mardi 24 juillet 2018

Lieutenant-colonel Benalla



Un commandant de Gendarmerie : « Qui êtes-vous ? »
Alexandre Benalla « Vous me manquez de respect »
en montrant son macaron portant le sigle de l’Élysée
et affirmant être en droit de diriger les opérations.


Il y a trois jours, alors que je venais d’apprendre que M. Alexandre Benalla était lieutenant-colonel de réserve spécialisée dans la Gendarmerie, je copiais Frédéric Gallois et et j'écrivais ceci sur Twitter 


A cette heure, à ma grande surprise, ce dernier message a été « apprécié » plus de 11 000 fois et reproduit plus de 6000 fois, ce qui témoignait d’une certaine sensibilité à la question mais aussi d’une grande méconnaissance. Il n'est donc pas inutile d'être plus clair.

Précisons tout de suite que ce tweet n’est pas un étalage héroïque, ma carrière n’ayant strictement rien de tel ni même rien d’exceptionnel. Si certains, gentiment, se sont dit impressionnés, cela témoigne surtout de la méconnaissance du métier militaire. Des tweets comme celui-ci, des milliers auraient pu les écrire et des centaines auraient pu en écrire des bien plus élogieux. Notons cependant que peu se sont lancés dans un concours de longueur…de tweet. C’est heureux car ce n’était, encore une fois, pas le but.

Ce message n’est évidemment qu’une boutade, un peu amère mais boutade quand même.  Contrairement à ce qu’ont pu croire certains commentateurs, visiblement dans le premier degré, en trente et un ans de service, j’ai appris à connaître les différents statuts militaires et notamment ceux des réservistes, même s’il faut bien l’avouer ce n’est pas forcément pas très clair pour tout le monde. 

Les réservistes sont indispensables aux armées car ces liens avec les ressources humaines du reste de la nation leur permettent de monter en puissance. Précisons que ces liens, par économie bien sûr, sont devenus hélas très tenus. Il existe deux types de réservistes opérationnels, c’est-à-dire susceptibles de venir renforcer des formations militaires existantes ou éventuellement d'en former de nouvelles. Les « niveaux 2 » rassemblent tous les militaires (sauf les officiers généraux, nous y reviendrons) qui ont quitté le service actif pendant les cinq années qui suivent ce départ. De fait, cette « RO 2 » n’est jamais sollicitée. J’appartiens à cette RO2 mais quand j'ai quitté l'armée de Terre personne ne m’a jamais demandé ma position et ne m'a dit où je pourrais bien être affecté.

Les « niveaux 1 », entre 25 000 et 30 000 dans les armées ou la gendarmerie, sont seuls réellement appelés…pour 1 à 2 % d’entre eux chaque jour. Au total, à l’instant T, il y a environ 400 à 500 réservistes en tenue militaire dans les rues de France ou plus exceptionnellement en opérations extérieures. Quand vous rencontrez un militaire en tenue, il y a donc un peu plus d’une chance sur mille pour qu’il s’agisse d’un réserviste opérationnel. Pour les Gendarmes, bien mieux organisés en la matière, il y a en environ 2000. C’est peu, très peu même mais c’est une autre question. 

Ces réservistes ont bien sûr un système de formation et un processus d’avancement spécifiques. Un certain nombre d’entre eux sont d’anciens militaires, ce qui est évidemment un plus puisqu’ils disposent déjà de compétences. Pour autant, pour des raisons qui m’ont toujours échappé, ceux-ci ne sont pas forcément privilégiés, sans doute pour ouvrir au maximum au reste de la société des postes en nombre limités. Je n’ai pas le droit moi-même d’appartenir à cette réserve opérationnelle n°1. Bien entendu, quand un réserviste est appelé à servir, il devient par définition actif et rien ne doit le distinguer d’un militaire d’active. Précisons que certains de ces réservistes, particulièrement méritants, peuvent, après leur radiation de service (limite d'âge ou blessure)  conserver à titre honorifique leur dernier grade et la possibilité de porter leur tenue militaire dans les cérémonies. On parle alors de réservistes honoraires (avec un (h) après le grade). 

Il existe ensuite les réservistes citoyens. Après des siècles d’Ancien régime, les Français aiment les grades, titres, diplômes de grandes écoles, que l’on puisse accoler à son nom. Pour ma part, j’aime bien le grade de colonel qui était le mien en fin de carrière, il me rappelle certains super-héros de mon enfance, mais je n’en fais étalage. Pour autant, on me demande régulièrement, quand je suis interviewé par exemple, d’en faire état car « c’est mieux », cela fait plus sérieux, etc.

La Réserve citoyenne est un moyen de distribuer à bon compte (cela n’induit aucune rémunération) des grades et faire plaisir à des individus, élus, journalistes, n’importe qui qui en fait la demande et qui veuille servir la France, sans vouloir ou pouvoir signer un contrat dans la RO1.

La réserve citoyenne est donc un grand club dont les membres n’ont aucune responsabilité, ne touchent aucune arme mais peuvent se voir confier des missions souvent très utiles d'étude ou de conseil. Ses membres ne sont pas en tenue sauf parfois dans la marine. Au bilan, c’est une politique plutôt intelligente, d’autant plus que ce n’est pas coûteux. Ajoutons que contrairement à ce qu’affirme le syndicat de police SCSI-CFDT dans un communiqué, non seulement les personnalités qui appartiennent à cette réserve citoyenne ne le cachent pas mais au contraire en font très largement et très justement état. Ils font partie du fameux « lien avec la nation » qui obsède tant les militaires, les seuls visiblement. Ajoutons que comme dans le cas de Jean-Vincent Placé, ce n’est pas parce qu’on demande à être réserviste citoyen que cette demande est agréée.

Il y a enfin les réservistes spécialistes, qui comme leur nom, sont des personnalités qui disposent de compétences rares (chirurgien, linguiste,  cyberdéfense, médias, etc.) utiles aux armées ou à la Gendarmerie. Les RS sont gradés selon leur niveau de compétence et selon les équivalences militaires (le grade d'un militaire s’il occupait le poste). Autant que je sache ils ne peuvent plus changer ensuite de grade. Précisons qu’ils n’ont par ailleurs aucune formation militaire sauf bien sûr s’ils ont été auparavant réservistes opérationnels ou éventuellement ancien militaire d'active. En tout cas, ce n’est pas lié au statut. Un réserviste spécialiste ne peut exercer de commandement et évidemment ne va pas être engagé au combat (ou dans une mission de maintien de l'ordre). Le RS est normalement en tenue lorsqu'il sert, mais j'ai connu des cas contraires.

Tout cela a une certaine cohérence mais n’est pas forcément très clair, y compris à l’intérieur de l’institution militaire, et c’est là que le bât blesse un petit peu. Le grand public n'y comprend rien et, même en interne, on ne voit pas forcément la différence entre un civil à qui ont a octroyé une charge d'officier, comme dans l'Ancien régime, et un militaire d'active qui aura attendu dix, vingt ou vingt-cinq ans avant d'atteindre le même grade, en admettant qu'il l'atteigne. Cela peut être gênant. Comment serait perçu une officier devenu par exemple Professeur des universités de classe exceptionnelle par équivalence ou Président de chambre ? Peut-être faudrait-il trouver d’autres appellations.

Maintenant, entendons-nous bien, dans l’immense majorité des cas, cette confusion (profusion) des grades ne pose pas de problèmes, surtout quand ces officiers de renfort apportent quelque chose. Bien entendu et nous revenons là à l’affaire qui nous concerne (mais le cas Benalla n’est pas le seul), c’est lorsque cette équivalence de grade est donnée sans qu’il y ait manifestement de compétence associée que cela choque.

Alexandre Benalla a été réserviste opérationnel dans la Gendarmerie mais visiblement le processus d’avancement était trop lent pour un « premier de cordée ». Son contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR) a donc été résilié au profit d’un contrat de spécialiste expert, et le brigadier est devenu d’un seul coup lieutenant-colonel (sans beaucoup de trace au Journal officiel semble-t-il) à l'insu du plein gré de la Gendarmerie qui apparemment n'était pas très chaude. On attend toujours de connaître la compétence rare à l’origine de ce changement miraculeux digne de la « start up nation » chère au Président de la République. Cette compétence était tellement rare que la Gendarmerie n’en aurait jamais eu besoin mais le grade reste et là, on y revient, cela fait un peu mal aux « besogneux » (entendu par des jeunes loups en plastique) qui ont longtemps servi la France pour le recevoir. 

En parlant de trou du cul, on se rappelle de Gérald Darmanin se vantant d’avoir obtenu le départ d’un chef d’état-major des armées, il y a un an. Après les armées l'an dernier, c’est la Police nationale et la Gendarmerie qui sont maintenant insultées par l’existence même du lieutenant-colonel Benalla. 

Colonel (retiré le 31/12/2014) Michel Goya

Merci à Thibaut Poirot

mercredi 18 juillet 2018

Publications

"La guerre du Tchad et l'intervention militaire française (1969-1972" décrit en 24 pages l'évolution de l'opération française Limousin. 

Cette étude est disponible (très bientôt) sur Amazon (2,99 euros) ou en version pdf sur demande (goyamichel@gmail.com). 

Un bouton paypal est disponible en haut et à droite.







"L'art de la guerre dans Starship Troopers" décrit en 17 pages la guerre telle qu'elle se pratique dans le roman de Robert Heinlein et dans l'imaginaire américain des années 1950. 

Egalement disponible en version Kindle sur Amazon ou sur demande.











"La métamorphose des éléphants" décrit en 18 pages la manière dont les armées évoluent. 


Egalement disponible en version Kindle sur Amazon ou sur demande.







Il est en de même de toutes les publications précédentes.






mardi 3 juillet 2018

Jonquille, de Jean Michelin-La vie, la mort, l’humour, le rock


Je suis jaloux de Jean Michelin. J’aurais tellement aimé raconter  l’ « OPEX », cette plongée collective de quelques mois dans un autre univers, parfois paisible, souvent violent et où dans ce dernier cas, le tragique se superpose à l’aventure. Il aurait fallu pour cela prendre des notes, fixer sur le moment les visages, les noms, les mots, les faits, toutes ces petites choses qui font la densité de ce quotidien entourant des pics d'extraordinaire, qui eux pour le coup restent, pour notre malheur parfois, gravés dans les âmes. L’auteur dit avoir écrit pour ne pas oublier, je n’ai pas pour ma part écrit et j’ai franchi depuis longtemps le point au delà duquel la mémoire n’est que reconstitution approximative, injuste et bien souvent trop bienveillante.

Je ne suis pas certain par ailleurs que je l’aurais fait aussi finement que le capitaine Michelin, indicatif Jonquille (substitut chasseur à « une des deux couleurs dont on ne dit pas le nom »). Jonquille donc qui désigne, par identification entre le groupe et son chef, aussi la 3e compagnie du 16e Bataillon de Chasseurs, et qui sont envoyés ensemble dans la province afghane de Kapisa. Nous sommes à l’été 2012 dans une guerre dans laquelle les Français sont présents depuis onze ans et pleinement engagés au combat (plus de 80 % des pertes) depuis presque quatre. C’est alors le début de la fin après une course électorale au retrait le plus rapide, la fin de la mission devenant une…fin en soi, bien plus que son succès. On attend d’ailleurs toujours que le résultat même de l’engagement soit décrit par ceux qui ont envoyé les soldats au milieu du danger.

Difficile dans ces conditions de s’engager, de vivre et peut-être mourir autour de Nijrab, cette toute petite forteresse au cœur du grand Afghanistan, surtout quand on voit qu’au bout de quatre d’efforts et de sacrifice, les Français en sont revenus physiquement au point de départ, bien plus refoulés par leur propre échelon politique que par l'ennemi. C’est difficile et pourtant on le fait, sous le contrôle étroit de Paris, validant ou non par le biais du CPCO le moindre mouvement pour éviter à tout prix cet « événement », intrinsèquement négatif, qui fera la une des chaînes d’informations.

On le fait parce que c’est le job, l’éthique du soldat professionnel, et puis parce que malgré tout on a le sentiment d’être, ensemble, au cœur d'un petit monde temporaire où la vie est plus forte…tant qu’on reste en vie. Car une opération, c’est aussi un travail, en fait une somme de missions quotidiennement répétées, parfois à l’identique comme dans Un jour sans fin  à part que les morts ne se réveillent pas le lendemain. Comme le fort Bastiani du Désert des Tartares, la base de Nijrab de Jonquille est comme une grande horloge dont les rouages sont vivants. Soixante fois de suite, le capitaine reçoit une mission et l’organise et la compagnie l’exécute dans les quelques heures qui suivent, du petit matin à la fin d’après-midi, et sur quelques kilomètres carrés seulement. Ces processions de petites phalanges évoluant au rythme des sapeurs-démineurs visent par ailleurs plus souvent à faire respirer le dispositif français, sécuriser sa logistique en particulier, qu’à détruire un ennemi qui nous échappe.

Cet ennemi comme d’habitude on le voit très peu mais il est toujours là, dans l’air, y compris physiquement par les balles, quelques obus et surtout des engins explosifs. Le soldat est un homme qui voit finalement peu de choses, coupé qu’il est par toutes les protections naturelles et artificielles possibles. Le chef, comme le capitaine, est de plus souvent relié par des fils invisibles qui le retiennent en arrière, là où il peut commander avec un peu de recul et communiquer avec l’échelon supérieur. Pour lui, plus encore que pour les autres, le combat ce sont d’abord des sons, les communications radio,  les mots avec l’équipage, parfois les bruits des balles qui passent sans trop savoir généralement à qui elles étaient destinées, et parfois le plus rare et le plus redouté de tous : la grande explosion, souvent synonyme de « coup dur ». Ce coup dur, cet « événement », est finalement survenu pour la capitaine Michelin le 9 juin 2012 avec la mort de quatre soldats français (et deux interprètes) et la blessure de cinq autres après une attaque suicide, le missile de croisière des Taliban et associés.

Les autobiographies ne sont supportables que lorsqu’elles exposent aussi les faiblesses, parfois drôles parfois dures, les incompréhensions, les interrogations bref tout ce qui fait qu’un être est vivant et en relief et non un super-héros de carton. De ce point de vue, Jonquille est plein de reliefs, et c’est un de ses grands mérites. L'auteur décrit les situations à travers son point de vue et celui-ci est humain, très humain. Il ne cache donc rien de son affectation et de ses interrogations (avec l’inévitable « Aurais-je pu éviter cela ? ») après l'attaque du 9 juin. Il décrit aussi la nécessaire reconstitution, qui ne signifie pas effacement, parce que la mission continue.

Si les combats sont des pics de sensations noires lorsqu’ils s’accompagnent de la mort des siens, ils ne constituent cependant qu’une petite partie des missions hors de la base, qui elles-mêmes ne forment qu’une partie de la vie. Hors de l’extrême, la vie des groupes de soldats est pleine des mêmes multiples choses depuis des siècles : le lien avec les familles (presque permanent maintenant et ça c’est nouveau), le ressentiment contre les planqués (notion militaire floue qui commence avec le 2e de la colonne de fantassins en patrouille), les rapports de coopération/compétition avec les « voisins », la satisfaction des besoins de base (bien dormir, quelle richesse !), les jeux, les blagues et, gloire soit rendu aux nouvelles technologies, les vidéos et surtout la musique. On y revient, le combat et ses environs, ce sont d’abord des sons et parfois ce rock qu’affectionne et pratique l’auteur.

Tout cela, de l’extrême au quotidien, est décrit avec la précision et l’empathie d’un anthropologue qui décrirait sa propre tribu avec des couches fines d’humanité.   

Lisez, c’est remarquable !

Jean Michelin, Jonquille, Gallimard, 368 pages.