bombardement se prolonge pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, les effets sur le système nerveux sont terribles. Jacques d’Arnoux décrit « un temps démesuré [pendant lequel] nous écoutons les masses de fer s’effondrer sur notre tranchée. Percutants et fusants, 105, 150, 210, tous les calibres. Dans cette tempête d’écroulements, nous reconnaissons tout de suite l’obus qui veut nous ensevelir. Dès que l’oreille distingue le funèbre hululement, nous nous regardons avec angoisse. Tout crispés, tous recroquevillés, nous plions sous la pesée du souffle. Nos casques se heurtent, nous chancelons comme des hommes ivres [9].» Les pertes sont cependant souvent moins importantes que ne laissent imaginer la vision de ces terribles Trommelfeuer ou « ouragans de feu ». On estime ainsi à 1400 le nombre d’obus nécessaires pour tuer un homme pendant la Grande guerre [10]. Néanmoins, l’artillerie cause les deux-tiers des pertes pendant la période la guerre de tranchées.

A partir de 1918, les fantassins doivent, de plus en plus faire, faire face à la menace aérienne. Les bombes larguées sont peu précises mais impressionnantes par leur « murmure froufroutant » qui s’amplifie soudain, la forte explosion et le sentiment d’être sans protection sous cette épée de Damoclès. Lorsque l’avion attaque en rase mottes à la mitrailleuse, ce « bolide aérien qui fonce sur soi avec un grand rugissement de moteur martelé par le claquement des balles [5] » produit un gros effet moral mais les balles sont très dispersées et dès que le plafond d’attaque remonte cet effet cesse.

Les projectiles ne sont pas les seules agressions. Un tir d’artillerie, surtout à partir de 1918, peut comprendre des obus à ypérite « ce gaz à l’odeur fade, inoffensive, l’ypérite qui brûle les yeux, les poumons, l’ypérite qui tue après d’atroces souffrances ». Cette menace terrifie les poilus qui « passent le groin [le masque], serrant les tresses à s’en meurtrir, tâtant du doigt s’il s’applique bien partout […] Leur attention est tout entière au clic-clac du clapet, et, pour le contraindre à fonctionner, ils respirent à grands coups, la poitrine oppressé [11]», exercice rendu souvent difficile par l’essoufflement du à la peur ou l’effort physique. Le port d’équipements de protection accentue encore la sensation d’isolement du soldat, amoindrit ses capacités à faire face aux menaces et donc sa confiance en lui.

L’agression peut également venir d’« en bas » par les mines, sapes et pièges de toute sorte. Et, surtout à partir de juin 1918, le champ de bataille des « grandes affaires » est traversé de chars qui broient les obstacles, avancent à grand bruit de moteur et de chenilles sur le fantassin sans craindre ses projectiles.

Dans les moments de grands combats, la polyphonie qui règne sur le champ de bataille agit comme un anesthésique face à la multiplicité des menaces. Selon le lieutenant–colonel Armengaud, « ce tonnerre continu absorbe les sifflements, atténue les claquements et les éclatements, ne permet que difficilement de distinguer le projectile dangereux des autres. Dans une attaque à grand orchestre, l’homme ne « salue » guère les balles ou les éclats, ne s’aplatit pas sous les obus qui pleuvent autour de lui. Et s’il marche à l’objectif avec crânerie, c’est en partie à sa surdité passagère qu’il le doit [5]. »

Il est impossible de pénétrer dans un tel univers sans éprouver une peur intense. Pour Jean Norton-Cru, poilu « tous les soldats sans exception ont peur et la grande majorité fait preuve d’un courage admirable en faisant ce qu’il faut faire en dépit de la peur. Nous avons peur parce que nous sommes des hommes et c’est la peur qui a préservé la vie de nous tous qui survivons. Sans peur nous n’aurions pas vécu vingt-quatre heures en première ligne ; nous aurions commis tant d’imprudences par inattention que nous aurions vite reçu la balle qui guette l’inconscient [12] »


[1] JÜNGER, Ernst, « Feu et sang », Paris, Christian Bourgeois, 1998, pp. 101, 107 et 112.
[2] GALTIER-BOISSIERE, Jean,  « Un hiver à Souchez », Paris, Les étincelles, 1930, p. 28.
[3] DUPONT, Marcel, « Impressions d’un officier de légère  1915-1917 », cité par MASSON, Philippe, dans « L’homme en guerre », Paris, Editions du rocher, 1997, p. 87.
[4] CHENU, Charles-Maurice, « Du Képi rouge aux Chars d'Assaut », Albin-Michel, Paris, 1932, p. 274.
[5] ARMENGAUD, Lieutenant-colonel, « L’atmosphère du champ de bataille », Paris, Lavauzelle, 1940, p. 39.
[6] PRINGUET, Jean, « Trois étapes de la brigade des marins », cité par NORTON-CRU, Jean, « Témoins », Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993, p. 400.
[7] COSTE, Commandant, « La psychologie du combat », Paris,  Berger-Levrault, 1929, p. 173.
[8] DES VIGNES-ROUGES, Jean, « Bourru, soldat de Vauquois », cité par ARMENGAUD, Lieutenant-colonel, « L’atmosphère du champ de bataille », p.111.
[9] D’ARNOUX, Jacques, « Paroles d’un revenant », cité par ARMENGAUD, Lieutenant-colonel, « L’atmosphère du champ de bataille », p. 119.
[10] HOLMES, Richard, « Acts of war. The Behavior of Men in Battle », New York, The Free Press, 1989,  p. 170.
[11] NAEGELEN, « les suppliciés », cité par ARMENGAUD, Lieutenant-colonel, « L’atmosphère du champ de bataille »,  p. 123.
[12]  NORTON-CRU, Jean, « Témoins »,  Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993, p. 28.