A
l'heure où, désengagement d'Afghanistan et restrictions budgétaires obligent,
la préparation opérationnelle va se réduire, il me semble indispensable de
conserver à nos forces une "cohésion du groupe primaire élargi". Pour
autant, l'époque me parait peu propice à voir renaître des régiments interarmes
comparables au 21° Rima de ma jeunesse, ou aux régiments méca que j'ai mieux
connus : ils se composaient alors de trois compagnies sur AMX10, d'une compagnie
de char et d'une CCL dotée notamment d'une SML sur mortier de 120 mm et d'une
SER. Les possibilités du chef de corps n'étaient alors pas mon souci, mais j'ai
pu apprécier celles des commandants d'unité : forts de leur trois sections
d'infanterie, de leur section appui, de leur section de chars, renseignés et
appuyés au niveau du bataillon, ils disposaient d'une réelle capacité de
manœuvre et d'une puissance de feu appréciable. Je doute que ce modèle soit
reproductible, coûts de soutien et de formation obligent, et il n'a guère fait
ses preuves que sur les terrains d'exercice.
La
connaissance réciproque reste cependant indispensable, même sans
colocalisation. Lors des travaux préparatoires à la réorganisation de 2008, il
avait ainsi été envisagé de regrouper les écoles de la mêlée. Cette option a
finalement été écartée non seulement en raison du coût entraîné par la solution
de les implanter dans les camps de Champagne, seuls à même de supporter
l'empreinte de la multiplication des exercices, mais aussi parce qu'il a été
considéré que ce regroupement faciliterait principalement l'acquisition commune
des savoir-faire spécifiques, alors que le gain attendu devait provenir de la
mise en œuvre collective des compétences de chacun : c'est cet objectif que cherchent,
ou cherchaient, à réaliser la création des séjours à Djibouti, du camp
interarmes des écoles d'application ou des exercices inter-CFCU. Sans nier les
bienfaits de la fréquentation régulière des champs de tirs ou des parcours de
cross sur la cohésion, il est loisible de penser que celle-ci se construit plus
efficacement encore lors d'activités opérationnelles, souvent intenses.
Il
me semble alors que s'impose une pratique que j'ai connu comme capitaine
commandant, dont les retombées me semblent très nettes et les coûts très
faibles : l'abonnement. Ayant quitté les forces depuis plusieurs années, ma
suggestion risque de tomber à plat, et peut-être est-elle toujours mise en
œuvre . Il n'en reste pas moins que je peux témoigner des bénéfices dont j'ai
bénéficiés, lorsque, dans les années 2000, les escadrons et compagnies des régiments
de la brigade, les compagnies et les batteries régiments d'appui, dans une
moindre mesure les unités élémentaires des régiments de soutien, se
retrouvaient régulièrement, en OPINT, en exercice et en opération.
Lorsque
j'ai pris le commandement de mon escadron, celui-ci avait déjà été projeté au
côté du RMT ; RMT que nous avons côtoyé lors de différents Vigipirate, avant
que deux de ses compagnies n'accompagnent mon régiment en Slovaquie pour un
"espace d'entraînement brigade", auquel participaient également la
batterie et la compagnie de génie qui, deux mois plus tard me renforçaient pour
un séjour au Centac, pour lequel ma section d'infanterie provenait ... du RMT.
Trois mois plus tard nous étions au Kosovo, et un an après mon successeur partait
en Afghanistan en même temps que le RMT, tandis qu'un autre escadron, qui dont
un peloton m'avait été détaché pour la Slovaquie et le CENTAC déjà cités,
partait au Tchad ... avec le RMT.
Le
coût : un travail d'état-major permettant d'assurer que les mêmes unités
élémentaires participaient aux mêmes OPINT, aux mêmes entraînements et aux
mêmes OPEX.
Le
gain : incalculable, car comment quantifier la confiance, et parfois la
complicité ? comment estimer le gain de temps que procure la connaissance
réciproque ? Ce système reproduisait, dans la durée, l'effet recherché au cours
des périodes de préparations opérationnelles. Pour autant, et je m'en tiendrai
à l'entraînement et aux opérations, ce gain est incalculable mais sensible : confronté
aux briscards de l'OPFOR, j'ai eu la chance de connaître les forces et
faiblesses de mon observateur d'artillerie, lequel connaissait mes dadas, comme
les connaissait mon chef de section génie ; si je n'avais jamais rencontré mon
chef de section infanterie, ses sous-officiers et ses marsouins connaissaient
l'escadron et l'osmose s'est réalisée très rapidement. Au Kosovo, c'est, d'une
part, au niveau de l'état-major, et, d'autre part, au sein des détachements de
niveau section, que cette connaissance nous a fait gagner un temps précieux. Dans
les situations tactiques confuses auxquelles nous avons été confrontés, sans
ennemi mais avec des adversaires multiples et changeants, la connaissance du
"voisin", du soutien, de la voix au bout du combiné prend toute sa
valeur. De ce que j'en sais, mes
alter-egos comme mon successeur ont eux-aussi reconnu les atouts que nous
procurait le fait de nous être côtoyés dans différentes missions, exigeantes ou
non, privilégiées ou non.
Je
ne sais si l'armée de terre bénéficiera des circonstances favorables lui
permettant de créer cette osmose dans des circonstances favorables : missions
de présence, exercices à l'étranger, ... Je le souhaite ; mais, quand bien même
l'abonnement devrait-il se restreindre aux missions sur les frontières
ardennaises ou dans les gares parisiennes, il doit être encouragé. Le tout est
que nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers aient l'occasion de se
connaître, et si possible de s'apprécier, avant que cela ne soit indispensable.
Oui , bien sûr, et cela doit sans doute encore se pratiquer malgré les contraintes, je ne sais pas. Mais est-ce suffisant ? Je préfèrerais des régiments interarmes (d'environ 2000 hommes) commandés par des colonels, avec des bataillons subordonnés (entre 300 et 600 hommes)commandés par des lieutenants-colonels, tous sur la même garnison (c'est globalement encore possible malgré les restructurations).
RépondreSupprimerUn bataillon d'INF, 1 d'ABC (dont une compagnie méca), 1 petit d'artillerie à 4 ou 6 tubes, un autre du Génie, et un bataillon de TRANS et Log. Ces bataillons auraient des unités de commandement ne dépassant pas les 50, et donc on centraliserait le soutien au niveau régimentaire. En gros, c'est un peu le système du MEU des marines...mais sans l'aviation...
Faîtes le compte, ca passe. Et avec la PEGP, l'argument de la dispersion des matériels ne tient plus vraiment.On peut même rajouter un bataillon de réserve avec un DIO de 100 hommes pour l'encadrer, et qui sert d'unité de reconnaissance quand il n'y a pas de réservistes... Bref encore une piste pour réflechir...
Cela aurait l'immense avantage de donner des commandements supplémentaires et donc aussi une motivation supplémentaire.
SupprimerLa solution des unités inter-armes est séduisante, mais je crains qu'elle ne franchisse le mur des coûts :
Supprimer- coût financier, d'une part en raison des frais engagés par la mutation et le déménagement des unités devant être regroupées et, d'autre part, parce que ces bataillons et ces unités élémentaires devront disposer de moyens spécifiques, ceux du PSP, et que leur diversité augmenteront mécaniquement ceux des structures de soutien ;
- coût psychologique, car elle exige une nouvelle réorganisation alors même que la précédente n'est pas encore achevée.
Enfin, mais je soumets cette réserve aux nombreux intervenants au fait des réalités de notre armée de terre : officier et sous-officiers ont-ils aujourd'hui la maturité nécessaire pour accepter d'être commandés dans la durée par des chefs issus d'une autre arme et d'une autre culture ? Sachant qu'il ne s'agit pas d'un engagement opérationnel, ces derniers ayant prouvé que l'imbrication interarmes était parfaitement intégrée pour des mandats de six mois, mais de se voir notés, orientés, ...
Je trouve surprenant qu'aucun corps ne détache de temps en temps une de ses sections dans le régiment voisin pour faire de l'instruction interarmes. On se contente des espaces d'entrainement programmés avec l'ensemble des moyens du SGTIA. Alors que des échanges simples et réguliers pourraient déjà etre intéressant.Autre point l'entrainement interarmes c'est bien mais ne faut il pas aussi faire de l'instruction interarmes. C'est à dire définir les savoirs faire interarmes des petits échelons et les procédures qui en découlent.Ou et qui pour les enseigner. Les écoles d'armes l'enseigne au niveau CDU mais au niveau groupe et section ?
RépondreSupprimerJe vous renvoie à mes considérations sur le regroupement des écoles : je ne crois pas à l'instruction interarmes. L'instruction concerne soit des savoir-faire communs (tir, topo, vie en campagne, ...), qui sont je crois dispensés au sein de CFIM, soit des savoir-faire spécifiques (combat débarqué pour l'infanterie, combat embarqué pour la cavalerie, ouverture d'itinéraire et organisation du terrain pour le génie, ...), qui sont (ou devraient être !) réalisés dans les régiments ; ces savoir-faire sont le pré-requis à l'entraînement, qui ne gagne à devenir interarmes qu'une fois ceux-ci acquis, ou mieux maîtrisés. Vient alors le moment ou ils seront mis en œuvre collectivement, et ou la culture, les procédures et les réflexes interarmes seront développés.
SupprimerIl convient également de distinguer la connaissance des capacités et des contraintes des autres armes, qui concerne l'ensemble des soldats, de la connaissance des procédures, qui ne s'adresse qu'aux "gradés" (à partir de chef de groupe, d'engin, de pièce).
De ce fait, à défaut de ces entraînements, la participation au soutien des coles d'appli, période durant laquelle sont constitués des SGTIA, permet au moins d'observer comment sont (ou plus souvent devraient !) être utilisés les différentes spécialités, la combinaison de leurs effets, leurs contraintes spécifiques, ...
Concernant l'instruction interarmes,prenons un cas concret simple.Un groupe de combat débarqué doit assurer la protection raproché d'un char dans une rue,ce dernier appuyant le reste de la section qui reconnait un paté de maison. le chef de groupe et le chef de char confrontés à une situation nouvelle vont devoir répondre très vite à tout un ensemble de questions. Comment se répartissent les secteurs de tir et d'observation, comment dialoguent t-ils pour se coordonner, comment le char informe les fantassins qu'il va tirer, les fantassins doivent il reconnaitre la position suivante du char avant son déplacement, la protection doit elle accompagner le char dans tous ces mouvements ou de poste en poste...Toutes ces questions ne sont plus sensées se poser à l'entrainement,2 fois par an, quand le char et le groupe doivent restituer ses savoirs faire. Il faut les travailler en amont, en définir les principes. protéger un char devient une mission du groupe d'infanterie, combattre avec sa protection de fantassins un savoir faire de la cavalerie. Ces missions et savoir faire spécifiques doivent etre instruit.
SupprimerJe m'en tiendrai à votre exemple : le chef de groupe a du apprendre en école à utiliser son groupe pour remplir la mission : répartition des secteurs d'observations et de tir, consignes pour l'ouverture du feu, la liaison et le repli (il y a trois fois trente-trois ans, cela se synthétisait sous la forme du ZMS PCP si ma mémoire est bonne).
SupprimerDe son côté, le chef de char doit savoir utiliser son engin en zone urbaine, adapter son PCO, utiliser intelligemment ses cavaliers (ou marsouins !) pour observer et utiliser les armes.
L'un comme l'autre, et dans un monde idéal leurs adjoints, savent comment se coordonner avec les appuis et les soutiens : comment entrer sur un réseau radio, contacter un char par le boîtier ad-hoc, ... et connaissent les forces et faiblesses de l'arme appuyée ou soutenue : le char ne voit pas partout, l'infanterie débarque vite et rembarque lentement,... tout ça a du au moins être vu en école, normalement être mis en œuvre en exercice, au mieux vécu en opération.
Et lorsque viendra le moment ou cette coordination deviendra indispensable, l'essentiel tiendra au moins tout autant à la mise en œuvre par chaque ensemble de ses savoir-faire propres, individuels et collectifs, qu'à celle par les chefs de groupe et d'engins des compétences inter-armes.
Si évidemment, vous avez affaire à deux anciens sous-officiers, à la compétence et à l'expérience éprouvées, ce sera du velours.
Mais même avec deux jeunes, correctement formés et dotés d'un peu de bon sens, à la tête de groupes et d'engins d'une valeur honnête, correctement formés et entraînés dans leur spécialité, cela devrait passer.
CQFD.
Vous avez raison d'insister sur ce point de l'instruction interarmes aux petits échelons. Je ne sais pas si cela se fait. Ce qui est clair, c'est que si on n'est pas sur la même garnison, aux ordres d'un même chef, sous un même insigne (drapeau, fanion, etc), il n'est pas naturel de se regrouper pour s'entraîner en commun. Sans compter les problèmes de programmation, de moyens disponibles, etc...On peut s'en offusquer mais c'est l'histoire des organisations qui le montre...
RépondreSupprimerL'autre aspect sur lequel il me paraît important de réfléchir, c'est la taille et l'équipement des PC de GTIA. Avec des besoins en intégration croissants (Drones, Art, hélicos, avions, robots, alliés,ONG,médias, etc), le niveau bataillon que je préconise (que l'on peut assimiler à des PC TAC à deux ou trois vhs maxi) retrouve toute sa légitimité. Car le PC de GTIA aura fort à faire, avec ses écrans, ses systèmes d'information, etc...Il sera donc moins mobile. Or, un besoin de PC TAC commandant à vue est toujours essentiel. Et outre des commandements supplémentaires (qui sont absolumment nécessaires pour sauver la motivation, c'est sociologiquement naturel qu'une institution ouvre des perspectives mais encore faut-il le rappeler...)il y aurait encore ainsi des officiers supérieurs sur le terrain prenant les mêmes risques que les autres. Cela ne paraît pas utile aux "beaux esprits" et pourtant, il y a là un risque fondamental de "décrochage mental" des officiers supérieurs. Je sais que l'Armée américaine essaie d'y faire attention après de nombreuses critiques en interne entre les adeptes du powerpoint (qui disent aller sur le terrain quand ils se déplacent entre les bases en hélicoptères...) et ceux qui patrouillent sous la menace constante des IED et des embuscades. C'est une autre manière de "faire la cohésion" du corps des officiers et de l'ensemble des personnels. Il y a là un risque psychologique à surveiller dans les armées de type occidental.
Je comprends vos arguments sur les coûts financiers et psychologiques d' une nouvelle structure interarmes. Ils ne sont pas négligeables. Mais à mon avis pas insurmontables surtout s'il faut faire face à de nouvelles restructurations importantes comme on l'entend ici ou là. C'est l'occasion si j'ose dire.
RépondreSupprimerPas insurmontables car le PSP est parfois tellement réduit que de fait, le déménagement ne couterait guère. Il n'y aurait que quelques engins ou canons à mettre en place. On peut aussi copier le système britannique des années 70 - 80, avec des unités qui "tournent" sur le système d'armes pendant 2 ou 3 ans, tandis que les autres sont en version "light" (Mortiers au lieu de canons, land rover au lieu de chars challenger,Saxon au lieu de Warriors, etc).
Sur l'aspect psychologique d'obéir à un chef issu d'une autre arme ou d'une autre culture. Là encore, le fossé est-il si important que même après autant d'opérations depuis 1991, il ne soit pas encore comblé? Quelque part, c'est inquiétant. Mais du point de vue des traditions que je peux mieux admettre car constitutif d'une identité, rien n'interdit de faire des régiments interarmes de même couleur de bérèt...