Outre la simultanéité des actions et leur mise en cohérence par une autorité unique, une autre force de l’opération est l’implication très forte des Français au sein de l’appareil administratif et militaire tchadien. La France considère en effet que là se trouve la racine du mal et elle impose sa réorganisation sous sa tutelle comme condition première de son aide.
Confiée au gouverneur Pierre Lami, la Mission pour la réforme administrative (MRA) est conçue comme une force d’assistance technique d’une soixantaine d’administrateurs civils et surtout de militaires français implantés dans les préfectures, sous-préfectures, voire cantons, dès lors que la sécurité est devenue suffisante. Pierre Lami est membre du Comité de défense civilo-militaire et traite directement avec le président Tombalbaye tandis que les cadres de la MRA supervisent le travail des préfets. Pendant ce temps plusieurs dizaines de sous-officiers vont dans les villages pour y satisfaire les doléances (puits, pistes, greniers à mil, dispensaire, soins médicaux, stations de pompage) et aider à la mise en place de milices de dix à vingt hommes.
Du côté militaire, la France engage jusqu’à 650 cadres (en 1970) dans le centre de formation de Moussoro, pour le recyclage des compagnies d’infanterie, et l’école d’officiers à Fort-Lamy, puis à l’intérieur des différentes unités de combat. De fait, à la fin de 1969, l’ANT est une armée franco-tchadienne où beaucoup de commandants de compagnie et de chefs de section sont français, en attendant leur remplacement progressif par des cadres locaux suffisamment formés. L’ANT franco-tchadienne fournit un groupement à Abéché dans l’Est et à Faya-Largeau, la base opérationnelle pour le BET.
Parallèlement à cette force d’assistance, la France engage également une force d’action directe contre les rebelles. Celle-ci présente plusieurs originalités.
La première est son caractère entièrement professionnel, ce qui pousse d’abord à la professionnalisation « en cours d’action » du 6e Régiment interarmes d’Outre-Mer (RIAOM) en place à Fort-Lamy depuis 1965, puis à celle de troupes présentes en métropole. Le 3e Régiment d’infanterie de Marine (RIMa), composé d’appelés, apprend ainsi en août 1969 qu’il devra engager un groupement (on parle alors d’Etat-major tactique, EMT) fort de deux compagnies professionnelles pour la relève de mars 1970. Certains marsouins n’auront que deux mois de service avant de partir pour 14 mois dans ce qui est alors la mission la plus dangereuse de l’armée française.
Les forces terrestres françaises sont très peu nombreuses. Elles sont regroupées en deux EMT. Le premier est le 6e RIAOM de Fort-Lamy, fort de la Compagnie parachutiste d’infanterie de marine (CPIMa) et d’un escadron blindé léger, sur véhicules Ferret. Le second est fourni par le 2e Régiment étranger parachutiste (REP), avec deux compagnies implantées à Mongo et Fort-Archambault (Sarh). Ces 4 unités élémentaires seront susceptibles d’être renforcées d’un EMT venu de métropole. Même avec un soutien limité au strict minimum, l’ensemble est extrêmement réduit pour combattre 3 à 5 000 hommes au milieu de 3,8 millions d’habitants et sur territoire grand comme deux fois la France.
Ce faible nombre est compensé d’abord par l’intégration d’unités tchadiennes, comme la compagnie parachutiste de l’ANT affectée au 6e RIAOM, par une grande activité, les compagnies étant en quasi-nomadisation permanente, et une connaissance du milieu qui s’accroit au fur et à mesure de la longue mission. Surtout, les capacités des moyens terrestres sont multipliées par leur association avec une puissante composante aérienne.
Celle-ci comporte d’abord de trois détachements d’intervention héliportés (DIH) de six hélicoptères H34 (on ira jusqu’à 22 au total) pour le transport (7 passagers dans les conditions climatiques du Tchad) et l’appui-feu (avec une redoutable version Pirate armée de deux canons de 20 mm ). Il existe ensuite une composante légère avec des Alouette II qui serviront surtout de postes de commandement volants et des avions d’observation Piper Tricaper. Les Français disposent aussi d’une petite flotte de transport aérien avec les 12 DC-3 Dakota et le DC-4 tchadiens, la dizaine de Nord 2501 qui sert un peu à tout (largages par air, sauts opérationnels, éclairement nocturne, un Nord-POM armé de canons de 20 mm est même expérimenté mais sans succès) et enfin de 4 C-160 Transall, dont c’est le premier engagement. Enfin, entre six et neuf avions à hélice AD-4 Skyraider (4 canons de 20 mm et 3 tonnes de munitions) serviront d’artillerie volante. Le Tchad se couvre d’un échiquier de pistes et de plots de ravitaillement.
A l’exception des blindés légers, la force française est une force d’infanterie légère dont la presque totalité du soutien et des appuis vient des airs. On renouvelle ainsi l’expérience britannique des Chindits fusionnés avec l’Air Commando 1 en Birmanie en 1944 et on préfigure les Marine expeditionary units (MEU) du Corps des Marines américains.
Ce dispositif commence à être mis en place par la France à partir d’avril 1969. Il est reconduit et même renforcé à la fin de l’année alors qu’il a déjà prouvé son efficacité.
(à suivre)