jeudi 28 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 28 avril 2022

Niveau stratégique

Contre-offensive des Etats-Unis qui se trouvent devant la guerre en Ukraine dans la position de l’Union soviétique profitant de l’engagement massif, absurde et maladroit des Américains au Vietnam dans les années 1960 pour armer leurs ennemis. Les Etats-Unis prennent ainsi clairement la direction d’une nouvelle coalition, où comme à chaque fois ils fournissent au moins 70 % des moyens, non plus de guerre comme pendant le Nouvel ordre mondial, mais de confrontation. L’ennemi est cette fois la Russie et les moyens sont sans limites hormis celle de la guerre ouverte, ce qui n’exclut pas les petits combats pourvus qu’ils n’entrainent pas d’escalade. 

On analysera cette posture plus en détail plus tard, notons simplement à ce stade la relative faiblesse de la Russie face à cette offensive, Russie qui peut se trouver contrer dans tous les champs d’action possible hormis peut-être avec l’arme du gaz-arme à double tranchant et qui ne touche vraiment que les pays européens. A cet égard, l’appel à la menace régulière plus ou moins voilée d’emploi d’armes nucléaires, contredite à chaque fois quelques jours plus tard par le rappel que ce type d’arme ne pourrait être utilisée qu'en cas de menace existentielle, est plutôt un aveu d'impuissance.

Constatons que les Etats-Unis sont capables de faire cela, et de fournir par exemple 30 fois plus d’aide militaire en valeur que la France, car ils s’en sont donnés les moyens depuis plusieurs dizaines d’années au lieu de les réduire sans cesse. Ils ont des stocks et leur industrie de Défense fait de l’industrie, pas de l’artisanat de luxe. Par comparaison, la commande totale prévue du très couteux Missile moyenne portée (MMP) pour équiper les forces françaises correspond à environ une semaine de combat en Ukraine.

Notons l’extension de la théorie de la victoire, qui n’est plus seulement de faire renoncer Vladimir Poutine devant le coût faramineux de cette guerre pour la Russie (une stratégie qui n’a jamais fonctionné seule) ou la pression interne (de la part du peuple ou de son oligarchie administrativo-mafieuse, une option très hasardeuse) mais aussi maintenant de vaincre, voire de détruire, l’armée russe sur le terrain. Historiquement et particulièrement en Russie, c’est d’abord la situation militaire sur le terrain qui conditionne la suite. Le régime tsariste s’est effondré d’abord du fait de la défaite et de la démoralisation de son armée, le régime soviétique aussi après les expériences malheureuses en Afrique et surtout en Afghanistan en parallèle du délitement de la société.  

Niveau opératif

L’effort russe se porte toujours depuis l’axe Yzioum-Lyman-Rubizhne, soit un front de 100 km de large, en direction de Severodonetsk à l’Est et en direction de Sloviansk-Kramatorsk à l’Ouest, depuis Yzium et Lyman. Cette attaque est appuyée par des attaques secondaires, depuis Yzium vers Velyka, pour couvrir l’action principale face à l’Ouest et depuis Kadiivka (République populaire de Louhansk, RPL) pour envelopper Severodonetsk par le Sud en particulier à Novotoshkivske (prise) et Popasna, avant sans doute de se diriger vers Bakhmut et Kramatorsk.

Gagner la bataille du Donbass équivaut à s’emparer d'un rectangle de 100 km de front sur 70 de profondeur, soit la superficie d’un département français, dans lequel se trouve les trois grandes villes. Cette zone est actuellement défendue par les Ukrainiens avec cinq brigades de manœuvre, deux brigades territoriales et plusieurs bataillons de Garde nationale et de milices, soit sensiblement l’équivalent de 20 groupements tactiques (GT) russes. On estime la concentration des forces russes dans la zone à 30 à 40 GT. Les forces russes s’appuient sur leur artillerie et leur capacité de 600 000 obus/jour, et les forces ukrainiennes sur la supériorité tactique de leurs unités de manœuvre, un terrain fortifié et surtout sur les grands bastions urbains équivalents à Marioupol. Toutes choses égales par ailleurs, il faudrait au rythme actuel entre deux et trois mois aux forces russes pour s’emparer de ce rectangle.

Mais les choses ne sont pas égales par ailleurs. Les forces russes conjuguent cet effort par des attaques le long de la frontière des deux républiques séparatistes à partir d’Horlivak et de Donetsk, puis dans la zone Sud du Dniepr à la RP Donetsk sans grand succès, sauf partiellement au centre à Houliaopole. Il est difficile d’imaginer une plus large progression dans la région sans renforcements en unités de manœuvre.

On note en revanche une grande activité russe dans la région de Kherson au Nord du Dniepr, activité par le feu d’abord avant peut-être de nouvelles attaques en direction de Mykolayev et ou de Kryvyi Rih. Peut-être que cette activité est à relier avec la mise en alerte de la 14e Armée en Transnistrie et la destruction du pont de Zatova à l’embouchure du fleuve Dniestr, qui viseraient à fixer les forces ukrainiennes d’Odessa et notamment la 5e brigade blindée pendant l’attaque contre Mykolaev. On ne voit pas cependant comment avec les Russes pourraient progresser avec les forces dont ils disposent. Peut-être s’agit-il de sécuriser l’éventuel référendum de création d’une République populaire de Kherson (RPK) avant d’avoir l’équivalent à Mélitopol, et fixer ainsi politiquement les gains militaires russes.

A Marioupol, les dernières forces ukrainiennes résistent toujours dans le complexe industriel Azov, malgré les bombardements aériens et les attaques qui continuent. Malgré ce bastion de plusieurs kilomètres carrés à l’intérieur de la ville, la victoire – qui sera célébrée par une cérémonie militaire le 9 mai – et le retour à une « vie normale » sont annoncés en Russie.

Situation inchangée dans la région de Kharkiv, toujours bombardée alors que les forces ukrainiennes ont progressé au Nord et à l’Ouest de la ville.

De part et d’autre, on s’efforce d’entraver les communications de l’ennemi vers le front. Les forces aériennes russes s’attaquent à l’infrastructure ferroviaire ukrainienne et on signale plusieurs mystérieuses destructions de dépôts sur le sol russe et même une attaque par le ciel à Voronej au Nord-Est de Moscou.

Niveau tactique

La comptabilité des pertes matérielles par oryxspioenkop.com indique 587 véhicules blindés de combat (chars, véhicules d’infanterie) russes perdus du 5 (fin définitive de la bataille de Kiev) au 28 avril, sur un total de 1622, soit l’équipement d’un groupement tactique (40 véhicules de combat blindés) tous les deux jours, contre un GT par jour auparavant. Il ne s’agit là que des pertes vérifiées, on peut estimer que les pertes réelles sont environ 50 % supérieures. La proportion des véhicules détruits est désormais de 2/3 et celle des abandonnés se réduit beaucoup. Les Russes n’ont perdu que 72 pièces d’artillerie en avril contre le double auparavant et 200 camions contre 600. Cette évolution reflète le désastre qu’à pu représenter la bataille de Kiev pour les Russes -transformée en opération de diversion par la propagande-et l’évolution des combats.

La forte proportion de véhicules d’appui, et notamment de pièces d’artillerie, et de soutien, perdus indique que les arrières des armées russes étaient attaqués, du fait des élongations des armées russes parfois étalées sur des axes étroits de plusieurs centaines de kilomètres et du fait des capacités de raids et de harcèlement des forces ukrainiennes. Les attaques russes actuelles dans le Donbass ou la région de Kherson sont de moindre profondeur et plus larges. On y progresse peu, mais la densité des forces à l’avant est plus importante et la protection des arrières est mieux assurée.

On répertorie également 382 véhicules de combat perdus du côté ukrainien, soit une moyenne de pertes de 5 par jour, assez constante depuis le début. Là encore, la proportion de destruction a augmenté par rapport aux pertes par capture ou abandon. Le rapport des pertes - 1 pour 4 - est toujours très favorable aux Ukrainiens, y compris pour les pertes par destruction. Il faudrait une étude précise des causes de destruction, mais cette différence s’explique en grande partie par la supériorité tactique des Ukrainiens et leur posture générale défensive, qui leur permet de prendre l’initiative des combats dans la grande majorité des cas et une grande densité d’armes antichars « top-down » - missiles Javelin, obus guidés, drones TB2, drones rodeurs, roquettes tirées depuis des bâtiments, - c’est-à-dire pouvant frapper les véhicules depuis le haut.

Pour y faire face dans l’immédiat, les forces russes font appel à la puissance de feu et la neutralisation préalable des zones d’origine de tirs possibles ou réelles. L’artillerie conquiert, les forces blindées-mécanisées occupent. Cela donne un combat très lent et ravageur.

On notera qu’outre la résistance des hommes, la poursuite des combats n’est possible que parce que les deux adversaires ont des stocks de matériels majeurs, qui compensent les pertes considérables, mais aussi dans une moindre mesure de munitions. C’est peut-être de ce côté-là que se situe le talon d’Achille des deux adversaires. Les Russes ont besoin de millions d’obus, les Ukrainiens de milliers de projectiles antichars en tout genre.

jeudi 21 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 21 avril 2022

La bataille du Donbass

La grande offensive russe dans le Donbass est d’abord une offensive des feux avec un écrasement des positions ukrainiennes dans les sept zones de combat, avec environ 2 400 pièces d’artillerie diverses, et plusieurs centaines de sorties aériennes quotidiennes avec des frappes dans toute la profondeur du théâtre. On note même la présence de batteries antinavires Kh35 utilisées contre des objectifs à terre. 

Toute cette force de frappe, inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, peut lancer chaque jour entre 1,5 et 2 kilotonnes d’explosif sur les positions ukrainiennes, qui sont dans le Donbass les plus retranchées au monde après celle de la zone démilitarisée en Corée. L’objectif est de neutraliser autant que possible les forces ukrainiennes dans les zones d’attaques russes, de les fixer dans les zones défensives et d’entraver les mouvements dans la profondeur.

Les attaques russes, se concentrent d’abord dans la zone de Severodonetsk (zone S) et ses abords en particulier au Nord. Les forces russes peuvent y être estimées à 10-12 groupes tactiques (2 régiments LNR, 1 régiment blindé et 1 brigade mécanisée russe) sans doute sous le commandement de la 2e Armée. Elles font face à trois brigades de manœuvre ukrainiennes, soit l’équivalent en unités de combat de 9 GT russes mais avec nettement moins d’artillerie, plus une brigade territoriale et des unités paramilitaires du ministère de l’Intérieur. 

La zone urbaine de Severodonetsk (= ½ Marioupol en superficie) et ses abords retranchés résistent depuis le 2 mars. Elle est désormais très largement sous pression. L’effort russe se porte sur la limite Nord de la zone depuis Lyman à 15 km au Nord-Est de Sloviansk jusqu’à Rubizhne qui jouxte Severodonetsk au Nord, avec l’espoir d’envelopper la ville et de couper ce bastion de celui de Sloviansk-Kramatorsk-Druzkhivka-Konstantinovka (SKDK), l’objectif principal. Le 2e corps d’armée (LNR) attaque toujours dans la région de Popasna au Sud de Severodonetsk pour compléter l’enveloppement. La progression de cette première pince russe est lente mais réelle.

La deuxième pince vise le bastion SKDK à partir d’Yzium (zone Y), où se trouve le groupement de forces principal russe (=22 GT, 1ère Armée blindée de la garde), et d’Horlivka au Sud-Est (zone Donetsk, D, 1er corps DNR, 2e CA LNR et éléments de la 5e Armée russe = 15 GT). La progression russe sur l’axe M03 au Nord face à la 81e brigade est très lente et celle de l’axe Sud tenu par deux brigades ukrainiennes presque inexistante. Même si les forces russes parvenaient à percer et atteindre le bastion SKDK, il faudra à la fois sécuriser les axes contre le harcèlement ukrainien, et s’attaquer à l’équivalent d’un Marioupol renforcé depuis 50 jours. Cela paraît difficile avec les capacités actuelles et en tout cas, sans espoir de victoire avant le 9 mai.

La troisième pince réside dans des attaques complémentaires à partir d’Yzium vers Barvinkova ou de la zone Zaporijjia (zone Z, 58e Armée, 10 GT) vers le Nord depuis la région d’Houliaipole ou depuis la ville de Donetsk sur l’axe N15. L’objectif de cette attaque au Sud est peut-être d’atteindre le point clé de Poprovske. La prise de Barvinkove et de Poproske représenterait une menace d’enveloppement général de la poche du Donbass, mais, encore une fois, en admettant ces prises possibles, plus les forces russes pénètrent à l’intérieur du territoire ukrainien et plus elles sont vulnérables. Quant à la perspective encore plus large de s’emparer de Zaporijjia et Dnipro (= 2 Marioupol chacune), sans parler de Kharkiv (= 3 Marioupol) cela paraît inconcevable à court terme.

Les batailles périphériques

Trois batailles se déroulent en périphérie de celle du Donbass. Les combats sont toujours incertains dans la région de Kherson-Mykolaev, où les forces russes s’efforcent de diminuer la pression ukrainienne par des contre-attaques limitées et surtout l’emploi des feux. Toute la zone occupée Sud est à surveiller entre l’augmentation des activités de guérilla ukrainienne qui fixent de plus en plus de forces russes et les rumeurs de proclamation de nouvelles républiques séparatistes suivie de mobilisations générales.

A Marioupol, les dernières forces ukrainiennes résistent toujours dans le complexe industriel Azov. Elles auraient même lancé une contre-attaque en direction du port. Marioupol tombera, ce qui constituera une victoire tactique russe mais avec une telle difficulté qu’elle apparaît déjà aussi comme une victoire symbolique ukrainienne. Si par extraordinaire, les forces du complexe Azov tenaient toujours le 9 mai, cela gâcherait la célébration de la grande victoire de la Grande Guerre patriotique (même si dans les faits la prise de Marioupol serait quand même proclamée). La résistance ukrainienne fixe également 12 GT russes, assez éprouvés semble-t-il, qui ne peuvent être engagés dans la bataille du Donbass. Elle fixe aussi une norme très dissuasive pour la suite de la guerre, qui peut s’évérer impossible à gagner pour les Russes si chaque grande ville résiste comme Marioupol.

Dans le Nord-Est, les forces ukrainiennes ont pris l’initiative dans la région de Kharkiv, que ce soit au nord de la ville et surtout à l’Est où le 92e brigade mécanisée et la 4e brigade blindée ont atteint la zone Tchouhouiv-Malynivka. De ce carrefour, les Ukrainiens peuvent menacer l’axe logistique principal russe qui va de Belgorod à Yzium via les villes de Velykyi Burluk et Kopiansk, défendu par des forces russes revenues de Kiev mais il faudrait avancer encore de 50 km. Ils peuvent aussi poursuivre vers le Sud-Ouest sur l’axe M03 en direction de l’arrière du grand groupement russe d’Yzium. Cette action est complétée par des raids des Forces spéciales sur les arrières russes, y compris sur le territoire russe.


samedi 16 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 16 avril 2022

Situation générale

Victoire ukrainienne spectaculaire avec la destruction du croiseur Moskva. Situation équilibrée sur les différents fronts, faite de petites attaques de part et d’autre en particulier dans le Nord du Donbass et du combat rue par rue à Marioupol, mais aussi de plus en plus à Kherson. Il est désormais très peu probable que les Russes obtiennent une victoire significative avant le 9 mai, hormis peut-être la prise de Marioupol.

La bataille du Donbass a bien commencé avec une série d’attaques russes divergentes dans la région d’Yzium en direction de Barvinkove et Sloviansk (effort russe avec l’équivalent de ce que pourrait mobiliser l’armée de Terre française), convergentes autour de la poche de Severodonetsk (Severodonetsk, Rubizhne, Lysyschansk et plus au sud Popasna) et directes à partir de la ville Donetsk sur la route N15. Les attaques sont toujours limitées, un ou deux groupements au maximum par axe, avec appui d’artillerie et aérien (200 sorties/jour dans le Donbass) mais progressent peu. La progression la plus rapide a lieu en direction de Barvinkove au rythme de 1 km/jour, et déjà la « pointe » avancée depuis Yzium (20 km ?) est harcelée le long des axes.

Couvertes face à Kharkiv, qui est sévèrement frappée par l’artillerie, par la 6e armée, les forces russes alimentent via la base de Belgorod les zones d’attaque avec les groupements tactiques récupérés dans les armées engagées dans la bataille de Kiev. Il n’y a pas eu en réalité de véritable pause opérationnelle russe et peu de changement de méthodes. Alors que la météo est mauvaise et handicape plutôt l’activité aérienne et les appuis russes, les Ukrainiens reçoivent de nouveaux équipements et améliorent la défense des bastions urbains.

La défense avant ukrainienne se double d’action sur les arrières. Les forces spéciales ukrainiennes ont probablement détruit un pont ferré à Shebekino en Russie, entre Belgorod et Yzium et peut-être aussi un autre pont dans la région d’Yzium.

Sud et bataille de Marioupol

Situation inchangée sur la ligne Donbass-Sud. Les forces russes continuent de progresser lentement dans Marioupol. Le 503e bataillon d’infanterie navale ukrainien est parvenu le 13 avril à s’exfiltrer de l’usine Iliych dans le Nord de la ville pour rejoindre la poche de résistance centrale tenue par la 36e Brigade d’infanterie navale et le régiment Azov. Deux autres petites poches résistent à l’Ouest de la ville et dans le port (12e brigade de Garde nationale). Il resterait 3 000 à 3 500 combattants ukrainiens. La 150e Division motorisée russe, la 810e brigade d’infanterie navale, la force tchétchène de la Garde nationale et les forces DNR représentent peut-être 10 000 hommes au total. 

L’ensemble représente une faible densité pour une ville de 166 km2, ce qui implique une grande imbrication des forces à l’intérieur et peut-être une faible étanchéité du bouclage extérieur, notamment antiaérien. Cela peut expliquer que les forces ukrainiennes aient pu être ravitaillées de nuit par Mi-8 (dont 3 auraient été abattus) en très basse altitude comme l’attestent des images d’emploi d’équipements occidentaux pourtant fournis après le début du siège. Les forces russes compensent toujours le manque d’infanterie en volume et en qualité par de la puissance de feu, ravageant la ville pour finalement un faible rendement sur des forces retranchées. La ville aurait pour la première fois été frappé au centre le 15 avril par des bombardiers stratégiques Tu-22M3 avec des bombes lisses FAB 3000 (3 tonnes). 

Si l’issue de la bataille ne peut faire de doute, sa date reste très hypothétique. Pour le même ordre de grandeur de forces, les deux batailles de Grozny avaient duré huit semaines en 1995 et six semaines en 1999-2000. Il n’est donc pas impossible que la ville soit prise pour la date fatidique du 9 mai.

Sud-Ouest et bataille de Kherson

La zone tenue par les forces russes au Nord du Dniepr fait l’objet du principal effort offensif ukrainien avec 4 brigades de manœuvre, dont la 28e Méca venue d’Odessa, avec l’intention certainement de s’emparer de Kherson et de pénétrer dans la zone occupée au sud du fleuve. La prise de Kherson par les Ukrainiens serait une grande victoire car elle placerait les 4 brigades russes au nord de la ville et du Dniepr dans une position délicate, n’ayant plus que Kakhovska comme point de franchissement et lien avec la zone occupée. Les forces russes de Kherson, le reliquat de la 7e Division aéroportée, de la 20e divisions motorisée et les forces de reconnaissance du 22e Corps d’armée ont tenté plusieurs attaques de dégagement, sans succès. La 80e brigade d’assaut aérien (Ukr) fait pression au Nord pour s’emparer du carrefour routier de Molidhizne. La frappe d’un dépôt russe à Tchornobaïvka (Ouest de Kherson) a détruit plusieurs dizaines de véhicules de combat.

La destruction du croiseur Moskva

Le croiseur Moskva a coulé le 14 avril après une attaque menée le 13 par les forces ukrainiennes depuis Odessa. Le discours russe a annoncé officiellement une perte accidentelle, ce qui n’était pas forcément plus glorieux, avant de réagir comme s’il s’agissait effectivement d’une attaque (propos télévision, frappes de représailles sur un atelier de fabrication de missiles anti-navires). La victoire ukrainienne ne fait guère de doutes. Elle constitue un grand succès témoignant de l’intelligence technique (le missile Neptune est une amélioration ingénieuse du Kh-35) et tactique (première combinaison de drones armés et de missiles antinavires à longue portée) ukrainienne dans cette guerre.

Le Moskva était un bâtiment ancien souffrant de plusieurs défauts de conception (structure vulnérable en aluminium, couverture radar incomplète et défense rapprochée lacunaire) mais c’était une puissante plate-forme de tir antinavire et antiaérien équipée du système S300. C'est sans doute pour cela (la portée du S300 est inférieure à celle du Neptune) qu'il s'est trouvé dans l’enveloppe de tir de systèmes antinavires certes récents mais pourtant connus. Les Russes ont ainsi offert aux Ukrainiens la destruction au combat du plus grand navire de guerre depuis 1945, le précédent du même type était le croiseur argentin de moindre tonnage Général Belgrano en 1982. Le succès symbolique est d’ampleur stratégique.

Au niveau opérationnel, avec la destruction à Berdiansk le 24 mars par des frappes de missiles balistiques du navire amphibie de classe Alligator et l’endommagement d’un ou deux autres de classe Ropucha, sans parler du patrouilleur Raptor touché par deux missiles antichars près de Marioupol cela fait de lourdes pertes pour une flotte de la mer Noire de 21 navires de surface majeurs. On ignore à ce stade le bilan des pertes humaines sur l’équipage de 480 hommes du Moskva, mais comme à chaque fois qu’un bâtiment majeur est détruit, elles peuvent considérables. Les Russes peuvent avoir perdu au combat en une seule journée plus de soldats que la France depuis trente ans.

La flotte de la mer Noire contrôle toujours la haute-mer face à une petite marine ukrainienne qui a rapidement cessé d’exister et donc l’accès à Odessa ou Mykolaev, mais la côte à l’ouest de la Crimée lui est sinon interdite du moins très dangereuse avec la présence de 6 lanceurs et peut-être 70 missiles Neptune, sans parler des armements antinavires occidentaux qui sont en cours de livraison. Les opérations amphibies sont désormais exclues de ce côté. De toute manière les brigades d’infanterie navale dédiées à cette mission ont déjà été engagées comme unités d’infanterie dans les combats à Kherson et Marioupol. On peut même considérer que la flotte mer Noire dont l’accès au Bosphore est actuellement interdit par la Turquie se trouve piégée à Sébastopol comme « flotte en vie » où il n’est pas exclu que les forces ukrainiennes puisse la frapper une nouvelle fois d’une manière imaginative. 

mardi 12 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 12 avril 2022

La situation générale évolue peu. Toutes les forces russes sont désormais placées sous le seul commandement du district Sud (général Dvornikov) et non de trois districts comme auparavant. C’est plus rationnel, mais il faut du temps pour réorganiser le commandement dans l’action et le nouvel état-major doit d’un seul coup gérer sept zones différentes de combat, tout en recherchant -outre la prise de Marioupol - une victoire nette dans le Donbass avant le début du mois de mai. Il n’est pas du tout évident qu’il y parvienne.

Hormis quelques contre-attaques locales, la posture ukrainienne est nécessairement défensive au moins le temps de l’offensive russe dans le Donbass, quitte à reprendre l’initiative si celle-ci échoue.

Trois zones d’attente en périphérie du front principal.

1 Kherson et Sud-Ouest : la 49e Armée russe commande un ensemble disparate avec ce qui reste de la 20e Division motorisée (DM), de la 7e Division aéroportée (DA), de la 11e Brigade d’assaut aérien et de trois brigades indépendantes, soit une dizaine de groupements tactiques interarmes (GTIA), face à 4 brigades régulières ukrainiennes et plusieurs unités Garde nationale/Territoriale (GN/T). Situation d’équilibre autour de Kherson et du Dniepr.

2 Ligne de Zaporijjia à la DNR : les forces russes alignent trois régiments affaiblis des 19, 42 et 150e DM et une brigade indépendante, sous le commandement de la 58e Armée, face à 2 brigades régulières et deux brigades GN/T. Front de fixation, sans combat important pour l’instant.

3 Région de Kharkiv : La 6e armée forte de 3 brigades indépendantes et de deux régiments de la 47e DB, soit guère plus de 5 GTIA, fixe les forces ukrainiennes dans la ville en la menaçant et en la maintenant sous des tirs d’artillerie. Elle couvre le déploiement des forces russes dans la région d’Yzium via Belgorod. Kharkiv est tenue par trois brigades GN/T, plus des forces de police et une division de défense anti-aérienne.

Quatre zones de combat

1 Région d’Yzium : concentration du corps de manœuvre sur l’axe M03. 106e DA avec deux régiments et 8 régiments blindés/mécanisées sous un commandement divisionnaire peu clair, les unités appartenant à quatre divisions différentes (2e, 3e et 47e DM et 4e division blindée). L’ensemble, de la valeur de 10 à 15 GTIA, est sans doute sous le commandement général de la 1ère Armée blindée de la garde (ABG).

La 35e Armée, venue de Kiev est présente en arrière dans la région de Vélykyi avec le 38e BM réduite, d’autres unités suivront peut-être afin de constituer une réserve susceptible de renforcer toutes les zones de combat du Nord.

Toute la zone Kharkiv-Yzioum est tenue par six brigades ukrainiennes dont deux (81e et 95e Brigade d’assaut aérien, BAA) directement face à Yzium où les Russes consolident leurs positions.

En arrière, la conurbation Sloviansk-Kramatorsk est solidement tenue et renforcée quotidiennement par la GN/T, susceptible d’être renforcée par une ou deux brigades régulières. Même encerclée, elle avoir une capacité de résistance équivalente à celle de Marioupol.

2 Région de Severodonetsk : le saillant est défendu par les forces GN/T et la 79e BAA. Il est attaqué par deux régiments de la 4e DB, une brigade indépendante de la 5e Armée et le 6e régiment du 2e Corps d’armée-LNR, soit de quatre à huit GTIA. Les forces russes ne progressent pas. Au Sud-Est du saillant la ville de Popasna est attaquée, pour l’instant sans succès, par le 4e régiment du 2e CA-LNR contre la 24e brigade mécanisée.

3 Région DNR : le 1er CA-DNR est renforcé par une brigade russe de la 5e armée et/ou la 155e Brigade d’infanterie navale. Son objectif semble être la ville de Poprosk avec l’intention d’effectuer ensuite la jonction avec les forces venues d’Yzium, et d’encercler les forces ukrainiennes à l’intérieur de la poche ou au moins de les forcer à l’évacuer. C’est une manœuvre d’autant plus difficile à réaliser que même si elle réussit, il faudra tenir ensuite une ligne de 100 km face au harcèlement et aux contre-attaques ukrainiennes.

4 Marioupol : Accusation d’emploi d’armes chimiques (lacrymogènes + suffocants ?) le 11 avril pour déloger les défenseurs de l'usine métallurgique Azovstal sur le port. Déclarations contradictoires sur la situation dans la ville (vrai ou faux message de la 36e brigade d’infanterie navale annonçant la fin de la bataille). La ville devrait tomber rapidement, mais les forces russes ne seront sans doute pas aptes à reprendre le combat.

Notes : la section d’infanterie russe

L’infanterie mécanisée/motorisée débarquée est une des principales faiblesses de l’armée russe, tant en volume global qu’en qualité. En privilégiant le nombre de sections sur sa puissance propre et à l’intérieur des sections les véhicules (en particulier leur puissance de feu et leur petite taille) sur les hommes à l’intérieur, on aboutit à une section réduite à trois véhicules et 29 hommes dont 23 seulement débarqués.

Le groupe de commandement est réduit à sa plus simple expression : un lieutenant et un sous-officier adjoint. Chacun des trois petits groupes débarqués est composé d’un sergent et de trois binômes (mitrailleur PKM et assistant, grenadier et assistant, deux fusiliers).

Première faiblesse. Les véhicules, BMP 2/3 ou BRT 82, sont remplis à plein. Si l’un est endommagé ou en panne, il n’y a aucun moyen de répartir les hommes à bord dans les autres véhicules. S’il est détruit, c’est un tiers de la capacité de la section qui est perdue. Dans une section à quatre pions, perdre un véhicule n’empêche pas de manœuvrer, à trois pions c’est beaucoup plus handicapant.

Outre que l’on sort souvent fatigué de chaque déplacement inconfortable surtout en tout terrain, la faible contenance fait que le chef de section et l’adjoint doivent s’ajouter aux groupes comme chefs de bord. La section se reconstitue en débarquant.

Le groupe de combat russe ne manœuvre pas. Les trois chefs de groupe de la section (dont deux n’étant pas chefs de bord découvrent ce qui se passe en débarquant) ne sont pas formés pour agir de manière autonome. Le groupe n’est pas articulé pour manœuvrer mais simplement servir de base de feu antipersonnel et antichar. C’est la section russe seule qui manœuvre sous les ordres d’un lieutenant qui n’a pas d’opérateur radio et doit gérer le commandement de toute la section (trois groupes et trois véhicules, il est vrai souvent laissés à l’adjoint) avec le réseau radio dans les oreilles. Au bilan, c’est difficile et la manœuvre est limitée, avec une section très groupée sur un petit espace. Là encore avec un faible effectif, quelques pertes suffisent à réduire très vite l’efficacité d’ensemble et si le chef de section est neutralisé, la section est paralysée.

Avec seulement neuf sections, parfois six, aussi rigides pour assurer toutes les missions de protection, d’accompagnement ou de reconnaissance dans un GTIA on comprend pourquoi ceux-ci ont autant de difficultés, surtout en milieu urbain.

Carte de @War_Mapper et ordre de bataille tiré @JominiW sur Twitter.

dimanche 10 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 10 avril 2022-La bataille des moyens

Les forces russes continuent à mener des attaques limitées à Marioupol et au Nord du Donbass tout en se préparant à pousser plus activement à partir d’Yzium en direction de l’Ouest du bastion Sloviansk-Kramatorsk.

L’objectif russe semble être de s’emparer complètement du Donbass avant le 9 mai, qu’il soit atteint, ce qui semble peu probable, ou pas, on devrait assister à un palier des opérations à cette date, les deux adversaires manquant de capacités offensives pour modifier significativement la ligne de front. Ce palier peut prendre la forme d’un cessez-le-feu, suivi de négociations sans doute stériles, ou celle d’une guerre larvée. On assisterait alors plus tard à une nouvelle phase offensive, une fois qu’un des camps disposera de suffisamment de moyens pour la tenter.

Les opérations organiques, ou de moyens, l’emportent déjà sur les opérations de conquête, violentes, mais territorialement limitées (un kilomètre/jour au mieux). Le premier enjeu est d’augmenter plus vite que l’autre le niveau de gamme tactique des groupements et des brigades/régiments au contact. Le second est de multiplier les points de contact avec un niveau de gamme supérieur à l’autre de façon à accumuler des petites victoires qui permettront de faire émerger des succès opérationnels (une percée, un front qui recule significativement, un effondrement) et à terme d’atteindre des objectifs stratégiques : conquête du Donbass et conservation du Sud du pays dans l’immédiat pour les Russes, résister à cette offensive et peut-être reconquérir du terrain dans le Sud pour les Ukrainiens.

La majorité des groupements des deux camps ont actuellement baissé de niveau, par les importantes pertes humaines et matérielles subies surtout et la fatigue des combats compensées par un gain d’expérience.

À court terme, la meilleure manière de leur faire retrouver au moins leur niveau antérieur est de les retirer de la zone des combats, de les mettre au repos et de les recompléter en hommes et en équipements. Il faut alors un temps de reconstitution proportionnel aux pertes. Une unité qui a perdu 30 % de pertes mettra trois fois plus de temps à se reconstituer qu’une unité qui en a subi 10 %. Pour un bataillon/groupement, il faut compter au minimum une semaine pour chaque tranche de 10 %. Notons qu’à l’issue le niveau tactique sera supérieur à celui du début de la guerre, par le simple effet d’expérience.

Pour amener des bataillons au repos, il faut qu’il y ait la possibilité d’une relève en première ligne. Si ce n’est pas le cas, il faut recompléter les unités directement sur la ligne de front. C’est moins efficace, mais l’urgence fait loi. Le recomplètement matériel est ce qui pose le moins de problèmes, à condition bien sûr d’avoir ce matériel et la logistique qui va avec. Il sera nécessaire d’avoir une petite base en arrière de la première ligne, hors des feux ennemis si possible, agir plutôt de nuit, dispersé, etc., mais c’est surtout un problème d’organisation. L’apport d’équipements nouveaux posera un peu plus de problèmes puisqu’il faut apprendre à s’en servir sans bénéficier de beaucoup de temps et de terrains de manœuvre/champs de tir.

Le renforcement humain est plus délicat. Amener des renforts individuels directement pour compléter des sections en première ligne sans aucun lien social est généralement une catastrophe. L’apport global est nul, voire négatif. Il vaut mieux conserver une unité en sous-effectif, mais cohérente que de la compléter sous le feu avec des novices. Au bilan, quitte à renforcer une brigade sur le front il vaut mieux lui envoyer un bataillon complet venu de l’arrière, et pour renforcer un bataillon, il vaut mieux lui envoyer une compagnie complète ou à la limite des sections, mais toujours des unités cohérentes.

Dans l’état actuel, des choses, on constate que les Russes récupèrent un peu partout dans le front Est les groupements tactiques interarmes qui ont le moins souffert pour les déployer entre Kharkiv et Yzium tandis qu’ils recomplètent le plus rapidement possible avec des volontaires et des équipements de dépôts autant de groupements abîmés dans le Nord et l’Est, pour les engager sans doute également dans le Donbass dans les semaines qui viennent.

Tous sont sous le commandement de l’état-major de la 1ère Armée blindée de la garde, transférée depuis la région de Soumy, et celui, interarmées, du général Dvornikov commandant du district Sud. Les formations d’artillerie ayant moins souffert que les unités de mêlée, les Russes récupèrent également des unités d’artillerie y compris dans les groupements tactiques usés pour former des brigades de feux en profondeur, tandis que l’aviation joue à plein dans le Donbass son rôle traditionnel russe d’artillerie volante.

On voit donc se dessiner une forme de combat à base de feux en profondeur massifs suivis d’attaques concentrées de divisions ad hoc, qui se révèlent au fur et à mesure de leur usure. Si le Donbass avait été le front principal du début de la guerre et non Kiev, il aurait possible de monter une manœuvre ambitieuse d’enveloppement Nord-Sud de Kharkiv à Dnipro, mais ce n’était pas le cas puisque c’était le Donbass et non Kiev qui servait initialement à fixer les forces ukrainiennes. Avec les forces restantes, il n’est guère d’autre possibilité que de tenter une jonction Yzium-Donetsk ou Yzium-Zaporajjia.

En face, ce sont toujours les mêmes dix brigades ukrainiennes régulières qui tiennent le front du Donbass depuis le début, dont cinq face au Nord. Ce sont, notamment au nord, sans doute les meilleures unités de combat de cette guerre. Elles ont cependant beaucoup souffert et il paraît difficile de les relever complètement dans l’action. Il est cependant possible pour les forces ukrainiennes de réaliser une manœuvre de renforcement sous « interdiction » (c’est-à-dire malgré la campagne de frappes sur le réseau routier/VF et éventuellement les convois repérés) de nuit, par petites unités et convois logistiques, etc. jusqu’aux brigades de première ligne.

Ces dix brigades sont également aidées par autant d’unités de territoriaux et de volontaires pour faire de chaque localité un bastion. Une force arrière de harcèlement-renseignement dans la zone occupée Nord organisée par les Forces spéciales serait également très précieuse. Peut-être existe-t-elle déjà.

L’aide occidentale est évidemment essentielle qu’il s’agisse du renseignement, des équipements légers modernes comme les SATCP Starstreak (déjà en œuvre puisqu’un hélicoptère Mi-28 a été abattu avec le 1er avril) et les 1 000 drones-rodeurs Switchblade, ou des équipements plus lourds qui arrivent désormais et dont les plus importants sont sans doute les missiles AA S 300 et les obusiers automoteurs, également slovaques.

Au bout du compte, on ne voit pas comment les groupements tactiques russes, même bénéficiant de la supériorité des feux d’appui, pourraient dépasser en gamme tactique sur les points de contact les bataillons ukrainiens dans le Donbass, usés, mais en posture défensive solide, sans aucun doute de meilleur moral, et possiblement renforcés. Et même si les Russes parviennent à être supérieurs, on ne voit pas comment ils pourraient créer suffisamment de points de contact victorieux pour l’emporter dans cette offensive du printemps.

Si cela est le cas, il y aura sans doute une revanche lors d’une offensive d’été et là les armées seront différentes.

jeudi 7 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 7 avril 2022

Situation générale

Evacuation complète du Nord de l’Ukraine. Les trois armées russes engagées à l’Ouest et au Nord de Kiev sont en cours de recomplétement en Biélorussie et probablement inaptes au combat. La 2e AG et la 6eA tiennent la frontière Est entre Soumy et Kharkiv. La 1ère ABG a été transférée dans le secteur Donbass-Nord en vue de la bataille décisive du mois d’avril. Hors Marioupol, les autres secteurs ne font l’objet que d’opérations limitées.

Situations particulières

Donbass-Nord

La zone de combat Donbass-Nord peut être divisée en trois secteurs : Yzioum, rivière Donets face au bastion Sloviansk-Kabarovsk et Severodonetsk. L’ensemble semble avoir été pris en compte par l’état-major de la 1ère Armée blindée de la garde, venu de la région de Soumy, et qui prend sous commandement puis celui d’états-majors de division (3e DM, 144e DM) une dizaine de GTIA de marche et sans doute aussi la 106e Division aéroportée, peu engagée jusque-là. Lorsque cette masse d’attaque sera usée au combat fin avril-début mai, la capacité de manœuvre russe sera réduite à peu de choses. Quoiqu’il arrive à ce moment-là, il sera sans doute nécessaire de procéder à une longue pause opérationnelle.

Face à la 1ère ABG, dans le secteur d’Yzium les forces ukrainiennes sont réduites à trois unités régulières : la 25e Aéroportée et les 81e et 95e brigades d’assaut aérien (en réalité des brigades d’infanterie mécanisée). Le bastion Sloviansk-Kabarovsk est solidement tenue par la 57e brigade motorisée et plusieurs unités territoriales ou paramilitaires (police, milices organisées) et Severodonetsk par la 79e brigade d’assaut par air et là encore plusieurs unités territoriales et paramilitaires.

Les forces ukrainiennes de la zone représentent 1/6e des forces totales. Elles sont de bon niveau tactique et s’appuient sur des positions solides mais elles sont déjà usées.

L’intention russe est clairement à l’Est de s’emparer au plus vite du saillant de Severdonetsk et surtout à l’Ouest de pousser d’Yzium vers Bervinkove, une petite ville de 8 000 habitants à 30 km à l’Ouest de Sloviansk tenue par la 85e brigade. Il n’est pas question pour l’instant de s’emparer du bastion urbain Sloviansk-Kabarovsk mais de le contourner.

Donbass-Est

Le 2e Corps d’armée LNR accompagne par l’Est l’action russe contre Severodonetsk et tente plus au Sud de s’emparer de Popasna tenue par la 24e brigade mécanisée ukrainienne.  

Le 1er Cors d’armée DNR tente toujours de progresser vers l’Ouest depuis la ville de Donetsk sur la N15 et surtout l’autoroute E50 mais la 95e brigade d’assaut aérien résiste sur des positions fortifiées.

Donbass-Sud

Les Russes progressent toujours dans Marioupol mais très lentement. L’incertitude est complète sur la date de la prise de la ville. Il paraît difficile d’imaginer que la 150e division motorisée russe soit capable d’enchaîner un nouveau combat à l’issue, par exemple en direction de Zaporijjia.

Equilibre des forces dans la ligne Sud Donbass entre trois brigades ukrainiennes en défense (59e, 56e et 53e motorisées/mécanisées) et la 42e division motorisée russe. La prise de Zaporijjia serait d’un grand intérêt pour les Russes mais ils se contentent pour l’instant de bombarder la ville, en attendant sans doute les moyens d’une attaque.

Sud-Ouest

Attaques ukrainiennes Kherson depuis Kryvyi Rhi et Mykolayev. La reprise de Kherson par les forces ukrainiennes et le franchissement du Dniepr serait un coup très dur porté aux Russes, mais c’est très peu probable.

Notes

La structure de base de l’armée de Terre russe est le « GTIA lourd » de 800 à 1000 hommes, à 120 véhicules blindés dont une puissante artillerie (il s’agit en fait d’un bataillon de « mêlée » et d’un bataillon d’artillerie accolés). La structure ukrainienne est différente avec des « GTIA légers » de 300 à 500 hommes, de différentes configurations en fonction de leurs équipements majeurs, mais presqu’entièrement de mêlée. 

Les GTIA russes sont réunis par deux, trois ou parfois quatre, dans des brigades indépendantes ou des régiments incorporés dans des divisions blindées ou motorisées, brigades ou divisions commandées par des armées.

Les GTIA ukrainiens sont regroupés par trois ou quatre, avec un groupement d’artillerie dans une brigade d’environ 3 000 hommes. En fonction du dosage des types de GTIA, l’armée ukrainienne dispose d’une trentaine de brigades de différents type (blindées, mécanisées, motorisées, montagne, légère, assaut aérien, aéroportée, infanterie navale).

Au niveau tactique (le combat local), il existe un seuil de densité de forces sur les points de contact en dessous duquel on n’exerce pas assez de puissance de feu pour être efficace et au-dessus duquel on ajoute surtout des pertes. Cela conduit à des rapports de volumes souvent proches (très rarement supérieurs à 2 contre 1).

Le GTIA Ukrainien semble mieux adapté que le russe, à la fois lourd à commander, insuffisant en troupes de contact et moins efficace dans ces feux indirects face à un adversaire en défense dans une localité ou dans une position très retranchée, ce qui est souvent le cas. Les expériences russes réussies de 2014 et 2015 ont pu être trompeuses dans la mesure où les GTIA bénéficiaient de l’infanterie des milices séparatistes et où les unités ukrainiennes moins bien organisées n’étaient pas dans des positions aussi solides.

L’organisation générale ukrainienne est zonale avec quatre commandements régionaux qui combinent ces brigades de manœuvre, des éléments organiques (une brigade d’artillerie et un bataillon de reconnaissance par région, par exemple), les bataillons territoriaux de réservistes et les bataillons de volontaires divers souvent rattachés au ministère de l’Intérieur, pour former des groupements ad hoc de défense de zones. Ces groupements de zones, par exemple à Chernihiv articulés autour de la 1ère brigade blindée ukrainienne, ont pu résister chacun à une armée complète russe.

De l’importance des réserves, dans l’armée territoriale bien sûr mais aussi dans l’armée régulière avec notamment un tiers des brigades les plus lourdes. Sans réservistes, l’armée ukrainienne n’aurait sans doute pas résisté, et avec de réelles unités de réserve professionnelles, l’armée russe ne se trouverait pas dans cette situation.  

mardi 5 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 5 avril 2022

Situation générale 

Les forces russes se sont repliées rapidement de tout le Nord de l’Ukraine à l’exception, sans doute provisoirement, d’une bande de terrain au Nord de Soumy. Elles tiennent le terrain autant que possible dans le Sud-Ouest et surtout font effort au Nord du Donbass avec l’espoir de prendre Severodonetsk et Sloviansk.

Situations particulières

Nord  

Repli général des forces russes. La manœuvre a été plutôt bien organisée par l’état-major russe du Nord, mais au prix de pertes conséquentes.

Sud-Ouest 

Maintien des positions par des forces russes amoindries. La 20e Division motorisée en position devant Kherson aurait particulièrement souffert. Au pire, les forces russes pourraient se replier sur la ligne du Dniepr et défendre la tête de pont de Kherson.

Donbass

Situation confuse à Marioupol : diffusion d’images de 200 soldats ukrainiens se constituant prisonniers. Pour autant, les forces russes, également très amoindries, semblent marquer le pas. Si la prise de la ville paraît toujours proche, il est probable que la 150e DM ne puisse être réengagée ultérieurement. Pire, il est possible qu’il soit nécessaire de puiser parmi les rares réserves russes, au détriment du Nord-Donbass, pour venir la renforcer et prendre Marioupol au plus vite.

Toujours effort du 2e CA LNR sur Popasna et Rubizhne et de la 3e DM russe sur Severdonetsk. Préparatifs d’attaque de la 20e Armée sur Sloviansk, dont les habitants sont invités à partir par les autorités ukrainiennes.

Les opérations au centre Donbass, face à Donetsk et sur la limite Sud sont également arrêtées. C’est pourtant de ce côté que les perspectives sont les plus intéressantes pour les Russes et le 1e CA DNR mais ceux-ci manquent visiblement de ressources.

Perspectives

La bataille du Donbass est sans doute désormais la bataille décisive de la guerre. Il est peu probable que la partie russe envisage un cessez-le-feu avant la fin du mois d’avril et de constater le résultat de la bataille.

Si les deux provinces du Donbass, dont Marioupol, sont conquises, les Russes pourront se déclarer vainqueurs pour le 9 mai, même s’il s’agit d’une victoire sans aucun doute très inférieure à ce qui était envisagée.

Dans le cas contraire, c’est-à-dire s’ils constatent l’impossibilité de prendre le Donbass, peut-être envisageront ils un « cessez-le-feu tactique » afin de geler la situation tout en reconstituant leurs forces pour une offensive ultérieure de grande ampleur.  

Les possibilités de manœuvre ukrainiennes sont limitées, mais réelles avec plusieurs brigades dégagées des opérations au Nord et à l’Ouest, où la menace d’une offensive depuis la Biélorussie ne semble plus d’actualité. Elles peuvent être engagées au Sud-Ouest mais ne pourront aller pas au-delà du Dniepr. Elles peuvent surtout renforcer le front du Donbass et rendre encore plus difficile la possibilité d’une victoire russe dans cette région avant la fin du mois.

Notes

Le bilan de destruction Oryx (forcément inférieur à la réalité) indique une augmentation sensible des bilans des pertes russes en véhicules de combat (+ 230 chars et véhicules blindés d’infanterie en une semaine, soit + 50 %). Cela s’explique par la découverte d’épaves dans les zones libérées mais aussi par les pertes importantes subies dans le Donbass. Dans le même temps, il n’y a que 22 chars et véhicules blindés ukrainiens répertoriés.

La Russie semble avoir perdu l’équivalent d’une trentaine de groupements tactiques interarmes (GTIA) sur 120 engagés et un potentiel maximum d’environ 140. 

Le GTIA russe se caractérise par une forte artillerie avec en général trois batteries d’obusiers/LRM et une bonne capacité de choc avec une compagnie de 10 chars de bataille. Il dispose également d’une composante anti-aérienne mobile, plutôt inefficace contre les drones. Il est en revanche très faible en infanterie avec au mieux 36 groupes de combat d’une dizaine d’hommes, mais souvent plutôt 24 par ailleurs assez médiocres. Il dispose également de très peu d’autonomie logistique. En résumé, le GTIA russe, complexe à gérer, combat par les obus les résistances rencontrées mais pendant un temps limité avant d’être relevé ou recomplété. Il est peu apte à combattre dans une localité un peu étendue.

Cette structure semble peu adaptée et on constate déjà la formation d’unités plus simples à commander à base uniquement de compagnies de combat rapprochées, tandis que l’on reforme d’un autre côté des groupements d’artillerie à partir des batteries récupérées.

On évoque une « mobilisation masquée » russe visant à engager 60 000 militaires d’active, par exemple les cadres des écoles militaires, et nouveaux volontaires en Ukraine. Ces engagements individuels destinés à combler les trous et non à constituer des forces nouvelles donnent une indication du niveau très élevé des pertes. La société Wagner accepte désormais tout le monde.

Au regard du tonnage qui est envoyé en Russie par les soldats russes revenus du Nord de l'Ukraine via la poste biélorusse, il est possible que la logistique déjà tendue le soit encore plus par l'ampleur des pillages.

dimanche 3 avril 2022

Point de situation des opérations en Ukraine 3 avril 2022

Situation générale

Accélération du repli des forces russes dans le Nord de l’Ukraine et la ville de Kiev est complètement dégagée de toute menace. Maintien des positions russes dans le Sud et poursuite des attaques dans le Donbass avec sans doute l’espoir d’obtenir une victoire avant la célébration du 9 mai.

Situations particulières

Nord

Il semblerait que les Russes aient abandonnés toute idée de menacer Kiev et aient complètement dégagé ses abords. La manœuvre de repli est plutôt bien menée et ne se transforme pas en déroute mais les reliquats des 35e et 36e Armées à l’Ouest de Kiev sont menacés. Les 41e, 2e et 1ère Armées se replient du Nord-Est en bon ordre. C’est à ce jour, la manœuvre russe la mieux coordonnée de la guerre. Pour autant, la fin de la bataille de Kiev marque une victoire majeure pour l’Ukraine.

Le repli s’accompagne de destructions et de nombreux minages destinés à freiner les forces ukrainiennes. Il s’accompagne surtout de témoignages concrets de nombreuses exactions menées par les forces russes dans les zones occupées.

Est

Raid aéromobile par deux Mi-24 P ukrainien au matin du 2 avril sur un dépôt de carburant à Belgorod, à l’intérieur du territoire russe malgré la densité de la défense aérienne. Deux autres frappes par missiles ont déjà été réalisées par les Ukrainiens, sans être revendiquées par les autorités ukrainiennes.

Bombardement de Kharkiv par l'artillerie russe.

Sud-Ouest

Front secondaire où les forces russes réduites en volume sont sur la défensive, face à des troupes ukrainiennes également réduites qui poussent de Mikolayev vers Kherson ou depuis Kryvyi Rhi vers le Sud. Kherson verrouille la zone.

Bombardement d’Odessa par la flotte de la mer Noire.

Donbass

Pression des forces russes sur la Donets à Yzium et Severodonetsk. Après trois semaines de combat la ville d’Yzium a été prise par la 144e Division motorisée (DM) russe le 1er avril. Le génie prépare le franchissement de la rivière Donets, afin de lancer une nouvelle attaque vers Sloviansk à l’intérieur de l’oblast de Donetsk.

La 3e DM poursuit la pression sur la poche de Severodonetsk par l’attaque de Rubizhne, au Nord-Est et l’attaque du 2e Corps d’armée (CA, LNR) sur Popasnaya avec l’espoir de couper l’axe T1302.

La prise de Severodonestk serait une défaite significative pour les forces ukrainiennes, surtout si plusieurs brigades s’y trouvaient piégées, et la province de Louhansk serait complètement conquise.

Le 1er CA (DNR) fait effort sur les sorties Ouest de Donetsk, en particulier en direction de Marinka et Selydove mais sans beaucoup progresser.

La 42e DM à la limite Sud de l’oblast de Donetsk est pour l’instant à l’arrêt. Pas de progression vers Zaporijjia.

Toujours effort de la 150e DM renforcée dans Marioupol. Progression très ralentie mais constante.

Notes

Tentative russe de sortir du blocage par une bascule d’effort de toutes les forces du front Nord vers le Donbass, puis de celle de Marioupol une fois la ville prise probablement vers la limite Sud du Donbass.

Pour être véritablement efficace, il faudrait prendre le temps de reconditionner et recompléter les forces dégagées avant de constituer une masse de manœuvre permettant d’obtenir des rapports de forces suffisants sur certains points clés. Si les Russes parviennent à former des groupements de feux importants - l’artillerie russe a moins souffert du mois de guerre que les troupes de manœuvre – associées à des sorties aériennes plus nombreuses, les GTIA, parfois recomposées en pures unités d’assaut sans appuis, sont plutôt engagés au fur et à mesure de leur arrivée.

Il y a sans doute une forte pression politique pour obtenir une victoire avant la célébration du 9 mai, mais à l’encontre de la logique opérationnelle. Cela peut réussir mais le coût de l’engagement d’unités déjà usées ou mal préparées est très élevé.

Après les ordres stratégiques données aux états-majors opérationnels au dernier moment avant la guerre par peur des fuites, l’engagement « toutes forces réunies » sans aucune réserve opérative, l’obstination à s’emparer de Kiev malgré l’évidence de l’échec du plan initial, la pression politique pour s’emparer au plus vite du Donbass quel que soit le coût est un nouvel indice de dissociation entre les désirs souvent irréalistes de l’échelon politico-stratégique et le commandement sur le terrain.

Rappelons une évidence : la bascule des efforts se fait aussi au profit des forces ukrainiennes qui bénéficient de l’avantage des lignes intérieures, et ce malgré la supériorité aérienne russe. Plusieurs brigades ukrainiennes de l’Ouest ou du Nord, peuvent venir renforcer ou relever les brigades sur la ligne de contact du Donbass. Chaque jour qui passe permet également la transformation des localités de la région en bastions urbains en particulier le complexe Sloviansk-Kramatorsk.

L’annonce de l’envoi aux forces ukrainiennes de missiles sol-air très courte portée (SATCP) Starstreak à visée laser et de drones-rodeurs Switchblade représente un saut qualitatif dans l’armement léger fourni. Tout aussi importante, sinon plus, est la décision d’engager des équipements lourds, en particulier des pièces d’artillerie (et les obus correspondants), le point faible de l’armée régulière ukrainienne, mais aussi peut-être des missiles anti-aériens S300, selon sans doute une manœuvre de « roque » (envoi d’équipements ex-soviétiques par des pays Est Européens, remplacés par des équipements américains).

La « manœuvre d’équipements » consistant à transférer très vite à un allié (mais aussi à une force nationale mobilisée) des équipements, plus la logistique et l’apprentissage qui vont avec, est une manœuvre en soi, qui implique au moins des stocks, des processus de production industrielles réactifs, et des équipes de formation, bref une organisation préalable. Cette organisation n’existe pas en France. Il serait bon de l’inventer.