dimanche 11 août 2013

La fabrique des soldats

Modifié le 13/08/2013

« Je ne me suis pas engagé pour devenir moi-même 
mais pour devenir un autre »
Sergent Yohann Douady

Après des centaines d’années de pratique empirique on sait fondamentalement comment faire faire des choses extraordinaires à des hommes ordinaires. Il suffit de les modeler à l’aide de plusieurs méthodes plus ou moins dangereuses suivant un dosage délicat qui dépend en grande partie de la vision que l’on a de l’homme. 

L’école du dressage

Une première approche, héritée de l’époque moderne, à la fois scientiste et aristocratique considère le soldat comme un rouage dans une grande machine, rouage dépourvu fondamentalement d’honneur et à qui, bien avant Taylor et Pavlov, on impose un apprentissage de gestes élémentaires par répétition ou drill. Bien plus que le courage on recherche chez lui la discipline. Le soldat avance alors sous le feu par dressage (le terme est utilisé jusqu’au XXe siècle) et par peur du châtiment inévitable s’il trahit. Cette école n’est pas sans mérite, comme dans les disciplines sportives, la répétition incessante de gestes individuels et collectifs est encore le meilleur moyen de les accomplir lorsque le réflexe doit remplacer la réflexion. Elle induit aussi un conditionnement utile à l’obéissance. Elle est cependant évidemment insuffisante à faire face à l’accroissement de la complexité du combat.

Elle est surtout limitée par sa sous-estimation des capacités humaines. Selon l’article de l’Encyclopédie écrit par le philosophe Jeaucourt, le soldat français est recruté dans la partie la plus vile de la nation. A partir de la Restauration, il n’est même plus volontaire puisque tiré au sort dans les milieux les plus pauvres et sans instruction pour effectuer six à huit ans de carrière militaire. L’idée persiste donc longtemps de sa faible valeur intellectuelle ou morale et cela aura des conséquences stratégiques considérables.

La première, c’est particulièrement le cas en France au moins jusqu’à une époque récente, est qu’on considère que les limitations intellectuelles des hommes du rang sont telles qu’on pense qu’il ne sert pas à grand-chose de pousser l’instruction technique très loin. Avant la Première Guerre mondiale, on considère ainsi que les artilleurs servant le canon de 75 ne sont capables d’apprendre que trois types de tir pendant leur service, alors que la guerre montrera qu’ils sont capables d’en maîtriser plus de vingt. Plus grave, on considère à la même époque que le fantassin français est forcément un tireur médiocre, on ne fait donc pas d’effort particulier pour relever le niveau et on privilégie les tirs collectifs. Dans ces conditions et alors que des prototypes de fusils automatiques, c’est-à-dire se réarmant seuls, existent avant la Grande guerre on refuse d’en équiper les hommes pour éviter le gaspillage de munitions qui résulterait inutilement de cette grande cadence de tir. Le sous-armement des fantassins français est d’ailleurs une constante au XXe siècle, avec le coût humain que l’on imagine. L’armée française est encore la dernière armée moderne à adopter un fusil d’assaut à la fin des années 1970, plus de trente ans après les premiers modèles allemands.

On considère aussi que cette limitation est aussi morale et que si on relâche la surveillance et la pression les hommes vont se relâcher, de la même façon, le repos et des conditions de vie courante trop agréables vont entrainer un ramollissement. C’est notamment le cas lorsque les lignes de tranchées apparaissent à la fin de 1914. L’obsession du commandement français, qui se méfie du « confort » des tranchées, est alors de maintenir l’ « élan » par des attaques incessantes aussi meurtrières que le plus souvent inutiles. L’infanterie termine l’année 1915 terriblement meurtrie et épuisée, au bord de la rupture. C’est à ce moment-là seulement que l’on commence à prendre en compte la nécessité du repos et de la reconnaissance, avec la croix de guerre. Cette conception d’un décalage moral entre le corps des officiers et le reste de la troupe n’a pas forcément complètement disparu. En 1989, un de mes instructeurs à l’Ecole militaire interarmes introduisait le cours d’éthique et déontologie en disant que l’éthique était ce qui différenciait l’officier du sous-officier.

Une autre conséquence est qu’avec cette vision de l’homme, former un soldat acceptable demande du temps, au moins deux ans pour le commandement français au XIXe siècle. C’est le minimum pour envisager une armée mobile et offensive, en deçà, cela paraît impossible. C’est une des raisons pour laquelle, le corps des officiers français s’oppose farouchement à l’armée de milice proposée par Jaures, méprise les réservistes et bascule de la doctrine hyper-offensive et agressive de 1914 à une doctrine de plus en plus défensive au fur et à mesure de la réduction de la durée de service dans l’entre-deux guerres. Même le colonel de Gaulle lorsqu’il envisage sa force blindée de réaction rapide en 1934 ne conçoit pas qu’elle puisse être servie par des conscrits. Il faudra l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et des exemples des armées créées à partir du néant comme l’armée américaine pour comprendre qu’on peut, en partant de rien mais avec une organisation adaptée, construire des unités efficaces, y compris des divisions blindées, en moins d’un an. 

Des hommes entourés d’acier

A cette conception à la fois aristocratique et behavioriste (un environnement dur va engendrer des hommes durs) on peut opposer une autre approche plus démocratique et inspirée de la pyramide de Maslow, dont le principe premier est qu’on accomplit plus facilement des tâches plus difficiles dans un environnement sécurisé. Au moins jusqu’à une époque récente, l’armée israélienne est un bon exemple de cette approche. Les hommes y sont rares en Israël par rapport à leurs adversaires d’alors et le soin apporté à leur productivité tactique a longtemps été considéré comme le premier facteur de la puissance nationale. Prenons l’exemple des tankistes israéliens pendant la guerre du Kippour en 1973.

Les équipages israéliens n’étaient pas seulement bien formés, ils étaient aussi placés dans une situation suffisamment sécurisante pour leur permettre de combattre efficacement bien plus longtemps que leurs adversaires. Si on calculait en termes de chars le rapport de forces était défavorable aux Israéliens ; si on calculait en potentiel d’heures de combat par semaine, ce même rapport de forces basculait nettement en leur faveur. Pour y parvenir, les Israéliens ont combiné des facteurs humains, techniques et organisationnels. Ils ont d’abord mis l’accent sur la résistance physique des hommes. Les guerres israélo-arabes se comptent en jours. Des équipages capables de combattre efficacement trois jours de suite avec peu de repos constituent un atout énorme, surtout lorsqu’on combat sur un petit territoire et que les renforts ne peuvent intervenir qu’au bout de deux jours de mobilisation.

Le plus grand soin a ensuite été apporté au confort des hommes dans les engins. Les Israéliens ont toujours préféré les chars à fort blindage, comme le Centurion, aux engins plus petits et inconfortables comme ceux de leurs ennemis. Ils ont aussi développés des blindages passifs (patins de chenilles, plaques additionnels) et ont été sans doute les premiers à expérimenter les blindages actifs, c’est-à-dire des blocs d’explosifs pour repousser les charges creuses. Cet effort de protection et de confort rencontrait des limites pour des engins qui n’avaient pas été conçus en Israël mais ce fut une des priorités dans l’élaboration du char national Merkava dans les années 1970.

Simultanément, un effort particulier avait été fait sur la sauvegarde des hommes blessés et la réparation rapide des machines. Les hommes avaient reçu un entraînement poussé aux premiers soins et les procédures d’évacuation par hélicoptères étaient et sont toujours très rapides vers des hôpitaux proches du front. Les blessés légers pouvaient souvent rejoindre leurs camarades avant même la fin des combats. Les unités de chars bénéficiaient également de la présence de fantassins mécanisés dans la brigade blindée dont une des missions prioritaires était l’évacuation ou la protection des équipages de chars détruits. Lorsque le char Markava a été conçu ensuite, il a été prévu de pouvoir enlever très vite une palette d’obus à l’arrière pour y protéger un ou plusieurs hommes. Les Arabes, qui ne disposaient pas de tels systèmes de protection et d’évacuation ont perdu beaucoup plus rapidement leurs personnels qualifiés.

Le même principe était appliqué aux engins. L’accent mis sur la capacité de réparation des unités (pièces vitales facilement accessibles et remplaçables, formation des équipages, unités de maintenance jusqu'au niveau de la compagnie, ateliers de réparation bien équipés et abondamment pourvus en personnels qualifiés) permettait de récupérer jusqu'à 50 % des engins dans les quelques jours qui suivaient leur mise hors de combat et de reconstituer rapidement les unités blindées. On a même vu sur le Golan dans les deux premiers jours de la guerre, des blessés sortant des hôpitaux de campagne pour former des équipages de fortune et récupérer des chars en réparation dans un atelier à proximité et repartir au combat.

Un dernier effort était fait également pour réduire au minimum les pertes de temps dues aux approvisionnements en carburant et obus. Le char Merkava, conçu d’abord par des équipages de chars, ne reçoit plus ses obus un par un par un trou mais par palettes entières. Coté arabe, le manque de personnels qualifiés et la légèreté de la logistique, obéraient ces possibilités. La conception et l’installation des différents ensembles des chars soviétiques empêchant pratiquement toute réparation sur le terrain ce qui entraînait soit l’évacuation loin à l’arrière, soit l’abandon du véhicule.

Les Israéliens partaient du principe que le soin apporté aux hommes ne les amollissait pas mais leur permettait au contraire d’être plus efficaces au combat. La sécurisation n’était pas conçu comme paralysante mais comme permettant l’audace. C’est le même principe qui avait prévalu pendant la Seconde Guerre mondiale avec la mise en place par la marine américaine d’un système très performant de récupération en mer de ses pilotes. Non seulement cela leur permettait, contrairement aux Japonais qui n’avaient pas fait cet effort, de préserver un personnel très qualifié, mais aussi de faire preuve de plus d’audace comme pendant la bataille de Mariannes en juin 1944 où ils lancèrent leurs avions au-delà de leur rayon d’action, acceptant que 80 d’entre eux se crashent en mer au retour.

Cette approche devient toutefois contre-productive lorsque la protection devient une fin en soi et étouffe non seulement l’audace mais aussi la manœuvre. Les mêmes tankistes, si performants en 1973, se sont retrouvés dépourvus face aux combattants du Hezbollah en 2006.  

La mithridisation

La particularité de l’apprentissage au combat n’est pas l’acquisition de savoirs techniques individuels et collectifs, cela est commun à toutes les professions ou aux disciplines sportives. La vraie difficulté est l’application de ces savoirs à l’ambiance du combat. La maitrise des compétences est évidemment nécessaire pour assurer les missions, elle l’est également pour renforcer la confiance. Elle est cependant insuffisante pour appréhender la puissance des sensations à l’intérieur d’une zone de mort.

Faire en sorte que l’expérience la plus traumatisante de sa vie soit abordée avec le moins de stress possible est une préoccupation des armées depuis toujours mais elle a été renouvelée avec l’expérience terrible et massive de la Grande guerre. Le mois d’août 1914 vit en effet la conjonction de l’oubli de la guerre après 43 ans de paix et d’une capacité de destruction inédite. Les pertes françaises furent terribles et les défaillances nombreuses, y compris chez les généraux. L’armée française résista malgré tout, preuve que la discipline, l’entraînement physique et le conditionnement d’avant-guerre n’étaient pas sans qualités.

On constata aussi les insuffisances des méthodes classiques et on mit en place, pendant la guerre même, une nouvelle approche d’aguerrissement progressif par le contact avec les vétérans dans les centres d’instruction divisionnaire, l’instruction complémentaire sur les arrières  parfois sur des ouvrages reconstitués, l’incorporation en première ligne dans des secteurs calmes et lorsque la situation le permettait l’exécution de missions de danger croissant, en commençant par les patrouilles. Plus les unités au front avaient de l’expérience et, selon les termes d’un officier de l’époque, plus « le baptême du feu devenait pour les innombrables nouveaux venus un événement de plus en plus simple ».

Après la Grande guerre, l’apport des sciences sociales mais aussi des nouvelles technologies de l’information comme le cinéma permirent d’envisager également la possibilité de mieux appréhender les sensations du combat. Dans les années 1930 et aux débuts de la Seconde Guerre mondiale, cette approche réaliste se généralisa.

Pour réduire le décalage entre l’anticipation et la réalité, on découpa le cauchemar en morceaux en espérant le faire absorber progressivement comme Mithridate s'empoisonnant un peu tous les jours pour s'immuniser. Par des films et des photos, par la visite d’abattoirs ou en accompagnant des sapeurs-pompiers, on s’efforça de réduire le choc des visions horribles. L’entraînement physique, avec notamment l’influence de Georges Hebert et l’invention des parcours du combattant, s’efforça de coller un peu plus à la réalité de l’effort réellement demandé. Par des exercices à balles réelles, en faisant ramper par exemple sous des tirs de mitrailleuses, on espéra aussi habituer un peu les hommes à évoluer sous le feu. Cette approche réaliste porta ses fruits pendant la Seconde Guerre mondiale.Dans un sondage réalisé en 1944 en Italie, 80 % des fantassins américains se félicitaient de l’entraînement dur et réaliste qu’ils avaient reçu, beaucoup estimaient même qu’il aurait dû comporter plus d’entraînement avec balles réelles. Le combat lui-même fut étudié de plus en plus scientifiquement. Sur l’initiative d’officiers de terrain les méthodes d’entraînement au tir plus proches de la réalité furent mises en place dans les armées occidentales dans les années d'après-guerre

Cette approche réaliste trouva un nouveau souffle grâce aux nouvelles possibilités de simulation par l’emploi conjuguée de l’informatique et de moyens d’observation. A la suite de la découverte du faible rendement de leurs pilotes de chasse au Vietnam surtout dans leurs première missions, l’US Navy et le corps des marines puis l’US Air force mirent en place des centres d’entraînement permettant aux pilotes de réaliser des missions dans des conditions très proches de la réalité face à des adversaires qui évoluaient comme les ennemis potentiels. Le principe fut adopté par les forces terrestres avec en particulier la création du centre national d’entraînement de Fort Irwin en Californie en 1981, puis par la plupart des armées modernes.

La sueur épargne le sang

L’approche réaliste comprend cependant une limite indépassable qui est que l’on n’y a pas vraiment peur de la mort puisqu’on sait qu’elle est, sauf accident, exclue de l’équation. On a donc cherché à compléter ces approches mécaniste, sécurisante et réaliste par une voie complémentaire, celle de la peur. A l’imitation des unités de commandos de la Seconde Guerre mondiale, on créa des centres où par des « pistes d’audace » on plaça les hommes dans des situations assez peu réalistes mais éprouvantes car jouant sur toutes les peurs possibles comme le vertige ou la claustrophobie. Cette approche s’est accompagné d’une intense formation physique dont le but étaient à la fois de former aux efforts spécifiques du combat mais aussi à pousser encore une fois les hommes jusqu’à leurs limites.

Dans un système de recrutement par volontariat, avec donc la possibilité de quitter volontairement le service, cette approche avait également pour vertu d’écarter les moins motivés. La limite est cependant ténue entre un entraînement dur et la torture, le risque est aussi de faire de cette expérience quelque chose de plus traumatisant encore que le combat ou qui s’ajoute encore à son usure. L’homme n’est capable que d’une certaine quantité de terreur, disait Ardant du Picq. Il n’est capable aussi que d’une certaine quantité d’effort et de peurs. 

Le soldat et particulièrement le soldat professionnel moderne est donc le fruit d’une alchimie complexe entre plusieurs approches parfois incompatibles et dont chacune présente des inconvénients. Cette alchimie nécessite donc d’être organisée rigoureusement, de comprendre des phénomènes de compensation du stress par la sécurisation et de l’effort ingrat par la considération. Elle suppose de s’appuyer sur le préalable d’une forte cohésion des individus avant que cette cohésion soit elle-même nourrie par l’épreuve. 

10 commentaires:

  1. Mon colonel,

    Sur la formation du soldat, et notamment la frontière ténue entre aguerrissement et torture, j'ai trouvé quelques passages édifiants dans Françoise Sironi, "Psychopathologie des violences collectives : essai de psychologie géopolitique clinique", Paris, O. Jacob, 2007. Son analyse des traitements en vigueur dans les différents camps inventés par tous les régimes ouvertement ou insidieusement totalitaires m'a rappelé mes passages au CNEC et dans les CAOME... Passages que j'ai adorés, et ne regrette en rien, et à l'occasion desquels il m'est effectivement arrivé une fois d'être très près de renoncer à l'état de soldat... Passages dont j'ai mieux compris l'importance fondamentale dans ma formation de soldat, mais surtout de chef, à la lecture de Sironi !

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  2. Kubrick dans "Full Metam Jacket" (1987, vous avez choisi d'illustrer votre article par une image tirée de ce film) a magnifiquement étudié le comportement de dressage militaire qui, s'il est poussé trop loin, peut se retourner contre l'homme lui-même. Grand paradoxe de l'espèce humaine, de ses progrès, et de ses limites. Problématique essentielle notamment chez le grand cinéaste américain. Ardant du Picq, que vous citez en substance dans votre avant-dernier paragraphe, en avait donc aussi bien conscience. Cela vous permet opportunément de nuancer l'optimisme militaire coutumier et dangereux, souvent de mise quand il s'agit de mener des hommes ou des foules au combat. C'est déjà ça. Rappelons-nous les soldats de 1914, pleins d'un enthousiasme irrationnel, partant la fleur au fusil à l'été 14. La deuxième partie de "Full Metal Jacket" exploite à merveille ce mécompte.

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  3. C’est toujours un plaisir de lire vos analyses Mon colonel. Aussi, c’est en toute modestie que je tente de compléter par la notion de croyance, votre notion d’alchimie complexe.
    Qu’est-ce qui pousse le tonitruant sergent Hartman (en photo), face à un individu aux yeux exorbités, à la bave aux lèvres et qui lui pointe quasiment à bout touchant le canon d’une arme de guerre sur la poitrine… à lui parler de la sexualité de sa môman ?
    Sans doute la croyance en la toute puissance du sergent-instructeur, capable d’effacer la personnalité du ‘civil’ dans la tête d’une recrue, pour la remplacer par celle du ‘soldat’. Comme toujours, la Réalité a le dernier mot sur la Croyance (en l’occurrence ici, un gros trou dans la poitrine du dit sergent).
    Bien sûr il ne s’agit là que d’une œuvre de fiction, mais dans la vraie vie les exemples d’aveuglement suicidaire par Croyance sont innombrables. Dans le domaine stratégique, l’aveuglement de la Wehrmacht face aux russes durant la 2nde GM est sans doute l’un des plus beaux exemple qui soit. Même pendant les dernières phases de la guerre, alors que les performances tactiques et opératiques de l’armée rouge égalaient ou dépassaient celle de l’armée allemande des premiers mois de la guerre, l’OKW restait figé dans sa conception raciale d’une armée de sous-hommes russes, simplement bonne à charger droit devant en hurlant. Les soviétiques quant à eux, étaient toujours surpris lorsqu’ils capturaient des officiers généraux allemands, de voir qu’ils étaient incapables de citer les noms de leurs homologues russes.
    Mais là où la leçon nous concerne, c’est qu’il a pratiquement fallut attendre les travaux du colonel Glantz pour que l’OTAN déconstruise sa croyance en l’image d’une armée russe ne valant que par sa masse… 25 ans après la fin du conflit !
    Aujourd’hui la croyance prégnante en Europe est que la guerre est hautement improbable sur le territoire de l’UE. Bien pire, nous SAVONS qu’en cas d’agression, les États-Unis se porteront obligatoirement à notre secours. D’où des armées européennes ‘bonsaïs’ (voir plus d’armée du tout pour certains de nos voisins).

    Enfin, un rappel à la règle pour terminer (valable uniquement pour les carriéristes): tous ceux qui s’opposent à la croyance commune se voyant excommuniés, mieux vaut avoir tort avec les autres, que raison tout seul.

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  4. Je ne sais si c'est encore le cas, mais je l'imagine : j'avais été très frappé de voir à quel point les missions étaient expliquées et discutées aux échelons les plus bas dans l'armée israélienne. En fonction des remarques des soldats, les modalités de l'action pouvaient même être corrigées. Par contre quand la décision était prise, il n'y avait plus aucune discussion et les ordres étaient appliqués scrupuleusement. Cela détonnait avec les méthodes de l'armée française (années 60-70) et pourtant des appelés du contingent étaient capables d'imaginer des méthodes, parfois peu orthodoxes, mais efficaces. J'ai eu pour ma part, l'occasion de l'appliquer au grand dam d'instructeurs dépités et furieux de s'être fait avoir.

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  5. Bonjour,
    vous parlez de l'environnement sécurisant établi par Tsahal pour la formation de ses soldats privilégiant l'audace et permettant même d'être plus efficace au combat. Je pense que c'est vrai, mais jusqu'à un certain point, et l'histoire militaire israélienne nous l'a prouvé.

    Si ce confort et cette sécurisation offerts aux soldats se sont révélés avantageux "au début", ça s'est retourné contre elle lorsque Tsahal a commencé a systématiser à l'extrême cette "sécurisation" des hommes et a adopté en partie les méthodes US d'extraction des hommes et des matériels/véhicules dès que des pertes subvenaient. La machine de guerre israélienne, jusque là bien faite, a connu alors de sérieux problèmes dans l'atteinte de ses objectifs et l'efficacité de ses unités (méthodes d'ailleurs entre autre et en partie apportées par le fameux E. Luttwack qui fut nommé conseiller militaire de Tsahal au début des années 2000).
    Je donne pour exemple le plus connu : la défaite israélienne de 2006 face au Hezbollah. Si la défaite peut être expliquée par de multiples faits, l'un d'entre eux fut indubitablement que les unités de chars, dès qu'elles subissaient une ou plusieurs pertes, devaient protéger, en sécurisant la zone, l'équipage survivant, blessé ou mort du char détruit, l'évacuer et se replier. Puis repartir à l'attaque... De même pour l'infanterie ou les commandos qui s'arrêtaient de progresser dès qu'ils recevaient une ou plusieurs pertes, sécurisaient le périmètre puis attendaient qu'un moyen d'évacuation arrive ou, à défaut, transportaient eux-même le ou les blessés vers l'arrière, en retardant considérablement le déroulement des opérations.
    Ce type de procédures systématiques de sécurisation est contraire à toute efficacité opérationnelle. Il casse l'élan des soldats, il anéantie tout avantage gagné, il permet à l'adversaire de profiter tactiquement des temps morts ou lenteurs de l'évacuation, etc.
    Donc, s'il est vrai que le confort et la sécurisation des hommes de guerre permettent de les rendre plus audacieux et parfois même plus efficaces, je crois qu'il ne faut cependant pas pousser le vice trop loin car il a tendance à se retourner contre l'efficacité tant recherchée des militaires.
    Cordialement.

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  6. Mon colonel,
    j'ai quelque mal à saisir l'opposition que vous faites entre dressage et protection. J'opposerai plutôt au dressage l'initiative laissée aux soldats, les deux concepts pouvant s'associer à une attention plus ou moins soutenue portée à la protection des soldats. On peut aussi illustrer cela par la comparaison de l'infanterie de ligne et des forces spéciales. L'efficacité de la première nécessite plus de dressage, alors que celle des secondes résulte en grande partie de l'initiative laissée à chacun. Encore faut-il rapporter cela à la sélection qui caractérise les FS et qui parait difficilement généralisable, ainsi qu'à leur incapacité à remplir toutes les missions...
    Enfin le dressage, y compris (voire peut-être surtout)idéologique, s'il ne compense pas l'instruction tactique, a néanmoins souvent considérablement accru la capacité de résistance notamment en défensive(l'armée rouge ou le Viet Cong, mais aussi certaines unités SS entre autres).

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  7. Même si ce n'est pas vraiment le sujet, j'ai l'impression qu'après avoir méprisé l'Armée Rouge on rejoue quelque part aujourd'hui la construction d'un mythe opposé, à l'image de ce qui fut fait pour la Wehrmacht dans l'après guerre.
    Nul doute qu'elle a compté de brillants généraux et expérimenté nombre de concepts innovants. De là à s'extasier sur ses percées de 1945 dans la profondeur (pour faire court). Je ne crois pas qu'avec le même rapport de force la Wehrmacht aurait fait beaucoup moins bien en 1941.
    Pour ce qui est de la vision allemande de l'Armée Rouge (certes caricaturale), elle a été à mon sens grandement renforcée par l'absence de toute mise en avant des chefs soviétiques dans une société marquée par le secret et le culte de Staline.
    Notre guerre d'Afghanistan devrait par ailleurs, rapportée à celle des soviétiques bien dépourvus de nos si chers drones face à un ennemi fortement soutenu, nous faire réfléchir sur l'efficacité supposée de nos forces...

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  8. Mon Colonel,

    Merci beaucoup de nous faire partager vos écrits avant une édition prochaine. Permettez-moi d'apporter quelques éléments de réflexions complémentaires au sujet de la formation du soldat qui en deçà de deux années d'instruction, ne pourrait garantir une armée mobile et offensive. La mobilité et le caractère offensif était pourtant primordial pour nos bataillons parachutistes pour l'Indochine. Or, la formation demandait 6 mois d'intenses entraînements répétitifs selon les éléments produits par le Général Bigeard et certaines archives au Service Historique du Fort de Vincennes.
    Quel est le contenu de deux années de formation type alors ? Qu'en pensez-vous ?

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  9. La fabriqué du soldat est ainsi à l'image des fondamentaux d'une société dans la place du citoyen par rapport au pouvoir :
    Les grandes offensives de 14 ne pouvaient se concevoir que dans une conception méprisante de la piétaille, très ancien régime tandis que le modus operandi des Israéliens avant 2000 est plus le reflet d'une société assez égalitaire issue des Kiboutz.
    Un peu ce qu'est devenu la France après 68 , où la chasse à l'autorité s'est traduite par un mode plus discuté des décisions .

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  10. Merci pour l'article qui m'a un peu ouvert les yeux sur des aspects que j'ignorais complètement.
    Je suis membre d'une armée où le conservatisme est de mise et où la méthode Pavlov est la plus appliquée avec un délaissement (heureusement en déclin) de la primauté de la formation physique sur la formation intellectuelle et technique. De plus, il y sévit un climat qui ne permet pas l'innovation venant des couches subalternes.
    Ma question est de savoir si cette nature qui été celles de l'armée française à une époque n'est pas liée à la vie politique du pays? Autrement dit, est-ce que les méthodes utilisées par les militaires ne s'inspirent pas du climat politique?

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