mercredi 15 janvier 2025

L' Ukraine et la GRH de guerre

Les nations anticipent rarement avoir à mener des guerres longues et s’obligent donc, le plus souvent, à improviser la manière de gérer les hommes qui la font. La réussite de cette gestion des ressources humaines « de guerre » conditionne ensuite largement celle des forces armées sur le front. Une des infortunes de l’Ukraine est qu’elle n’a pas réussi à dépasser les dysfonctionnements de son État pour instaurer une GRH de guerre aussi efficace qu’elle aurait dû et pu être. Il est désormais bien tard, mais tout n’est pas perdu pour autant, à condition de prendre des mesures fortes.

Maintenir le capital humain dans le chaos

Le but premier de la GRH de guerre est de maintenir le capital humain des grandes unités sur le front. Il ne s’agit pas simplement de remplacer « homme pour homme » toutes les pertes, mais uniquement celles qui sont définitives : tués, prisonniers, disparus et blessés graves. Pour le reste, plus de la moitié des absents des unités sont des blessés légers, qui sont normalement destinés à revenir dans les rangs, en permissions ou en formation si la situation le permet, ou enfin des déserteurs de plus ou moins longue durée. Les unités sur le front, comme les brigades ukrainiennes, sont donc déjà systématiquement en sous-effectif par rapport à leur structure réglementaire, censée représenter l’organisation tactique optimale. On peut imaginer, comme dans certaines armées du passé, faire appel à un pool d’ « intérimaires » pour combler, au moins temporairement, ces trous. Cependant, outre que c’est un exercice très délicat sous le feu, les unités ukrainiennes n’ont pas le luxe de ce surplus.

Une fois que l’on a une idée des besoins humains, il faut ensuite s’efforcer d’envoyer les bons individus au bon endroit, et donc associer des compétences à des postes, avec cette difficulté supplémentaire que les postes peuvent aussi changer au cours d’une guerre longue. De nouvelles spécialités peuvent émerger, comme l’emploi des drones, qui nécessitent de plus en plus de personnel. D’autres peuvent au contraire décliner, car devenues moins utiles ou simplement parce qu’à effectifs constants ou croissants faiblement, on ne peut satisfaire tout le monde. On assiste donc le plus souvent à une bataille des spécialités pour obtenir la meilleure part possible d’une ressource humaine presque toujours insuffisante à toutes les satisfaire en volume et en qualité.

Il s’agit de mette en place ensuite une structure de recrutement et de formation à l’arrière capable de satisfaire ces besoins humains changeants et cette structure elle-même a besoin de ressources matérielles, des camps et des équipements d’instruction, et surtout humaines, des cadres en particulier. Cette structure arrière entre donc elle-même dans l’équation complexe de l’allocation des ressources humaines en compétition avec toutes les autres. Elle s’efforce ensuite de « produire » des soldats au cours de formations plus ou moins longues, avec cette contradiction permanente entre l’urgence et la qualité, et dans le cas ukrainien avec la menace permanente de frappes aériennes dès qu’une concentration d’hommes peut être repérée par l’ennemi. Par principe ces formations arrière se trouvent presque toujours en décalage avec les évolutions très rapides sur le front et nécessitent des formations complémentaires assurées par les grandes unités réceptrices. On s’efforce alors de transformer des bleus en individus capables d’assurer un nouveau métier dans les dangers du front. L’affaire est donc extrêmement complexe et d’autant plus délicate que l’on traite là non seulement de métiers et de compétences mais aussi de la vie et de la mort. Elle nécessite donc un réseau particulier permettant d’ajuster le moins mal possible la demande du front et l’offre de l’arrière. La forme idéale que doit prendre ce réseau est bien connue depuis la Première Guerre mondiale et disons-le tout de suite, l’armée ukrainienne en est très éloignée.

La meilleure manière de gérer ce désordre obligatoire est de disposer d’état-major intermédiaires entre les unités engagées directement sur le front et l’état-major général ou le ministère à l’arrière, et qui servent de relais et de transformateurs. Ces états-majors, de division ou de corps d’armée dans le cas ukrainien, doivent gérer simultanément les opérations des brigades qu’elles commandent et en même temps s’efforcer d’assurer leurs besoins dans tous les domaines. Ces états-majors permanents connaissent les unités qu’ils commandent, d’autant plus que les officiers qui les arment en sont issus ou y sont affectés. Ils connaissent donc leurs besoins et sont capables de les traduire à l’arrière, dans leur province d’affectation, en recrutements et formations les plus adaptés possibles, car c’est aussi leur intérêt à l’avant d’avoir des brigades efficaces. Rien de tel en Ukraine, où la plupart des brigades sont commandées par des états-majors ad hoc, dont les officiers, tournants pour quelques mois, ne connaissent rien des unités qu’ils commandent et sont surtout là pour éviter les problèmes. Le soutien, et notamment la GRH, leur échappe complètement, étant géré par l’administration centrale et les provinces. Circonstance très aggravante : dans ce système encore très soviétique, où l’aveu d’une erreur, d’une faiblesse ou d’un échec est synonyme de sanction, l’information remontant la hiérarchie est très souvent fausse, ce qui est source à la fois de nombreux problèmes opérationnels et d’un accroissement du désordre dans la gestion. La confiance n’excluant pas le contrôle, l’armée française de la Première Guerre mondiale doublait le processus normal de comptes rendus du bas en haut par un service de contrôle du haut en bas assuré par des inspecteurs généraux ou de spécialités et des officiers de liaison du Grand Quartier Général. Ce n’est pas le cas en Ukraine.

Au bout du compte, on demande aux provinces ukrainiennes de remplir des quotas de recrutement mais elles ne sont pas directement concernées par le résultat final de leur recrutement. Le problème premier consiste donc à réaliser ces chiffres avec des volontaires et des conscrits. Les premiers sont évidemment beaucoup plus rares qu’en 2022 et, au-delà d’un patriotisme toujours évident, sont largement motivés par la possibilité de choisir leur affectation, qui se trouve rarement en première ligne dans l’infanterie. Le choix des seconds ressemble beaucoup à la conscription par tirage au sort du XIXe siècle, où on ne retient finalement que les « mauvais numéros », ceux qui ne peuvent pas payer. On envoie ensuite ces mauvais numéros dans les centres de formation de base plus ou moins actifs cette population de pauvres et de « vieux », puisqu’il s’agit aussi des conscrits en moyenne les plus âgés de l’histoire. Les plus qualifiés sont plutôt envoyés dans les armes les plus techniques, tandis que les moins qualifiés apprennent qu’ils vont rejoindre l’infanterie, là où l’on meurt ou où l’on se fait mutiler en masse. Comme la surveillance et la coercition sont assez faibles en Ukraine, on comprend qu’il puisse y avoir une certaine évaporation avant d’arriver dans les bataillons d’infanterie, qui restent ainsi toujours aussi désespérément usées et en sous-effectif et c’est bien le problème majeur.

La crise de l’infanterie ukrainienne

Le triple problème de l’infanterie ukrainienne, comme beaucoup d’autres infanteries dans l’histoire, est qu’elle est à la fois indispensable, négligée et mortelle. Indispensable, car ce sont les fantassins qui assurent la principale charge de la conquête, du contrôle et de la tenue du terrain. Négligée, car les fantassins sont souvent considérés comme les ouvriers non qualifiés du combat — grave erreur — et sont les derniers servis dans les programmes d’équipement ou les affectations de recrues. Mortelle enfin, car l’infanterie subit environ 70 % des pertes en Ukraine (comme dans pratiquement toutes les guerres modernes), ce qui rend l’apprentissage sur le terrain difficile et l’ensemble de la tâche peu attractif. Les unités d’infanterie ont ainsi beaucoup plus de mal à monter en gamme que les autres, car pour capitaliser sur l’expérience, il est préférable de survivre.

En résumé, l’armée sur le front demande surtout des fantassins – il en manque peut-être 80 000 en Ukraine – alors que l’arrière a beaucoup de mal à lui en envoyer. Les besoins sont tels que les brigades d’infanterie – c’est-à-dire majoritairement composées de fantassins – doivent de plus en plus faire appel à des artilleurs, logisticiens ou autres non-fantassins pour combler les trous dans les compagnies d’infanterie. C’est une triple catastrophe. Cela affaiblit d’autant les indispensables unités d’appui et de soutien autour des bataillons d’infanterie, cela réduit la confiance des volontaires dans le système puisqu’ils peuvent être finalement affectés à des unités où ils ne veulent pas aller. Surtout, cela produit plus de pertes et de désertions que de bons fantassins.

Engagés sans compétences – et le combat d’infanterie en exige beaucoup – et sans confiance réciproque avec des camarades de combat qu’ils ne connaissent pas, les bleus envoyés directement sur le front meurent ou s’effondrent en moyenne quatre fois plus que les anciens placés dans les mêmes conditions. On avait compris cela dès le début de la Première Guerre mondiale, où les divisions d’infanterie françaises avaient mis en place des bataillons de dépôt à l’arrière pour apprendre progressivement le front aux nouveaux. Les Ukrainiens ont mis du temps à retrouver ces principes, ce qui témoigne encore du problème du retour d’expérience et de la circulation de l’information. Ils n’en ont pas encore forcément tiré toutes les conclusions. De leur propre initiative, plusieurs brigades ukrainiennes ont créé leur propre bataillon de formation, mais il faudrait que cela puisse se passer un peu plus en arrière, au niveau des divisions ou des corps d’armée permanents, qui comme on l’a vu n’existe pas à quelques exceptions près comme celui des marines.

L’Ukraine a par ailleurs fait le choix de former 14 brigades d’infanterie nouvelles plutôt que de renforcer les anciennes. Cela peut s’expliquer par la nécessité de disposer d’une réserve stratégique permettant de faire face aux problèmes urgents, de saisir éventuellement des opportunités offensives ou simplement de permettre aux brigades de se reposer et se reconstituer à l’arrière. Il s’agit aussi de constituer des produits d’appel à l’aide matérielle occidentale. C’est probablement une erreur. Le combat est avant tout une affaire de qualité humaine. Même si, sur le papier, les choses peuvent apparaître semblables, une brigade d’infanterie expérimentée l’emportera toujours sur une brigade constituée à partir de rien, avec, comme pour la brigade de Kiev, seulement 150 hommes sur les 2 400 déployés en France avec plus d’un an d’expérience militaire (et encore, pas d’expérience du combat). Quitte à créer de nouvelles brigades, autant les former à partir d’anciennes qui seront doublées et dont on tirera les cadres parmi les anciens.

Une bureaucratie qui doit se transformer en méritocratie

Sans grande surprise, on s’aperçoit historiquement qu’une armée encadrée par des gens qui ont fait leurs preuves au feu est plus efficace qu’une armée encadrée uniquement par des gens qui ont réussi un concours à vingt ans et ont ensuite monté mécaniquement la hiérarchie. Trois des plus belles armées de la France, sous le 1er Empire, en 1918 ou à la Libération, sont des armées qui ont fait exploser le carcan administratif pour faire place à des hommes souvent jeunes et toujours courageux, énergiques et excellents tacticiens. Cela ne s’est pas fait sans douleur, mais cela s’est avéré indispensable et très efficace.

L’armée ukrainienne comme l’armée russe ont commencé la guerre avec des cadres supérieurs issus du monde post-soviétique, avec son mélange de rigidité à l’ancienne et de clientélisme nouveau, la pire combinaison possible. Il a manqué ensuite à l’Ukraine un Joffre remplaçant 40 % des généraux en exercice en 1914 par des officiers ayant réussi l’épreuve initiale du feu. Il est vrai que Joffre, contrairement à Zaloujny ou Syrsky, avait une vue à peu près claire de ce qui se passait sur le front. Aussi l’Ukraine compte-t-elle toujours dans ses rangs des commandants de brigades ou de bataillons incompétents mais qui parviennent à le cacher. Il faut là encore imaginer les ravages opérationnels et psychologiques d’une telle situation à l’intérieur même des brigades mal commandées ou dans celles d’à côté, qui découvrent par exemple que leur voisine a soudainement décroché de sa position sur le front, parfois parce que les hommes en ont marre de leur chef imbécile et se sont repliés d’eux-mêmes. Une bonne partie des quelques succès russes d’importance est le résultat de tels problèmes de mensonges et de mauvaise coordination par des états-majors qui ont une connaissance très imparfaite de ce qui se passe réellement.

En résumé, il est probable que le principal gisement de ressources pour les Ukrainiens ne soit pas forcément l’aide occidentale, mais bien la gestion de leurs hommes et de leurs femmes sous l’uniforme. Quand on voit le courage de l’immense majorité des soldats ukrainiens et l’ingéniosité de certaines unités, on se plaît à imaginer ce que donnerait la même armée avec une structure de commandement bien organisée et transparente, mais aussi des décideurs politiques courageux capables de prendre des mesures impopulaires dans l’opinion et douloureuses dans l’administration. Le chantier est déjà engagé, mais l’inertie et les résistances sont telles que les progrès sont très lents alors que les hommes tombent et que les Russes pressent sur le front.

Ajoutons pour conclure qu’il serait bon aussi que les forces armées françaises et la nation dans son ensemble se posent quelques questions sur ce qui se passerait si nous étions placés devant la même situation.

jeudi 9 janvier 2025

La paix et l'épée

Tout est affaire de rapport de forces à la guerre. Pour les Ukrainiens en guerre, la seule perspective d’obtenir une « meilleure situation à la fin » est de modifier le rapport de forces militaires en 2025 afin de reprendre l’offensive en fin d’année et de libérer le plus possible de territoire occupé. À défaut de pouvoir modifier ce rapport de force, il n’y aura sans doute pas d’autre option stratégique pour Kiev que de limiter les dégâts en négociant la moins mauvaise paix possible.

Partisan affiché d’un règlement rapide du conflit ou du moins d’un arrêt prolongé des combats, Donald Trump a clairement indiqué son intention de forcer l’exécutif ukrainien à privilégier la mauvaise paix immédiate à la possible victoire lointaine. Les États-Unis fournissant environ la moitié de tous les équipements et munitions qu’utilisent les soldats ukrainiens, il lui suffira de réduire cette aide pour rendre la victoire impossible pour eux. Les États européens, qui tous ensemble ne fournissent qu’environ 30 % de l’aide militaire à l’Ukraine et sans grande possibilité d’en augmenter le volume, sont quant à eux plus ou moins obligés de suivre le mouvement quel qu’il soit. Tout en donnant toujours l’image d’un soutien ferme à l’Ukraine dans la poursuite de son combat, ils anticipent déjà d’avoir à jouer un rôle dans l’application d’une forme de paix possible.

À travers plusieurs déclarations de son entourage, la forme de paix envisagée par le nouveau président des États-Unis semble être un armistice sur les positions actuelles en Ukraine. Il n’est pas du tout évident que Vladimir Poutine accepte cette idée alors que ses troupes ont l’initiative des opérations et que rien ne l’oblige vraiment à s’arrêter là, mais Volodymyr Zelensky a déjà commencé à y préparer son opinion publique en évoquant la fin possible de la « phase chaude » de la guerre, remettant à une phase « diplomatique » (entendre « hypothétique ») la libération des territoires occupés.

Tout en continuant le combat afin au moins d’arrêter l’avancée russe, le président ukrainien s’efforce désormais d’obtenir en échange de l’arrêt éventuel des combats de véritables garanties de sécurité contre la Russie là où Donald Trump et son entourage n’envisagent que des garanties de respect de l’armistice et sans participation américaine. On a vu rétrospectivement la valeur des garanties de sécurité purement théoriques données à l’Ukraine en échange de son renoncement à son arsenal nucléaire dans le mémorandum de Budapest en 1994. Il ne peut y avoir de vraies garanties de sécurité sans soldats présents sur le territoire. Alors même que les éventuelles négociations ne sont pas commencées, on explore donc déjà l’hypothèse d’un déploiement de forces en Ukraine tout de suite après l’arrêt des combats et on voit déjà assez clairement les fortes limites de l’exercice.

Le premier problème est celui du volume de forces nécessaire, sachant que là encore les États-Unis, qui ont fourni 80 % des moyens des coalitions sous leur direction depuis 1990, ne veulent pas en être. L’entourage de Donald Trump évoquait 200 000 soldats déployés le long du front en Ukraine et de la frontière avec la Russie. C’est évidemment irréaliste, mais il faudra sans doute réunir une masse d’environ 40 à 50 000 hommes, compte tenu de l’immensité de l’espace à couvrir, ce qui nécessitera la constitution d’une force coalisée, soit onusienne afin de faire venir des contingents du monde entier, soit européenne avec une large participation des membres de l’Union et peut-être quelques États extérieurs. Le plus important n’est cependant pas de réunir ces hommes mais bien de savoir à quoi ils serviront.

La première idée serait de « maintenir la paix » en s’interposant entre les belligérants, à la manière de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) depuis 1978. Une mission onusienne serait forcément de ce type, avec la formation par exemple d’une Mission des Nations Unies en Ukraine (MINUKR), mais pourrait être également européenne, le point commun étant de toute façon qu’elle ne servirait à rien, comme effectivement toutes les autres missions évoluant dans le cadre du chapitre VI de la Charte des Nations Unies. Quand on n’a pas le droit de combattre sauf en légitime défense, on ne protège rien d’autre que soi-même (au mieux) et une telle force n’empêcherait pas plus les Russes de pénétrer en Ukraine que la FINUL avec les Israéliens au Liban. Cette force inutile pourrait donc recevoir l’aval de la Russie, et de toute façon on n’imagine pas le déploiement d’une force en Ukraine sans l’accord des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la Russie. Cela pourrait satisfaire aussi les États-Unis, qui de toute façon ne participent jamais à ce genre de force, ainsi que les États européens, comme l’Allemagne ou l’Italie, qui eux au contraire aiment bien y participer lorsqu’ils veulent montrer qu’ils font quelque chose « pour la paix » mais sans prendre de risques, même si tout déploiement militaire prolongé, même le plus inoffensif – à tous les sens du terme – implique des pertes. La mise en place d’une telle force n’offrirait en revanche aucun intérêt pour les Ukrainiens. On ne voit pas dès lors pourquoi ils l’accepteraient.

Les Ukrainiens préféreraient, et de loin, une force de protection, autrement dit une force qui combattrait en cas d’attaque russe, à la manière des bataillons déployés dans le cadre de la présence avancée renforcée de l'OTAN sur son flanc Est. Notons dans ce cas que les pays volontaires seraient beaucoup moins nombreux. Il s’agirait sensiblement des mêmes qui envisageaient il y a peu d’envoyer éventuellement des soldats en soutien à l’arrière des forces ukrainiennes. On aurait ainsi probablement une brigade française de quelques milliers de soldats, peut-être une britannique et des brigades multinationales avec des bataillons baltes, scandinaves et polonais, peut-être canadiens. Il n’y aurait sans doute pas de quoi réunir 40 000 hommes, mais à la limite peu importe puisque cela signifierait surtout que les États fournisseurs s’engageraient de fait à entrer en guerre avec la Russie si celle-ci attaquait et tuait leurs soldats. Ce serait effectivement pour le coup très dissuasif, et les Ukrainiens ne manqueraient pas de rappeler qu’un tel déploiement réalisé avant février 2022 aurait sans doute empêché la guerre. On imagine cependant les débats internes difficiles dans les pays européens avant de s’engager dans ce qui serait une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN de fait, sinon en droit. Inutile de préciser que si l’Ukraine serait sans doute très heureuse de cette solution, il n’en serait pas de même de la Russie et on ne voit pas très bien dans ce cas comment Vladimir Poutine l’accepterait.

En conclusion, on est encore loin d’un armistice quelconque en Ukraine et encore plus loin d’un déploiement de forces étrangères visant à le faire respecter.


samedi 14 décembre 2024

Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

Si l’on faisait défiler la carte de la guerre civile en Syrie depuis le 15 mars 2011, semaine après semaine, on verrait 681 images montrant des taches de couleur changeantes, puis un fort ralentissement à partir de la 400e, pour finalement ne pratiquement plus bouger jusqu’à la 682e. À ce moment précis, en une seule image, la couleur du camp assadiste serait remplacée par celle de la rébellion arabe sunnite.

Les effondrements rapides sont assez courants dans l’histoire des guerres, mais un effondrement aussi soudain survenant après des années de conflit lent ou même figé est très surprenant. Comme pour toutes les surprises stratégiques, cela mérite qu’on s’y intéresse en revenant loin en arrière.

Le problème des trois camps et Assad sauvé une première fois

Rappelons tout d’abord que le conflit syrien n’est pas un problème stratégique classique à deux camps, où l’action réciproque se fait à somme nulle et où une partie finit par imposer sa volonté à l’autre pour aboutir à une paix plus favorable. Le conflit syrien est un cas assez exceptionnel de conflit mosaïque, où plusieurs camps s’affrontent simultanément avec des configurations changeantes d’alliances et de rapports de force, d’autant plus complexes que plusieurs acteurs extérieurs sont intervenus. C’est une des raisons principales de la longue durée de ce conflit : la possible défaite définitive d’un des camps suscite des réactions étrangères mais aussi internes, finissant souvent par le sauver.

La guerre en Syrie a commencé par l’opposition de deux camps : le camp loyaliste au régime, s’appuyant surtout sur la minorité alaouite et la majorité de la bourgeoisie de toute origine, et disposant de la majorité des organes de force — que l’on appellera l’AAS (Armée arabe syrienne) pour simplifier —, contre ce que l’on va appeler par commodité la rébellion arabe sunnite (RAS), en réalité une multitude de groupes armés plus ou moins bien équipés. Les deux camps sont imbriqués géographiquement : l’AAS contrôle fermement la zone côtière alaouite, tandis que la RAS domine l’est du pays, à l’exception de quelques poches comme Deir-er-Zor. Mais les choses les plus importantes se passent sur l’axe de l’autoroute M5 ou à proximité, avec son chapelet de grandes villes — Alep, Idlib, Hama, Homs, Damas, Deraa — que se disputent loyalistes et rebelles. C’est sur cette bande nord-sud de 500 km de long sur 100 de large que se situeront la très grande majorité des combats de la guerre.

Un troisième camp se forme très rapidement avec le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde, qui, contrairement à la RAS, est un mouvement unifié. Le PYD prend le contrôle des provinces frontalières de la Turquie jusqu’à l’Irak. Affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, il se tient à l’écart des combats entre loyalistes et Arabes sunnites.

La RAS, initialement très disparate, finit par former des fédérations de groupes comme l’Armée syrienne libre (ASL), plutôt nationaliste baasiste, le Front islamique pour la libération de la Syrie (FILS), à dominante Frères musulmans, ou le Front islamique syrien (FIS), salafiste. Ces formations reçoivent une aide importante des monarchies du Golfe et de la Turquie selon leur obédience salafiste ou frériste, et plus timidement des pays occidentaux qui tâtonnent. Le printemps 2012 voit également la création du « Front pour la victoire » (Jabhat al-Nosra, JAN), sous la direction d’Abou Mohammed al-Joulani, venu des rangs de l’État islamique en Irak (alors branche d’Al-Qaïda), rejoint par des djihadistes syriens souvent libérés par le régime l’année précédente. Tous ces ensembles sont rivaux dans l’allocation des ressources, mais coopèrent contre le régime.

Ce combat imbriqué entre forces hétérogènes n’est pas fait de grandes manœuvres, mais d’une multitude de petits combats qui, au tournant de l’année 2013, donnent de plus en plus l’avantage à la rébellion arabe sunnite. L’Euphrate, les provinces d’Idlib et de Deraa (avec la participation des Druzes) passent presque entièrement sous le contrôle des rebelles, qui prennent également de plus en plus le dessus dans les villes du centre. Le régime est sauvé une première fois par l’intervention de l’Iran, via le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique-Force Qods, qui regroupe les gangs chabiha, les milices d’autodéfense locales et importées au sein des Forces de défense nationale, et surtout engage le Hezbollah et les Pasdarans de la division Sabin dans une contre-offensive.

L’intervention iranienne en Syrie suscite également celle d’Israël, qui n’hésite plus désormais à frapper sur le territoire syrien, en particulier près du Golan. En revanche, le refus américain de s’engager fin août 2013, après l’emploi d’armes chimiques sur le quartier rebelle de la Ghouta, discrédite les pays occidentaux auprès de la rébellion, qui recule et se reconfigure sous l’égide de nouvelles fédérations plus radicales.

Le problème à quatre camps et Assad sauvé une deuxième fois

La période voit également l’apparition en Syrie de l’État islamique. En sommeil depuis ses défaites de 2007, l’État islamique en Irak renaît soudainement à l’occasion du mouvement de révolte sunnite en Irak, durement réprimé et dont il se nourrit. Fin 2013, l’État islamique en Irak, devenu un temps aussi « au Levant », rompt avec JAN et avec Al-Qaïda. Le nouvel État islamique devient alors l’ennemi de tout le monde, mais il obtient des succès rapides, s’emparant de presque tout l’Euphrate syrien et irakien, approchant Alep d’un côté et tenant Falloujah de l’autre, ainsi que le désert syrien et Mossoul en Irak. Le régime de Damas, mais également la Turquie, ne sont pas mécontents de voir ce nouvel acteur affronter la rébellion arabe sunnite à l’arrière puis les Kurdes.

Ces victoires fulgurantes de l’EI et la création du califat ont au moins pour effet de faire réagir les États-Unis, qui organisent en 2014 une coalition pour lutter contre lui en Irak et en Syrie. Les États-Unis réussissent à former les Forces démocratiques syriennes (FDS), associant l’armée kurde (PYG) avec certains groupes arabes et assyriens, et installent la base d’al-Tanf au point de jonction des frontières de la Syrie, de la Jordanie et de l’Irak. La coalition américaine, avec une participation française, appuie les FDS et l’armée irakienne dans la lente reconquête des villes tenues par l’EI. En Irak, elle se retrouve alliée de fait avec la Force Qods, qui chapeaute les Unités de mobilisation populaires (Hachd al-Chaabi) chiites irakiennes. Les deux capitales de l’EI, Raqqa et Mossoul, sont reprises en 2017, et le califat est définitivement détruit fin 2018.

Pendant ce temps, l’association d’al-Nosra et d’Ahrar al-Sham, les deux mouvements rebelles syriens les plus puissants, ainsi que plusieurs autres factions au sein de l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah), change la donne au nord du front M5 avec l’aide de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. L’AAS subit une défaite humiliante dans sa tentative de dégager Alep, tandis que la contre-attaque de l’Armée de la conquête permet aux rebelles de s’emparer de la province et de la ville d’Idlib et de menacer le port de Lattaquié. Très affaiblie, l’AAS est repoussée de Palmyre par l’EI, qui s’approche d’Homs. L’anticipation est une nouvelle fois à la défaite, et l’AAS commence à se désagréger tandis que le régime se déchire à Damas.

Cette fois, c’est la Russie qui sauve Assad en déployant, en septembre 2015, une puissante force anti-aérienne afin de protéger le régime de toute velléité américaine de campagne aérienne, et surtout une très puissante escadre de 70 aéronefs, chasseurs-bombardiers et hélicoptères d’attaque pour l’essentiel, sur la base de Hmeimim, ainsi que l’appui de l’escadre navale installée à Tartous et l’intervention de bombardiers depuis la Russie. La Russie déploie aussi quelques forces terrestres en soutien et appui à ses opérations, dont la société Wagner. Elle prend également un rôle très important dans la conduite des opérations, allant jusqu’à prendre directement le commandement des groupes du 5e corps d’armée de l’AAS. Forte de ce soudain soutien, l’AAS renforcée se dégage et entreprend le long siège d’Alep. Le siège est également l’occasion de la première intervention directe de la Turquie, qui s’empare, avec l’Armée nationale syrienne (ANS), dont Ahrar al-Sham, de la zone kurde au nord d’Alep entre le deuxième semestre 2016 et le printemps 2017, avant de s’attaquer à la province kurde d’Afrin au début de 2018.

La prise d’Alep en décembre 2016 est un point de bascule. L’anticipation générale se modifie, cette fois en faveur du régime, dont on ne voit plus comment il pourrait être vaincu avec le soutien russe. L’effort militaire se porte sur l’est du pays dans une course de vitesse avec les FDS et les Américains, tandis qu’un accord entre la coalition pro-Assad et la Turquie aboutit en mai 2017 à la formation de « zones de désescalade » — Idlib, Rastane entre Homs et Hama, Ghouta orientale (près de Damas) et Deraa — où l’on estime au moins possible de faire cesser les combats. Les rebelles sont désormais incapables de mener des opérations offensives autonomes d’une grande ampleur.

En 2018, après un violent combat entre Wagner et les forces américaines, les limites se figent à l’est du pays entre les FDS et l’AAS. Elles se figent également au nord-est, fin octobre 2019, après l’annonce d’un retrait partiel américain, suivi immédiatement d’une nouvelle offensive turque anti-kurde dans la zone de Tell Abyad à Ras al-Aïn. La moitié ou presque du Rojava, cette longue bande de 50 km de large occupée par les Kurdes le long de la frontière turco-syrienne, est entre les mains des Turcs et de leurs mercenaires arabes. Des forces américaines restent dès lors dans l’est du pays et sur la base d’al-Tanf pour continuer la lutte contre ce qui reste de l’EI et peser sur la route de l’« axe de la résistance » de Téhéran à Beyrouth via la Syrie. L’année est aussi marquée par une campagne de frappes israéliennes au printemps 2018 contre les Gardiens de la Révolution ou lors de l’attaque américano-franco-britannique en avril, après un nouvel emploi d’armes chimiques par l’AAS.

Au grand dam de leurs alliés, les Russes laissent faire. Ces interventions étrangères n’empêchent pas l’AAS, avec le Hezbollah en fer de lance et l’appui de l’armée russe, de s’emparer des « zones de désescalade » : la Ghouta en avril 2018, Rastane en mai et Deraa en juin, où le Front du Sud reste néanmoins présent en échange de la remise de ses armes lourdes sous l’égide russe (et non iranienne, à la demande d’Israël) et de l’acceptation de l’administration de Damas.

Reste la poche d’Idlib. Celle-ci, qui a accueilli beaucoup de réfugiés et de combattants rebelles arabes sunnites en échange des redditions des villes, est beaucoup plus résistante que les autres, d’autant plus qu’elle est limitrophe de la Turquie. Au deuxième semestre 2018, il y a au moins 50 000 combattants rebelles dans la poche : Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ex-JAN, ex-Fatah al-Cham, et le Front national de libération, pro-turc, forment les organisations les plus puissantes.

L’offensive de l’AAS, lancée en septembre 2018, s’achève en mai 2019 sans résultat. L’AAS reprend l’offensive plus violemment en décembre 2019, provoquant la fuite d’un million de réfugiés en Turquie et, en retour, une intervention de l’armée turque, qui s’accroche avec les forces russes et inflige, début mars 2020, une sévère défaite à l’AAS. Le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie signent un accord qui gèle la situation dans la région.

De la drôle de paix à la guerre éclair

Commence alors une « drôle de paix », où les positions ne bougent plus entre les différents camps, mais sont régulièrement frappées par des attaques aériennes d’avions ou de drones turcs contre les positions kurdes ou entre HTC depuis Idlib (dont l’attaque de l’Académie militaire d’Homs en octobre 2023) avec la réponse de l’AAS. La vraie bataille est alors celle de l’administration, et là, HTC s’impose clairement à Idlib. Sous la direction pragmatique d’al-Joulani, HTC parvient à prendre le contrôle du territoire, à imposer son autorité aux autres groupes, et à gérer, avec les ONG et les conseils locaux, l’administration d’une population qui a pu atteindre quatre millions sur l’équivalent d’un département français, notamment face aux crises du COVID-19 et du tremblement de terre de février 2023.

À l’inverse de la violence d’Al-Qaïda en Irak/EII envers les « déviants » musulmans et les minorités, qui avait provoqué un rejet général, y compris de l’opinion arabe sunnite, al-Joulani renouvelle une forme de statut de dhimmis aux Druzes et aux chrétiens, en les autorisant à pratiquer leur culte sous conditions (un statut bien supérieur à celui des chrétiens en Arabie saoudite, par exemple). Contrairement à Al-Qaïda, avec qui il a rompu en 2016, ou à l’EI, Mohammed al-Joulani ne prône plus le jihad international, jugé contre-productif. Par analogie au communisme soviétique, on pourrait parler de « salafisme dans un seul pays », en attendant la suite. Toujours est-il que cela réussit à Idlib, et que le contraste avec la gestion misérable, corrompue, inefficace et sous l’égide de la peur de l’administration du régime d’Assad est frappant. L’économie syrienne s’enfonce, hormis celle du captagon, et jamais le décalage entre la misère du peuple et le luxe des élites n’a été aussi grand.

Outre cet avantage comparatif incontestable lorsqu’il s’agit de conquérir les cœurs et les esprits, la « zone libérée » d’Idlib, là encore par comparaison avec les guérillas marxistes, est aussi le point de départ d’une montée en puissance militaire. Là où l’AAS, corrompue, tombe graduellement en déliquescence, HTC et les groupes alliés montent en puissance, s’entraînent et préparent une future offensive.

L’invasion russe en Ukraine, en février 2022, est le premier domino dont la chute va, des années plus tard, provoquer celle d’Assad, en absorbant progressivement toutes les forces russes présentes en Syrie, réduites à une dizaine d’appareils en 2024 et à des capacités d’intervention limitées. L’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël est le deuxième domino agissant depuis un autre axe. Dès le 7 octobre, l’Iran apporte son soutien au Hamas, et le Hezbollah commence à lancer des roquettes sur le nord d’Israël dès le lendemain. Ce soutien reste timide, car l’Iran ne veut pas d’une guerre à grande échelle contre Israël ou les États-Unis, mais il est suffisant pour donner un prétexte à Israël pour frapper sans retenue en Syrie.

Depuis le 8 octobre, l’artillerie ou surtout l’aviation israélienne frappe presque quotidiennement en Syrie contre les infrastructures ou les personnalités de la Force Qods, dont le chef au Levant est tué, ou contre tout ce qui appartient ou peut aider le Hezbollah. Avec l’offensive israélienne à partir de septembre 2024, le Hezbollah subit des coups très violents, perdant ses chefs, plus de 4 000 de ses combattants et une grande partie de son infrastructure. L’organisation n’est plus en mesure d’aider l’AAS, alors que l’Iran ne veut plus non plus le faire, sous peine de subir des dégâts irrémédiables.

En novembre 2024, le roi Assad est nu, mais il ne le perçoit visiblement pas, tout à son intransigeance, malgré les signes de bonne volonté de la Ligue arabe et de la Turquie. Excédé, Erdogan, qui sait forcément ce qui se prépare à Idlib et pourrait sans doute l’empêcher, ferme les yeux, et al-Joulani saisit l’opportunité de ce clignement très bref.

Si on savait le régime stratégiquement très faible, il fallait attendre le révélateur des combats pour connaître le niveau tactique réel des unités. Le nombre ne compte pas vraiment dans les points de contact : on ne s’y trouve que très rarement au-delà du 1 contre 2, et finalement le matériel compte assez peu. Ce qui importe vraiment – la valeur de la structure de commandement, la motivation et la compétence – est souvent peu tangible, d’où la nécessité d’un combat réel pour l’évaluer. À cet égard, l’attaque de la coalition menée par HTC vers Alep ne laisse aucun doute sur l’écart désormais immense entre les unités légères rebelles et les bataillons de l’AAS, un écart qui n’a jamais été aussi grand depuis le début de la guerre.

Avec la conquête très rapide d’Alep le 30 novembre 2024, tout le monde anticipe soudain la victoire possible des rebelles, et c’est là que l’effet d’avalanche commence. Le Front Sud, dominé par l’ASL, se réactive et se lance à l’assaut de Deraa puis de Damas. Ceux qui veulent participer à la victoire viennent grossir les rangs des deux coalitions, nord et sud. Au niveau tactique, à quoi bon combattre dans l’AAS quand on sait que l’on va forcément perdre ? Autant utiliser le numéro de téléphone de ralliement largué par les drones rebelles en avant de leur attaque.

Ne sachant pas encore qu’Assad a déjà prévu de les abandonner lâchement, les unités les plus fidèles, recrutées surtout parmi les Alaouites comme la 4e division blindée de Maher al-Assad, tentent de résister un peu du côté de Hama, mais elles sont rapidement dépassées. La route vers Damas est ouverte. La capitale est prise dans la nuit du 7 au 8 décembre. Le camp loyaliste dans son ensemble a disparu en même temps que son leader.

La rébellion arabe sunnite unie – au moins HTC, l’ASL et tous les groupes affiliés – l’a donc emporté et contrôle désormais tout l’axe M5 et les provinces de la côte, avec une inconnue sur le sort des bases russes. Qu’en sera-t-il maintenant de l’attaque préventive israélienne, détruisant autant que possible tous les instruments de frappe en profondeur de l’AAS et la défense anti-aérienne, mais occupant aussi une zone tampon au-delà du Golan annexé ? Qu’en sera-t-il des zones frontalières occupées cette fois par les Turcs avec l’ANS ? Qu’en sera-t-il surtout de tout le territoire occupé par les FDS ? Les groupes arabes sunnites vont-ils rester subordonnés aux Turcs ou aux Kurdes ou rallier le nouveau pouvoir à Damas ? Le danger est surtout grand pour les Kurdes qui, s’ils perdent la protection américaine – et cela est parfaitement possible avec la nouvelle administration Trump –, seront immédiatement attaqués par les Turcs et peut-être par les Arabes sunnites.

Beaucoup d’inconnues donc, en dehors même de la forme politique que prendra la Syrie centrale. Il est probable, au regard des premiers signaux donnés, que la coalition au pouvoir à Damas veuille passer d’abord par une nouvelle « drôle de paix », afin de consolider sa conquête et d’établir un État « salafiste à visage humain », avant de reprendre le combat au moins pour réunifier le pays.