Modifié le 13/08/2013
« Je ne me suis pas engagé pour devenir moi-même
mais pour devenir un autre »
« Je ne me suis pas engagé pour devenir moi-même
mais pour devenir un autre »
Sergent Yohann Douady
Après des centaines d’années
de pratique empirique on sait fondamentalement comment faire faire des choses
extraordinaires à des hommes ordinaires. Il suffit de les modeler à l’aide de
plusieurs méthodes plus ou moins dangereuses suivant un dosage délicat qui
dépend en grande partie de la vision que l’on a de l’homme.
L’école du dressage
Une
première approche, héritée de l’époque moderne, à la fois scientiste et aristocratique
considère le soldat comme un rouage dans une grande machine, rouage dépourvu
fondamentalement d’honneur et à qui, bien avant Taylor et Pavlov, on impose un
apprentissage de gestes élémentaires par répétition ou drill. Bien plus que le courage on recherche chez lui la
discipline. Le soldat avance alors sous le feu par dressage (le terme est
utilisé jusqu’au XXe siècle) et par peur du châtiment inévitable
s’il trahit. Cette école n’est pas sans mérite, comme dans les disciplines
sportives, la répétition incessante de gestes individuels et collectifs est
encore le meilleur moyen de les accomplir lorsque le réflexe doit remplacer la
réflexion. Elle induit aussi un conditionnement utile à l’obéissance. Elle est
cependant évidemment insuffisante à faire face à l’accroissement de la
complexité du combat.
Elle
est surtout limitée par sa sous-estimation des capacités humaines. Selon l’article
de l’Encyclopédie écrit par le philosophe Jeaucourt, le soldat français est recruté
dans la partie la plus vile de la nation. A partir de la
Restauration, il n’est même plus volontaire puisque tiré au sort dans les
milieux les plus pauvres et sans instruction pour effectuer six à huit ans de
carrière militaire. L’idée persiste donc longtemps de sa faible valeur
intellectuelle ou morale et cela aura des conséquences stratégiques
considérables.
La
première, c’est particulièrement le cas en France au moins jusqu’à une époque
récente, est qu’on considère que les limitations intellectuelles des hommes du
rang sont telles qu’on pense qu’il ne sert pas à grand-chose de pousser
l’instruction technique très loin. Avant la Première Guerre mondiale, on
considère ainsi que les artilleurs servant le canon de 75 ne sont capables
d’apprendre que trois types de tir pendant leur service, alors que la guerre
montrera qu’ils sont capables d’en maîtriser plus de vingt. Plus grave, on
considère à la même époque que le fantassin français est forcément un tireur
médiocre, on ne fait donc pas d’effort particulier pour relever le niveau et on
privilégie les tirs collectifs. Dans ces conditions et alors que des prototypes
de fusils automatiques, c’est-à-dire se réarmant seuls, existent avant la
Grande guerre on refuse d’en équiper les hommes pour éviter le gaspillage de
munitions qui résulterait inutilement de cette grande cadence de tir. Le
sous-armement des fantassins français est d’ailleurs une constante au XXe
siècle, avec le coût humain que l’on imagine. L’armée française est encore la
dernière armée moderne à adopter un fusil d’assaut à la fin des années 1970,
plus de trente ans après les premiers modèles allemands.
On
considère aussi que cette limitation est aussi morale et que si on relâche la
surveillance et la pression les hommes vont se relâcher, de la même façon, le
repos et des conditions de vie courante trop agréables vont entrainer un
ramollissement. C’est notamment le cas lorsque les lignes de tranchées
apparaissent à la fin de 1914. L’obsession du commandement français, qui se
méfie du « confort » des tranchées, est alors de maintenir
l’ « élan » par des attaques incessantes aussi meurtrières que
le plus souvent inutiles. L’infanterie termine l’année 1915 terriblement
meurtrie et épuisée, au bord de la rupture. C’est à ce moment-là seulement que
l’on commence à prendre en compte la nécessité du repos et de la reconnaissance, avec la croix de guerre. Cette conception d’un décalage moral
entre le corps des officiers et le reste de la troupe n’a pas forcément complètement
disparu. En 1989, un de mes instructeurs à l’Ecole militaire interarmes
introduisait le cours d’éthique et déontologie en disant que l’éthique était ce
qui différenciait l’officier du sous-officier.
Une
autre conséquence est qu’avec cette vision de l’homme, former un soldat
acceptable demande du temps, au moins deux ans pour le commandement français au
XIXe siècle. C’est le minimum pour envisager une armée mobile et
offensive, en deçà, cela paraît impossible. C’est une des raisons pour
laquelle, le corps des officiers français s’oppose farouchement à l’armée de
milice proposée par Jaures, méprise les réservistes et bascule de la doctrine
hyper-offensive et agressive de 1914 à une doctrine de plus en plus défensive
au fur et à mesure de la réduction de la durée de service dans l’entre-deux
guerres. Même le colonel de Gaulle lorsqu’il envisage sa force blindée de
réaction rapide en 1934 ne conçoit pas qu’elle puisse être servie par des
conscrits. Il faudra l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et des exemples
des armées créées à partir du néant comme l’armée américaine pour comprendre
qu’on peut, en partant de rien mais avec une organisation adaptée, construire des
unités efficaces, y compris des divisions blindées, en moins d’un an.
Des hommes entourés
d’acier
A
cette conception à la fois aristocratique et behavioriste (un environnement dur
va engendrer des hommes durs) on peut opposer une autre approche plus démocratique
et inspirée de la pyramide de Maslow, dont le principe premier est qu’on
accomplit plus facilement des tâches plus difficiles dans un environnement
sécurisé. Au moins jusqu’à une époque récente, l’armée israélienne est un bon
exemple de cette approche. Les hommes y sont rares en Israël par rapport à
leurs adversaires d’alors et le soin apporté à leur productivité tactique a
longtemps été considéré comme le premier facteur de la puissance nationale. Prenons
l’exemple des tankistes israéliens pendant la guerre du Kippour en 1973.
Les
équipages israéliens n’étaient pas seulement bien formés, ils étaient aussi
placés dans une situation suffisamment sécurisante pour leur permettre de
combattre efficacement bien plus longtemps que leurs adversaires. Si on
calculait en termes de chars le rapport de forces était défavorable aux
Israéliens ; si on calculait en potentiel d’heures de combat par semaine,
ce même rapport de forces basculait nettement en leur faveur. Pour y parvenir,
les Israéliens ont combiné des facteurs humains, techniques et
organisationnels. Ils ont d’abord mis l’accent sur la résistance physique des
hommes. Les guerres israélo-arabes se comptent en jours. Des équipages
capables de combattre efficacement trois jours de suite avec peu de repos
constituent un atout énorme, surtout lorsqu’on combat sur un petit territoire
et que les renforts ne peuvent intervenir qu’au bout de deux jours de
mobilisation.
Le plus grand soin a ensuite été apporté au confort des hommes dans les
engins. Les Israéliens ont toujours préféré les chars à fort
blindage, comme le Centurion, aux engins plus petits et inconfortables comme
ceux de leurs ennemis. Ils ont aussi développés des blindages passifs (patins
de chenilles, plaques additionnels) et ont été sans doute les premiers à
expérimenter les blindages actifs, c’est-à-dire des blocs d’explosifs pour
repousser les charges creuses. Cet effort de protection et de confort
rencontrait des limites pour des engins qui n’avaient pas été conçus en Israël
mais ce fut une des priorités dans l’élaboration du char national Merkava dans
les années 1970.
Simultanément, un effort particulier avait été fait sur la sauvegarde des
hommes blessés et la réparation rapide des machines. Les hommes avaient reçu un
entraînement poussé aux premiers soins et les procédures d’évacuation par
hélicoptères étaient et sont toujours très rapides vers des hôpitaux proches du
front. Les blessés légers pouvaient souvent rejoindre leurs camarades avant
même la fin des combats. Les unités de chars bénéficiaient également de la
présence de fantassins mécanisés dans la brigade blindée dont une des missions
prioritaires était l’évacuation ou la protection des équipages de chars
détruits. Lorsque le char Markava a été conçu ensuite, il a été prévu de
pouvoir enlever très vite une palette d’obus à l’arrière pour y protéger un ou
plusieurs hommes. Les Arabes, qui ne disposaient pas de tels systèmes de
protection et d’évacuation ont perdu beaucoup plus rapidement leurs personnels
qualifiés.
Le même principe était appliqué aux engins. L’accent
mis sur la capacité de réparation des unités (pièces vitales facilement
accessibles et remplaçables, formation des équipages, unités de maintenance
jusqu'au niveau de la compagnie, ateliers de réparation bien équipés et
abondamment pourvus en personnels qualifiés) permettait de récupérer jusqu'à 50
% des engins dans les quelques jours qui suivaient leur mise hors de combat et
de reconstituer rapidement les unités blindées. On a même vu sur le Golan dans
les deux premiers jours de la guerre, des blessés sortant des hôpitaux de
campagne pour former des équipages de fortune et récupérer des chars en réparation
dans un atelier à proximité et repartir au combat.
Un dernier effort était fait également pour réduire au
minimum les pertes de temps dues aux approvisionnements en carburant et obus.
Le char Merkava, conçu d’abord par des équipages de chars, ne reçoit plus ses
obus un par un par un trou mais par palettes entières. Coté arabe, le manque de
personnels qualifiés et la légèreté de la logistique, obéraient ces
possibilités. La conception et l’installation des différents ensembles des
chars soviétiques empêchant pratiquement toute réparation sur le terrain ce qui
entraînait soit l’évacuation loin à l’arrière, soit l’abandon du véhicule.
Les Israéliens partaient du principe que le soin
apporté aux hommes ne les amollissait pas mais leur permettait au contraire
d’être plus efficaces au combat. La sécurisation n’était pas conçu comme
paralysante mais comme permettant l’audace. C’est le même principe qui avait
prévalu pendant la Seconde Guerre mondiale avec la mise en place par la marine
américaine d’un système très performant de récupération en mer de ses pilotes.
Non seulement cela leur permettait, contrairement aux Japonais qui n’avaient
pas fait cet effort, de préserver un personnel très qualifié, mais aussi de
faire preuve de plus d’audace comme pendant la bataille de Mariannes en juin
1944 où ils lancèrent leurs avions au-delà de leur rayon d’action, acceptant
que 80 d’entre eux se crashent en mer au retour.
Cette approche devient toutefois contre-productive lorsque la protection devient une fin en soi et étouffe non seulement l’audace mais aussi la manœuvre. Les mêmes tankistes, si performants en 1973, se sont retrouvés dépourvus face aux combattants du Hezbollah en 2006.
Cette approche devient toutefois contre-productive lorsque la protection devient une fin en soi et étouffe non seulement l’audace mais aussi la manœuvre. Les mêmes tankistes, si performants en 1973, se sont retrouvés dépourvus face aux combattants du Hezbollah en 2006.
La mithridisation
La
particularité de l’apprentissage au combat n’est pas l’acquisition de savoirs techniques
individuels et collectifs, cela est commun à toutes les professions ou aux
disciplines sportives. La vraie difficulté est l’application de ces savoirs à
l’ambiance du combat. La maitrise des compétences est évidemment nécessaire
pour assurer les missions, elle l’est également pour renforcer la confiance.
Elle est cependant insuffisante pour appréhender la puissance des sensations à
l’intérieur d’une zone de mort.
Faire
en sorte que l’expérience la plus traumatisante de sa vie soit abordée avec le
moins de stress possible est une préoccupation des armées depuis toujours mais
elle a été renouvelée avec l’expérience terrible et massive de la Grande
guerre. Le mois d’août 1914 vit en effet la conjonction de l’oubli de la guerre
après 43 ans de paix et d’une capacité de destruction inédite. Les pertes
françaises furent terribles et les défaillances nombreuses, y compris chez les
généraux. L’armée française résista malgré tout, preuve que la discipline,
l’entraînement physique et le conditionnement d’avant-guerre n’étaient pas sans
qualités.
On
constata aussi les insuffisances des méthodes classiques et on mit en place,
pendant la guerre même, une nouvelle approche d’aguerrissement progressif par
le contact avec les vétérans dans les centres d’instruction divisionnaire, l’instruction
complémentaire sur les arrières parfois
sur des ouvrages reconstitués, l’incorporation en première ligne dans des
secteurs calmes et lorsque la situation le permettait l’exécution de missions de
danger croissant, en commençant par les patrouilles. Plus les unités au front
avaient de l’expérience et, selon les termes d’un officier de l’époque, plus « le baptême du feu devenait pour les
innombrables nouveaux venus un événement de plus en plus simple ».
Après
la Grande guerre, l’apport des sciences sociales mais aussi des nouvelles
technologies de l’information comme le cinéma permirent d’envisager également la
possibilité de mieux appréhender les sensations du combat. Dans les années 1930
et aux débuts de la Seconde Guerre mondiale, cette approche réaliste se
généralisa.
Pour
réduire le décalage entre l’anticipation et la réalité, on découpa le cauchemar
en morceaux en espérant le faire absorber progressivement comme Mithridate s'empoisonnant un peu tous les jours pour s'immuniser. Par des films et des
photos, par la visite d’abattoirs ou en accompagnant des sapeurs-pompiers, on s’efforça
de réduire le choc des visions horribles. L’entraînement physique, avec
notamment l’influence de Georges Hebert et l’invention des parcours du
combattant, s’efforça de coller un peu plus à la réalité de l’effort réellement
demandé. Par des exercices à balles réelles, en faisant ramper par exemple sous
des tirs de mitrailleuses, on espéra aussi habituer un peu les hommes à évoluer
sous le feu. Cette approche réaliste porta ses fruits pendant la Seconde Guerre
mondiale.Dans un sondage réalisé en 1944 en Italie, 80 % des fantassins
américains se félicitaient de l’entraînement dur et réaliste qu’ils avaient
reçu, beaucoup estimaient même qu’il aurait dû comporter plus d’entraînement
avec balles réelles. Le
combat lui-même fut étudié de plus en plus scientifiquement. Sur l’initiative d’officiers de terrain les méthodes d’entraînement au tir plus
proches de la réalité furent mises en place dans les armées occidentales dans
les années d'après-guerre.
Cette
approche réaliste trouva un nouveau souffle grâce aux nouvelles possibilités de
simulation par l’emploi conjuguée de l’informatique et de moyens d’observation.
A la suite de la découverte du faible rendement de leurs pilotes de chasse au
Vietnam surtout dans leurs première missions, l’US Navy et le corps des marines
puis l’US Air force mirent en place des centres d’entraînement permettant aux
pilotes de réaliser des missions dans des conditions très proches de la réalité
face à des adversaires qui évoluaient comme les ennemis potentiels. Le principe
fut adopté par les forces terrestres avec en particulier la création du centre
national d’entraînement de Fort Irwin en Californie en 1981, puis par la
plupart des armées modernes.
La sueur épargne le sang
L’approche
réaliste comprend cependant une limite indépassable qui est que l’on n’y a pas
vraiment peur de la mort puisqu’on sait qu’elle est, sauf accident, exclue de
l’équation. On a donc cherché à compléter ces approches mécaniste, sécurisante
et réaliste par une voie complémentaire, celle de la peur. A l’imitation des
unités de commandos de la Seconde Guerre mondiale, on créa des centres où par
des « pistes d’audace » on plaça les hommes dans des situations assez
peu réalistes mais éprouvantes car jouant sur toutes les peurs possibles comme
le vertige ou la claustrophobie. Cette approche s’est accompagné d’une intense
formation physique dont le but étaient à la fois de former aux efforts
spécifiques du combat mais aussi à pousser encore une fois les hommes jusqu’à
leurs limites.
Dans
un système de recrutement par volontariat, avec donc la possibilité de quitter
volontairement le service, cette approche avait également pour vertu d’écarter
les moins motivés. La limite est cependant ténue entre un entraînement dur et
la torture, le risque est aussi de faire de cette expérience quelque chose de
plus traumatisant encore que le combat ou qui s’ajoute encore à son usure.
L’homme n’est capable que d’une certaine quantité de terreur, disait Ardant du
Picq. Il n’est capable aussi que d’une certaine quantité d’effort et de peurs.
Le soldat et
particulièrement le soldat professionnel moderne est donc le fruit d’une
alchimie complexe entre plusieurs approches parfois incompatibles et dont
chacune présente des inconvénients. Cette alchimie nécessite donc d’être
organisée rigoureusement, de comprendre des phénomènes de compensation du
stress par la sécurisation et de l’effort ingrat par la considération. Elle suppose
de s’appuyer sur le préalable d’une forte cohésion des individus avant que
cette cohésion soit elle-même nourrie par l’épreuve.
Mon colonel,
RépondreSupprimerSur la formation du soldat, et notamment la frontière ténue entre aguerrissement et torture, j'ai trouvé quelques passages édifiants dans Françoise Sironi, "Psychopathologie des violences collectives : essai de psychologie géopolitique clinique", Paris, O. Jacob, 2007. Son analyse des traitements en vigueur dans les différents camps inventés par tous les régimes ouvertement ou insidieusement totalitaires m'a rappelé mes passages au CNEC et dans les CAOME... Passages que j'ai adorés, et ne regrette en rien, et à l'occasion desquels il m'est effectivement arrivé une fois d'être très près de renoncer à l'état de soldat... Passages dont j'ai mieux compris l'importance fondamentale dans ma formation de soldat, mais surtout de chef, à la lecture de Sironi !
Kubrick dans "Full Metam Jacket" (1987, vous avez choisi d'illustrer votre article par une image tirée de ce film) a magnifiquement étudié le comportement de dressage militaire qui, s'il est poussé trop loin, peut se retourner contre l'homme lui-même. Grand paradoxe de l'espèce humaine, de ses progrès, et de ses limites. Problématique essentielle notamment chez le grand cinéaste américain. Ardant du Picq, que vous citez en substance dans votre avant-dernier paragraphe, en avait donc aussi bien conscience. Cela vous permet opportunément de nuancer l'optimisme militaire coutumier et dangereux, souvent de mise quand il s'agit de mener des hommes ou des foules au combat. C'est déjà ça. Rappelons-nous les soldats de 1914, pleins d'un enthousiasme irrationnel, partant la fleur au fusil à l'été 14. La deuxième partie de "Full Metal Jacket" exploite à merveille ce mécompte.
RépondreSupprimerC’est toujours un plaisir de lire vos analyses Mon colonel. Aussi, c’est en toute modestie que je tente de compléter par la notion de croyance, votre notion d’alchimie complexe.
RépondreSupprimerQu’est-ce qui pousse le tonitruant sergent Hartman (en photo), face à un individu aux yeux exorbités, à la bave aux lèvres et qui lui pointe quasiment à bout touchant le canon d’une arme de guerre sur la poitrine… à lui parler de la sexualité de sa môman ?
Sans doute la croyance en la toute puissance du sergent-instructeur, capable d’effacer la personnalité du ‘civil’ dans la tête d’une recrue, pour la remplacer par celle du ‘soldat’. Comme toujours, la Réalité a le dernier mot sur la Croyance (en l’occurrence ici, un gros trou dans la poitrine du dit sergent).
Bien sûr il ne s’agit là que d’une œuvre de fiction, mais dans la vraie vie les exemples d’aveuglement suicidaire par Croyance sont innombrables. Dans le domaine stratégique, l’aveuglement de la Wehrmacht face aux russes durant la 2nde GM est sans doute l’un des plus beaux exemple qui soit. Même pendant les dernières phases de la guerre, alors que les performances tactiques et opératiques de l’armée rouge égalaient ou dépassaient celle de l’armée allemande des premiers mois de la guerre, l’OKW restait figé dans sa conception raciale d’une armée de sous-hommes russes, simplement bonne à charger droit devant en hurlant. Les soviétiques quant à eux, étaient toujours surpris lorsqu’ils capturaient des officiers généraux allemands, de voir qu’ils étaient incapables de citer les noms de leurs homologues russes.
Mais là où la leçon nous concerne, c’est qu’il a pratiquement fallut attendre les travaux du colonel Glantz pour que l’OTAN déconstruise sa croyance en l’image d’une armée russe ne valant que par sa masse… 25 ans après la fin du conflit !
Aujourd’hui la croyance prégnante en Europe est que la guerre est hautement improbable sur le territoire de l’UE. Bien pire, nous SAVONS qu’en cas d’agression, les États-Unis se porteront obligatoirement à notre secours. D’où des armées européennes ‘bonsaïs’ (voir plus d’armée du tout pour certains de nos voisins).
Enfin, un rappel à la règle pour terminer (valable uniquement pour les carriéristes): tous ceux qui s’opposent à la croyance commune se voyant excommuniés, mieux vaut avoir tort avec les autres, que raison tout seul.
Je ne sais si c'est encore le cas, mais je l'imagine : j'avais été très frappé de voir à quel point les missions étaient expliquées et discutées aux échelons les plus bas dans l'armée israélienne. En fonction des remarques des soldats, les modalités de l'action pouvaient même être corrigées. Par contre quand la décision était prise, il n'y avait plus aucune discussion et les ordres étaient appliqués scrupuleusement. Cela détonnait avec les méthodes de l'armée française (années 60-70) et pourtant des appelés du contingent étaient capables d'imaginer des méthodes, parfois peu orthodoxes, mais efficaces. J'ai eu pour ma part, l'occasion de l'appliquer au grand dam d'instructeurs dépités et furieux de s'être fait avoir.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimervous parlez de l'environnement sécurisant établi par Tsahal pour la formation de ses soldats privilégiant l'audace et permettant même d'être plus efficace au combat. Je pense que c'est vrai, mais jusqu'à un certain point, et l'histoire militaire israélienne nous l'a prouvé.
Si ce confort et cette sécurisation offerts aux soldats se sont révélés avantageux "au début", ça s'est retourné contre elle lorsque Tsahal a commencé a systématiser à l'extrême cette "sécurisation" des hommes et a adopté en partie les méthodes US d'extraction des hommes et des matériels/véhicules dès que des pertes subvenaient. La machine de guerre israélienne, jusque là bien faite, a connu alors de sérieux problèmes dans l'atteinte de ses objectifs et l'efficacité de ses unités (méthodes d'ailleurs entre autre et en partie apportées par le fameux E. Luttwack qui fut nommé conseiller militaire de Tsahal au début des années 2000).
Je donne pour exemple le plus connu : la défaite israélienne de 2006 face au Hezbollah. Si la défaite peut être expliquée par de multiples faits, l'un d'entre eux fut indubitablement que les unités de chars, dès qu'elles subissaient une ou plusieurs pertes, devaient protéger, en sécurisant la zone, l'équipage survivant, blessé ou mort du char détruit, l'évacuer et se replier. Puis repartir à l'attaque... De même pour l'infanterie ou les commandos qui s'arrêtaient de progresser dès qu'ils recevaient une ou plusieurs pertes, sécurisaient le périmètre puis attendaient qu'un moyen d'évacuation arrive ou, à défaut, transportaient eux-même le ou les blessés vers l'arrière, en retardant considérablement le déroulement des opérations.
Ce type de procédures systématiques de sécurisation est contraire à toute efficacité opérationnelle. Il casse l'élan des soldats, il anéantie tout avantage gagné, il permet à l'adversaire de profiter tactiquement des temps morts ou lenteurs de l'évacuation, etc.
Donc, s'il est vrai que le confort et la sécurisation des hommes de guerre permettent de les rendre plus audacieux et parfois même plus efficaces, je crois qu'il ne faut cependant pas pousser le vice trop loin car il a tendance à se retourner contre l'efficacité tant recherchée des militaires.
Cordialement.
Mon colonel,
RépondreSupprimerj'ai quelque mal à saisir l'opposition que vous faites entre dressage et protection. J'opposerai plutôt au dressage l'initiative laissée aux soldats, les deux concepts pouvant s'associer à une attention plus ou moins soutenue portée à la protection des soldats. On peut aussi illustrer cela par la comparaison de l'infanterie de ligne et des forces spéciales. L'efficacité de la première nécessite plus de dressage, alors que celle des secondes résulte en grande partie de l'initiative laissée à chacun. Encore faut-il rapporter cela à la sélection qui caractérise les FS et qui parait difficilement généralisable, ainsi qu'à leur incapacité à remplir toutes les missions...
Enfin le dressage, y compris (voire peut-être surtout)idéologique, s'il ne compense pas l'instruction tactique, a néanmoins souvent considérablement accru la capacité de résistance notamment en défensive(l'armée rouge ou le Viet Cong, mais aussi certaines unités SS entre autres).
Même si ce n'est pas vraiment le sujet, j'ai l'impression qu'après avoir méprisé l'Armée Rouge on rejoue quelque part aujourd'hui la construction d'un mythe opposé, à l'image de ce qui fut fait pour la Wehrmacht dans l'après guerre.
RépondreSupprimerNul doute qu'elle a compté de brillants généraux et expérimenté nombre de concepts innovants. De là à s'extasier sur ses percées de 1945 dans la profondeur (pour faire court). Je ne crois pas qu'avec le même rapport de force la Wehrmacht aurait fait beaucoup moins bien en 1941.
Pour ce qui est de la vision allemande de l'Armée Rouge (certes caricaturale), elle a été à mon sens grandement renforcée par l'absence de toute mise en avant des chefs soviétiques dans une société marquée par le secret et le culte de Staline.
Notre guerre d'Afghanistan devrait par ailleurs, rapportée à celle des soviétiques bien dépourvus de nos si chers drones face à un ennemi fortement soutenu, nous faire réfléchir sur l'efficacité supposée de nos forces...
Mon Colonel,
RépondreSupprimerMerci beaucoup de nous faire partager vos écrits avant une édition prochaine. Permettez-moi d'apporter quelques éléments de réflexions complémentaires au sujet de la formation du soldat qui en deçà de deux années d'instruction, ne pourrait garantir une armée mobile et offensive. La mobilité et le caractère offensif était pourtant primordial pour nos bataillons parachutistes pour l'Indochine. Or, la formation demandait 6 mois d'intenses entraînements répétitifs selon les éléments produits par le Général Bigeard et certaines archives au Service Historique du Fort de Vincennes.
Quel est le contenu de deux années de formation type alors ? Qu'en pensez-vous ?
La fabriqué du soldat est ainsi à l'image des fondamentaux d'une société dans la place du citoyen par rapport au pouvoir :
RépondreSupprimerLes grandes offensives de 14 ne pouvaient se concevoir que dans une conception méprisante de la piétaille, très ancien régime tandis que le modus operandi des Israéliens avant 2000 est plus le reflet d'une société assez égalitaire issue des Kiboutz.
Un peu ce qu'est devenu la France après 68 , où la chasse à l'autorité s'est traduite par un mode plus discuté des décisions .
Merci pour l'article qui m'a un peu ouvert les yeux sur des aspects que j'ignorais complètement.
RépondreSupprimerJe suis membre d'une armée où le conservatisme est de mise et où la méthode Pavlov est la plus appliquée avec un délaissement (heureusement en déclin) de la primauté de la formation physique sur la formation intellectuelle et technique. De plus, il y sévit un climat qui ne permet pas l'innovation venant des couches subalternes.
Ma question est de savoir si cette nature qui été celles de l'armée française à une époque n'est pas liée à la vie politique du pays? Autrement dit, est-ce que les méthodes utilisées par les militaires ne s'inspirent pas du climat politique?