jeudi 31 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 31 mars 2022

Situation générale

La Russie replie une partie de ses GTIA et des troupes aéroportées de la région de Kiev vers la Biélorussie afin sans doute de les réengager dans le Donbass après les avoir reconstituées. Pour autant, les forces russes n’abandonnent volontairement aucun territoire conquis où que ce soit. 

Les forces ukrainiennes mènent de petites attaques dans les zones où les forces russes sont en posture défensive, et les Russes font de même dans le Donbass, sans pour autant obtenir des deux côtés de résultats importants. Un équilibre s’installe qui ne pourra être modifié que par un changement radical du rapport de forces dans une région.

Situations particulières

Zone Kiev et Nord-Est 

Déplacement depuis cinq jours d’unités russes usées de la région de Kiev Ouest vers de la Biélorussie. Il est peu probable qu’elles puissent être réengagées à court terme, mais elles le seront.

Les attaques ukrainiennes sur la zone Kiev Ouest continuent mais difficilement. Makariv semble contrôlée ainsi que certaines parties de Borodyanka. Les principaux combats ont lieu à Irpin et Gostomel mais sans prise de terrain. Les Ukrainiens manquent d’artillerie pour neutraliser les forces russes.

Posture défensive russe partout, retranchements et coupure de ponts par le génie russe, ce qui indique le renoncement à des mouvements offensifs futurs. Si quelques missions de reconnaissances persistent, le premier rôle est donné à l’artillerie, le principal avantage comparatif tactique des forces russes par rapport aux Ukrainiens.

Les principales difficultés russes résident sans doute sur l’axe H07 de Soumy à Kiev, où plusieurs petites unités russes sont en position difficile face au harcèlement et aux attaques ukrainiennes jusqu’à 60 km à l’Est de Kiev. Il serait logique pour les forces russes de rectifier la ligne de front et récupérer les unités fixées dans la région sans grande utilité.

Si les forces Russes veulent continuer à rester présentes au Nord-Est de Kiev (région Nord Brovary), il leur faut maintenir au moins le contrôle de l’axe E95 depuis la frontière Nord, mais cela suppose de prendre le bastion ukrainien de Chernihiv. A défaut, il faut tenir l’axe E101 depuis la frontière Nord-Est puis l’axe E95 à partir de Kipti.

Dans tous les cas, la région Nord-Est de l’Ukraine est boisée et donc propice avec le printemps à la dissimulation de forces légères ukrainiennes. Les forces russes dans la zone risquent d’être soumises à un intense et couteux harcèlement (mines, IED, embuscades) sur leurs axes de communication.

Zone Est et Donbass 

Les 1ère ABG et 6e A semblent avoir renoncé dans l’immédiat aux prises de Soumy et de Kharkiv et se contentent d’une pression par les feux. Quelques forces disponibles semblent avoir été affectées à la 20e A pour combattre dans la région d’Yzium, au Nord de la zone Donbass.

Les combats limités se poursuivent le long de la frontière DNP/LPR et à Marioupol, conquis à 60 % par les Russes. Hormis, la prise prochaine de Marioupol par les Russes, aucun des deux adversaires n’a semble-t-il de masse de manœuvre nécessaire pour obtenir des succès décisifs.

Zone Sud-Ouest

Là encore les forces russes sont en posture d’attente, se contentant de résister aux attaques ukrainiennes, elles-mêmes limitées par le manque de force.

Notes

Confirmation de cyberattaques russes le 29 mars sur le réseau Ukrtelecom avec un impact limité et temporaire sur le réseau Internet.

L’appel au nouveau contingent de conscrits russes s’effectuera le 1er avril. Ils ne pourront, normalement, se porter volontaires pour servir en Ukraine que dans trois mois.

On assiste à une réduction du trafic militaire sur les voies ferrées russes, indice que la plupart des unités encore disponibles en Russie ont été engagées.

Selon l’état-major ukrainien, trois GTIA (2000 h) formés de soldats d’Ossétie et d’Abkhazie ont été redéployés dans le Donbass, ainsi qu’un millier de soldats de la société Wagner-Liga (ministère britannique de la Défense).

Une grande partie des équipements récupérés dans les stocks pour recompléter les unités russes s’avère inutilisable, par vieillissement mais surtout parce que beaucoup de choses (l’électronique par exemple) a été vendu au marché noir, indice d’une corruption systémique de longue durée. Le même phénomène existe du côté ukrainien, un peu mieux combattu semble-t-il depuis quelques années.

Apparition d’un narratif expliquant l’échec russe à s’emparer de Kiev par l’idée d’une manœuvre visant à faire diversion sur l’objectif principal, le Donbass. C’est évidemment totalement démenti par les faits. On ne fait pas diversion avec la majorité de ses forces tout n’attaquant pas l’objectif initial. Où alors on le fait avec la certitude de pouvoir déplacer beaucoup plus vite que l’adversaire ses forces vers l’objectif principal après avoir attiré l’ennemi vers le leurre. Or, dans ce cas ce sont 5 armées russes et une bonne partie des forces aéroportées qui ont été fixées dans tout le Nord du pays alors que les forces Ukrainiennes ont peu bougé du Donbass. Au bout du compte, lorsque les attaques dans le Donbass ont commencé, ce sont les forces russes qui étaient insuffisantes, hors la région de Marioupol.

On peut expliquer la diffusion de ce discours par la nécessité de résoudre une dissonance cognitive. Quand on est persuadé que les Russes sont très forts et/où on souhaite qu’ils le soient, il faut trouver une explication satisfaisante à ce qui n’est qu’un énorme échec. Même la défaite de Dien Bien Phu a été présenté par certains comme un grand succès parce qu’on avait fixé et usé beaucoup de forces Viet-Minh.

mercredi 30 mars 2022

Il y aura encore des morts parce qu’il y a déjà eu des morts

Quand on a perdu son fils à la guerre ou qu’on le voit tous les jours mutilé ou effondré sur lui-même, la première chose que l’on cherche, c’est de savoir si au moins cela a servi à quelque chose. Si la réponse est négative, la colère survient immanquablement. 

Mais on peut aussi inversement s’accrocher encore plus fermement qu’avant aux justifications qui ont été proposées par le gouvernement, car sinon ce serait trop dur. Si ceux qui sont en colère sont plus bruyants, ceux qui préfèrent adhérer encore plus à la vision proposée et reporter leur colère sur les ennemis de la nation sont généralement les plus nombreux. Il en est finalement sensiblement de même pour tous les sacrifices imposés à une société par la guerre.  

Quand on parle, comme récemment Anne-Claire Legendre la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, d’«élever autant que possible le coût de la guerre» pour la Russie de façon pour faire renoncer Vladimir Poutine, méfions nous de ne pas provoquer l’effet inverse et de provoquer au contraire surtout un raidissement de la résistance russe au moins dans un premier temps, car le temps passant, il faudra immanquablement que Vladimir Poutine présente un bilan concret à apporter à ceux qui ont accepté des sacrifices.

Et c’est là que le temps s’étire. Après la phase initiale de soutien le doute apparaît lorsque les résultats ne viennent pas. Survient alors le principe des «coûts irrécupérables», celui qui nous oblige à faire quelque chose qui nous déplaît parce qu’on a déjà payé pour le faire. Dans une guerre, cela se traduit par un «il ne faut pas qu’ils soient morts pour rien» qui impose que l’on continue à avoir des morts et à se serrer la ceinture, même si on commence à se poser des questions. Si un bilan à la hauteur des sacrifices est atteint, les choses peuvent s’arrêter là, à condition que l’adversaire soit dans le même état d’esprit.

Si ce n’est pas le cas et si l’adversaire empêche d’atteindre ce fameux bilan à la hauteur des sacrifices, et ce d’autant plus que cette hauteur s’accroît sans cesse, le risque est alors celui du retournement. Lorsque la perception dominante devient celle qu’effectivement les sacrifices sont vains et qu’on n’atteindra jamais un bilan en colère, la colère des individus tend à prendre le dessus sur leur besoin de justification et il devient de plus en plus difficile de continuer à faire la guerre. L’armée peut se dissoudre, comme l’armée russe en 1917, ou souffrir d’une forte dépression, comme l’armée américaine au Vietnam après 1968, et l’arrière peut demander des comptes et au moins exiger bruyamment l’arrêt de la guerre. Notons que les deux adversaires peuvent se trouver dans une même situation de forte tension interne, comme les nations de la Première Guerre mondiale et il s’agit alors de tenir au front comme à l’arrière «un quart d’heure de plus» que l’autre.

Pour revenir à l’Ukraine et en admettant exclue l’hypothèse de la décapitation de celui avec qui on peut faire la paix, la situation est désormais un jeu à somme nulle. Pour qu’il y ait accord il faut que l’agresseur et a priori le plus fort considère avoir atteint un bilan acceptable et anticipe qu’il sera très difficile d’avoir mieux alors que les souffrances augmenteront. Inversement, il faut que Volodymyr Zelensky estime avoir conservé un bilan encore acceptable et anticipe qu’il sera impossible de le tenir. Il n’est pas du tout certain que toutes ces conditions, souvent subjectives, soient encore réunies, mais tant qu’elles ne le seront pas des êtres tomberont et des familles pleureront.

lundi 28 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 28 mars J+32

Situation générale

Pas de changement majeur.

Situations particulières

Kiev et Nord-Ouest

Les forces russes de l’Ouest de Kiev se réorganisent pour durer. De nombreuses unités de la 35e Armée se sont repliées en Biélorussie pour reconstitution. Un poste de commandement et une base logistique ont apparemment été installés dans la région de Tchernobyl. Les forces ukrainiennes font toujours pression par de petites attaques sur tous les côtés de la zone tenue par les forces russes dans la région. Le point clé est Yvankiv, 30 km Nord-Ouest de Kiev et nœud-routier essentiel en arrière de la 36e A. Sa prise par les Ukrainiens signifierait une très grave défaite pour les Russes.  

A l’Est de Kiev, les forces ukrainiennes pressent les forces russes dans la région au Nord-Ouest de Brovary tenue par la 90e DB russe et harcèlent toujours l’axe Kiev-Soumy tenue par des éléments de la 2e DM et 4e DB.

Effort de la 41e A toujours sur la ville de Chernihiv et la région de Soumy est toujours contestée entre siège de la ville par la 1ère ABG et contre-attaques ukrainiennes au Sud de la ville afin de la dégager.

Est et Donbass

Les Russes ont renoncé, au moins temporairement, à la prise de Kharkiv. La 6e A bombarde la ville et manœuvre à l’extérieur en particulier en direction d’Yzium. Poursuite des combats limités le long de la ligne du Donbass.

L’avance russe se poursuit, plus lentement, à l’intérieur de Marioupol.

Sud-Ouest

De plus en plus de harcèlement de la Rosgvardia par des partisans dans la zone occupée. La 20e DM russe a été repoussée au-delà de Mykolayev. La situation au Sud de Kryvyi Rih est stable.

Notes

Le général Alexander Chayko, chef du district militaire de l’Est (Extrême-Orient) identifié parmi les forces russes à l’Ouest de Kiev. S’agit-il du commandement de secteur mis en place à Tchernobyl ?

Des images de prisonniers russes blessés et maltraités par les forces ukrainiennes circulent sur les réseaux sociaux, témoignant d’une violation évidente du droit de la guerre. Un minimum serait d’exiger des autorités ukrainiennes qu’elles fassent respecter ce droit et sanctionnent les coupables.

Théorie : la trinité clausewitzienne à l’époque des démocraties modernes

Clausewitz décrit la « remarquable trinité » comme l’association d’un peuple (la passion), d’un gouvernement (la raison) et d’une armée (l’honneur). Deux Etats qui s’affrontent opposent leurs armées dans un grand duel. Lorsque le duel est terminé le gouvernement dont l’armée a été vaincu se soumet au vainqueur par traité. A l’époque de Clausewitz, le peuple doit ensuite obéir.

Ce concept simple a été mis à l’épreuve. Lorsqu’on décapite le gouvernement par exemple, il n’y a plus personne pour signer un traité de paix et surtout l’imposer à son peuple. Au XXIe siècle, le peuple lui-même, qui représente la force (Clausewitz a été impressionné par le volume des armées nées la Révolution française) est de plus en plus capable de s’armer lui-même pourvu qu’il soit motivé pour cela. Cela peut se faire dans le cadre d’organisation non-étatiques armées, jamais aussi puissantes que depuis la connexion sur les flux de la mondialisation (hommes, argent, idéologie, informations, compétences, mais aussi armes légères parfois puissantes) ou de structures étatiques. On a formé spontanément des bataillons de volontaires armés (parfois par les réseaux sociaux et le crowdfunding) en Ukraine en 2014 dans les deux camps qui sont venus s’associer aux forces régulières ukrainiennes, très faibles, ou russes, qui se voulaient discrètes.

Dans la situation actuelle en Ukraine, il y a d’un côté une nation qui a fait appel à la puissance du peuple, ainsi que dans les deux républiques séparatistes DNR/LNR (mais avec plus de réticences semble-t-il), en faisant appel à son patriotisme. On a soulevé en Ukraine le couvercle de la boite de Pandore (selon Clausewitz, qui était plus conservateur), là où la Russie mène une « guerre de cabinet » décidé par le chef suprême mais avec sa petite armée de professionnels (y compris des conscrits « volontaires »), à la manière de l’armée du duc de Brunswick pénétrant en France en 1792. La « levée en masse » n’est pas le seul facteur de réussite de l’armée ukrainienne. Comme l’armée française de 1792, elle combine une armée régulière qui s’était transformée avant la guerre et le nombre des volontaires motivés. Mais c’est un avantage décisif face à un ennemi qui, lui ne fait pas, pour l’instant, cet effort.

De ce point de vue, l’escalade russe ce ne serait pas l’emploi de l’arme nucléaire ou chimique, mais bien une déclaration de guerre en bonne et due forme et la mobilisation générale qui ira avec.

Un autre problème peut se poser aux Ukrainiens. Au moment où il faudra accepter une paix, le peuple mobilisé acceptera-t-il de faire des concessions à la Russie alors qu’il n’est pas vaincu ? Peut-on se passer d’un référendum en pleine guerre pour faire accepter des choses difficiles ? Peut-on imaginer dans le cas contraire que le peuple veuille continuer la guerre contre la décision de son gouvernement ?


dimanche 27 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 27 mars J+31

Situation générale 

Le général russe Rudskoï, adjoint du chef d’état-major des armées, a effectué un point de situation au bout d’un mois de combats, expliquant que la première phase de la guerre était un succès avec la destruction d’une grande partie de l’armée ukrainienne et que l’armée russe et ses alliés DNR/LPR se concentreraient sur la conquête complète des deux provinces du Donbass. Il a officialisé ainsi ce qui était observé depuis au moins une semaine (cf CR précédents). Dans les faits, à court terme cela ne change donc rien.

Situations particulières 

Ciel 

Selon les chiffres donnés par le général Rudskoï, l’armée ukrainienne aurait perdu les ¾ de ses avions, 35 drones TB2 sur 36, plus de 80% de ses moyens antiaériens (S300-Buk M1). Après la découverte que les Ukrainiens avaient autant de drones TB2 (et a priori plus qu’au début de la guerre), c’est l’admission en creux que l’aviation ukrainienne est toujours active et probablement toujours sa flotte de drones.

Il ne faut pas confondre campagne de conquête et campagne de frappes. Si la campagne de conquête est officiellement (et pour l’instant) concentrée sur le Donbass. La campagne de frappes continue sur l’ensemble du territoire. Il ne faut donc pas s’étonner de frappes d’opportunité (dépôt d’hydrocarbures) à Lviv, dans l’Ouest du pays et proche de la Pologne, sans doute aussi en lien avec la visite de Joe Biden dans ce dernier pays.

Les Russes auraient utilisé plus de 1 000 missiles balistiques/croisière soit environ 2/3 du stock.

Ouest 

La déclaration du général Rudskoï officialise aussi peut-être qu’il n’y aura pas d’opération russo-biélorusse dans l’Ouest de l’Ukraine. Le potentiel militaire biélorusse est estimé de toute façon à environ 5 GTIA de faible niveau tactique. Rien qui puisse changer fondamentalement la situation sur le terrain, pour des coûts politiques et économiques importants pour la Biélorussie.  

Kiev et Nord-Est

La réorientation annoncée ne change rien à la situation dans le Nord. Les forces russes sont toujours en posture défensive/retranchement et en reconstitution. Plusieurs brigades des 35e et 36e A à l’Ouest de Kiev ont formé chacune un GTIA de marche avec leurs dernières forces combattantes, plusieurs unités à plus de 50 % de pertes ont été envoyées dans la région de Bryansk (Russie) afin de se reconstituer. Les attaques russes sont plutôt limitées à la zone de Chernihiv. Peut-être peut-on imaginer une rectification de la ligne de front russe, cherchant à assurer une présence forte à proximité de Kiev avec la conquête de Chernihiv et de l’axe E95 jusqu’à Brovary par la 41eA et la 2e AG, mais abandonnant par ailleurs les zones difficiles à tenir, en particulier l’axe H07 de Soumy à Kiev.

Les forces ukrainiennes continuent leur pression à l'Ouest de Kiev sur le quadrilatère Ivankiv (NO-point clé axes vers la Biélorussie)-Dymer (NE-près du Dniepr)-Irpin-Myla (SE) et Kalymiv (SO) avec le projet d’étouffer les 35e et 36e A. La destruction de ces deux armées russes et des VDV restants serait une victoire majeure. Elle est cependant peu probable pour l’instant.

Sud : inchangé. Les forces russes sont sous pression et plutôt sur la défensive. Le général Rezantsev, commandant la 49e Armée a été tué dans la région de Kherson. C’est le 7e général russe tué (plus 3 colonels commandants de régiments/brigades tués et un suicidé) en un mois en Ukraine. Cela confirme l’activité ukrainienne dans la zone de Kherson et la présence de l’état-major de la 49e A venu du Caucase.

Donbass 

Marioupol est presque coupée en deux par la progression russe. Il n’est pas dit que la résistance ukrainienne s’arrête pour autant. Si la prise de la ville est inéluctable, une question majeure est de savoir dans quel état se trouveront la 150e Division d’infanterie motorisée, dont un groupement tchétchène, et la 810e Brigade d’infanterie navale après les combats. Il n’est pas évident que ces unités importantes puissent être réutilisées à court terme pour relancer l’offensive dans le reste du Donbass.

Dans la bataille du « saillant du Donbass », il semble que les Russes ont abandonné l’idée d’un encerclement de l’armée ukrainienne en contrôlant l’axe E105 entre Kharkiv et Dnipropetrovsk. Ils ne tiennent pas Kharkiv et ne pourraient sans doute pas contrôler cet axe de 250 km. S’ils ne renoncent sans doute pas à une poussée par le Sud, de Zaporijjia vers Dnipropetrovsk, ils cherchent pour l’instant simplement à repousser les forces ukrainiennes au-delà des limites des oblasts de Donetsk et Louhansk. 

Les Ukrainiens résistent par une manœuvre de freinage fondée sur des bastions urbains. Le coût en pertes et en temps pour s’emparer de chaque kilomètre est très élevé pour les Russes et alliés. Le 1er Corps d’armée DNR s’est épuisé à s’emparer de Volnovakha (20 000 habitants, et ville détruite) entre Donetsk et Marioupol et bute devant Mariinka, Kurakhove, Avdiivka et Vouhledar à proximité de la ville de Donetsk. Il en est de même dans le Nord du saillant avec la résistance à Yzium et à Severodonetsk (solide bastion de 100 000 habitants) et inversement une attaque ukrainienne en direction d’Horlivka, au nord de Donetsk. Même si Severodonetsk tombait entre les mains de la 8e A et du 2e Corps d’armée LNR, la ligne Sloviansk-Kramatrosk- Droujkivka- Kostiantynivka- Toretsk constitue un véritable front urbain de 70 km de long et 450 000 habitants, très difficile à prendre.

L’annonce pour une fois d’un objectif clair-la conquête du Donbass-signifie peut-être que celui-ci est considéré comme atteignable. C’est possible, mais ce sera quand même difficile, notamment si les forces ukrainiennes peuvent être renforcées dans la région.

Notes

En politique, quand on triomphe on s’en vante. Quand on envoie le numéro 2 du CEMA pour annoncer un succès et une inflexion majeure, c’est que cela n’est pas forcément perçu en interne comme un grand succès.

Le général Rudskoï a annoncé par ailleurs la destruction d’un gros tiers de l’artillerie et des deux-tiers des véhicules de combat blindés ukrainiens, un bilan sans aucun doute très exagéré. Les pertes documentées par Oryx, n'indiquent que 227 véhicules de ce type perdus, un chiffre important et forcément inférieur à la réalité mais on se trouve sans doute loin des 2/3 annoncés. On rappellera qu’un tiers des véhicules de combat russes perdus sont en réalité capturés par les Ukrainiens, soit au minimum 300 engins pour la plupart réutilisables par les Ukrainiens.

Quand on examine les chiffres de destruction de véhicules le long de la semaine par le site Oryx au cours de la semaine, on s’aperçoit qu’en 8 jours les Russes ont perdu 170 véhicules de ce type pour 38 ukrainiens. Les pertes journalières en véhicules de combat blindés ont tendance à diminuer des deux côtés surtout du côté ukrainien. Les pertes en pièces d’artillerie ont en revanche plutôt tendance à augmenter également des deux côtés (30 pièces russes en huit jours pour 100 auparavant, 14 ukrainiennes pour 29 avant), ce qui témoigne aussi de l'importance croissante de cette arme dans des combats plus statiques et sans doute aussi plus de contre-batteries.

De la même façon que les remplacements en cours ont tendance à diminuer le capital humain de l’armée russe. Il en est apparemment de même pour les matériels remplacés par des matériels anciens récupérés dans les stocks.

Partir à l’anglaise, c’est partir sans le dire ; partir à la russe, c’est dire très fort que l’on part alors que l’on reste. Les Russes ont ainsi annoncé à plusieurs reprises leur retrait de Syrie alors qu’il ne s’agissait que de relèves des forces. Les Russes annoncent qu’ils se concentrent sur le Donbass, mais ne renoncent à rien pour l'instant. 

vendredi 25 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 25 mars J+29

Situation générale

Au fur et à mesure de l’évolution des armées opposées, l’échelle des combats a tendance à diminuer. Le plan initial russe prévoyait une seule grande bataille décisive, puis on est passé à plusieurs grandes batailles à gagner (la prise de grandes villes). On en est désormais - à l’exception de Marioupol – à parler de combats de petites villes ou villages, de raids et de frappes localisés, de combats d’armées complètes à des combats de quelques milliers d’hommes, voire moins.

Or, plus l’échelle moyenne de chaque combat se réduit et plus le temps de la guerre s’allonge. Il devient de plus en en plus difficile de gagner de grandes batailles, car il y a de moins en moins de grandes batailles à gagner et de victoires à proclamer. La campagne bascule progressivement d’un mode séquentiel (une série de victoires enchainées jusqu’à la victoire finale) à un mode cumulatif où on espère l’émergence d’un effet stratégique (un effondrement de la volonté de combattre) par une multitude de petits coups, ce qui prend beaucoup plus de temps.

Situations particulières

Région Ouest : l’« hypothèse biélorusse » (entrée en guerre) est toujours en suspens.

Région Kiev et Nord-Est 

Si Paris était à la place de Kiev, il faudrait imaginer trois armées russes venues de Belgique (41eA), du Luxembourg (2eAG) et d’Allemagne (1ère ABG) très dépendantes des grandes routes entravées par une première série de poches de résistance proches de la frontière (Charleville-Mézières, Verdun, Metz) et Soumy qui serait entre Nancy et Strasbourg. Il y aurait ensuite une deuxième ligne de résistance d’Amiens (Chernihiv) à Soissons (Nizhyn) afin même d’arriver à la petite couronne de Paris.

Toute cette zone est devenue un grand espace de multiples petits combats où une trentaine de GTIA russes (GTIA = unité de combat de 500/1000h) tentent à la fois de réduire les poches de résistance par un mélange d’écrasement par l’artillerie (point fort russe) et de petits assauts (point faible) tout en se défendant sur les grands axes, en particulier celui qui va de Soumy jusqu’à Kiev, contre le harcèlement des forces ukrainiennes, plus légères et mobiles.

Si Paris était toujours à la place de Kiev, les combats les plus proches se dérouleraient en périphérie de la petite couronne. Les forces russes les plus avancées seraient au Nord dans la région de l’aéroport Charles de Gaulle avec la 90eDivision blindée (2e AG) et à l’Est à Marne-la-Vallée (Disneyland) avec 2e Division d’infanterie motorisée (1ère ABG). Les deux divisions russes (sans doute 16 GTIA au total), entravées dans leur logistique arrière, s’enterrent et tentent parfois de lancer de petites attaques sans succès.

A l’Ouest de la capitale, les forces russes, qui seraient venues de Normandie, 35eA, 36eA (15 GTIA au total) et forces VDV (45e brigade de forces spéciales, 79e Division aéroportée et 31e Brigade d’assaut par air) seraient au plus proche entre Saint-Germain en Laye et Argenteuil. Ces forces russes, qui ont beaucoup souffert, sont plutôt en posture défensive et se retranchent. Les forces ukrainiennes lancent actuellement de petites attaques autour de ce périmètre avant sa fixation complète afin au moins de le repousser autant que possible les forces russes au-delà de 25 km du centre de Kiev afin de le préserver de la majorité des frappes d’artillerie.

Région Sud 

Le front est beaucoup plus continu que dans le Nord mais la densité des forces également beaucoup plus faible de part et d’autre. La 58e A russe ne dispose que d’une quinzaine de GTIA pour une surface équivalente à celle occupée par les 41e, 2e et 1ère armées dans le Nord (4 fois plus de forces). La 20e Division d’infanterie motorisée a été repoussée de Mykolaev. La 11e Brigade d’assaut aérien et la 126e brigade d’infanterie ont poussé des reconnaissances sur la rive Ouest du Dniepr en direction de Kryvyi Rih. La prise de Kryvyi Rih sur les arrières de Dnipro, pourrait avoir un grand intérêt pour les Russes, mais les forces sont sans doute trop faibles et trop éloignées de leur base logistique pour l’envisager sérieusement.

Frappe (ou sabotage) très efficace contre les docks de Berdiansk, détruisant le navire de transport Orsk et endommageant un autre. Les capacités amphibies de la flotte de la mer Noire se trouvent amoindries et l’usage du port, proche de Marioupol, affectée pour un temps.

Apparition d’engins explosifs improvisés (IED en anglais) dans la zone occupée par le 58e A (région de Kherson). Début d’une guérilla arrière.

Région Donbass 

Lente progression des forces russes à l’intérieur de Marioupol. Environ 10 % de toute la force russe en Ukraine (et donc un bon tiers des GTIA encore disponibles pour manœuvrer) concentrés sur cet objectif face à 4 brigades ukrainiennes. La progression russe est d’abord une progression par le feu.  

Pression continue des forces russes (6e, 20e et 8e A, une trentaine de GTIA) sur Yzium et Severodonetsk au Nord de l’arc du Donbass, du 2e corps d’armée (République de Louhansk) vers Popasna (Sud de Seveordonetsk) et 1er corps d’armée (République de Donetsk) vers Avdiivka et Ocheretyne (immédiat Ouest de la ville de Donetsk). Pression moindre au Sud de l’arc du Donbass par la 58e A en particulier en direction de Zaporajjia et à plus long terme, de Dnipro, point clé de la région. Les forces ukrainiennes résistent mais il s’agit là de l’endroit où elles sont le plus en danger.

Notes

Fuite d’ammoniaque dans la grande installation de stockage chimique de Sumykhimprom (frappe aérienne russe ?) immédiatement présentée par les autorités russes comme une tentative d’empoisonnement de la population par les néo-nazis. Peut-être utilisée comme une justification d’emploi « réciproque » d’arme chimique (peu probable).

Augmentation des sorties aériennes russes et des frappes de missiles contre les forces aériennes ukrainiennes, qui continuent à agir, et la défense antiaérienne. Le nombre de missiles balistiques ou de croisière russes dépasserait le millier, soit les deux-tiers du stock.

La dérivation des réfugiés, notamment des villes assiégées, vers des zones contrôlées par les Russes et parmi ces réfugiés la présence tacitement ou même explicitement admises de combattants ennemis a été employée à plusieurs reprises en Syrie. C’est le principe de la « porte de sortie » laissée au défenseur pour se replier, alors que la pression paraît intenable. Cela permet d’affaiblir la défense, tout en contrôlant au bout du compte la population et les défenseurs ennemis dans des « zones de désescalade » qui constituent en réalité de grandes prisons à ciel ouvert.

C’est l’artillerie et donc les combats (l’armée de Terre russe combat d’abord par l’artillerie) qui détruit surtout les villes et non les frappes aériennes, y compris celle de missiles, spectaculaires mais plutôt rares ici (quand elles sont massives, c’est évidemment autre chose).

Les forces ukrainiennes contribuent encore à l'entrave des mouvements en période de dégel en libérant les retenues d'eau et en inondant certaines zones (Irpin).

Théorie : L’épuisement

Un mois de combat continu constitue une limite psychologique au-delà on constate une augmentation rapide des effondrements. La moitié des évacués ne présentent alors souvent pas de blessures physiques, en admettant qu’ils puissent être évacués. Après un mois de combat intense à Dien Bien Phu, un cinquième des défenseurs avaient « déserté sur place » en attendant la fin des combats le long de la rivière Nam Youn.

Tout cela est évidemment très variable, en fonction de l’intensité des combats, de l’expérience et de la solidité individuelle et collective des combattants, de leur motivation, mais il est probable qu’un certain nombre d’unités engagées sans interruption depuis les premiers jours au combat en Ukraine (notamment les unités russes à l’ouest de Kiev ou la plupart des forces engagées à Marioupol) soient au bord de l’effondrement psychique. Dans ces cas-là, ce n’est un recomplètement vers l’avant qu’il faut organiser mais une relève, et il n’est pas évident que les forces au combat en Ukraine, russes en particulier, en soit toujours capables.

mercredi 23 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 23 mars J+27

Situation générale

Ralentissement très net des opérations terrestres russes, de plus en plus remplacées par une campagne de frappes qui prend de l'ampleur. L’effort russe se porte toujours le nord du Donbass (Severodonetsk) et surtout Marioupol. 

Les contre-attaques ukrainiennes se multiplient, en particulier dans la région de Kiev Ouest. On peut se demander si les forces ukrainiennes ne sont pas en train de prendre l’initiative opérationnelle.

Rumeurs de plus en plus fortes d’une entrée de la Biélorussie dans la guerre, mais aussi rumeurs équivalentes de refus, voire de sabotages (chemin de fer) biélorusses.

Situations particulières

Kiev et Nord-Est

Retranchements russes à l’Ouest dans la périphérie Ouest et dans la périphérie Est au Nord de Brovary. Souci russe de remplacer les attaques directes par un siège d’artillerie afin de « maintenir la capitale à portée de canon ». Effort ukrainien pour maintenir les Russes au-delà de 25 km du centre de Kiev afin de limiter les frappes d'artillerie russes.

Contre-attaque ukrainienne d’ampleur semble-t-il dans la banlieue Ouest de Kiev venant à la fois de Kiev vers Boutcha-Irpin (zone de fortification en cours) et Mila et de l’Ouest en direction de Kiev sur les axes M-07 et M-06. Deux localités auraient été reconquises.

Contre-attaque ukrainienne au Nord-Ouest de Kiev le long du Dniepr vers Demydiv (zone de retranchement) et combats au Nord-Est vers Kalynivka (zone de retranchement) contre la 90e Division motorisée.

Le reste de la situation dans la région Nord-Est est inchangée. Les forces russes frappent les localités et les forces ukrainiennes harcèlent, en particulier sur la route H-7 qui relie Soumy à Kiev.

Donbass

Combats à Yzium et Severodonestk. Pression des 1er et 2e Corps d’armée sur la « frontière fortifiée » DNR/LNR, avec peu de résultats. L’effort russe est toujours sur l’armée ukrainienne du Donbass. Frappes sur la gare de Pavlohrad, entre Dnipro et le Donbass.

Poursuite des frappes sur Marioupol (force des défenseurs estimée à 10-12 000 combattants, principalement 38e brigade infanterie navale, régiment Azov (ministère de l’Intérieur) et 56e brigade motorisée  et lente progression des forces russes vers le centre-ville.

Sud

La 58e Armée est toujours à l’arrêt. Elle dispose de 10-12 GTIA ou régiment aéroportée + infanterie navale pour faire face à Mykolayev et Nova Odessa, tenir Kherson et effectuer une reconnaissance offensive vers Kryvyi Rih. Les forces ukrainiennes doivent être du même ordre.

Les villes de la zone occupée, de Kherson à Melitopol connaissent de nombreuses manifestations. Le maintien de l’ordre est géré par la Garde nationale russe (Rosgvardia).

Notes

Le général Yershov, commandant la 6e armée russe (face à Kharkiv) aurait été limogé.

Cinq généraux et trois commandants de régiments (un poste qui serait occupé par un général de brigade en France) ont été tués.

Mobilisation des conscrits dans les DNR/LNR

Le journal Komsomolskaïa Pravda a chiffré dans un article en ligne retiré par la suite un bilan des pertes humaines russes à 9 861 morts et 16 153 blessés. Nombreux doutes sur la véracité de ces chiffres (les chiffres de destructions de véhicules, plus faciles à vérifier, semblent fantaisistes). Possibilité de hacking.

Le chiffre à connaître pour connaître l’état des forces russes est celui des prisonniers et son évolution.

Théorie : du moral

Aller volontairement dans une zone de combat pour éventuellement tuer et se faire tuer n’est pas une chose naturelle. Pour le faire, il faut être blindé de confiance et poussé par de fortes obligations.

La confiance vient du sentiment que l’on peut faire face à la situation. Elle repose d’abord sur la compétence militaire et la compréhension de la situation, la valeur et la maitrise de son équipement, face à ce que l’on sait de l’ennemi. Elle repose aussi sur les capacités connues des membres de sa cellule tactique (compétence des chefs, solidarité, valeurs individuelles).

Les obligations (tout le corps refuse mais on y va quand même) peuvent venir de la discipline et de la peur de l’arrière (unités barrages du NKVD), mais surtout de l’obligation morale de bien se comporter vis-à-vis de ses camarades (encore faut-il qu’il y ait le temps d’une création de camaraderie) ou de respecter l’honneur et la culture de son corps d’appartenance.

Si on ajoute une motivation forte, comme la détermination à défendre sa patrie, c’est encore mieux, mais comme dans la pyramide de Maslow, c’est le sommet de la pyramide. S’il n’y a pas la base, le volontaire isolé de bonne volonté mais sans expérience, sans ami, sans esprit de corps a bien peu de chance de contrôler la transformation qu’impose le combat. Il aura une arme mais plus d’âme.

Cela est valable pour les volontaires néophytes bombardés à Yavoriv, comme les réservistes et recrutés russes injectés individuellement dans des unités déjà peu solides. Quand on ne connaît pas les autres, on ne sait pas se battre.

lundi 21 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 21 mars J+25

Situation générale

Poursuite de la transformation d’une opération russe visant à obtenir une victoire totale rapide et qui a abouti à une grande dispersion et un épuisement des forces, en opération séquentielle recherchant l’atteinte d’un objectif après l’autre avec la faible capacité de manœuvre restante, capacité qui a par ailleurs tendance à décliner.

Les forces russes vont prendre Marioupol et auront peut-être la possibilité d’atteindre ensuite au mieux un ou deux autres objectifs géographiques – Kharkiv ou Odessa, pour des raisons politiques, Dnipropetrovsk, afin de menacer l’arrière de l’armée ukrainienne du Donbass (AUD) – ou d’obtenir un repli de l’AUD par une pression générale frontale.

L’hypothèse la plus probable est ensuite une rigidification générale des fronts sur la longue durée.

Situations particulières

Ciel : emploi toujours fréquent des missiles par les Russes et consommation de leur stock. Publicité autour de l’emploi de missiles hypersoniques, sans intérêt tactique par rapport à d’autres modèles moins sophistiqués mais à des fins purement démonstratives.

Question du renforcement du système de défense antiaérien S300 ukrainien, un actif essentiel pour la dispute du ciel en particulier autour de Kiev. Possibilité de manœuvre de roque (transfert en Ukraine de batteries ou de systèmes complets slovaques, bulgares ou grecs en échange de Patriot américain). Peut-être peut-on envisager aussi un transfert de S400 turcs en échange de la possibilité d’acquérir des chasseurs F-35. Peut-être faut-il envisager la fourniture de batteries anti roquettes de type Dôme de fer.

Biélorussie et zone Ouest de l’Ukraine : la question d’une intervention biélorusse dans le conflit est toujours en suspens. Cette intervention ajouterait sans doute plus de problèmes que d’avantages au camp russe. Nombreux sabotages des voies ferrées en Biélorussie (origine inconnue) qui entravent fortement la logistique russe.

La capacité de manœuvre russe à l’Ouest de l’Ukraine est pour l’instant limitée à des frappes et des raids et peut-être une manœuvre d’infiltration-harcèlement.

Zone Kiev-Nord Est :  Toutes les forces russes de la zone Nord sont passés en mode défensif et on assiste à la mise en place de fortifications de campagne (apparition de champs de mines, travaux du génie). Effort sur la protection des axes et sur l’artillerie. La bataille de Kiev se transforme en siège d’artillerie de longue durée. Le combat peut porter sur l’acquisition de positions d’artillerie dans un rayon de 25 km du centre de la capitale.

Si la zone russe à l’Ouest de Kiev occupée par les 35e, 36e armées et troupes aéroportées (VDV) est cohérente, toute la zone du Nord-Est (triangle Chernihiv-Soumy-Brovary) des 41e, 2e Armée de la Garde (AG) et 1ère Armée blindée de la garde (ABG) est en « peau de léopard » avec des forces antagonistes imbriquées. Comment cela peut-il évoluer ? Les forces russes vont-elles essayer d’unifier la zone par la réduction successive des poches ukrainiennes ? Vont-elles évacuer les zones les plus difficiles ? Vont-elles pour des raisons politiques (tenir le plus de terrain possible afin de mieux négocier) rester partout où elles sont au risque d’une couteuse petite guerre permanente dans la région ?

Zone Donbass : au Nord, les Russes semblent avoir abandonné l’idée de s’emparer de Kharkiv pour l’instant et ont remplacé la conquête de la ville par un siège d’artillerie. Les forces ukrainiennes ont repoussé avec de fortes pertes un régiment blindé russe au sud d’Yzioum (120 km Sud-Est Kharkiv). Impliquant deux brigades d’assaut aérien (mais sans hélicoptères), c’est sans doute l’attaque ukrainienne la plus importante de la guerre. Poursuite des combats autour de Severodonetsk, entre Yzioum et Louhansk. L’équivalent de 3 brigades ukrainiennes (peut-être 5 000 hommes) est menacée d’encerclement par la 3e Division d’infanterie motorisée (DM) russe et le 2e Corps d’armée de la LNR.

Au Sud : la lente progression des 19e DM à l’Ouest et 150e DM (plus brigade tchétchène à l’Est) et 810e brigade d’infanterie navale au Nord se poursuit. La prise de Marioupol est sans doute une question de jours, deux semaines au maximum.

Zone Sud-Ouest : la zone est la moins densément occupée par les forces russes et ukrainiennes. C’est donc celle où les mouvements sont les plus importants, avant de rencontrer les résistances urbaines. La reconnaissance de la 7e division aéroportée vers Voznesensk a été repoussée vers Nova Odessa. De la même façon une reconnaissance limitée (une brigade -) vers Kryuyi Rih a été repoussée. La 20e DM russe, assez faible, a du mal à résister aux forces ukrainiennes devant Mykolayev et semble sur le recul.

Frappe de missile(s) de croisière Kalibr de la flotte de la mer Noire le 19 mars sur centre de recrutement/formation ukrainien à Mykolayev, nombreux morts.

Notes

S’il est pour l’instant difficile d’imaginer une mobilisation générale en Russie, la Russie l’impose dans les républiques DNR-LPR (4 millions d’habitants au total). Cela peut constituer la ressource humaine la plus importante pour l’effort de guerre russe, mais au prix semble-t-il de nombreuses réticences locales.

La société Wagner servirait de relais pour le recrutement de combattants de l’armée nationale libyenne du maréchal Haftar à destination de l’Ukraine.

Théorie : la numérisation du champ de bataille par les civils

La numérisation du champ de bataille était le grand thème militaire à la mode au début des années 2000. On l’imaginait comme la mise en place de couteux systèmes de géolocalisation et de transmissions de données entre multiples capteurs et « effecteurs » militaires sachant tous sur des images communes où ils se trouvent, où se trouve une bonne partie de l’ennemi et pouvant collaborer entre eux. Personne ne parlait alors de gonfler cette architecture selon une logique public-privé/militaire-civil, et de combiner nos systèmes avec ceux des organisations armées que nous affrontions qui utilisaient des technologies civiles.

L’Ukraine l’a fait (pour mémoire, ce sont les nations qui font les guerres pas les armées) en intégrant massivement la numérisation civile, depuis les simples combattants dotés de smartphones jusqu’aux petites unités de renseignement territoriales dotés de petits drones low cost. Associés à la masse de combattants mobilisés (une donnée que l’on a oublié), cela donne à l’armée ukrainienne une quantité considérable d’informations tactiques en temps réels sur soi et sur l’ennemi, et très supérieure à celle dont disposent au contraire les Russes qui ne bénéficient pas pour l’instant d’un tel apport. Cela donne évidemment un avantage considérable aux petites unités ukrainiennes mobiles sur les lourdes colonnes russes. La très grande majorité des combats, jusqu’aux embuscades d’artillerie, sont ainsi à l’initiative des Ukrainiens, ce qui constitue un atout énorme.

samedi 19 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 19 mars J+23


Situation générale 

Immobilisation générale et combats fragmentées. Effort offensif russe limitée à la zone Yzium-Severodonetsk (nord Donbass) et surtout Marioupol. Harcèlement et contre-attaques ukrainiennes dans de nombreux secteurs avec une progression significative à Mykolaev.

Va-t-on vers une rigidification durable des fronts avec une situation inédite de forces imbriquées dans le nord-est du pays ?

Va-t-on voir au contraire émerger un effet stratégique avec l’effondrement d’une partie importante des forces d’un des deux camps (russes du Nord-Est ou ukrainiennes du Donbass) ?

Situations particulières

Zone uest Ukraine : la menace d’une attaque terrestre/aéromobile russe et biélorusse à partir de Brest est toujours présente, mais elle est désormais peu probable à court terme. Les forces biélorusses sont très réticentes et les forces russes trop modestes. Poursuite d’une campagne de frappes aériennes sur les objectifs militaires (site de maintenance aérienne de Lviv) et les axes d’approvisionnement de la région.

Zone Nord : Au Nord et à l'Est les 41e A, 2eAG et 1ère ABG toujours bloquées dans leur avance vers Kiev par les poches de résistance ukrainiennes et le harcèlement des axes de communication. La 2e division motorisée est toujours en attente en position défensive en périphérie Est de Kiev. A l’ouest de Kiev, les 35e et 36e A sont également en position d’attente, avec de nombreux indices de retranchements. Les combats opposent surtout les VDV-45e brigade FS, 79e division aéroportée, 31e brigade d’assaut aérien-et les forces ukrainiennes dans la zone Irpin-Dimy. Harcèlement sur les arrières (par drones notamment) des forces russes.

Zone Donbass : combats dans les régions d’Yzium avec une contre-attaque ukrainienne importante (2 brigades aéromobiles) et de Severodonetsk en cours d’encerclement par la 3e division motorisée russe et le 2e corps d’armée (LPR). Avancée progressive des forces russes à Marioupol (19e DM à l’Ouest, 150e DM à l’Est, 810e brigade d’infanterie navale au Nord). Peut-être encore une semaine avant la prise de la ville.

Après reconstitution/recomplètement, ces forces russes seront disponibles (dans deux semaines ?) pour attaquer ailleurs : axe Donetsk-Zaporajjia ou Kherson-Mykolaev.

Zone Sud-Ouest : Bernard-Henri Lévy a tagué « liberté, égalité, fraternité » à Odessa avant de partir. Depuis les choses vont beaucoup mieux pour les Ukrainiens. La 7e division aéroportée russe a été repoussée de Voznesensk et est en position défensive au Nord de Mykolaev. 20e DM (58e Armée) visiblement de faible valeur tactique, stoppée à Mykolaev et même repoussée par contre-attaque ukrainienne importante sur l’axe Mykolaev-Kherson. La flotte de la mer Noire maintient la pression sur la côté par des bombardements et la possibilité d’une opération amphibie (impossible cependant sans conjonction avec une offensive terrestre).

Front arrière : le commandement des opérations spéciales organise le Centre de résistance nationale afin d’aider à l’organisation de la défense civile et de la guérilla en zone occupée. Création d’un site Internet de conseils et échanges de renseignements.

Notes

Le général Mordvichev, commandant de la 8e armée aurait été tué. C’est le plus haut gradé des 5 généraux russes tués dans cette guerre en trois semaines. C’est une proportion très importante (1 général pour 1 000 morts russes environ). Difficile à interpréter. Problème de commandement imposant une présence des généraux au plus près de la ligne de contact (pas une habitude russe) ? Efficacité du ciblage ukrainien ? On ne connaît pas bien comment ces généraux ont été tués.

Indices de plus en plus nombreux de refus de combattre du côté de combattre du côté russe.

Théorie : la campagne des missiles

La Russie dispose d’un arsenal d’environ 1 500 missiles balistiques ou de croisière utilisables depuis le ciel (KH-101, 555, 59MK2, Kh-47М2 Kinjal hypersonique), le sol (9M723 Iskander, OTR-21 Totchka plus anciens) les bâtiments de la mer Noire (3M14 Kalibr). Cet arsenal de plusieurs milliards d’euros constitue une redoutable force pouvant frapper avec une bonne précision jusqu’à 2 000 km, puissante avec des charges de plusieurs centaines de kilos d’explosif, et plutôt difficilement interceptable. C’est un atout stratégique contre les puissances occidentales, d’autant plus qu’ils peuvent quasiment tous porter aussi une charge nucléaire.

Cet arsenal est très utilisé par les forces russes, en grande partie parce que la campagne initiale de neutralisation des défense anti-aériennes a échoué et que le ciel est encore dangereux pour des avions russes (13 avions abattus) qui ont par ailleurs du mal a effectuer des frappes de précision. Les missiles sont donc préférentiellement utilisés pour la campagne de frappes dans la profondeur. Ils sont utilisés également contre des objectifs civils, des grands bâtiments, à l’intérieur des villes assiégés.

Cela a plusieurs conséquences.

La campagne de frappes russes agit surtout sur des grands objectifs fixes, mais assez peu sur des objectifs mobiles.

En trois semaines la moitié du stock de missiles a déjà été consommé en Ukraine. Malgré des ordres pour augmenter la production, et compte tenu que les forces russes doivent conserver un stock minimal de précaution, la campagne des missiles russes pourra difficilement persister à ce rythme au-delà de quelques semaines.

vendredi 18 mars 2022

Du nouveau dans les pansements de l'âme-Le protocole 6C

Le 15 mars au soir, le grand reporter de Paris Match Nicolas Delesalle évoquait son déplacement en Ukraine au cœur de la guerre et sa rencontre avec la population en souffrance, parfois physique mais aussi et le plus souvent psychologique par le choc de l’arrivée du malheur sur leurs maisons et leurs familles. Le spectacle de ces tragédies n’est hélas pas une nouveauté.

Ce qui était plus étonnant, pour un observateur français du moins, fut la manière dont Nicolas Delesalle est lui-même intervenu en « premier secours psychologiques » devant des gens sidérés par le choc non pas en essayant de les rassurer, avec des mots gentils et l’appel au calme, mais au contraire en les « activant » cérébralement et physiquement sur des petits problèmes concrets à résoudre. Il les faisait sortir ainsi d’un stade de saturation émotionnelle -propice au développement futur de souffrances profondes et durables, les troubles du stress post-traumatique (TSPT)- pour activer le néocortex. Cela ne garantit pas l’impossibilité de développer un TSPT mais cela en réduit considérablement la probabilité. C’est d’autant plus utile que comme un garrot on peut appliquer la méthode à soi-même.

Il a alors appliqué la méthode dite des 6C mise en œuvre largement en Israël depuis dix ans par tout ceux qui peuvent être amenés à pénétrer dans les bulles de violence, à en être victimes soi-même avec une certaine probabilité et en être spectateurs à coup sûr. Cela concerne bien sûr prioritairement les militaires, policiers, soignants, secouristes, pompiers, journalistes, etc. dont c’est le métier mais de fait potentiellement tout le monde.

C’est une méthode, ou plus précisément protocole de premier secours psychologique, qui, outre l’avantage évidemment d’être particulièrement efficace (et après une dizaine d’années de large pratique, il n’y a plus aucun doute à ce sujet) mais également d’être simple. Chacun peut l’apprendre pratiquement en aussi peu de temps que les gestes de premiers secours physiques. C’est peut-être paradoxalement son principal défaut, car il démocratise ainsi des choses qui pourraient apparaître comme un monopole de professionnels souvent attachés par ailleurs à des dogmes antérieurs aux dernières découvertes des neurosciences.

Si vous pensez que les gestes de premiers secours purement physiques sauvent des vies, dites vous que les gestes de premiers secours psychologiques sauvent des âmes et cette méthode du 6C est sans doute ce qui se fait de mieux pour cela. Je n’ai aucun intérêt là-dedans mais simplement le regret de ne pas avoir connu cela dans ma formation de soldat, cela aurait sans doute évité beaucoup de souffrances par la suite.

Pour en savoir plus voir ici ou ici ou encore video. Contact : Emmanuelle Halioua. 

jeudi 17 mars 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 17 mars J+21

Situation générale

Quasi paralysie des forces russes au Nord et Sud, nombreuses mais imbriquées au Nord, libres mais insuffisantes au Sud. Effort russe en revanche sur l’ensemble du Donbass avec sans doute la volonté de conquérir complètement les deux oblasts de Louhansk et Donetsk, dont Marioupol, avant d’éventuelles négociations.

Situations particulières

Ouest et Biélorussie : situation confuse au sud de la Biélorussie ou une ou plusieurs explosions ont été entendue(s). Nombreux mouvements de troupes russes et biélorusses, notamment dans la région de Brest.

Kiev et Nord : combats très limités. Principalement localisés au nord-ouest de Kiev. Attaques d’artillerie (harcèlement) sur les villes (Kiev, Soumy). Peut-être préparation d’une attaque de Soumy. Effort sur la protection des axes logistiques.

 Est et Donbass. Situation confuse à Kharkiv que les forces russes continuent de bombarder mais semblent avoir renoncé à conquérir à court terme.

Effort russe dans la zone Izyum-Severodonetsk par les 6e, 20e armées et le 2e Corps d’armée (République de Louhansk). La poussée s’exerce aussi cependant sur l’ensemble de la ligne et également au sud vers Zaporijjia, avec des forces limitées.

Effort sur Marioupol, attaquée par deux divisions d’infanterie motorisées à l’Est et l’Ouest et une brigade d’infanterie navale au Nord (mais seulement 10 GTIA identifiés). Le général Oleg Mityaev, commandant la 150e Division, à l’Est, a été tué. Pression sur la population et frappe délibérée, par missile probablement, sur le grand théâtre du centre-ville.

Sud-Ouest : opérations russes limitées devant Mykolaev et dans la région de Kherson. Frappes de la flotte de la mer Noire sur la côte à l’Est d’Odessa. La poussée vers Odessa semble remise à plus tard.

Notes

Nouvelle aide américaine annoncée : 10 000 munitions antichars diverses, 800 Manpads Stinger, et une centaine de drones Switchblade. Les Swichblade 300 ou 600 (plus puissants) sont des drones rodeurs low cost utilisables comme petits missiles de croisière à faible charge mais avec une très grande précision à quelques kilomètres de distance. Pourrait constituer un véritable « game changer » pour les forces ukrainiennes s’il était utilisé en grand nombre.

Effort maximal de recrutement russe mais qui va vite atteindre ses limites. Les Russes doivent regretter de ne pas disposer d’unités de réserve professionnelle nombreuses, bien formées et équipées pour être capable de monter en puissance rapidement (nous aussi on devrait le regretter).

Sentiment à regarder les images des combats que les VDV et spetsnaz sont les seuls fantassins russes qui se battent.

Théorie : emploi des armes biologiques et chimiques

On ne sort d’un blocage militaire qu’en injectant des ressources massives et/ou en innovant, c’est-à-dire en faisant des choses nouvelles.

Du côté russe, l’injection de ressources nouvelles, surtout humaines, va trouver rapidement ses limites sauf à déclarer officiellement la guerre et décréter la mobilisation générale (ce qui serait en soi une innovation).

Une autre possibilité évoquée serait l’emploi d’armes biologiques et chimiques. Ecartons le biologique, beaucoup trop incertain et aux effets éventuels à long terme. Reste le chimique.

L’emploi de l’arme chimique provoquerait des dégâts politiques, moindres que l’emploi du nucléaire, mais quand même très graves quand même sur la scène internationale. Pour un tel prix assurément élevé, les résultats seraient à en attendre seraient sans doute limitées.

D’un point de vue tactique, une attaque chimique sur une zone tenue par l’armée ukrainienne peut avoir un effet indéniable si elle s’effectue par surprise sur une troupe non préparée, qui sera sans doute obligée de se replier en catastrophe. Une fois utilisée, tout le monde sera prévenu et se préparera en conséquence en présupposant que les Ukrainiens disposent d’équipements adéquats. Les effets des futures attaques seront alors bien moindres.

Une attaque surprise n’a d’intérêt que si elle s’effectue à grande échelle, mais la préparation d’une attaque chimique à grande échelle peut difficilement être dissimulée, sauf peut-être par l’emploi de missiles. Elle est donc peu probable, surtout si pour la justifier les Russes « découvrent » des projets d’emploi de la part des Ukrainiens, ce qui sera immédiatement interprété comme un signe annonciateur.

Très rapidement donc, l’emploi tactique de l’arme chimique perd de son intérêt devant un défenseur préparé, d’autant plus que l’attaquant doit lui-même prendre des précautions. Avec un bon niveau tactique, on peut imaginer des procédés sophistiqués de combinaisons d’emploi de chimique volatil sur des zones qui seront attaquées dans les minutes qui suivent la fin de l’effet, de persistant liquide sur les lignes de cloisonnement, etc. à la manière des armées de 1918. Il y a de gros doutes sur la capacité actuelle russe à mener de telles opérations complexes. En bref, un intérêt tactique limité.

Reste la terreur des populations. C’est possible, là encore jusqu’à l’adoption de pratiques qui en diminueront les effets. Mais là encore pour avoir un effet décisif, la panique et la capitulation d’une ville, il faut employer une grande quantité de moyens et plus encore que pour une attaque de position militaires : des obus chimiques par centaines voire milliers ou des missiles, des épandages. C’est possible, au moins une fois pour s’emparer d’une grande ville, après ce sera plus compliqué. Mais quelle horreur et quel effet dévastateur dans les opinions publiques, peut-être même russe, et chez les alliés de la Russie.

A ce stade, cela ne paraît pas valoir le coup. Quitte à massacrer, l’artillerie, l’aviation et la missilerie russes ont encore beaucoup de réserves.