jeudi 30 janvier 2020

De la réforme des armées


En trente-trois de carrière militaire, j’ai connu le plan «Armées 2000» dans les années 1980, la professionnalisation complète des Armées à la fin des années 1990, la Revue générale des politiques publiques (RGPP) et deux livres blancs entre 2008 et 2015 pour rater de peu en bout de course la «bifurcation» de 2015. Cela fait une restructuration profonde, appelons cela réforme, tous les dix ans en moyenne, un rythme que nous tenons en réalité depuis… très longtemps et qui doit constituer une particularité forte du ministère de la Défense/des Armées par rapport à toutes les autres grandes organisations publiques. En soi, il n’y a rien d’étonnant à cela. Les armées sont étroitement reliées à deux grands environnements changeants.
Celui de la nation d’abord et de sa société dont elles sont issues et qui lui fournissent ses ressources. Quand, en 1992, le Président de la république décide d’un coup de réduire la durée du service national à dix mois au lieu de douze, cela ne peut qu’avoir de fortes conséquences sur l’organisation et même le fonctionnement des armées et évidemment plus encore lorsque son successeur décide de le suspendre complètement quatre ans plus tard. Lorsque dans le même temps, on décide de s’équiper de matériels majeurs qui coûtent en moyenne à l’acquisition et à la possession trois à quatre fois plus cher que les précédents, cela a aussi forcément des conséquences lorsque le budget d’équipement n’évolue évidemment pas en proportion et a même tendance à diminuer.
Celui du reste du monde aussi, l’endroit où par principe les armées sont destinées à agir et en particulier contre des ennemis armés. Leur boulot est d’essayer de les vaincre, ce qui nécessite un minimum de réflexion et bien souvent des adaptations. Ajoutons qu’outre que ses ennemis puissent être divers simultanément ou en succession, il faut aussi effectuer tout un tas de mission non combattantes, depuis le nettoyage des plages jusqu’à l’interposition entre deux factions au milieu d’un pays lointain en passant depuis 25 ans par des patrouilles dans les rues de métropole pour rassurer les gens. Comme sous-officier je passais mes journées à apprendre à casser des chars soviétiques, mais je suis allé aussi en Nouvelle-Calédonie pendant les «événements» des années 1980 pour y protéger des sites sensibles et je suis allé accompagner des douaniers et des policiers à la frontière du Luxembourg pour protéger le territoire national des terroristes. Quand je suis sorti de mon cursus d’officier, il n’y avait plus de chars soviétiques à casser et la mode était au «soldat de la paix». Quand je suis sorti de l’École de guerre, on commençait à comprendre (plus les militaires que les politiques) que l’interposition, ça ne servait pas à grand-chose sinon à s’engluer quelque part et y perdre des soldats stupidement. On retrouvait alors la «contre-insurrection» en Afghanistan puis au Sahel et voilà que maintenant on se réinterroge sur la manière de casser des chars. Bref, beaucoup de choses variées à faire, et donc à apprendre, d’autant plus nombreuses que le Président qui n’a qu’à ordonner pour que les choses soient faites immédiatement et avec discipline, un luxe incroyable dont bien peu se passent.
Cela peut paraître contre-intuitif à certains, qui restent sur l’image d’une structure rigide, monolithique et stupide à la «Bidasses en folie», mais les armées françaises constituent sans aucun doute la grande organisation la plus soumise à la pression du changement. Est-ce que cela se passe bien? Pas toujours.
Notre modèle de défense date des années 1960 à l’époque où on avait, osons le mot, une «grande politique» («Si on n’a pas de grande politique quand on n’est plus une grande puissance, alors on n’est plus rien» Charles de Gaulle). L’adossement force nucléaire-force conventionnelle de type Seconde Guerre mondiale était coûteux en capital, mais avec un effort budgétaire moyen entre 2 et 4 % du PIB à une époque où la croissance du PIB était facilement du même ordre et un budget de fonctionnement réduit par l’emploi massif d’appelés et de réservistes, il était financé. La force conventionnelle était un peu sous-équipée et on manquait singulièrement de moyens de faire des choses en grand au loin, puisqu’on n’y envoyait que des professionnels, mais c’était cohérent et cela tenait à peu près. On complétait les professionnels par des Volontaires service long (VSL), des CDD de quelques mois qui permettaient à des appelés de dépasser la durée de service et donc de ne plus être considérés comme des appelés. Tout le monde n’était pas équipé des matériels les plus sophistiqués et coûteux.
Le modèle a commencé à craquer avec les difficultés économiques. L’effort de défense était réel montant jusqu’à presque 3 % à la fin des années 1980, mais il est difficile de maintenir un effort au-delà du taux de croissance annuel (on pourra appeler cela le «principe de Gaston Imbert), surtout quand l’inflation est forte. Il fallut faire des économies ailleurs, en réduisant les commandes d’équipements, mais aussi ceux le nombre de ceux qui les utilisaient. On procéda donc à une contraction des armées d’environ 1/6 e en quelques années, considérant avec certaines raisons que l’apport qualitatif compenserait la perte de volume. Le personnel étant majoritairement composé d’appelés, cette réduction des effectifs fut relativement bien absorbée même s’il est toujours pénible de supprimer des régiments, des bases ou de ne pas renouveler des bâtiments de la Marine nationale. Le coup principal était surtout porté au principe d’un service national, dont la composante militaire n’était plus assurée que par un quart d’une classe d’âge.
La fin de la guerre froide et plus secondairement la guerre du Golfe causèrent de grands troubles. Le modèle était cette fois franchement en crise. Sans menace majeure, l’effort de défense déclina rapidement et comme les taux de croissance n’étaient pas fameux, les budgets n’ont cessé de décliner depuis 1991. On ne pouvait plus se payer des équipements du futur avec des budgets du passé (celui de 2010 équivalait à celui de 1982 en monnaie constante). Le changement radical de contexte international imposait de faire de même dans notre politique et notre modèle de Défense, un «reboot». On ne le fit pas vraiment, hormis par la professionnalisation complète des forces dans la deuxième moitié des années 1990.
Là ce fut plus difficile que dans les années 1980. Il fallut «dégraisser» de 30 à 40 % selon les armées en cinq ans. Bien sûr, il s’agissait surtout de remplacer les appelés par des professionnels moins nombreux, mais que de mutations, entre les corps dissous et les gradés retirés des corps déjà professionnels pour encadrer les nouveaux. Combien de carrières furent stoppées, et combien différemment parmi les officiers selon les origines, car la pyramide ne pouvait être la même au sommet lorsque la base se resserrait fortement. Mais globalement, il y avait un objectif valorisant. On supprimait la distinction entre les «deux armées», celle qui partait en opération et celle qui restait en métropole, et on devenait une grande force de projections, à une époque où celles-ci se multipliaient, car bien sûr «pendant les travaux la vente continuait».
Le résultat n’a pas été à la hauteur des espoirs, car le modèle n’était toujours pas financé et la professionnalisation n’a au bout du compte fait qu’accentuer le problème. Non qu’il ne faille pas le faire, mais il fallait le faire de manière à ce que ce soit soutenable économiquement, en augmentant les budgets, en utilisant beaucoup plus les réserves en complément de forces professionnelles peut-être plus réduites et/ou en utilisant des équipements moins coûteux et suffisants pour les besoins du moment, autant de solutions de rupture que personne n’a osé prendre.
La crise n’étant pas résolue, il fallut à nouveau «réformer» à partir de 2008. Cette fois ce fut carrément un désastre, exemple de solutions technocratiques imposées sans vraie réflexion et au moins de précautions. Pour trouver des financements, on se contenta de la solution la plus simple : supprimer les soldats (les «réserves de productivité» selon les termes d’un membre de la DRH du ministère de la Défense) par dizaines de milliers, 73000 au total selon la RGPP et les deux Livres blancs de 2008 et 2013. Tout s’effondra, le nombre de soldats, le nombre d’équipements disponibles, l’administration avec les Bases de défense, la solde avec le logiciel Louvois… sans résoudre en rien le problème de financement. Dans le même temps, les mêmes forces armées dont on sacrifiait par stupidité les ressources étaient pleinement engagées au combat en Afghanistan puis à nouveau en Afrique. Au bilan, on ne pouvait finalement pas plus engager de troupes au loin que dans les années 1980 et au près, à la frontière ou en métropole, puisqu’on fait laissé disparaître la Défense opérationnelle du territoire, et réduit la force conventionnelle a une portion congrue. En 1990, on pouvait engager une centaine de régiments de combat aux frontières, vingt-cinq ans plus tard, on n’aurait pu aller au-delà d’une douzaine, et pas en quelques jours comme à l’époque.
Et puis est survenue 2015, et plus exactement des événements dont la possibilité et même la forte probabilité étaient inscrites en toutes lettres dans les livres blancs juste avant la partie «on va donc réduire les moyens». Étrangement, on considéra que ce qui était proclamé comme impossible précédemment le devenait soudainement, par l’action de quelques salopards. On trouve finalement des financements, et alors qu’il fallait dégraisser absolument pour réussir la «modernisation», il fallut recréer des postes du jour au lendemain. Pour autant, cinq ans plus tard, il n’y a toujours pas plus de soldats face à l’ennemi, l’essentiel étant surtout de les envoyer dans les rues de France ou bientôt dans le Service national universel (SNU) et montrer que l’on faisait quelque chose sans prendre trop de risques. Je ne suis pas sûr non plus qu’on résistera longtemps à la tentation de prendre dans ce budget «poulet rôti». Je ne suis pas sûr non plus en réalité que le modèle «high tech-pros only», soit efficient. On verra, il faudra de toute façon des années pour sortir de la crise dans laquelle des réformes à courte vue nous ont plongés.
Pour savoir si un modèle est efficient et donc si une réforme est utile, il faudrait savoir en quoi ce modèle contribue à une grande politique, en admettant que l’on ait une bien sûr une grande politique («être présent quelque part» ne constitue pas une grande politique, ni «faire des économies» ). Sans vraie vision et sans une réflexion profonde sur les moyens qui sont nécessaires à sa réalisation, comme dans les années 1960, toutes les réorganisations seront boiteuses, sinon vouées à l’échec. Quand j’entends parler de réforme, je suis donc très sceptique. Je demande où est la grande politique qu'elle doit servir.

samedi 18 janvier 2020

Rugby-Combat 2 : L’innovation dans le rugby moderne : art opératif ou montée en gamme tactique ?


Billet invité

Si l’on observe le rugby d’aujourd’hui par rapport à celui d’il y a 20 ans environ, on remarque d’emblée une différence majeure, à savoir que le nombre de collisions et, partant, celui des « rucks », a augmenté de manière exponentielle. Cette évolution du jeu, qui marque en fait une accélération de phénomènes dont les prémisses se dessinaient déjà à la fin des années 1990, tient essentiellement à des innovations intervenues dans l'organisation défensive et la préparation physique. Depuis la professionnalisation du rugby en 1995, des nations comme l’Australie, mais aussi l’Afrique du Sud, ont en effet lancé des nouvelles techniques de défense (« défense glissée » ou « défense inversée ») s’inspirant d’autres disciplines comme le rugby à XIII ou le football américain. Les principes rudimentaires de défense homme contre homme ou de défense en ligne existant au préalable ont alors été abandonnés au bénéfice de véritables systèmes collectifs visant à cloisonner l’espace, de manière à restreindre la capacité de manœuvre de l’attaquant et à créer des surnombres défensifs dans les zones de contact, facilitant ainsi la récupération du ballon.

En parallèle, la préparation physique a pris une place de plus en plus prépondérante dans la formation des joueurs. L’observation de l’évolution du jeu, sous l’effet de la multiplication des collisions et des phases de « ruck », a amené les préparateurs physiques à revoir l’entraînement athlétique des joueurs : en l’espace de quelques années, le rugby est en effet passé de séquences plutôt longues nécessitant des courses à vitesse élevée, mais constante, à des phases courtes, de forte intensité, alternant accélérations brutales et phases de lutte exigeant un maximum de puissance. La préparation physique a donc non seulement subi une évolution quantitative (accroissement de la charge de travail), mais aussi qualitative, les principes d’entraînement basés sur l’endurance des joueurs cédant le pas à un entraînement dit « fractionné » ou « par intervalles », qui met en avant la résistance, c’est-à-dire la capacité d’enchaîner des séquences de haute intensité. Globalement, cette double innovation a eu une répercussion tactimétrique très simple : là où on comptait en 1999 une moyenne de 7 joueurs dans la ligne de défense (couvrant chacun un couloir de 10 mètres de large en moyenne), on en trouve aujourd’hui 10 ou 11 (couvrant chacun 6-7 mètres et disposant d’une mobilité supérieure). En outre, les dispositifs défensifs sont aujourd’hui conçus de manière à quadriller parfaitement la profondeur du terrain, par l’intervention d’un 2e et 3e « rideau défensif », capable de colmater les brèches en cas de franchissement adverse.

Sur le plan stratégique, l’équation à résoudre pour l’attaquant n’est pas sans rappeler celle du front de l’Ouest en 1917 et 1918, puisque dans ce rugby moderne, il n’est plus possible de contourner l’ennemi et il ne suffit plus de percer la défense pour être certain de marquer. Dès lors, il ne reste que deux solutions : 1) faire continuellement reculer l’adversaire, dans le cadre d’une accumulation d’actions offensives qui amènent finalement l’essai, ce qui suppose de garder en permanence l’initiative et/ou 2) chercher à disloquer le dispositif défensif par une action brutale et précise en un point donné, de manière à exploiter ensuite cette rupture dans la profondeur grâce à la capacité d’adaptation des joueurs. On retrouve dans ces deux approches, d’une part, les fondements de « l’art opératif » développé à la fin de la guerre du côté français et, d’autre part, le principe de la « montée en gamme tactique » (associé à l’idée de « bataille décisive ») que privilégiait l’état-major allemand en 1918.

Rugbystiquement parlant, le principe de l’art opératif correspond grosso modo à la stratégie de la « cascade décisionnelle ». Celle-ci mise sur une action collective préparée sur plusieurs temps de jeu, en réponse à la capacité des défenses de se réorganiser. Il ne s’agit pas d’un jeu programmé de façon aléatoire, dans la mesure où la phase de planification aura auparavant cherché à identifier les points faibles adverses (ses centres de gravité) et défini des modes d'action susceptibles de les cibler. De plus, la « cascade décisionnelle » ne réduit pas non plus les joueurs – et en particulier les leaders de jeu – au rang de pions que l’on déplace sur un échiquier : les joueurs disposent de marges de décision tactique leur permettant d’orienter l’action selon les différentes hypothèses de réaction adverses envisagées lors de la phase de planification. Dans cet enchaînement d’action et de réaction, on cherche plutôt à anticiper l’évolution du dispositif adverse et à fournir aux joueurs des options de jeu travaillées au préalable afin de prendre de court l’adversaire et d’être déjà en capacité de lancer une 2e, voire une 3e action, alors que la défense en est encore à se replacer. Le succès de la manœuvre est donc fonction de la qualité de sa planification et de sa vitesse d’exécution.

Dans l’autre solution, celle de la « montée en gamme tactique » (doublée de l’idée de « bataille décisive »), chaque joueur est susceptible d’endosser un rôle de « caporal stratégique », tel que l’a défini le général des Marines Charles Krulak. Pour celui-ci, les situations de combat complexes appellent une décentralisation du commandement vers les échelons les plus proches de l’action, jusqu’au niveau le plus élémentaire de la chaîne hiérarchique, c’est-à-dire le caporal (chef d’équipe), qui peut être amené, par ses choix tactiques, à prendre des décisions ayant une incidence au niveau stratégique. La montée en gamme tactique appelle donc le recours à des joueurs capables d’analyser, de décider et de réaliser avec justesse. Dans l’idéal, chaque joueur doit être un super-tacticien. Dans ce type de jeu, on lance d’abord une première phase de manœuvre et d’affrontement qui est minutieusement préparée (le « premier temps de jeu »), et dont l’idée maîtresse est de percer la défense ou du moins de la déséquilibrer suffisamment pour que les joueurs qui seront parvenus à franchir le rideau défensif puissent ensuite mettre à contribution leurs compétences tactiques supérieures (leur « intelligence situationnelle ») et manœuvrer dans la profondeur du dispositif adverse jusqu’à la zone d’en-but. C’est, dans l’esprit, ce que tenteront de faire les Allemands lors de leurs offensives du printemps 1918. 

Il est évidemment difficile de départager « art opératif » et « montée en gamme tactique » dans l’absolu. D’ailleurs, ces deux solutions aux problèmes rencontrés dans le rugby moderne ne s’excluent aucunement. Elles sont même complémentaires, et ce d’autant plus que des groupes à fortes compétences tactiques seront d’autant mieux à même d’enchaîner des opérations en « cascade décisionnelle ». Inversement, lorsque les solutions envisagées au préalable se révèlent insuffisantes, ou lorsqu’une occasion imprévue se présente, il faut pouvoir la saisir. C’est pourquoi les bonnes équipes doivent aussi avoir cette capacité de « sortir du cadre », en mettant à profit les compétences tactiques des joueurs pour identifier un problème ou une opportunité et agir en conséquence. L’armée égyptienne l’apprend à ses dépens en octobre 1973, lorsqu’elle franchit le canal de Suez dans une opération très bien planifiée et bouscule les troupes israéliennes dans les premiers jours de combat. Passé l’effet de surprise, les Israéliens parviennent cependant à se réorganiser et à adopter des réponses tactiques pertinentes, auxquelles les Egyptiens n’auront cette fois rien à opposer. Incapables d’infléchir le cours de l’action une fois sortis du « cadre », ils sont repoussés nettement au-delà de leurs positions initiales. Les Israéliens pour leur part sont passés tout près de la catastrophe et l’issue du combat aurait pu être tout autre face à un adversaire plus manœuvrier, capable d’exploiter ses percées initiales.  

Cela étant, et toutes choses étant égales par ailleurs, l’art opératif présente un avantage structurel sur la montée en gamme tactique. En effet, et comme le montrent les analyses du stratégiste britannique Jim Storr, la qualité de planification et la vitesse d’exécution d’une opération influent souvent davantage sur son succès que la justesse tactique des décisions prises en cours de route. Ce constat est renforcé par l’expérience du NTC, le centre d’entraînement opérationnel américain qui a permis aux forces US de simuler en conditions presque réelles le combat face aux troupes du Pacte de Varsovie : il ressort des centaines de simulations de combat ayant été effectuées que les décisions tactiques prises dans le feu de l’action, et même quand elles sont justes, ont moins de prise sur l’issue des combats que la capacité de planifier correctement des modes d’action et de les exécuter rapidement. Une force – ou une équipe – qui s’est bien préparée et qui enchaîne ses actions sans les frictions liées à la communication des ordres, ou à la coordination du mouvement des unités, a donc plus de chances de l’emporter.

Dans le rugby moderne, les praticiens de « l’art opératif » disposent encore d’un autre avantage qu’on pourrait considérer comme structurel et qui est lié à l’irruption des technologies informatiques dans le sport. Contrairement à l’affrontement militaire, où aucun des protagonistes n’a une connaissance exacte des forces qu’il s’apprête à affronter (« brouillard de guerre »), les états-majors au rugby savent exactement quelle est la composition de la force adverse. Il en a été ainsi de tout temps. L’innovation majeure qu’apportent les technologies de l’information, c’est qu’il est désormais possible de faire un vrai travail de renseignement tactique et stratégique sur l’adversaire, à travers des logiciels d’analyse minutieuse des matchs disputés. L’importance des structures de commandement est ici primordiale : voir défiler une image, c’est une chose, mais pour en tirer une information utile, il faut disposer de spécialistes compétents. Le cycle du renseignement (collecte, analyse, traitement, diffusion/action) s’applique parfaitement en l’espèce. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater à cet égard que d’anciens spécialistes du renseignement militaire figurent en bonne place parmi les fournisseurs de logiciels d’analyse de la performance sportive. On pense notamment au logiciel « Zone 7 » d’une société fondée par des anciens de « l’unité 8200 » de l’armée israélienne. A l’évidence, la capacité de connaître les modes d'action individuels et collectifs de l’adversaire, ainsi que ses points forts et ses points faibles, revêt un intérêt énorme dans la planification de l’affrontement à venir. Cette irruption des technologies de pointe ne s’arrête d’ailleurs pas à l'analyse de la performance. Les laboratoires de biomécanique et autres instituts de recherche interviennent aussi dans l’amélioration du jeu. On citera, à titre d'exemple, la méthode d’engagement en mêlée développée en 2005 par les All Blacks en collaboration avec l’institut de biomécanique de l’université d’Auckland (« Total Impact Method »), reprise ensuite très largement dans le rugby professionnel. 

Dans tous les domaines évoqués plus haut (organisation défensive, préparation physique, jeu d’attaque, structures de commandement et technologies), force est de constater que le rugby français a été absent ou à la traîne de l’innovation. L’équipe de France a certes recruté un spécialiste mondial de la défense, l’anglais Shawn Edwards, à l’automne 2019. Mais Edwards avait déjà été intégré au staff technique du Pays de Galles dès 2008 : la France fait appel à lui avec onze ans de retard. Dans le domaine de la préparation physique et du jeu d’attaque, nul besoin d’être un expert pour constater les lacunes criantes des meilleurs joueurs français. Enfin, et c’est sans doute un élément qu’on ne met pas suffisamment en avant, les équipes qui ont le plus progressé au niveau international, y compris les équipes européennes (Galles, Irlande, Angleterre, Ecosse), ont toutes franchi un palier qualitatif après avoir eu recours à des staffs techniques (structures de commandement) de tout premier plan, en l’occurrence des sélectionneurs venus de l’hémisphère Sud. Ce constat veut d’ailleurs aussi pour le championnat de France où des entraîneurs venus d’ailleurs, avec des idées autres et nouvelles, ont marqué de leur empreinte le TOP 14, résultats sportifs à l’appui: on pense par exemple au Sud-Africain Nick Mallett au stade français, double champion de France en 2003 et 2004, ou encore au Néo-Zélandais Vern Cotter à l’ASM, quadruple finaliste du championnat de France entre 2007 et 2010. Face au parti pris de l’innovation pour lequel ont opté ces hommes, la France du rugby s’est souvent recroquevillée sur des certitudes d’un autre âge, reproduisant d’une certaine façon cette querelle entre anciens et nouveaux – entre «école de Potsdam » et tenants de la pensée clausewitzienne – qu’a connue l’armée prussienne à l’aube de son renouveau. Cette fossilisation de la doctrine et de la formation à la française, nous l’aborderons une prochaine fois.

Patrick

lundi 13 janvier 2020

De ma terre jusqu'au Sahel


Publié le 12/12/2019

Le 11 novembre dernier a été inauguré à Paris un monument en mémoire des soldats «morts pour la France» loin de leur pays depuis 1963. Si on examine maintenant le contexte dans lequel sont morts les 549, et hélas bientôt 562, soldats dont le nom y est inscrit, on s’apercevra que presque tous sont tombés en luttant non contre des États, mais contre des organisations armées. Nos ennemis sont le plus souvent des sigles, Frolinat, Polisario, GUNT, FLNC, FPR, pour ne citer que ceux que nous avons combattus en Afrique et désormais, pour ne considérer toujours que ce continent, nous nous battons contre Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la katiba Macina et la katiba Al-Mourabitoune réunies dans Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ainsi que l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
Ces organisations ennemies, autant les appeler par le nom parfois changeant qu’elles se donnent et non par l’appellation « Groupes armés terroristes » qui ne veut pas dire grand-chose, abstrait le problème, le réduit à ce qui n’est qu’un mode d’action et en limite la solution à l'éradication. Ces gens-là ne sont pas de simples psychopathes qui n’ont envie que de semer la mort et la destruction, ce sont des acteurs politiques qui ont un projet, des plans et des instruments pour imposer leur volonté. Ils ne viennent pas non plus d'une autre planète, mais d'un contexte local complexe. Considérer tous ceux qui portent des armes dans leurs rangs comme de simples alter ago de ceux qui ont attaqué Paris le 13 novembre 2015 est une simplification grossière et trompeuse.
Nous leur faisons la guerre pour deux raisons. La première, très simple, est que ce sont eux qui nous l’ont déclarée, et ce dès 1995 lorsque ce qui deviendra plus tard AQMI a organisé une série d’attentats en France, envisageant même de fracasser un avion de ligne au cœur de Paris, puis avec d’autres groupes ont entrepris de nous harceler dans le Sahel en tuant nos ressortissants ou en les prenant en otages. Il y a plusieurs manières de faire la guerre et à l’époque, on s’était contenté de se protéger de leurs actions, sur le territoire métropolitain d’abord par un dispositif juridico-policier dont on ne percevait pas encore les failles, et sur place au Sahel par l’action ponctuelle de nos forces clandestines ou spéciales. Cela pouvait suffire pour contenir la menace pour nous, mais pas pour certains États de la région.
C’est là qu’intervient la deuxième raison. Nous nous engageons au combat parce qu’on nous le demande, et nous acceptons parce que nous avons des accords de Défense, des paroles à respecter et surtout des intérêts à défendre. Quand on n’a qu’un marteau comme outil d’analyse, on ne voit que des clous. Quand on ne voit que de l’exploitation capitaliste partout, on cherchera immédiatement le pétrole, les minerais, les projets de gazoduc, qui seuls peuvent justifier une intervention militaire. Ce n’est pas absurde, il est légitime qu’un État défende ses intérêts économiques. Malheureusement, c’est rarement le cas pour la France. D'expérience, la plupart du temps nos engagements militaires s’effectuent dans des endroits où il n’y a pas grand-chose «à gagner» et s’il y en a, nous savons très mal en tirer des dividendes. Il y a certes un peu d’or au Mali et au Burkina Faso, mais il n’est pas exploité par des sociétés françaises, sans doute le résultat des interventions australienne et canadienne dans la région. Il y a aussi un peu d’uranium au Niger, 4 % de la production mondiale, que nous exploitons sans qu’il représente plus depuis longtemps un approvisionnement stratégique. S’il l’était encore vraiment, il aurait suffi d’envoyer nos troupes autour de cet uranium et nous serions tranquilles.
Bien plus simplement, parmi les intérêts à défendre il y a des ressortissants à protéger, 6000 au Mali par exemple en 2013. Bien plus sûrement encore, il y a la vision qu’à la France de sa place et de son rôle dans les affaires du monde, et une facilité d’engagement inédite dans les démocraties puisqu’il suffit que le président de la République le décide. Nous intervenons aussi parce que nous sommes parmi les rares à pouvoir le faire et accepter que nos soldats meurent au combat. Tout cela donne 170 interventions militaires depuis 1963, dont un certain nombre en soutien d’États faisant appel à nous pour les aider à lutter contre des organisations armées.
Le Mali en fait partie. Il fermait les yeux jusque-là sur AQMI, mais il n’a pu cacher son impuissance lorsque des mouvements plus locaux, Touaregs d’Anse Dine ou Arabes maliens du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) se sont associés à Al-Qaïda pour former en 2012 un califat non proclamé dans le nord du pays. Ces trois organisations représentaient à peine plus de 3000 combattants, peu en soi, mais une superpuissance face au vide l’État malien et la lenteur interminable de constitution de la force interafricaine, la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), qui était censée pallier cette faiblesse. Le risque était grand, non pas forcément d’un prise de Bamako par quelques centaines de combattants, mais d’une déstabilisation générale, d’un chaos sur lequel des jihadistes auraient pu ensuite prospérer avec des conséquences certaines sur les pays voisins, dont la Côte d’Ivoire où pour le coup les intérêts français sont beaucoup plus importants, et des conséquences indirectes possibles sur l’Europe proche.
La dernière fois que nous sommes intervenus militairement directement contre des organisations armées en Afrique, c’était en 1978, dans ce qui était à l’époque au Zaïre, mais surtout au Tchad avec l’opération Tacaud. Tacaud s’est mal terminée puisque nous avons été incapables d’empêcher le pays de basculer dans le chaos surtout à partir du moment où le gouvernement français de l’époque a cessé d’utiliser ses soldats pour combattre. Depuis, lorsque nous sommes intervenus en guerre en Afrique, nous l’avons fait en «appui et soutien» des armées locales qui elles, menaient le combat en première ligne. Cela réussissait parfois, cela échouait plutôt, le succès reposant presque entièrement sur la valeur de ces armées locales, elle-même souvent liée à celle de leur État, de sa légitimité, de son autorité, de son honnêteté. Lorsque les États et donc leurs armées étaient de manière persistante plus faibles que leurs adversaires, nos conseillers, nos avions, nos canons, nos équipements, n’ont fait que retarder une défaite inéluctable. Nous avons cessé cette pratique avec l’opération Noroît au Rwanda en 1993 et cessé alors pour un long temps de faire la guerre en Afrique.
Depuis nous n’avons mené que des missions sans ennemis en espérant ainsi que l’on n’en aurait pas, soit des missions d’interposition, soit des «opérations de stabilisation». À chaque fois que l’on pouvait, on cachait le drapeau français derrière le drapeau européen des missions EUFOR, ou celui des Nations-Unies, parfois des missions interafricaines. Tout était bon pour agir sans être visible et sans prendre trop de coups, même si cela ne fonctionnait pas beaucoup. Ne pas vouloir d'ennemis n'empêche pas d'en avoir ponctuellement et nos soldats de tomber aussi dans ces opérations. Cette période s’est presque terminée en 2011 avec l’intervention discrète des forces françaises au profit des forces du président ivoirien élu Ouattara contre celles de Laurent Gbagbo. Il y eu encore l'opération Sangaris en République centrafricaine, une des plus difficiles, sans doute la dernière du genre avant longtemps.
L’intervention française de janvier 2013 au Mali renoue donc avec l’intervention directe au combat contre des organisations armées, témoignant de l’échec de toutes les autres formes. Cette opération Serval a été un remarquable succès, en grande partie justement du fait de la territorialisation de l’ennemi qui permettait de donner la priorité à l’affrontement force contre force et de fournir des résultats visibles. Pour être plus précis, on peut qualifier Serval d’«opération séquentielle », une forme d’intervention où on agit exclusivement contre la force armée ennemie en progressant d’objectif en objectif jusqu’au but final. Il suffit alors de regarder sur la carte la progression des petits drapeaux pour savoir dans quel sens va l’histoire. Les petits drapeaux français et alliés, les Tchadiens principalement, ont ainsi été placés sur Gao et Tombouctou libérées d’Ansar Dine et du MUJAO, puis sur la base d’AQMI dans la vallée de l’Ametettaï. Ajoutons que dans cette forme opérationnelle, la réponse à la question «pourquoi nos soldats meurent-ils?» est claire et n’induit que rarement le doute puisqu’elle s’accompagne de résultats visibles.
Toute la difficulté de la lutte contre les organisations armées et parfois contre les États est de savoir où s’arrête ce qui suffit. Il n’y a que peu de capitulations et encore moins de destructions complètes. Il n’y a bien souvent que des situations plus ou moins acceptables. Villes libérées, bases détruites, 300 combattants jihadistes tués, la plupart des autres en fuite et incapables de monter des opérations d’ampleur sous peine d’être frappés, à la fin de 2013 le corps expéditionnaire français avait accompli sa mission. Il aurait été possible de le retirer quitte à revenir plus tard en cas de besoin. C’est ce que nous avons fait au Tchad en 1972 après avoir vaincu, mais non détruit le Front de libération nationale.
Nous avons préféré rester dans une guerre dont la forme basculait de la forme «opération séquentielle » à celle d’«opération cumulative», des Échecs au jeu de Go. Cette fois pas de drapeau à planter sur des villes libérées, pas de batailles, mais une multitude de petites actions isolées dont on espère qu’elles finiront par faire émerger après des années l’«État final recherché». C’est la forme utilisée par toutes les organisations armées clandestines avec de la guérilla, des sabotages, de l’action auprès des populations, des attentats terroristes éventuellement. C’est un pointillisme que pratiquent aussi généralement ceux qui les combattent, par des raids, des frappes, des actions civilo-militaires, etc. C’est beaucoup plus long et ingrat que les opérations séquentielles. Les combats y ont moins d’ampleur, mais sur la longue durée, ils finissent par faire beaucoup plus de morts dans nos rangs, des morts que l’on a du mal cette fois à associer à des bilans concrets, ce qui induit le doute et l’accumulation du doute induit le sentiment d’enlisement alors que l’enlisement est inhérent à ce type d’engagement.
Le passage de Serval à Barkhane en 2014 consacrait ce changement de forme, inévitable du fait du succès même de la première opération qui interdisait désormais aux organisations ennemies de paraître en grand quelque part sous peine de destruction. Cette forme faite de coups, de frappes et de raids pouvait être menée depuis la périphérie du Mali, depuis des bases solides. Il fut décidé au contraire de maintenir un corps expéditionnaire dans et autour de Gao en attendant la relève par d’autres forces, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) d’abord puis surtout les Forces armées maliennes (FAMa).
Cette relève, comme c’était hélas prévisible, n’est pas venue. La MINUSMA, 13000 soldats et un budget d’un milliard d’euros par an, s’est avérée aussi inefficace et peu utile que toutes les autres opérations des Nations-Unies, et la Mission européenne de formation des FAMa, succédant à un programme équivalent américain, s’est révélée largement stérile. Là encore 13000 soldats ont été formés où reformés en six ans au camp de Koulikoro près de Bamako, avec un effet pratiquement nul car le problème premier des FAMa n’est pas technique, mais leur adossement à un État failli et corrompu.
Une bonne stratégie recherche le centre de gravité de l’ennemi, ce qui fait sa force, et s’efforce ensuite de le détruire ou moins de le réduire au maximum. Or, le centre de gravité des jihadistes n’est pas leurs chefs ou leurs quelques milliers de combattants au total. Quand nous les éliminons au rythme moyen d'un tous les deux jours, ils se renouvellent, preuve que le problème est plus dans la cause de leur existence que dans cette existence même. Le centre de gravité des jihadistes est à Bamako. Ce qui fait la force de nos ennemis sur place, c’est l’incapacité de l’État malien à établir une paix durable avec les Touaregs, à faire venir son armée ou la police dans les villages qui appellent à l’aide, à rendre la justice entre les éleveurs du centre du pays, à empêcher par voie de conséquences la création de milices communautaires qui vont à leur tour provoquer des exactions contre cet Autre qui est forcément à la source des problèmes. Il apparaît comme une administration corrompue et inefficace face à des organisations qui, elles, rendent la justice, éduquent parfois, font la police et payent leurs combattants.
Et c’est ainsi que l’on a laissé nos soldats au milieu d’une situation qui ne pouvait que se dégrader tant que l’échelon politique malien ne prenait pas ses responsabilités, ce qu’il n’a jamais fait. Peut-être que notre présence y a même contribué. Pourquoi faire des efforts difficiles pour résoudre les problèmes internes ou pour combattre vraiment les jihadistes quand on est protégé dans son existence par les soldats français? Pourquoi changer quand la persistance des problèmes incite à une aide internationale de plusieurs milliards d’euros dont peu arriveront dans les villages? Atout supplémentaire, les Français peuvent faire d’excellents boucs émissaires lorsque les problèmes ne sont pas résolus.
La situation s’est donc finalement et forcément dégradée, avec une accélération cette dernière année, contaminant par effet domino, le Burkina Faso voisin, à l’État tout aussi défaillant, et même le Bénin, où deux soldats français sont tombés aussi.
En l’état actuel des choses, il n’existe que trois options pour la France.
La première est le maintien en l’état. On peut rester ainsi en espérant que les choses vont finir magiquement par s’améliorer, qu’un sursaut national va donner des forces nouvelles au Mali et au Burkina Faso. Le plus probable est au contraire le basculement dans une situation complexe incontrôlable, la raison de l’échec de Tacaud au Tchad en 1979-1980, et comme à l’époque, de prendre pour rien des coups y compris de la part de ceux que l’on est censé défendre, et ce jusqu’au repli inévitable. Tout ce qu’on peut espérer est que le chaos reste localisé, comme ce fut le cas au Tchad, et qu’une forme d’équilibre s’instaure et d’un point de vue militaire puisse fournir à nouveau des objectifs clairs que l’on puisse attaquer depuis l’extérieur.
On peut décider de replier dès à présent les forces du Mali pour se redéployer ailleurs, sensiblement faire ce qu’il aurait été possible de faire à la fin de Serval mais désormais dans une ambiance de défaite. Ce serait sans doute redonner de la liberté d’action aux jihadistes et nourrir de nouvelles accusations, d’abandon cette fois, succédant à celle de trop grande présence. Mais cela peut être considéré comme un signal fort au Mali et susciter par peur ce sursaut national. Au pire, là encore, il sera toujours possible d’attaquer depuis la périphérie.
On peut décider au contraire, un renforcement, à la manière du «sursaut» américain en 2007 en Irak. Pour que cette option ait une réelle influence, il faut des renforts en nombre significatif mais aussi de nouvelles méthodes. On peut doubler le nombre d’avions Rafale et d’hélicoptères Tigre au Sahel, on peut y ajouter des drones armés, cela permettra de plus et mieux frapper, mais cela ne suffira pas. Ce qui manque réellement au Mali et au Burkina Faso, ce sont des combattants, des bataillons motivés, compétents, bien commandés, qui puisse surpasser l’ennemi sur son propre terrain avec l’appui de la population et non contre elle, à l’instar des huit Groupements spéciaux d’intervention mauritaniens (GSI) qui tiennent la frontière désertique avec le Mali.
Ces bataillons ce ne sont pas les armées européennes qui vont les fournir, on n’y pratique plus le risque et le combat sauf chez les Britanniques et chez nous. Nous pouvons éventuellement en fournir quelques-uns si on se désengage des opérations dont le premier «public visé», opinion publique, Etats-Unis, États locaux, n’est pas l’ennemi. Du point de vue opérationnel ce serait plus efficace, mais délicat politiquement. Le vrai renforcement ne peut venir que de la région, de la force commune G-5 Sahel bien sûr, la solution annoncée depuis quatre ans et qui comme toutes les forces interafricaines bute toujours sur le byzantinisme de son financement. Un mandat des Nations-Unies faciliterait les choses, étrangement il ne vient pas. Il peut venir surtout du Mali, du Burkina Faso et du Niger. En réalité, la seule solution serait, comme dans le passé au Tchad, au Dhofar ou en Irak, que l’État malien laisse provisoirement sous commandement et contrôle étroit étranger des soldats locaux, réguliers, irréguliers, étrangers mercenaires, peu importe pourvu qu’ils soient motivés pour combattre. Mais bien entendu, pour de multiples raisons qui n’ont rien d’opérationnelles cela est difficilement concevable.
Le plus probable est donc que la guerre dure longtemps et que l’on évoque encore régulièrement des solutions destinées à montrer que l’on fait quelque chose, mais qui n’affectent pas profondément le cours des choses, pour finalement improviser dans l'urgence lorsque la catastrophe viendra.

samedi 4 janvier 2020

Rugby-combat 1 : Du combat au rugby et du combat tout court


Billet invité

Conçu comme un « sport collectif de combat », le rugby constitue sans doute l’activité sportive qui se rapproche le plus – par ses dimensions physiques, mentales, tactiques et stratégiques – de l’activité guerrière en tant que telle.

Toutefois, la notion de combat au rugby doit être nuancée. D’abord, elle ne renvoie pas seulement à l’affrontement physique de l'adversaire à grands coups d’épaule (l’équivalent du « choc » ou du « feu » dans un engagement militaire), mais aussi à l’évitement, par des gestes techniques individuels ou des mouvements collectifs visant à fixer la défense pour mieux la contourner. Cette seconde dimension du combat rugbystique correspond grosso modo à ce qu’est la « manœuvre » dans les armées. L’autre limitation inhérente à la notion de combat au rugby réside dans le fait que son niveau de violence n’a rien à voir avec le combat guerrier. L’essence du métier des armes, c’est de pouvoir donner la mort, dans un cadre qui rend cet acte légitime et légal. Rien de tel évidemment au rugby. Version ritualisée, voire ludique, de la confrontation physique entre deux groupes, le rugby n’en reste pas moins le sport collectif dans lequel l’aptitude à mettre physiquement à mal l’adversaire, au point de remettre en cause son intégrité physique, est la plus largement tolérée. De ce point de vue, il appelle non seulement des qualités physiques, mais aussi des vertus morales et des compétences tactiques qui ne sont pas étrangères à celles du combattant.

Si le risque encouru est généralement faible, la très grande majorité des blessures subies au rugby étant bégnines, certains traumatismes peuvent être sévères. Parfois même, la mort est au rendez-vous : l’année 2018 a ainsi défrayé la chronique en France, avec la mort de trois joueurs à la suite de blessures graves. Il serait toutefois erroné de croire qu’il s’agit là d’une tendance récente. Bien au contraire. En 1895, la fédération anglaise enregistrait un total de 26 morts pour les matchs disputés au cours des deux années précédentes. Le cousin américain du rugby, le football américain, n’est pas en reste, puisqu’il accusait 19 morts pour la seule année 1905. Pour autant, il ne saurait être question de placer sur un même plan l’affrontement sportif et la confrontation guerrière. La bulle de violence dans laquelle s’engage le soldat qui monte au feu reste une expérience unique, dont le caractère extrême va bien au-delà des sensations éprouvées lors des plus âpres rencontres de rugby. Les mécanismes psychologiques et physiologiques à l'œuvre relèvent cependant de la même logique, à savoir la gestion de la peur, et c’est en ce sens qu’une analyse comparative des deux phénomènes peut être menée.

Tant le soldat que le joueur de rugby doivent relever un double défi, commun à toutes les formes d’affrontement physique. En effet, ils font face tous deux à : 1) l’appréhension de ce qu’ils ne connaissent pas ou ce qu’ils ne peuvent pas prévoir et 2) la nécessité de maîtriser leurs émotions afin de se montrer à la hauteur et d’être efficace dans l'action. Au rugby, le déclenchement de certains mécanismes générateurs d’angoisse répond donc aux mêmes stimuli que lors d’actions de guerre.

Comme au combat, la mise en alerte de l’organisme se fait nettement en amont de la rencontre elle-même. C’est la phase la plus délicate à gérer, car elle conditionne l’efficacité ultérieure. L’avant-match est comme l’attente de l’assaut, un moment d’incertitude où l'individu est laissé seul face à lui-même. C’est durant cette phase que le joueur sera le plus sensible à certaines formes de « guerre psychologique », et ce d’autant plus qu’il sera inexpérimenté ou d’un naturel émotif. Quand on est au vestiaire, à quelques minutes du coup d’envoi d’un match à l’extérieur, et que les mille deux cents spectateurs en tribune se mettent à taper des pieds en cadence, sur le rythme de « We Will Rock You » de Queen, les vibrations qu’on ressent jusque dans les tréfonds du stade mettent en branle quelque chose qui nous fait comprendre qu’il y a là dehors un truc pas tout à fait normal et guère avenant, et qu’il va finalement falloir l’affronter. Ce truc qui se met en branle, c'est l’amygdale cérébrale, alertée par les informations sensorielles que lui transmet le cerveau. Augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, dilatation des bronches et des pupilles sont alors la première réponse de l’organisme.

A cet égard, il est intéressant de noter que la mise en alerte de l’amygdale, qui conditionne la sensation de peur, peut atteindre une forte intensité dans une situation qui n’est pourtant pas annonciatrice d’un risque existentiel. C’est qu’il n’y a pas de corrélation exacte entre le niveau réel du risque encouru – monter sur un terrain de rugby ou monter à l’assaut de l’ennemi – et l’intensité de la réponse physiologique. C’est important à savoir, dans la mesure où les méthodes permettant d’atténuer le stress et de surmonter les limitations de la performance peuvent être transférées – dans une certaine mesure – du rugby vers le combat armé, et inversement.

Afin d’assurer l’efficacité individuelle et collective, il importe donc de court-circuiter les effets déclenchés par l'amygdale ou, à tout le moins, de les neutraliser. Si ces effets sont en soi préparatoires d’un effort sportif ou d’un acte de survie, ils peuvent aussi entraver celui-ci. En cas d’emballement, la coordination gestuelle devient alors moins précise (compliquant des actes élémentaires tels que le tir ou la passe), l’amplitude articulaire se réduit (synonyme de perte de puissance), les muscles se raidissent (d’où la sensation de jambes de plomb), la vision périphérique diminue (engendrant une « vision tunnel ») et les capacités analytiques et décisionnelles ralentissent (du fait de l’augmentation du rythme cardiaque). Au rugby, les troubles ressentis s’arrêtent généralement là. Ils sont les éléments précurseurs de la défaite. Dans le combat armé, ils peuvent aller beaucoup plus loin, jusqu’à la crise de tétanie et la paralysie motrice et cognitive du combattant.

Pour faire face à l’objet de leur appréhension, le soldat et le joueur de rugby disposent de moyens étonnamment proches. Ces moyens sont faits de rituels et de gestes mécaniques qui visent en quelque sorte à s’anesthésier l’esprit, afin de ne pas flancher quand la pression monte. On vérifie son armement à de multiples reprises, on fait et on refait les lacets de ses crampons. Pour surmonter le stress de l’attente, différentes techniques de conditionnement psychologiques sont également mises à contribution, de façon intuitive ou construite : visualisation positive (« je vais faire ceci, puis cela »), mémorisation (« je suis déjà passé par là »), dissociation (« je commande à mon corps, mais je ne l’habite pas »). Au sein d’une même cellule tactique, on peut chercher à « se sécuriser » par quelques paroles rassurantes. Enfin, l’auto-conditionnement par la mobilisation de la fibre patriotique et du sens de l’honneur (« je le fais pour le pays», « pour les miens »), de même que la prière, font aussi partie de ces techniques, même au rugby.

La parole du chef est un autre outil traditionnel de ralliement et de motivation des troupes. Au rugby, c’est le « discours du capitaine », généralement prononcé dans les vestiaires, avant de monter sur le terrain, qui remplit cette fonction. Les ingrédients en sont souvent les mêmes que les discours des grands chefs de guerre : il faut à la fois rassurer la troupe et mobiliser ses ressources, afin de lui insuffler confiance et la désinhiber. L’exercice ne nécessite pas forcément une maîtrise sans faille des arts oratoires, mais il convient de respecter certains principes : d’abord, pour convaincre, il faut être soi-même convaincu, ou feindre de l’être. Ensuite, il faut évidemment parler le même langage que son auditoire, dans tous les sens du terme. Enfin, il faut être sensible à la dimension culturelle de l’exercice, car on ne s’adresse pas de la même manière à un combattant/joueur de rugby français qu’à un britannique ou un sud-africain.

Dans sa Proclamation à l’armée d’Italie de mars 1796, Napoléon fait par exemple un discours « à l’affectif », en venant titiller ses hommes sur le plan de la fierté : « Soldats d'Italie manqueriez-vous de courage ou de constance ? ». Ce type discours, en l’espèce un copier-coller de celui qu’avait prononcé Hannibal devant les troupes carthaginoises réunies au sommet d’un col alpin en -218 av JC, est particulièrement prisé dans le rugby français. Sans doute joue-t-il sur un registre auquel notre tempérament latin répond davantage. Il convient cependant de ne pas en abuser : si la motivation par l’émotion donne souvent des résultats immédiats probants, elle peut aussi démobiliser ou épuiser le groupe lorsqu’on en abuse. D’une manière générale, ce genre de discours est réservé aux grandes occasions (bataille décisive ou finale de championnat).

L’autre marotte française, en matière rugbystique du moins, c’est le discours « à la testostérone ». Dans le domaine militaire, il est plutôt le propre des causes désespérées, lorsqu’on est dos au mur et qu’on n’a plus rien à perdre. Il ne s’agit pas tant de mobiliser ses hommes que de les transcender, afin de faire éventuellement basculer un rapport de force franchement défavorable. Au rugby, on appelle ça « se monter le bourrichon » et c’est l’occasion d'employer toutes sortes d’expressions martiales: « ça va être la guerre », « on va mettre les barbelés », « on leur marchera sur la gueule », etc. Ce discours peut être très court, mais il doit être percutant et susciter l’adhésion immédiate et sans faille du groupe. A la différence du « discours du capitaine », il peut aussi être le fait d’un joueur expérimenté, sorte de vieux grognard qui en a vu d’autres. Le « Haka » néo-zélandais en est une expression.

A travers la libération de testostérone dans l’organisme, ce discours de motivation va réduire momentanément la sensation de douleur, accroître l'agressivité et décupler l’énergie. Son danger en revanche, c’est qu’il réduit d’autant la lucidité des joueurs et qu’il n’a qu’un effet limité dans le temps. Lorsque le XV de France affronte les All Blacks à Nantes en 1986, c’est ce supplément d’agressivité qui fait basculer le match, les Néo-Zélandais se montrant incapables de soutenir l'intensité physique déployée par les avants français en combat rapproché. A l’inverse, lors du France-Angleterre de 1991, les Français surjouent de ce qu’ils considèrent comme une force. Face à des Anglais imperturbables, ils finissent par craquer mentalement, héritent de deux cartons rouges et sont piteusement défaits. Par certains aspects, la motivation « à la testostérone » s’apparente à un dopage naturel et légal. Ses avantages et ses inconvénients sont proches, toutes propositions gardées, de ce qui a pu être observé avec les amphétamines utilisées lors de conflits armés: on pense par exemple au cas de la 24e brigade blindée britannique engagée en 1942 à El Alamein, et qui fit preuve d’une agressivité hors du commun pendant plusieurs jours, avant d’être totalement annihilée dans les combats.  

Une fois le coup d’envoi donné, le joueur de rugby ne vit plus que dans « dans l’arène », un peu comme le soldat qui entre la « bulle de violence » qu’est la bataille ou l’accrochage. On est physiquement « au contact » de l’adversaire. Si on se limite au seul combat d’infanterie, les gestes visant à la mobilité sont sensiblement les mêmes dans ces deux espaces (marche, course de soutien, sprint, poussée, chocs, saut et – parfois – lutte). A cela s’ajoutent évidemment des gestes et des modes d’action spécifiques, qui diffèrent sensiblement. Néanmoins, dans les deux cas, l’individu va vivre deux phénomènes similaires : d’une part, une dilatation de la zone de danger et, d’autre part, une contraction de la notion d’espace-temps. En fait, il s’agit du même phénomène, perçu de deux points de vue différents. Ainsi, au rugby, le porteur du ballon aura tendance à considérer un défenseur comme plus menaçant qu’à l’entraînement, à distance pourtant égale. Il en va de même du soldat, pour qui une route prise sous un feu nourri paraîtra soudainement beaucoup plus large que quelques secondes auparavant. A cette dilatation de la zone de danger répondra, dans l’esprit du joueur/soldat, une sensation de contraction de l’espace/temps disponible pour décider et agir. La conjonction de ces deux phénomènes est source de stress supplémentaire et va altérer l’activité mentale (capacité d’analyse et de décision), la prise d’informations (essentiellement la vision et l’ouïe), le fonctionnement kinesthétique (activité corporelle) et la perceptivité (lucidité).

Dans les deux contextes, sportif et guerrier, les modes d’adaptation et de réponse à ces problèmes sont encore une fois très proches : conditionnement physique, expérience et compétences des acteurs, cohésion du groupe et capacité de coordination constituent le socle de l’efficacité tactique. L’acquisition de ces éléments nécessite – tant dans les armées qu’en rugby – une période de formation et d’entraînement plus ou moins longue, selon le niveau d’expertise recherché. C’est de leur mise en équation que naît la performance, toujours en rapport avec un adversaire particulier et dans un environnement spécifique : les mêmes acteurs d’exception ne brilleront pas forcément autant, selon qu’ils affronteront les All Blacks ou les Springboks à Auckland ou Johannesburg, ou qu’ils évolueront face à une unité d’infanterie légère dans la jungle ou sous le feu roulant de l’artillerie.

Sur le plan analytique, la courbe de performance des joueurs de rugby ne ressemble pas exactement à une courbe de Gauss, mais elle reste cependant assez éloignée de la loi de puissance caractérisant l’efficacité tactique des individus au combat : la montée aux extrêmes qu’induit le risque de mort imminente ou de mutilation grave creuse évidemment les écarts de comportement. En revanche, on rencontre le même type de profils dans les deux cas, du simple figurant (le « touriste » ou « satellite » en jargon rugbystique), jusqu’au héros (« homme du match »). L’efficacité collective ne repose d’ailleurs pas tant sur les exploits de quelques super-combattants que sur l'action cohérente et déterminée de plusieurs hommes clés (les « cadres » de l’équipe) : leur efficacité n’est certes pas suffisante pour vaincre, mais elle est indispensable, car elle conditionne la mise en action des autres membres de l’équipe. On pense par exemple aux joueurs qui constituent « l’épine dorsale » (2-8-9-10-15), regroupant des postes à forte spécialisation ou à larges compétences décisionnelles. Ces cinq postes représentant le tiers de l’effectif de départ, ce qui correspond à la proportion théorique des « cadres » au sein d’une section d’infanterie (13/39). Ces joueurs sont généralement des « leaders de jeu », c’est-à-dire qu’en plus de leurs tâches individuelles, ils sont responsables d’une cellule tactique de 2-3 joueurs ayant une mission particulière (l’équivalent d’une équipe anti-char ou d’un trinôme « tir de précision », par exemple).

En outre, les « cadres » ou « leaders de jeu » se distinguent aussi par leur rôle de catalyseur de la force et mentale du groupe. Ils rassurent par leur expérience et tirent vers le haut la performance de l’ensemble du groupe. Ce sont eux, souvent, qui vont permettre à l’équipe de faire face à un imprévu et de s’y adapter, en analysant le problème, en convenant d’une solution et en communiquant celle-ci à l’ensemble du collectif. Les impératifs de jeu moderne ont d’ailleurs contraint les équipes à renforcer encore davantage les niveaux de spécialisation, par la création non plus de cellules génériques (comme les trois joueurs de première ligne ou la paire de centres), mais de cellules ad hoc, qui se constituent en vue d’un mode d’action spécifique, dicté par les conditions momentanées du combat : on y trouve ainsi la « cellule de franchissement » (leurre + franchiseur + accélérateur) ou la « cellule défensive » (bloqueur + plaqueur + gratteur).

Ce phénomène de spécialisation croissante n’est en rien étranger à l’évolution observée dans les armées, où l’accélération de l’innovation et l’évolution des doctrines de combat ont contraint les états-majors à densifier et à diversifier les rôles dans les unités tactiques de base. Le meilleur exemple est en la mutation qu’a subie la structure de la section d’infanterie entre 1914 et 1918 : partie de ce que la terminologie rugbystique qualifierait de « polyvalence/suppléance » (les combattants sont armés de façon identique et réalisent les mêmes tâches), elle s’est muée en un groupe d’hyper-spécialistes, composé de plusieurs groupes de combat, ayant leurs « leaders » propres, et au sein desquels chaque homme ou presque a un armement et une mission spécifique.

Si l’on passe au crible de cette grille les performances récentes du XV de France, on se rend compte très vite que l’efficacité tactique des joueurs français n’est pas au rendez-vous. Or, a priori, il n’y a aucune raison de penser que le rugby français produirait des joueurs plus couards ou moins intelligents que le rugby anglais ou néo-zélandais. A la différence des deux autres cependant, le rugby français a failli dans deux secteurs qui font aussi la force et la capacité d'adaptation des armées : il a fait l’impasse sur plusieurs innovations majeures et il s’est fossilisé dans sa doctrine de jeu. Nous y viendrons dans un prochain billet.

Patrick

jeudi 2 janvier 2020

Tuer le silence : cinq blessés de guerre parlent


De retour du front avec des blessures physiques et/ou psychiques, un des refuges immédiats où se protéger est le silence, au risque de s’y enfermer et de s’y perdre. Pourtant, il est maintenant vérifié que la parole sur ces blessures, permet de se reconstruire et de vivre mieux cet « après ». C’est un élément primordial du processus de libération d’un traumatisme. Tuer le silence montre ce chemin bénéfique et incite à passer du silence à la parole.
Ce sont des blessures physiques et psychiques dont témoignent, à visage découvert, cette femme et ces hommes, dans un lieu de tournage identique avec la même lumière. Tuer le silence réaffirme l’importance de l’accompagnement de l’entourage dans cette voie résiliente. Comment le silence, qui pouvait être un refuge, parfois forcé, parfois choisi, un jour ne l’est plus pour certains et le reste pour d’autres. Pourquoi ce choix se fait ou non ? Comment la parole permet, alors, de se reconstruire et de sortir du labyrinthe où se perdent bon nombre de combattantes et combattants. C’est un partage d’expérience qui tente de faire exemple pour d’autres.
C’est plus un vade-mecum d’humain à humain, qu’une tribune revendicatrice. La valeur sous-jacente de ce film est bien sûr la résilience. Il est question de vie et de solutions. Qui mieux que des individus confrontés au combat peuvent nous donner ces solutions ?
Tuer le silence, c’est le récit d’une libération.
Débuté fin 2015, ce travail s’inscrit dans une démarche d’auteur. Richard Bois raconte le parcours d’individus et veut favoriser la parole pour permettre de se reconstruire. Loin du spectaculaire et du faux discours, il cherche la parole juste.
La ville de Vannes participe à ce film en fournissant un local où ont eu lieu les interviews. Un lieu unique a accueilli tour à tour les 5 témoins, qui ont fait part de leur expérience sur un fond cyclo uni et une lumière identique à chacun. Ce choix graphique épuré favorise l’importance de la parole.
La recherche de partenaires pour ce film où la parole est forte et nécessaire se poursuit après trois ans de production. N’hésitez pas à prendre contact avec nous pour étudier les possibles modes de participation, y compris avec notre partenaire associatif Arbrasso.

Pour tout renseignement sur le film, cliquer ici tuerlesilence@ruwenzori.fr

Réalisation : Richard Bois
Production : Ruwenzori/France Télévisions
Vente internationales : Lukarn +33 1 41 22 90 59 ; sandrine.frantz@lukarn.fr ; lukarn.fr
Distribution salle : Ruwenzori +33 2 97 50 37 95 ; contact@ruwenzori.fr ; ruwenzori.fr
Version française : 52 minutes