mercredi 28 juin 2023

Le caporal stratégique ou peut-on confiner la connerie ?

20 décembre 2021

L’expression « caporal stratégique » a été popularisée en 1999 par le général américain Charles Krulak, dans son article The Strategic Corporal : Leadership in the Three Block War paru dans Marines Magazine. Il contribuait à populariser ces concepts dans le monde militaire. US Marines et Troupes de Marine ont quelques points communs et se rencontrent souvent et pour être tout à fait juste l’idée lui avait été soufflée par le colonel Tracqui (TDM) lorsque Krulak était venu visiter le bataillon n° 4 à Sarajevo, pendant le siège.

Le colonel Tracqui lui avait exposé la politique du bataillon consistant à s’immerger dans la population urbaine locale pour faire plein de choses différentes (« les trois blocs », en gros humanitaire, sécurité, combat) sur très court préavis et le tout dans un environnement très médiatisé. Le « caporal stratégique », quant à lui, décrit le fait que dans un tel contexte l’action d’un seul soldat à l’échelon le plus bas peut faire office d’« aile de papillon » et provoquer des bouleversements. Et quand on parle d’action, on parle surtout d’action négative.

Lorsque le papillon fait des conneries

En soi, ce n’est pas obligé. Plein de soldats font des choses sympas ou même admirables mais cela a beaucoup moins d’échos. L’esprit humain est ainsi fait qu’il s’intéresse surtout aux trains qui n’arrivent pas à l’heure. Peut-être parce qu’il est naturellement plus sensible aux problèmes, aux risques, aux menaces possibles pour lui. Le bouleversement possible est donc plutôt une catastrophe.

Ce n’est pas un concept révolutionnaire. Tout chef en opération a peur de la « connerie ». La connerie ce sont deux marsouins qui sortent une nuit en douce d’une base et rentrent un peu « émus » en se disant « Tiens, et si on passait par la zone minée pour rentrer discrètement ? ». En l’occurrence, la chance les a sauvés, au moins des mines. Notons au passage que « connerie » désigne à la fois l’acte lui-même que l’état d’esprit qui le conçoit. Il y a des degrés dans la connerie, depuis la bagarre dans un bar qui suscite un incident diplomatique (vécu aussi) jusqu’à la connerie, et on y revient, d’ampleur stratégique, disons, pour être dans l’actualité, une connerie de « classe américaine ». Celle-ci implique presque toujours la violence, et plus précisément la violence injuste et/ou disproportionnée.

Quelques années après l’article de Krulak, l’engagement américain en Irak en livrait un florilège depuis les paras tirant sur la foule à Falloujah en 2003 jusqu’au massacre de la place Nissour à Bagdad par Blackwater en 2007 en passant par celui d’Haditha et bien sûr les exactions d’Abou Ghraïb. Encore ne s’agit-il là que des cas les plus graves et connus. Les conneries meurtrières américaines, et les conneries tout court, ont en réalité été innombrables surtout au début de l’engagement. Elles ont fourni évidemment un gros moteur à ressentiment et nourri la rébellion.

Les soldats sont porteurs de la force. Un fantassin comme un pilote de chasseur-bombardier porte sur lui de quoi tuer plusieurs dizaines de personnes. Il lui faut parfois prendre des décisions rapides au sein d’un environnement dangereux et rarement clair. Je cite souvent, car il m’a marqué, ce cas où je dois décider tout de suite de la vie ou de la mort d’un homme à 50 m de moi que je soupçonne fortement d’avoir tiré à l’instant sur un marsouin. Je décide finalement de le laisser vivre et de l’avertir par un tir au-dessus de lui. Rétrospectivement, j’ai eu raison puisque la menace s’est arrêtée là. Mais j’aurais pu tout autant avoir tort s’il avait recommencé et réussi cette fois à tuer un de nos soldats. Peut-être que quelqu’un d’autre placé dans les mêmes conditions, aurait privilégié la sécurité.

En juillet 2007, placé dans une situation similaire mais avec des moyens plus puissants, un équipage d’hélicoptère Apache abattait froidement 18 personnes, dont beaucoup de civils. La mission était filmée et comme pour Abou Ghraïb la diffusion des images amplifiait l’horreur. Car l’esprit est aussi très sensible à ce qu’il voit, à l’image. Voir a des effets beaucoup plus puissants que le simple fait de savoir. On peut savoir qu’il y a eu un millier de cas, cela reste plus abstrait (et plus c’est grand plus c’est abstrait) qu’une seule image.

Ajoutons enfin un phénomène bien connu des réseaux sociaux : un événement a d’autant plus d’écho qu’il conforte un sentiment ou pire une croyance préexistants. Par l’orientation préalable de nos capteurs, on aura plus de chance de voir les infos que l’on a envie de voir. Rappelez-vous le négatif l’emporte sur le positif. On peut s’indigner du comportement indigne de membres d’une institution que l’on apprécie par ailleurs, mais l’impact et la diffusion seront plus importants dans le camp hostile, qu’il vient conforter.

Tout cela nous donne une équation du caporal stratégique qui se prononce comme « cirque » : C x I x R x C où C est la connerie initiale, I l’image de la connerie, R sa diffusion dans les médias et réseaux et enfin C qui désigne un contexte initial défavorable. On notera que le deuxième C rétroagit sur le premier. Un contexte hostile va plutôt pousser à connerie, volontairement par la provocation ou plus simplement par une ambiance de méfiance. Quand on en vient comme aux États-Unis à se méfier d’un joggeur uniquement parce qu’il est noir, la connerie n’est pas loin et lorsqu’elle survient elle accentue mécaniquement la tension générale.
La meilleure manière apparemment de ne pas avoir de connerie est de ne rien faire, mais l’inaction peut produire aussi de nombreux effets pervers, en laissant par exemple le contexte à l’influence ennemie. D’un autre côté, si on agit, il surviendra statistiquement des conneries. Le tout est de faire en sorte que la valeur du CIRC soit aussi proche que possible de zéro. Le rôle du contexte est complexe, on en reparlera. Intéressons-nous à l’origine du problème et son amplification.

La mécanique quantique de la connerie

Rappelons avant de continuer qu’il peut exister bien sûr de la « grande connerie », avec un grand C dès le départ de l’équation, avec des conséquences catastrophiques à l’arrivée. On peut se poser des questions sur certaines décisions politiques et militaires du passé, mais celles-ci étaient d’emblée stratégiques et leurs résultats également. C’est la relativité générale de la connerie.

Ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt de la mécanique quantique. C’est l’atome invisible qui finit par provoquer une explosion nucléaire. Or, et c’est justement ce qui est assez nouveau, ces explosions nucléaires inattendues ont tendance à être de plus en plus fréquentes du fait de l’existence autour des événements d’éléments amplificateurs. On pourrait ainsi parler de « pangolin stratégique », de l’impact d’un Jérôme Kerviel ou de l’importance nouvelle des actes terroristes, mais parlons plutôt de ceux qui ont reçu une part du monopole d’emploi de la force et revenons au CIRC.

Le but est d’empêcher ce CIRC d’atteindre la masse critique de l’explosion nucléaire. A priori, il suffit qu’un seul des paramètres soit égal à zéro. C’est impossible et même de plus en plus impossible. Il faut donc s’efforcer au moins de réduire autant que possible l’impact de chaque niveau. À la base, il y a la « qualité totale de comportement ». Et comme dans toute chaîne de production cela passe à la fois par une conscience individuelle (surtout) et une structure de contrôle.

J’ai cité beaucoup d’exemples américains, mais peu d’exemples français. Il y a un facteur statistique bien sûr. Plus il y a d’individus engagés et plus il y a de conneries possibles. Mais en valeur relative, les soldats français sont peut-être les plus engagés au monde. En cumulant toutes les expériences individuelles, la compagnie d’infanterie de marine que je commandais totalisait trois siècles d’engagement hors de métropole. Il serait difficile pour un individu vivant trois siècles de ne pas provoquer de catastrophes, mais c’est possible.

La guerre d’Algérie a été un traumatisme collectif pour notre armée (et pas que bien sûr) dont nous sortons difficilement. Une des thérapies a consisté à nous bourrer le mou, au moins celui des officiers et sous-officiers, avec l’éthique et la déontologie du métier des armes. Ce traumatisme et même cette thérapie ont pu induire longtemps, une forme d’inhibition dans l’emploi de la force (« le non-emploi raisonné de la force », « réussir sans esprit de victoire » choses entendues) mais cela a porté ses fruits.

Ajoutons un élément essentiel : la professionnalisation, au sens de maîtrise de compétences. Un général israélien me disait un jour : « Ce qu’on vous envie c’est vos caporaux-chefs, des gars qui ne pètent pas un câble et défouraillent parce qu’on leur jette des cailloux. Nos soldats et nos cadres de contact sont des appelés de 20 ans. C’est dur d’être toujours calme à cet âge ». Il ajoutait que dans les opérations complexes, ils préféraient envoyer des réservistes, des pères de famille qui courent moins vite mais sont plus pondérés.

Le « calme des vieilles troupes » est une vieille expression militaire, très antérieure au « caporal stratégique » dont elle est un ingrédient essentiel. La maturité de celui qui va au contact des événements doit être proportionnelle à la difficulté de ce contact. Il faudra qu’on m’explique à cet égard pourquoi des institutions comme l’éducation nationale ou la police font exactement l’inverse et envoient leurs « bleus » dans les endroits les plus difficiles, pour s’étonner ensuite de constater des problèmes. C’est d’autant plus illogique que dans le dernier cas, et à raison, on considère que les unités d’intervention doivent accueillir des gens expérimentés parce qu’elles doivent traiter de problèmes complexes.

La combinaison de la maturité cérébrale, du cumul d’expérience et de compétences permet de mieux gérer le stress. Plus précisément, il permet plus facilement de répondre « oui » à la question « Est-ce que je peux gérer la situation ? ». La connerie dangereuse survient souvent lorsqu’on répond, souvent inconsciemment, non à la même question, que l’on se sent impuissant tout en se disant qu’il faut faire quelque chose pour se dégager de ce merdier ou simplement pour diminuer son stress.

La question des solutions est fondamentale. Si dans une situation stressante donnée (et toutes les situations violentes sont stressantes), il n’y a que le choix entre l’impuissance et des solutions (procédures, équipements) dangereuses et disproportionnées, il faut s’attendre à des problèmes.

Ce n’est pas une science exacte. Derek Chauvin, le policier américain qui a tué George Floyd, avait 44 ans et de nombreuses années de métier. Il contredit apparemment ma théorie de la maturité. Oui, mais parce que celle-ci ne s’est pas accompagnée d’un contrôle adéquat. Le contrôle est d’abord culturel. On lui a probablement expliqué qu’il valait mieux être fort et s’imposer dans un contexte dangereux que de faire preuve de retenue, l’équivalent des vieux exercices militaires « hit, slash, kill » fondés sur la croyance que l’Américain était naturellement trop gentil et qu’il fallait le rendre plus agressif, plus guerrier.

À ce stade, constatons surtout que malgré 17 plaintes à son égard, et l’implication très suspecte dans trois accrochages ayant fait au total un mort et deux blessés par balles, il n’avait jamais été viré ou au moins retiré de la « zone de contact ». L’intérêt de la professionnalisation, c’est aussi d’avoir le temps d’observer les gens et leur degré de dangerosité. Si 70 % des militaires sont en CDD, c’est aussi pour être capable de virer ceux qui présentent des risques élevés de connerie. On ne réussit pas toujours mais c’est plus facile que lorsqu’on doit conserver par statut tous les boulets pendant très longtemps. Un soldat français n’aurait jamais pu accumuler un tel pedigree. Il est même probable que la première, non pas plainte mais culpabilité avérée dans un acte grave aurait mis fin à sa carrière.

Le contrôle est aussi hiérarchique. Si dans une section d’infanterie de 39 pax, il y a un tiers de chefs, ce n’est pas pour rien. On introduit de la responsabilité (grand pouvoir, grande responsabilité) mais aussi du contrôle, beaucoup de contrôle. Notons que le contrôle est dans tous les sens. S’il y a des adjoints, c’est pour prendre des décisions collégiales dont on espère qu’elles réduiront la probabilité de l’erreur grave.

Ce n’est pas infaillible, l’effet peut même se retourner. Rappelons-nous, en situation de stress et d’incertitude, dans un instant de suspension morale, le pire est possible pourvu qu’il soit proposé comme solution ou modèle par quelqu’un que l’on ne peut contredire. Le massacre de My Lai, 400 civils tués, en mars 1968 a été initié par un jeune lieutenant et personne, au moins ceux sous ses ordres, ne s’y est opposé bien au contraire. La connerie meurtrière, l’horreur même, n’a pas pu rester confinée.

La connerie augmentée

Ce qui n’est pas vu existe peu. Quand le colonel Tracqui parlait de résonnance médiatique au général Krulak, il pensait alors aux journalistes, alors très présents dans la ville de Sarajevo pendant le siège. À ce moment-là, un adjudant-chef avait vu deux enfants abattus par un sniper juste à côté de lui. Malgré ses efforts, il n’avait pu en sauver qu’un. Il déclarait alors qu’il aurait la peau du sniper serbe, ce qui tombait dans l’oreille d’un journaliste qui ne manquait pas de le raconter. Dans l’ambiance de l’époque, c’est la déclaration de l’adjudant-chef, contraire à la neutralité des Casques bleus, qui choquait plus les autorités onusiennes. Le commandement envisageait même un temps le « vol bleu » (sanction et retour) de l’adjudant-chef, avant que ce processus crétin s’arrête.

Les journalistes et les médias, journaux, télévision, constituaient alors pratiquement les seuls intermédiaires entre les événements et le reste du monde. On s’en méfiait, car bien souvent on trouvait que la réalité qui finissait « au 2oh » se réduisait à quelques cubes essayant de représenter un contexte qui relevait plutôt de l’expressionnisme allemand le plus sombre. On faisait avec, comme l’arbitre au rugby. La plupart des journalistes n’étaient là que quelques jours et il leur fallait très vite un cube. On s’empressait de leur fournir, la bonne image, la belle séquence, plutôt que d’attendre qu’ils cherchent eux-mêmes. 

Et puis sont arrivées les chaînes d’informations, dont le principal effet a non pas été de multiplier les cubes, cercles et autres figures géométriques plus petits afin d’avoir un rendu de paysage plus fin, mais au contraire de répéter toute la journée les mêmes gros objets. L’élargissement n’était que répétition et donc plutôt un rétrécissement.

Est venue ensuite la « longue traîne », ce pouvoir médiatique démocratisé qui a fait exploser le monopole d’intermédiation des médias. Les tout petits cameramen et reporters se sont multipliés, parfois brillants comme de vrais journalistes, mais plus souvent comme le comptoir du bar où ils officiaient avant.

Ajoutons que ces nouveaux pouvoirs ont créé des flux d’infos de densité et d’intensité très variables. Une attaque terroriste en plein cœur de Paris en janvier 2015 va provoquer la venue des dirigeants du monde entier quelques jours plus tard alors que le massacre de 70 villageois nigérians par Boko Haram il y a trois jours restera largement ignoré. Le monde sous un lampadaire n’est pas plus réel que celui qui reste dans l’obscurité juste à côté.

Gérer le CIRC, c’est gérer tous ces flux. On peut essayer de les tarir au point de départ. Les cellules noires de la CIA faisaient (font) sensiblement la même chose que les crétins de gardiens qui devaient « mettre en condition » les prisonniers d’Abou Ghraïb. La différence est que les premières ont été verrouillées, alors que l’on a donné accès à Internet aux seconds pour qu’ils ne s’ennuient pas trop. Le résultat en termes de dégâts d’image est connu.

Il y a eu connerie évidente ? D’accord ! Traitement de ses effets, premières mesures, poursuite rapide de l’enquête par un élément insensible aux effets de ses résultats, publication ouverte de l’enquête, sanctions éventuelles, transmission éventuelle du dossier à la justice.

La connerie est-elle due à un problème structurel ? C’est donc aussi la structure qui doit être mise en cause d’une manière ou d’une autre, en interne bien sûr, c’est le rôle du retour d’expérience, des inspections, etc. mais éventuellement aussi devant la Justice.

Les résultats des enquêtes démontrent-ils une manipulation, une fausse accusation délibérée ? L’heure devrait être alors à la contre-attaque. Il faut peut-être dix fois plus d’effort pour réhabiliter un honneur que pour détruire, rappelez-vous le négatif l’emporte toujours sur le positif, et seuls les courageux admettent leur erreur de jugement, et bien faisons dix fois plus d’effort. Il ne faut pas se contenter de réagir plus ou bien comme bien souvent, il faut aussi attaquer ceux qui attaquent, traquer les ennemis manifestes et les faire payer lorsqu’ils mentent. Ce n’est que justice, mais peut-être aussi dissuasion pour les manipulateurs en puissance.

Une stratégie qui se contente de défendre ses places fortes se confond avec l’histoire des redditions. Bien sûr cela demande des moyens et des efforts, mais celui qui n’a pas compris qu’Internet, les médias et les réseaux étaient des terrains de manœuvre se condamne à les subir.

lundi 26 juin 2023

L’offensive ukrainienne est-elle un échec ?

Oubliez la question, c’est un leurre pour piéger ceux qui se contentent de réagir à des titres sur les réseaux sociaux sans prendre le temps de lire la suite. Considérez que c’est juste l’occasion de faire sur plusieurs billets un petit point de situation et de se poser quelques questions sur les opérations en cours.

Ce ne sont pas les armées qui font les guerres mais les nations et la force des nations en lutte se mesure selon une équation très simple : F = armée x arrière où si un seul des deux termes est égal est 0, la force totale est nulle. On peut donc agir par des opérations sur l’avant et/ou l’arrière afin de modifier le rapport de forces et d’atteindre son objectif stratégique.

Pour l’instant, car cela a déjà et peut encore évoluer, l’objectif stratégique ukrainien est toujours de chasser l’occupant russe de tous les territoires occupés, Donbass et Crimée. Pour y parvenir l’Ukraine dispose de quelques cartes faibles pour agir sur l’arrière russe : les raids et les frappes sur le sol russe afin de saper le moral russe ou au contraire renforcer celui des Ukrainiens. Elles s’ajoutent aux cartes occidentales « sanctions économiques » et « isolement diplomatique », mais au total il n’y a là rien de suffisant pour, selon les mots du ministère des Affaires étrangères français, « faire renoncer la Russie devant le coût prohibitif de la guerre ». 

L’Ukraine dispose en revanche de quelques cartes fortes pour conduire des opérations militaires offensives ou défensives en Ukraine : un bon réseau de défense aérienne, un corps de défense territoriale solide, une bonne force de frappe en profondeur sur le théâtre et surtout un corps de 80 brigades de manœuvre, dont une soixantaine de bonne qualité tactique (la France pourrait peut-être déployer l’équivalent de 6 à 8 de ces brigades).

La plus importante de ces opérations ukrainiennes, baptisons là définitivement Zapo-Donetsk ou Z-D, a donc débuté maintenant il y a 22 jours au moins dans sa phase d’attaque. C’est déjà beaucoup et on a pourtant encore beaucoup de mal pour en dessiner les contours. On ne voit pas encore très bien en effet quel est l’objectif qui aurait été écrit dans l’ordre d’opérations (ORDOPE). Un objectif opérationnel est un effet à obtenir sur le terrain et/ou l’ennemi. On peut ainsi chercher à défendre ou conquérir un point ou une zone mais on peut aussi chercher à « saigner à blanc » l’ennemi ou encore gagner du temps. Ce qui est absolument nécessaire dans cette opération Z-D est que cet objectif soit à la hauteur des enjeux, des moyens engagés et des attentes, bref, qu’il soit important.

On pourrait donc imaginer que Zapo-Donetsk soit une opération « éventreur » ou « tueur » du nom des opérations américaines en Corée de février à avril 1951, objectif à but terrain limité mais cherchant à tuer le maximum de combattants chinois et nord-coréens sous des déluges de feu autour des phalanges blindées qui avançaient. Ce ne sera pas le cas, les Ukrainiens ne disposant pas du tout de la même puissance de feu que les Américains. Ce ne sera pas le cas non plus car l’armée ukrainienne a toujours été très orientée « terrain » en défensive, ne lâchant pas un mètre - ce qui coûte cher humainement - comme en offensive en préférant occuper l’espace que de poursuivre l’ennemi, ce qui sauve une partie des forces ennemies. Inversement, et cela peut paraître paradoxal pour une armée qui a un tel mépris de ses hommes aux petits échelons mais les Russes ne se sont pas accrochés aux terrains – région de Kiev, île aux serpents, poche de Kherson - où ils pouvaient perdre beaucoup de forces en s’obstinant. Au bilan depuis le 1er avril et le désastre russe autour de Kiev, bataille imbriquée où la défense ukrainienne en grande profondeur a été excellente, les Ukrainiens ont repris beaucoup de terrain, mais les pertes ont eu tendance à s’équilibrer entre les deux camps.

L’objectif assigné à l’opération Z-D a donc été un point à atteindre, entre la centrale nucléaire de Zaporijia, Melitopol et Berdiansk. La prise d’un seul de ces points, surtout parmi les deux derniers serait considérés comme un succès majeur. L’arrivée à proximité de l’un d’entre eux, ce qui suffirait peut-être à rendre le front intenable constituerait déjà un succès important. Il serait sans doute préférable de privilégier un seul objectif afin de concentrer les forces sur une seule zone et d’y obtenir une supériorité des feux. C’est après tout l’avantage principal de l’attaquant que de pouvoir choisir ses points d’attaque là où le défenseur est obligé de se disperser. Là on aurait du mal à définir s’il y a un, deux ou – horreur- trois objectifs ukrainiens dans l’ordre d’opération.

Un fois le ou les objectifs choisis, il faut entrer dans la matrice. En clair, on voit comment on peut faire pour y arriver (les modes d’action, MA) et comment l’ennemi peut nous en empêcher (modes d’action ennemis, ME) et on croise.

Du côté des MA, on pourrait avoir quelque chose comme :

MA 1 : Le torrent lent. On avance partout et puis on voit, position après position. Toute brèche est exploitée le plus profondément possible, sans direction a priori.

MA 2 : Attaque à Tokmak. Concentration des efforts de feu et de choc sans interruption depuis Orikhiv et en direction de Tokmak. Rayonnement ensuite vers le Dniepr et Melitopol.

MA 3 : Vers la mer. Concentration des efforts de feu et de choc sans interruption autour de la poche russe au sud de Velika Novosilka jusqu’à la route T0803. Avance ensuite vers Berdiansk ou Marioupol.

L’officier français reconnaitra des « effets majeurs » possibles dans Tokmak ou la route T0803. C’est le minimum à faire pour être sûr de remplir la mission. Il est vrai que l’atteinte de l’un ou de l’autre donnerait aux Ukrainiens un avantage considérable, et pourrait même constituer de quoi considérer l’opération comme un succès minimal.

Tous ces MA s’accompagnent d’une campagne de frappes en profondeur afin d’affaiblir, sinon d’asphyxier les forces russes dans le secteur à la manière de la poche de Kherson, ainsi que d'attaques secondaires dans d'autres secteurs.

Du côté russe, les choses sont plus simples, comme souvent en défense.

ME 1 : Freiner et tuer. Échanger du terrain contre des pertes ukrainiennes et du temps. Tenir fermement la deuxième position. Préparer une troisième position au nord de Mélitopol et Berdiansk.

ME 2 : Pas un pouce. Résister sur la première position et reprendre tout terrain perdu. Peu importe les pertes russes. Toutes les réserves sont engagés sur le front de Z-D.

ME 3 : Tenir et contre-attaquer. Résister sur la deuxième position et contre-attaquer dans la province de Louhansk, pour au mieux y reprendre le terrain ou au moins fixer les forces ukrainiennes.  

Dans tous les cas, la défense est là aussi complétée par une campagne de frappes en profondeur afin de fixer la défense aérienne ukrainienne à l’arrière et d’entraver les flux vers le front et de petites opérations périphériques.

Normalement, on confronte ensuite MA et ME dans une matrice. C’est généralement un exercice de pensée, mais quand on est sérieux on joue. On fait un jeu de guerre, un wargame, et on voit se qui passe dans toutes les configurations. En fonction des résultats, on choisit MA définitif, et on donne leur mission à toutes les unités subordonnées. Au jour J à l’heure H, on lance la première phase de l’opération, qui peut être une phase de préparation si on ne bénéficie pas de la surprise ou directement une phase d’attaque.

Point important : on a un peu tendance à considérer qu’une opération se déroule toujours en deux étapes distinctes : la planification avant le jour J puis la conduite, au cours de laquelle on déroule le plan et on s’adapte aux aléas des combats tout en conservant le même cap. Ce n’est que lorsque l’objectif est atteint ou au contraire lorsqu’il devient évident qu’il ne le sera pas que l’opération prend fin. Mais il peut y avoir aussi des opérations en fondu-enchaîné où on commence l’action sans avoir vraiment choisi son mode d’action et on le choisit en fonction des évènements. C’est rare et cela demande une certaine sophistication du commandement mais ce n’est pas impossible et c’est peut-être ce à quoi on assiste en ce moment. Car en fait, on l’a dit on a un peu de mal à lire le schéma de l’opération ukrainienne.

Considérons maintenant l’articulation des forces. Là encore, l’organisation ukrainienne n’est pas très claire. 

Si on connaît les brigades, la brique de base de cette armée, et si on parvient à les identifier sur le front, on ne sait pas très bien comment elles sont commandées. On trouve ainsi 14 brigades du Dniepr à Huliapole exclue, avec Oirkhiv comme centre de gravité, et 17 de Huliapole inclue à Vuhledar inclue, largement centrées sur Velika Novosilka. Au total, un quart de l’armée ukrainienne se retrouve concentré dans la zone de l’opération Zapo-Donetsk. C’est à la fois beaucoup, car cela suppose des affaiblissements ailleurs, et peu face à un adversaire sensiblement de même volume et placé en défensive.

Cette répartition des brigades laisse supposer deux secteurs opérationnels différents commandées par deux états-majors de corps d’armée, eux-mêmes sous la coupe d’un commandement spécifique pour l’opération, directement de l’état-major central à Kiev ou plus probablement du commandement régional Ouest. Outre ces deux corps d’armée, ce commandement de l’opération doit conserver aussi sous sa coupe une force spécifique de frappes dans la profondeur, pour simplifier tout ce qui peut frapper à plus de 40 km de la ligne de contact.

L’expérience tend à prouver qu’il est difficile de commander plus de cinq unités de même rang en même temps, et tous les échelons militaires sont organisés dans cet esprit. On suppose, on espère en tout cas pour l’organisation ukrainienne, que les deux corps d’armée eux-mêmes s’appuient sur un échelon intermédiaire de niveau division, organisé fonctionnellement et/ou géographiquement.

On peut donc imaginer, même si elles ne portent pas ce titre, qu’il existe trois divisions ou au moins trois petits états-majors de ce niveau, dans le corps d’armée Ouest : une division d’artillerie, forte de la 44e brigade d’artillerie et de la 19e brigade de missiles, ce qui doit représenter un ordre de grandeur de 120 pièces à longue portée ; une division Dniepr avec quatre brigades de manœuvre (128e Montagne, 15e Assaut, 65e et 117e Méca), une brigade de Garde nationale et un échelon de renseignement avec un bataillon de reconnaissance et le groupement des forces spéciales de la Marine ; une division Orikhiv avec cinq brigades de manœuvre (118e, 47e, 33e et 116e Méca 3e Assaut [à confirmer]), deux brigades de Territoriale/Garde nationale et un régiment de Forces spéciales.

On notera que si la division Dniepr est plutôt « pointe avant » (une brigade en premier échelon, les autres en deuxième échelon) la division Orikhiv est très concentrée vers l’avant, ce qui témoigne que visiblement l’effort ukrainien se portait dans cette région avec l’espoir d’y obtenir des résultats plus rapides qu’ailleurs.

Le corps d’armée Est est sans doute organisé de manière similaire avec sa division d’artillerie (45e et 55e brigades, la dernière équipée de Caesar, soit environ 120 à 140 pièces), et trois divisions de manœuvre aux contours plus difficiles à déterminer. On se risquera à distinguer une division Huliaipole, une division Valika Novosilka et une division Vuhledar. La première pourrait être de forte de cinq brigades de manœuvre (23e Méca et 36e Marine en 1er échelon, 67e Méca, 82e Assaut aérien et 3e Blindée en deuxième échelon) avec une brigade territoriale et un bataillon de reconnaissance. La deuxième est encore plus puissante avec la 31e Méca, 68e Chasseurs, 35e et 37e Marine en premier échelon, 1ère et 4e Blindée en 2e échelon avec deux brigades territoriales). La troisième enfin est la plus faible avec seulement la 72e Méca et une brigade territoriale.

On rappellera l’extrême hétérogénéité de touts ces unités dont pas une, jusqu’au niveau de la compagnie/batterie, n’est équipée comme la voisine et une organisation verticale où chacun ne sait pas ce que fait le voisin (et notamment où il est, ce qui induit de nombreux tirs fratricides) pour comprendre une partie de la lenteur des manœuvres ukrainiennes, du fait de « coûts de transaction » pour se coordonner ou simplement s’approvisionner.

Comment cela s’articule-t-il ? En combinant du feu et du choc. Quand on dispose de la surprise et d’un rapport de forces opérationnel très favorable, on peut se passer de cette combinaison pour attaquer, percer et exploiter sans modelage préalable. Cela a été le cas pour les Ukrainiens dans la province de Kharkiv en septembre 2022, mais c’est un cas très isolé, quasiment une anomalie dans cette guerre. Dans tous les autres cas, c’est l’artillerie qui permet d’avancer. Plus exactement, c’est la supériorité des feux qui permet de manœuvrer.

La guerre de position est donc avant tout une bataille dans la 3e dimension. Il y a d’abord les feux dans la profondeur sous les ordres directs du commandement de l’opération ou du commandement central. Le principe est simple, peu importe le vecteur - avions ou artillerie à longue portée – pourvu que l’on envoie des projectiles (roquettes, missiles Storm Shadow, bombes volantes GLSDB, bombes guidées, etc.) sur des cibles fixes ou semi-fixes (dépôts) dans la profondeur. On peut y ajouter les actions de sabotage au sol. On compte alors en dizaines de projectiles, quelques centaines ou plus, mais ceux-ci pourvu qu’ils s’appuient sur un bon réseau de ciblage, contribuent à entraver les mouvements opérationnels ou logistiques en zone arrière ainsi que le fonctionnement du commandement. C’est un « facteur de supériorité opérationnelle » ukrainien, en clair un avantage comparatif, mais qui manque sans doute d’un peu de masse pour être décisif. Les Russes sont gênés et prennent des coups mais ils ne sont pas paralysés. On regrettera pour les Ukrainiens que les États-Unis aient tardé à fournir des ATACMS, ces missiles tirés depuis des HIMARS et d’une portée de 300 km.

Le second étage est la contre-batterie. Ce qui empêche les forces de manœuvre ukrainiennes d’avancer, c’est avant tout l’artillerie russe, combinée aux obstacles et aux points d’appui), qui frappe quelques minutes seulement être apparue dans le paysage. Si on veut avancer, il faut donc commencer par au moins neutraliser l’artillerie russe et si possible la détruire. Ça, c’est le premier travail des deux divisions d’artillerie décrites plus haut et de leurs 204-260 pièces, avec leur environnement de drones et de radars de contre-batterie. Les 20 bataillons d’artillerie des brigades de manœuvre, soit un total d’environ 400 pièces, peuvent se joindre également ponctuellement à cette campagne si les cibles sont à leur portée.

Les chiffres du ministère de la Défense ukrainien sont à prendre avec beaucoup de précautions quant aux bilans annoncés, mais ils indiquent à coup sûr une beaucoup plus grande activité de l’artillerie ukrainienne à partir de la mi-mai, en fait un triplement des tirs par rapport à la moyenne depuis le 1er janvier. Il s’agit de l’activité sur tout le théâtre et pour les toutes les missions, mais ces chiffres indiquent assez clairement le début de la phase de préparation de l’offensive Zapo-Donetsk après des mois de retenues et d’économies des obus. On note aussi une activité un peu plus importante de l’aviation ukrainienne, de l’ordre de 13-14 sorties par jour contre 10, ce qui reste marginal.

Est-ce que tout cela est efficace ? Entre le 8 mai et le 1er juillet, le site Oryx comptabilise une centaine de pièces d’artillerie russe clairement identifiées comme détruites ou endommagées sur l’ensemble du théâtre, dont peut-être un ordre de grandeur réel de 150 dont la majorité (100 ?) dans la zone Zapo-Donetsk. Pour être juste, la bataille d’artillerie est à deux sens et Oryx comptabilise aussi une bonne trentaine de pièces ukrainiennes perdues et donc réellement de l’ordre d’une cinquantaine. On rappellera que l’artillerie de tous les camps connaît aussi des pertes invisibles par son simple fonctionnement. Un canon doit ainsi changer son tube tous les 2 000 obus, en étant très large, sous peine de tirer dans les coins ou, pire, d’éclater. Il y a donc ainsi chaque jour plusieurs dizaines de tubes à changer dans les deux cas. Quelles sont leurs capacités en la matière ? On n’en sait pas grand-chose.

En résumé, l’artillerie russe (3 500 pièces de tout type au début de 2023 en Ukraine, dont peut-être un millier dans le groupe d’armées Zapo-Donetsk) souffre mais n’est pas encore abattue, loin de là, et c’est sans doute pour cela que l’offensive ukrainienne piétine. Son principal problème est peut-être surtout le manque d’obus (le « point Oméga ») avec une production et des importations cachées (Biélorussie, Corée du Nord, Iran, peut-être Chine) qui ne permettent plus d’en consommer comme au printemps 2022. Cette pénurie est cependant compensée en partie par une meilleure technique (l’artillerie russe subissant moins de pertes que les unités de manœuvre a pu capitaliser de l’expérience) et l’apport des munitions téléopérées, les Lancet en particulier.

Au bilan, l’artillerie russe, associée à des forces aériennes – avions et surtout hélicoptères d’attaque - qui ont beaucoup plus de facilité à agir en zone de défense (ils peuvent tirer à distance pratiquement depuis la zone principale de défense) qu’en zone ukrainienne reste encore un excellent empêcheur d’attaquer. On ne voit pas comment, à ce rythme, comment ils pourraient en être autrement pendant encore plusieurs mois. Maintenant le rythme de contre-batterie peut effectivement augmenter avec l’aide occidentale, mais les Russes ont également aussi encore des capacités d’adaptation.

Les deux corps d’armée ukrainiens ont ensuite pour mission d’atteindre les deux effets majeurs probables, Tokmak et Bilmak sur la route T0803, à force d’attaques de groupements tactiques. Pour l’instant, leur avance est très modeste et se limite à deux poches dans la première position, ou position de couverture, russe. La progression moyenne est d’environ 8 km2 par jour sur un espace de bataille d’environ 6 000 km2 de la ligne de contact jusqu’à la ligne Mykhailivka-Tokmak-Bilmik-Volnovakha. C’est évidemment très en dessous de la norme souhaitable pour les Ukrainiens pour atteindre les deux effets majeurs dans un délai de trois mois. Et encore ne s’agit-il pour l’instant que de la zone de couverture tenue par un ensemble disparate de bataillons réguliers complétés d’auxiliaires, bataillons de volontaires BARS, miliciens DNR, bataillons de prisonniers Storm-Z. La bataille pour la zone de défense principale, environ dix kilomètres en arrière de la ligne de contact, sera sans aucun doute plus difficile encore.

La faute en revient d’abord à l’absence de supériorité nette d’artillerie susceptible, une fois l’artillerie russe neutralisée, d’écraser les points d’appui ennemis sous les obus, à l’absence de bulles de protection forte contre les aéronefs et surtout les drones, et sans doute aussi à la faiblesse numérique des équipements de génie indispensables au bréchage. Sans doute aurait-il été préférable de tailler le volume de l’action à la hauteur de celui des appuis disponibles – génie, artillerie, drones, brouillage électronique, défense aérienne mobile – en les concentrant sur un seul corps d’armée et en formant des unités spécialisées, équipées et entrainées pour la seule mission de bréchage. Au lieu de cela, les moyens sont dispersés, peut-être sous-utilisés et surtout s’usent dès la conquête de la ligne de couverture alors que le plus dur reste à faire.

À défaut de conquérir du terrain, on peut essayer d’abord d’user grandement l’ennemi afin de pouvoir conquérir ensuite plus facilement le terrain. Reprenons les chiffres d’Oryx. Oryx comptabilise environ 200 engins principaux de combat (Tanks + AFV +IFV + APC selon la terminologie du site) russes détruits ou endommagés sur l’ensemble du théâtre en un mois. Dans le même temps, il comptabilise 150 EPC ukrainiens. C’est inédit, le rapport de pertes étant plutôt jusque-là de l’ordre de 1 à 3 ou 4 en faveur des Ukrainiens. Je considérais alors que les pertes russes étaient sous-estimées d’environ 50 % (en ajoutant les engins détruits ou en endommagés non vus) et qu’il fallait compter 60 pertes pour 1 EPC perdu. Avec 250 EPC perdus cela donne 15 000 pertes pour le mois de juin, soit une moyenne de 500 pertes par jour, ce qui paraît crédible. Mais en doublant comme d’habitude les pertes matérielles ukrainiennes et en comptant 160 pertes par EPC, cela donnerait 300 engins réellement perdus et avec 120 pertes par EPC, ce qui donnerait 36 000 pertes, soit 1200 par jour, ce qui est manifestement très exagéré. Ce qu’il faut retenir, c’est que les pertes ukrainiennes et russes semblent en réalité s’équilibrer, ce qui n’est pas du tout une bonne nouvelle pour les Ukrainiens à l’offensive. On rappellera que l’attaquant n’est pas condamné à subir des pertes supérieures au défenseur. S’il a forcément un désavantage, c’est bien les différences de qualité tactique et de puissance de feu lourdes qui font les différences de pertes.

En résumé, si le potentiel ukrainien consacré à l’offensive Zapo-Donetsk est à peine entamé, ce qui a été entamé n’a pas permis d’obtenir des résultats probants. Les Ukrainiens peuvent continuer dans cette voie en espérant finalement faire craquer l’artillerie ennemie ou ses forces en ligne et en réserve. Cela peut survenir effectivement, mais pour autant aucun signe ne semble pour l’instant conforter un tel espoir. Ils peuvent également arrêter une opération mal engagée et réorganiser leur dispositif, en concentrant absolument tous les moyens d’appui disponibles dans la zone offensive et même sur une seule partie de cette zone, quitte par exemple à faire l’impasse sur la défense des villes contre les drones Shahed 136 qui absorbent de très précieux moyens antiaériens et d’appui direct. L’aide occidentale doit se porter en urgence sur ces moyens d’appui, génie, canons-mitrailleurs, etc. et en obus de 155 mm bien sûr et munitions à longue portée. Peut-être faut-il aussi envisager d’autres méthodes, comme les bataillons de brèche et l’infanterie d’infiltration, pour évoluer dans un espace dangereux, mais finalement humainement peu dense avec dix fois moins d’hommes qu’en 1918 sur un front de même dimension.  

Rappelons pour conclure que depuis sept mois maintenant le front a à peine bougé dans les deux sens, et on ne peut considérer la prise de Bakhmut comme un grand mouvement. Quand avec les mêmes moyens et méthodes on se trouve à n’avoir plus de résultats, il faut soit renoncer à son objectif, soit accroître considérablement les mêmes moyens, soit changer les méthodes.


Pour commenter, allez plutôt ici


samedi 24 juin 2023

Les embruns russes

L’État moderne dispose du monopole de la force physique légitime selon la thèse classique de Max Weber. Ce n’est visiblement pas le cas dans la Russie de Poutine, comme si la domination de la société par une oligarchie administrativo-mafieuse devait déboucher également sur un oligopole de l’emploi de la force. On trouve certes en Russie le contrat social de délégation de la sécurité à l’État en échange de l’impôt. On peut même comme dans les empires décrits par le grand historien Ibn Khaldoun voir un cœur de société démilitarisé par le régime afin de ne pas constituer une menace politique et un instrument de force professionnel recruté dans la périphérie sociale et ethnique de ce cœur de société. La première différence est que ce cœur de société est quand même abreuvé de l’idée qu’il est grandement menacé afin d’avoir des citoyens pacifiés mais aussi serrant les rangs. La seconde est que cette force armée et de sécurité est éclatée en asabiyya concurrentes, pour conserver le vocabulaire d’Ibn Khaldoun.

Les forces armées sont toujours organisées de manière classique, mais si elles sont désormais majoritairement composées de professionnels, grande nouveauté en Russie, avec de grands services – terre, air, marine, fusées et assaut par air – relativement concurrents et dont certaines unités, d’élite et loyales à leurs chefs plus qu’à toute autre chose. On pense à la 45e brigade spéciale ou les brigades de Spetsnaz du GRU, le service de renseignement militaire, qui pourraient facilement être utilisées dans un contexte intérieur ainsi que le réseau d’espionnage Agentura. Mais les deux autres services de renseignement, FSB et SVR, disposent également de leurs forces armées. Dans l’absolu, le FSB, qui contrôle les gardes-frontières, disposerait d’autant d’hommes en uniforme que l’armée de Terre russe. Dans les faits pour les coups durs internes, le directeur Alexandre Bortnikov dispose surtout de ses deux bataillons spéciaux, Alfa et Vympel. Le SVR de son côté et son chef Sergueï Narychkine, dispose du bataillon Zaslon, à vocation internationale, comme son service.

Mais ce n’est pas tout. En 2016, la garde nationale (Rosgvardia) est formée réunissant toutes les forces d’intervention (OMON et SOBR encore plus spécialisées) et de maintien de l’ordre de la police – là encore presque autant qu’une armée de Terre - sous les ordres de Victor Zolotov, ancien garde du corps du maire de Saint-Pétersbourg et partenaire de judo et de boxe de Vladimir Poutine. On trouve aussi le FSO, le service de protection des personnalités, encore une force conséquente de 20 000 hommes dont le régiment du Kremlin, plus de 5 500, sous le commandement de Dmitry Kotchnev, là encore choisi pour sa main de fer et sa fidélité espérée totale. Il est possible que le prochain ministre de la Défense en soit issu avec Alexeï Dioumine.

Et il y a enfin les armées personnelles, comme les régiments tchétchènes de Ramzan Kadyrov, en théorie intégrés à la Garde nationale mais en fait autonomes et bien sûr la désormais bien connue société Wagner d’Evgueni Prigojine. Mais les gouverneurs peuvent aussi former des bataillons de volontaires, et toute puissance économique, comme Gazprom, ou tout oligarque pourvu qu’il obtienne un blanc-seing du pouvoir peut transformer de l’argent en force armée. On peut même cumuler les choses, on peut par exemple être ministre de la Défense, comme Sergueï Choïgou, et disposer de sa propre petite armée privée Patriot.

Tout cela fait beaucoup pour un seul État, mais c’est fait exprès. Quitte à avoir plusieurs puissances militaires autonomes et forcément concurrentes dans un contexte mafieux de partage du pouvoir et des richesses, autant en avoir beaucoup afin qu’elles se neutralisent mutuellement. Cette « guerre des tours », par référence aux tours du Kremlin, reste normalement discrète et contrôlée mais pour peu que le leader tombe cette guerre feutrée entre tours peut basculer dans la violence car avec l’éloignement de la démocratie et plus de 23 ans de pouvoir personnel on imagine de plus en plus difficilement une transition tranquille par la voie des urnes. On n’y est sans doute pas encore, Vladimir Poutine semblant en bonne forme physique malgré toutes les rumeurs de maladie.

Ce qui est nouveau en fait est que ce système d’oligopole de la force légitime rencontre depuis plus d’un an une autre tradition depuis la révolte du cuirassé Potemkine en 1905 : les secousses politiques consécutives aux échecs militaires. La faiblesse de l’armée russe en Ukraine a donné par contrecoup plus d’importance aux armées privées qui y étaient engagées, surtout quand elles obtenaient de meilleurs résultats. Elle a autorisé aussi la contestation de la gestion de la guerre et la possibilité pour certains seigneurs de guerre de se mettre en avant jusqu’à tenter de défier le pouvoir. Seul, aucun de ces petits imperators n’a la masse critique pour l’emporter définitivement. Le vrai risque de déstabilisation surviendra lorsque plusieurs se coaliseront contre le pouvoir. Là la guerre des tours se transformerait véritablement en guerre pour le trône, dans un pays à plusieurs milliers de têtes nucléaires.

Pour les commentaires, allez ici

jeudi 22 juin 2023

Théorie de la tranchée – Intermède historique

L’apparition des grandes lignes de fortifications de campagne est la conséquence du développement considérable de la puissance de feu directe à partir du milieu du XIXe siècle. L’affrontement frontal devient dès les années 1850 de plus en plus difficile et les combats indécis, surtout lorsque les forces ont la possibilité de tirer tout en étant postées avec le chargement des fusils par la culasse et encore plus lorsqu’elles ont été dotées de pelles. Il reste malgré tout toujours possible de surmonter cette défense renforcée mais au prix d’une grande concentration de forces et de pertes terribles. Les fameux « principes de la guerre » de Foch ne sont en fait qu’une théorisation de cette façon de voir les choses qui réussit parfois. On préfère cependant plutôt contourner cet ennemi plus ou moins retranché afin si possible de l’encercler ou au moins de le menacer d’encerclement. Les Prussiens de l’époque du général Moltke excellent un temps dans cet exercice, jusqu’à ce qu’avec l’augmentation du volume des armées il devienne possible de former un front continu d’un point à l’autre du théâtre d’opérations comme lors de l’hiver 1914 de la mer du Nord à la Suisse. Dans ces conditions le contournement devient impossible et il n’y a pas d’autre solution que d’attaquer directement la ligne de front.

Côté allemand, on s’oriente rapidement vers une posture générale défensive sur ce front Ouest afin de concentrer ses efforts offensifs à l’Est contre les Russes. Côté français, on ne supporte pas de voir une partie du territoire occupée par l’ennemi et on veut aider les Russes. On ne veut pas non plus d’une guerre longue que l’on ne croit pas pouvoir tenir face à la puissante Allemagne. On s’oriente donc vers une stratégie offensive et directe, visant à percer à tout prix le front allemand, en espérant que cette percée suivie d’une exploitation rapide en terrain libre suffira à l’effondrement de l’ennemi.

On tâtonne sur la méthode pour comprendre rapidement que sauf cas rare de surprise, il faut obligatoirement neutraliser les défenseurs – infanterie et artillerie- pour pouvoir avancer et pénétrer dans les lignes de défense. La force de contact – l’infanterie – ne disposant pas suffisamment de puissance de feu portable pour réaliser seule cette neutralisation, il faut obligatoirement disposer aussi d’une force de frappe indirecte – l’artillerie et l’aviation - pour réaliser cette mission. C’est l’introduction de la 3e dimension dans la guerre. En partant de très peu, chaque camp construit en quatre ans un énorme complexe de reconnaissance-frappes, pour employer la terminologie soviétique, capable de lancer des centaines de milliers d’obus à des dizaines de kilomètres de profondeur sous le regard de milliers de petits avions d’observation munis de TSF, l’équivalent des drones d’aujourd’hui. A la fin de la guerre, les avions eux-mêmes, chasseurs ou bombardiers légers, viennent s’ajouter à cette force de frappes comme « artillerie à longue portée ».  

En 1915, en France on organise cela selon la méthode dite de « l’attaque brusquée » qui consiste à utiliser la force de frappe pour écraser tout le système défensif que l’on veut percer et l’artillerie plus en arrière sous un déluge d’obus puis de lancer la force de contact à l’assaut. Cela ne fonctionne pas très bien, d’abord parce que la force de frappe n’est pas encore assez puissante et ensuite parce que les Allemands organisent rapidement, non pas une position, c’est-à-dire tout un réseau de lignes de tranchées et d’obstacle, mais deux, étagés en profondeur. Pendant toute l’année 1915, les Français progressent, parviennent à écraser la première position sous le feu puis à s’en emparer mais ils se trouvent désemparés et désorganisés devant la deuxième, quelques kilomètres plus loin et qui a beaucoup moins été touchée par l’artillerie.

Après les échecs coûteux de 1915, les polytechniciens artilleurs, et en premier lieu Foch qui commande alors le Groupe d’armées du nord, prennent le dessus et proposent de faire autant de batailles qu’il y a de positions. On parle alors de « conduite scientifique de la bataille » selon une séquence simple : l’artillerie écrase la première position, l’infanterie s’en empare, l’artillerie avance puis écrase la deuxième position, l’infanterie s’en empare, et ainsi de suite si besoin jusqu’à atteindre enfin le terrain libre. On résume tout cela par un slogan : « l’artillerie conquiert, l’infanterie occupe » et on le met en œuvre sur la Somme en juillet 1916. Cela ne marche pas. On s’aperçoit d’abord que, quel que soit la puissance projetée, et on parle de centaines de milliers d’obus par jour, il reste toujours des défenseurs qui combattent même de manière isolée. Les Allemands font le même constat en sens inverse au début de la bataille de Verdun en février 1916. Mais au moins les Allemands disposent-ils alors d’une artillerie à tir rapide qui leur permet de réaliser leur « tempête de feu » en quelques heures et de bénéficier de la surprise, là où les Alliés mettent des jours, ce qui laisse le temps aux Allemands de faire venir des renforts. On s’aperçoit ensuite sur la Somme que les Allemands construisent plus vite des positions à l’arrière que les Alliés ne s’emparent des positions à l’avant. Après six mois, et après de très lourdes pertes de part et d’autre, on n’a toujours pas atteint le terrain libre comme il en a été de même pour les Allemands à Verdun, la seule grande opération offensive sur le front Ouest jusqu’en 1918. On arrête donc les frais. Foch devient « chargé de mission ».

Survient alors Robert Nivelle, qui fort de ses succès tactiques à Verdun, prône le retour à l’attaque brusquée en arguant du saut technique réalisée tant dans la force de frappe – aviation moderne, artillerie lourde moderne à tir rapide – que dans la force de contact – armement portatif de l’infanterie (fusil-mitrailleur, lance-grenades, mortiers, canons de 37 mm) et chars – pour estimer que ce qui n’était pas possible en 1915 le devient en 1917. On ne parle pas alors de « game changer » mais l’esprit est là. Ce n’est pas idiot, mais le problème à la guerre est que l’ennemi réfléchit aussi. Après les épreuves de 1916 et alors que le rapport de forces est nettement en faveur des Alliés à l’Ouest, les Allemands renouvellent leur stratégie défensive en raccourcissant le front, en fortifiant considérablement les positions (la fameuse « ligne Hindenburg », en fait un grand ensemble de plusieurs systèmes fortifiés) et en étageant ce dispositif encore plus en profondeur. Le général russe Surovikine n’a rien inventé en octobre 2022 en Ukraine.

Point particulier : constatant à la fois que la première position est toujours écrasée par le feu et le choc mais aussi qu’il est possible de faire confiance à de petits groupes décentralisés pour combattre, on décide côté allemand d’utiliser les premières lignes pour simplement désorganiser l’attaque ennemie. La résistance forte s’exercera désormais complètement sur la deuxième position ou « position principale de résistance », qui sert aussi de position de contre-attaque. La force de frappe est elle-même installée sur une troisième position plus en arrière ainsi que les réserves.

La confrontation des modèles s’effectue le 16 avril 1917 sur l’Aisne. On connaît la suite. Gênée par la pluie qui handicape l’observation aérienne et donc les tirs d’artillerie, la préparation d’artillerie française est très insuffisante et les forces de contact, 33 divisions en premier échelon, butent sur une défense mieux organisée qu’on ne pensait. En neuf jours les Français n’ont progressé que de quelques kilomètres au prix de 130 000 pertes. On commet l’erreur de renouveler l’offensive du 4 au 15 mai, avec les mêmes méthodes et donc sensiblement les mêmes résultats. Après avoir placé tant d’espoir dans cette offensive que l’on espérait décisive, le moral français s’effondre. Pétain remplace Nivelle, qui est envoyé en Tunisie.

Pétain a une autre conception des choses. Il ne croît pas à la possibilité de percer, mais seulement à la possibilité de créer une poche dans le front sensiblement dans l'enveloppe de la force de frappe. Cela a au moins le mérite d’être sûr, surtout si on y concentre le maximum de puissance de feu. Pétain organise ainsi deux opérations offensives dans le second semestre 1917, à Verdun à nouveau en août et surtout à la Malmaison en octobre, qui ne recherchent pas du tout la percée mais simplement à modifier favorablement la ligne de front, infliger des pertes à l’ennemi et donner des victoires aux Français. Les combats sont très planifiés et la puissance de feu déployée est colossale. Plus de trois millions d’obus sont lancés en trois jours sur les positions allemandes, l’équivalent d’une petite arme atomique, à la Malmaison, un record qui ne sera battu qu’en juillet 1943 par les Soviétiques. Les Allemands perdent 50 000 hommes à la Malmaison dont 11 000 prisonniers abasourdis, contre 14 000 pour les Français, comme quoi l’attaquant ne subit pas forcément plus de pertes que de défenseurs. Pour le reste, Pétain développe la petite guerre des corps-francs, on ne parle pas encore de commandos et encore moins de forces spéciales, sur l’ensemble du front.

Sa préoccupation majeure vient surtout du fait que les Allemands sont en train de vaincre la Russie, en proie à de grands troubles politiques à la suite de ses défaites militaires, et qu’ils ne vont pas tarder à revenir en grande force sur le front Ouest. Jusqu’à ce que les forces américaines, dont on rappellera qu’elles sont équipées par les Français parfois au détriment de leurs propres forces, permettent de modifier le rapport de forces à la fin de l’été 1918, l’initiative sera allemande.

Il faut donc se préparer à de grandes offensives allemandes. L’idée de Pétain est alors simple : on va imiter la méthode allemande de défense en profondeur puisqu’on a constaté à nos dépens qu’elle était efficace. Et pourtant, ça ne passe pas. La plupart des généraux français refusent de lâcher le moindre kilomètre de territoire national à l’ennemi. Ils défendront donc la première position avec la plus grande énergie même si cela engendre des pertes. Le problème est que les Allemands ont aussi réfléchi à leur méthode offensive. Leur nouvelle doctrine repose sur deux piliers : une énorme puissance de frappe mais utilisée très brièvement afin de conserver la surprise et une forte puissance de choc grâce aux bataillons d’assaut et aux divisions mobiles. Une offensive allemande de 1918 nécessite au moins un mois de préparation afin d’abord de mettre en place une force de frappe de plusieurs milliers de pièces, dont un millier de Minenwerfer destinés à déployer une grosse puissance d’écrasement à moins de 1 000 mètres, ainsi que les millions d’obus correspondants. Il s’agit ensuite de mettre en place les bataillons d’assaut et une cinquantaine de divisions d’infanterie nécessaires. Le tout doit se faire dans le plus grand secret.

Cela réussit en partie. Le 21 mars 1918, la foudre s’abat sur les 3e et 5e armées britanniques en Picardie. La 5e armée explose et se replie en catastrophe. Pour la première fois depuis le début de la guerre de positions en France et Belgique, le front est percé et les Allemands avancent vers Amiens. Par de nombreux aspects, les belligérants de mai 1940 se trouveront dans une situation similaire. Mais les chefs de 1918 ne sont pas ceux de 1940 et à l’époque, ce sont surtout les défenseurs, en fait les Français, qui sont motorisés.

L’armée française est en effet la seule au monde à disposer d’une armée de réserve aussi mobile. Pétain peut envoyer sur la zone, un corps de cavalerie, en partie motorisé, deux escadres d’aviation de combat avec notamment les excellents bombardiers légers Bréguet XIV B2. Toutes ces escadres et brigades ne tarderont pas à former une division aérienne de 600 avions susceptibles d’être déployés n’importe où en quelques jours. Il y a aussi la réserve d’artillerie, sur voie ferrée mais aussi tirée par camions (37 régiments) ou encore les groupements de chars moyens encore restants, en attendant pour la fin mai les bataillons de chars légers transportables par camions. L’infanterie française elle-même ne se déplace plus sur le front qu’en camion et la France en dispose d’autant que le reste de toutes les armées du monde réunies. Bref, la France est capable de réunir très rapidement une masse de manœuvre de plusieurs armées sur n’importe quel point du front alors qu’une fois le front percé, les Allemands ne peuvent se déplacer qu’à pied. L’offensive allemande est finalement stoppée devant Amiens. La méthode allemande s’avère aussi assez aléatoire et dépend beaucoup de l’organisation de la défense. L’opération suivante, lancée en avril dans les Flandres est ainsi un échec complet malgré l’écrasement du corps d’armée portugais. La France parvient à renforcer le front britannique avec une armée.

Les Allemands veulent abattre les Britanniques mais les réserves mobiles françaises les gênent. Ils décident donc d’attaquer du côté de Reims pour les fixer dans la région avant de se retourner à nouveau contre la British Expeditionary Force (BEF). C’est à cette occasion, le 27 mai, qu’ils écrasent et percent la première position, beaucoup trop occupée par les Français malgré les ordres de Pétain, et avancent vers la Marne. Comme en Picardie, la situation est finalement sauvée en engageant des forces de réserve mobiles qui se déplacent plus vite que les Allemands. Mais à ce moment-là ces derniers commencent à perdre un de leur avantage : la surprise. Les Français sont de mieux en mieux renseignés et parviennent à déceler à l’avance les attaques ce qui permet de s’organiser en conséquence. L’offensive allemande de juin près de Noyon progresse un peu contre la 3e armée (qui était seulement en train de s’organiser enfin en profondeur) avant d’être arrêtée par une contre-attaque de chars. Etrangement, les Allemands décident d’attaquer à nouveau sur la Marne et du côté de Reims et toujours de la même façon. Les Français connaissent désormais les détails de l’offensive. Ils attendent donc les Allemands de pied ferme, stoppent leur attaque du 15 juillet et contre-attaquent trois jours plus tard. Point particulier, cette contre-attaque en direction de Soissons s’effectue pour la première fois sans préparation d’artillerie mais avec un appoint massif de chars, qui servent alors à doper la capacité de choc de l’infanterie.

Les Alliés ont désormais l’initiative. Ils ne vont jamais la perdre car ils sont capables d’organiser des opérations offensives deux fois plus vite que les Allemands. Pétain a fait aménager le front durant l’hiver 1917-1918 afin que chaque armée soit capable d’accueillir dans son secteur, dépôts, abris, etc., un volume supplémentaire équivalent au sien. Grâce également à la mobilité des forces et à la densité des réseaux routier et ferré, il est donc possible de réunir très vite des groupements de manœuvre- frappes et contact – qui permettent de marteler les positions allemandes. En créant leur grande masse de divisions mobiles, complètes en équipements et effectifs, aves les meilleurs soldats, les Allemands ont par contraste appauvri l’armée de position qui tient les grands systèmes fortifiés défensifs.

Chaque attaque alliée, réalisée par une ou deux armées, crée en moyenne, dans le dispositif de combat ennemi, une « poche » de 10 kilomètres de profondeur sur 15 de large après une semaine de combat. La multiplication de ces poches entraîne un ébranlement et l’obligation pour les Allemands de se replier. La grande « ligne Hindenburg » qui avait causé tant de déboires en 1917 est ainsi conquise en deux semaines. Les Allemands se replient sur Hermann-Hunding Brunhild qui subit à son tour de nombreuses attaques. La seule armée française est ainsi capable de monter dix opérations offensives en quatre mois. Il faut y ajouter la manœuvre de l’armée d’Orient qui débute le 15 septembre et qui perce le front de Macédoine (c’est la seule percée décisive de l’armée française de la guerre), amenant la Bulgarie à la paix et portant la guerre sur le territoire austro-hongrois. Le martèlement continue ainsi jusqu’à l’entrée en Belgique et jusqu’à ce que l’armée allemande au bord de l’effondrement général demande grâce.

Rien n’a fondamentalement changé depuis. Quand la guerre s’achève, beaucoup de combattants français se sont demandés pourquoi on n’avait pas mis en place des fortifications de campagne dès 1914 ce qui aurait permis de stopper l’ennemi aux frontières, d’éviter les dévastations et les exactions qu’ont subi les territoires occupés et sans doute évité beaucoup de pertes. Peut-être que de nombreux Ukrainiens se disent aussi qu’ils ne seraient pas là s’ils avaient fortifié leur frontière et organisé le réseau de défense territoriale un an et non quelques jours avant l’invasion. Seule la ligne de front du Donbass était fortifiée et on voit combien il a été difficile de progresser dans le secteur depuis quinze mois. Si les Russes avaient été stoppés sur leur ligne de départ, les Ukrainiens seraient dans une bien meilleure position que de devoir reprendre le terrain perdu.

Si un Français pense immédiatement avec horreur « ligne Maginot » en pensant aux grandes positions fortifiées, il faut quand même rappeler que les différentes armées en ont construit plusieurs par la suite, face à El Alamein par exemple on en Italie, ou bien sûr sur le front de l’Est, preuve que cela avait sans doute une certaine utilité. En Corée, Américains et Chinois s’y convertissent au printemps 1951 et les choses deviennent beaucoup plus compliquées et lentes. Dans tous les cas, les positions fortifiées n’ont pu être surmontées d’abord que par l’emploi d’une puissante force de frappe, avec de l’artillerie, des avions ou des hélicoptères d’attaque, des missiles, des obus, des drones, des bombes volantes, peu importe pourvu qu’il y en ait des dizaines de milliers pour étouffer par la masse et la précision la force de frappe ennemie et les forces de défense au contact, le temps que les forces de choc, aussi blindées que possible, puissent s’exprimer.

Quand on parle de la fameuse « guerre de haute intensité », on pense en fait guerre de mouvement, alors qu’en réalité c’est la guerre de position que l’on a oublié parce que c’est moins prestigieux, si tant est qu’une activité où on fait des trous dans des gens puisse être prestigieuses, parce que les mots « défense », « barrière » ou « fortifications » sont blasphématoires dans une France protégée par l’arme nucléaire ou simplement parce qu’on a tellement pas les moyens de la pratiquer qu’on considère qu’elle n’est pas possible.

Pour commenter il faut désormais aller sur la version ici

vendredi 16 juin 2023

La bataille pour la première position

Partons d’un chiffre : 42. C’est le nombre de véhicules de combat (chars de bataille, véhicules de combat d’infanterie et en comptant cette fois aussi les Léopard 2R équipés de dispositif de bréchage) ukrainiens détruits comptabilisés par le site Oryx du 7 au 14 juin 2023, pour 75 russes. On connaît les grandes limites de l’exercice, le décalage forcé de la mise en ligne par rapport aux évènements et surtout le fait de ne pas comptabiliser ce qui n’a pas été rendu visible. On rappellera aussi que ces chiffres concernent l’ensemble du théâtre ukrainien et non pas seulement l’opération X même si on se doute que c’est là que se situent les plus lourdes pertes.

Ce que l’on peut dire cependant est qu’il s’agit d’un chiffre plus élevé que la moyenne et il faut revenir aux premières semaines de guerre pour trouver des équivalents. En même temps, dans l’absolu ce ne sont pas des chiffres très élevés non plus. On peut considérer que les douze brigades de manœuvre engagées en premier échelon par les Ukrainiens, neuf déjà en place et trois en renfort, comptent environ 1200 véhicules de combat en ordre de marche (autour de 1 400 en théorie). À ce titre, même en doublant l’estimation d’Oryx et en considérant qu'une brigade est neutralisée lorsqu’elle atteint 40 % de ses équipements majeurs, cela donne un potentiel de quatre mois de combats à ce rythme de pertes. Les hommes qui servent ces matériels auront craqué bien avant. Retenons à ce stade que malgré les vidéos servis abondamment par le camp russe, les pertes matérielles ukrainiennes globales semblent plutôt modérées. Montrer cent fois une vidéo d’un char détruit donne toujours un seul char réellement détruit.

Ces pertes matérielles sont en revanche assez inégalement réparties, en qualité d’abord avec sans doute une part non négligeable du parc des précieux engins de génie. Une armée moderne à l’attaque est une horlogerie délicate. Il lui faut engager simultanément des moyens qui protègent les troupes d’assaut des menaces du ciel, drones, obus, avions et hélicoptères d’attaque, d'autres qui neutralisent les points d’appui ennemis par le feu et d'autres enfin qui permettent de s’emparer de ces points d’appui ou de les contourner en franchissant des obstacles de toute sorte. Qu’il manque une pièce essentielle dans cet ensemble et tout s’enraye. La force ukrainienne dispose à peu près de tout ce qu’il faut mais présente quelques points faibles comme la lutte anti-drones, les moyens de franchissement ou la quantité d’obus d’artillerie, qui reflètent d’ailleurs nos propres faiblesses. Il reste à déterminer si l’ensemble sera encore complètement cohérent après la conquête de la première position russe, la désorganisation de la force d’assaut ukrainienne était justement la mission cette première position. Il est intéressant de noter surtout que ces pertes sont inégales selon les unités. Sur 42 véhicules de combat vus comme détruits en une semaine, on trouve en effet 4 Léopard 2A4 et A6, 3 Léopard 2R et 16 VCI Bradley. En considérant que tous ces véhicules occidentaux appartiennent à la même brigade, le 47e mécanisée, cela fait d’un seul coup aussi beaucoup pour une seule unité.

Pour les hommes (94 % des pertes ukrainiennes civiles et militaires sont des hommes), les choses sont plus compliquées à déterminer. Si on reprend une nouvelle fois les chiffres des pertes de véhicules de combat d’Oryx depuis le début de la guerre et si on les compare avec les pertes humaines totales estimées dans les deux camps, on obtient une moyenne de 120 tués et blessés ukrainiens pour un char/véhicule d'infanterie constaté perdu et 60 du côté russe. Il ne s’agit évidemment pas des pertes dans ces véhicules, mais juste d’une estimation grossière par l’application d’un coefficient de corrélation. Cela donnerait donc pour cette semaine un ordre de grandeur de près de 5 000 soldats ukrainiens touchés, donc 2 500 définitivement hors de combat (tués, blessés graves, prisonniers) en une semaine et 2500 qui peuvent revenir rapidement en ligne. En considérant que 3 à 4 000 de ces hommes sont dans l’opération X, cela donne à ce rythme une capacité de combat de trois mois pour les 12 brigades de premier échelon avant d’être réduit à 30 % des effectifs. Là encore les relèves seront, normalement, effectuées avant.

Car derrière ces douze brigades de manœuvre ukrainiennes de premier échelon, et ces six brigades territoriales ou de garde nationale qui tiennent les positions, on trouve au sud de la ville de Zaporijia un deuxième échelon de dix brigades de manœuvre prêt à relever celles de l’avant ou de venir attaquer elles-mêmes la ligne. Entre Zaporijia et Dnipro, on trouve même une réserve stratégique de cinq brigades susceptibles d’être engagées partout. Bref, la ressource ukrainienne est à peine entamée.

Mais il en est sensiblement de même du côté russe. Oryx comptabilise donc 75 véhicules de combat détruits sur l’ensemble du théâtre cette semaine. Là encore, on ne sait trop ce qui relève de l’opération X mais cela représente sans doute la majorité de pertes. C’est, là encore, un peu plus que la moyenne des semaines précédentes, mais pas autant que les 238 véhicules de combat perdus chaque semaine entre le 24 février et le 1er avril 2022, en grande partie dans la bataille de Kiev (le fameux « leurre » cher aux influenceurs prorusses). Cela représenterait aussi environ 4 500 hommes en appliquant le ratio de 60 pour 1 véhicule, dont une majorité face à l’opération X. Ce sont dans les deux cas des taux de pertes encore largement soutenables pour les 28 brigades/régiments identifiés dans ce secteur.

On notera au passage que les pertes des défenseurs russes semblent équivalentes en homme ou supérieures en matériel (on note aussi 14 pièces d'artillerie russes perdues contre quatre ukrainiennes depuis le 1er juin) à celles des attaquants. Cela peut paraître paradoxal, les attaquants étant censés se découvrir plus au feu que les défenseurs, cela ne l’est pas en réalité. Rappelons que les unités engagées de part et d’autre doivent faire face à deux menaces. Elles peuvent s’affronter directement en combat « rapproché », en fait souvent de manière lointaine où il est bien plus fait usage de mitrailleuses lourdes, canons-mitrailleurs et tubes de chars que de fusils d’assaut. Dans ces conditions, l’affaire est bien plus une affaire de qualité que de nombre. 

Le principe est simple : en cas de rencontre entre deux unités, l’unité de plus haut niveau tactique sur une échelle de 1 à 10 l’emporte systématiquement et l’ampleur de sa victoire sera plus que proportionnelle à l’écart de niveau entre les deux forces ennemies. La position défensive sur une position retranchée apporte un bonus d'un échelon ainsi que, en attaque comme en défense, l'appui d'un puissant complexe de reconnaissance-frappes. Au bout du compte, à niveau équivalent le combat est indécis et soumis aux aléas du hasard ; avec un niveau de plus on gagne de manière limitée ; avec deux niveaux d’écart, on l’emporte nettement avec beaucoup moins de pertes que l’autre : avec trois niveaux, on écrase l'ennemi. 

Rappelons aussi avant d’aller plus loin que la notion d’un rapport de forces de « 3 pour 1 » à réunir pour pouvoir l’emporter une attaque a du sens au niveau stratégique (l’armée de Terre française de 1990 l’emporterait sans doute sur celle de 2023 car elle était trois fois plus nombreuse) mais pas au niveau tactique, disons au niveau de la brigade et en dessous. Dans ce monde là, très dangereux, à partir d’un certain seuil ajouter des hommes c’est faire monter légèrement le M de l’équation mais c’est surtout ajouter des pertes. C’est donc possible si on se moque des pertes, comme le faisait Wagner à Bakhmut, mais ce n’est pas du tout la norme. Depuis presque cent ans les rapports de force des combats terrestres ne dépassent que très rarement le 2 contre 1 et bien souvent les attaquants sont inférieurs en nombre aux défenseurs. On y revient donc, au niveau tactique la taille ne compte pas beaucoup. Seule compte la différence de niveau tactique. 

Toute la difficulté d’une armée sera de concilier masse et niveau tactique car ce ne sont pas des critères parfaitement compatibles. Le point clé est de disposer et conserver une grande quantité de cadres – officiers et sous-officiers – de bonne qualité, malgré l’intensité des combats et l’ampleur des pertes.

Que constate-t-on maintenant sur le terrain ? Les Ukrainiens ont lancé tout ou presque de leur premier échelon à l’attaque de la première position russe, chaque brigade agissant par colonnes de bataillons interarmes.

D’Ouest en Est, près du Dniepr à Lobkove la 128e brigade de montagne a progressé et a été stoppée par les éléments avancés russes sans subir trop de pertes. La 65e brigade mécanisée à fait de même plus à l’Est dans la zone de Nesterianka. L’engagement des 33e et 47e brigades mécanisées depuis Orikhiv en direction respectivement de Robotyne et Verbove a été en revanche plus intense. La 33e brigade a bien progressé avant d’être stoppée. Elle a même subi une contre-attaque depuis la ligne principale du 291e régiment de la 42e division motorisée mais celle-ci a été stoppée à son tour. Les pertes ont été assez sensibles de part et d’autre. L’échec le plus important est venu de la 47e brigade dont les quatre colonnes d’assaut ont été sévèrement étrillées devant le groupement russe de la 22e brigade Spetsnaz et de la 45e brigade de Forces spéciales, utilisées en formation d’infanterie. Dans le secteur central de Houliaipole, la 46e brigade aéromobile ukrainienne (équipée notamment de véhicules VAB français) a légèrement progressé. On a donc globalement eu à l'Ouest et au centre des combats de niveau équilibré qui n’ont pas donné grand-chose et un combat déséquilibré qui a abouti à un grave échec. La 47e brigade étant censée avoir été formée par les Occidentaux, il faudra peut-être se poser quelques questions.

Si les Ukrainiens ont clairement été contenus dans la partie Ouest du front, ils ont été beaucoup plus victorieux dans la zone de Velika Novosilka. Ils y ont bénéficié de la forme en saillant du front, qui leur permettait de coordonner l’action de flanc de plusieurs brigades (si on forme des poches sur les flancs, les unités russes à l'avant sont menacées d’encerclement et doivent se replier), là où les brigades à l’Ouest devaient attaquer en parallèle en ligne droite sans avoir beaucoup de possibilité de s’aider mutuellement. Les Ukrainiens disposaient d’unités pas forcément parmi les plus lourdement équipées mais de bonne qualité tactique, comme la 37e brigade d’infanterie de marine (avec des AMX-10RC français) venue du secteur de Vuhledar et qui a attaqué avec succès le flanc Est de la poche. La 35e brigade d’infanterie de marine au nord et la 68e brigade de chasseurs ainsi que la 31e Mécanisée  à l’Est ont également martelé la première position jusqu’à imposer le repli russe. Les Ukrainiens ont ainsi conquis la première position russe des deux côtés de la rivière Mokri Yali, repoussé une contre-attaque de la 127e division motorisée depuis la ligne principale et continuent désormais leur progression méthodique vers le Sud. Plus de 75 % du terrain conquis par les Ukrainiens en une semaine l’a été dans ce seul secteur, et il est probable qu’il est de même pour les pertes infligées aux Russes.

En résumé, comme on pouvait s’y attendre, le combat est difficile et ressemble évidemment bien plus aux longs mois nécessaires pour la conquête de la tête de pont de Kherson, où le dispositif russe était moins profond et trois fois plus faible que dans la zone de Zaporijia-Donetsk, qu’à la percée de Kharkiv en septembre 2022, qui était en fait une anomalie tant les Russes y étaient anormalement faibles. Ces combats sont également assez conformes aux attentes. Les brigades expérimentées sont meilleures que les jeunes brigades, et ce quel que soit le matériel de même gamme utilisé et même si bien sûr ce serait encore mieux si les meilleurs avaient le meilleur matériel. Mais même les brigades d'élite ne réussissent pas si elles ne se coordonnent pas bien avec un complexe de reconnaissance-frappes susceptible de leur offrir une protection contre ce qui tombe du ciel et un appui contre ce qui vient du sol.

Cette première semaine de combat ne constitue sans doute qu’un demi-succès par rapport à ce qui était espéré par le commandement ukrainien, mais il ne s’agit justement que de la première semaine. Beaucoup d’autres viendront et il n’y a encore à ce stade aucun moyen de savoir qui l’emportera dans ce bras de fer. 

La Voie de l'épée migre progressivement. Vous pouvez déjà retrouver et commenter ce billet ici