Je
suis plutôt progressiste dans de nombreux domaines, mais dans la conception que
j’ai de l’emploi de la force armée je suis un conservateur, voire un
réactionnaire au sens où je crois que dans ce domaine les choses étaient mieux
avant.
J’ai
eu ma première arme en main très peu de temps après les opérations presque
simultanées en Mauritanie, à Kolwezi et au Tchad. J’admirais alors la manière
dont les décideurs politiques et militaires prenaient leurs responsabilités et
acceptaient le prix du sang au nom des intérêts de la nation sans attendre un
hypothétique mandat du Machin ou de l’assemblage de plus ou moins bonnes
volontés européennes. L’ambition de la France d’alors ne se réduisait pas alors
à « peser dans une coalition » ou à plaire à l’allié américain mais à
résoudre les problèmes par des victoires plutôt que par des gesticulations. Je
crois même me souvenir qu’on tirait un certain orgueil à y parvenir seul et que
l’intervention « à la française » suscitait une certaine admiration. Le
soldat était alors un véritable instrument de politique destiné à imposer la
volonté de la France à ses ennemis. On ne prétextait pas le changement de
contexte pour justifier l’impuissance puisque c’est notre volonté même qui
changeait le contexte. On considérait aussi que les victoires, plutôt que les bourbiers, constituaient le meilleur moyen de limiter les pertes.
Je
ne savais pas alors que les soldats ne font jamais les guerres dont ils ont
rêvé quand ils étaient enfant (car on peut rêver de combattre). Les images de mes
camarades que l’on retirait des décombres d’un immeuble à Beyrouth suivi du
repli honteux de la ville quelques semaines plus tard, mon engagement en
Nouvelle-Calédonie pour protéger des Caldoches, qui nous crachaient dessus face
à des Canaques dont on soupçonnait qu’ils avaient quelques raisons d’être en
colère, la garde à la frontière luxembourgeoise pour protéger de mon corps le
pays des terroristes issu du Grand-duché, le combat côte à côte avec une armée
régulière dans un pays d’Afrique des Grands Lacs où la France n’avait d’évidence
aucun intérêt à défendre, l’engagement pour protéger à tout prix Sarajevo de la
barbarie serbe sans armes lourdes (trop « agressives »), sans bouger
d’une patinoire et en me défendant surtout contre ceux-là que je venais
défendre…ont commencé à me faire douter non pas qu’il existait encore une
politique d’emploi de l’emploi de la force mais que cette politique était
toujours cohérente.
L’empressement
à toucher les dividendes de la paix de 1991 mais sans toucher aux intérêts des industriels
les plus influents créant ainsi une bosse budgétaire éternellement repoussée
jusqu’à ce qu’elle rencontre une crise économique, la solution qui a consisté
ensuite à sacrifier ceux qui emploient les armes pour sauver ceux qui les
fabriquent, l’incapacité à imposer aux autres ministères ce que l’on imposait
aux armées m’ont ensuite fait douter du courage de nos décideurs face à ceux
qui peuvent protester. Les forces armées françaises, consentantes car
disciplinées, ont ainsi connu ses cinq dernières années presque mille fois plus
de suppression de postes qu’elles n’ont connu de tués au combat.
Les
mêmes décideurs n’ont d’ailleurs pas été plus courageux vis-à-vis ceux qui nous
combattent actuellement les armes à la main, niant d’abord d’être en guerre
contre eux avant de simplement décider d’éviter de les affronter directement et
de s’immiscer dans la conduite des opérations jusqu’à les vider de la majeure
partie de leur efficacité. Les gens qui nous font face ne sont pourtant guère
mieux armés que dans les années 1970. Ils sont simplement plus forts car ils
continuent, eux, à accepter le combat. Ils ne sont pas paralysés par l’intrusion
politique (ou la simple crainte de déplaire au politique), ni empoisonnés par
des réglementations croissantes (quel choc culturel lorsqu’au retour de
Sarajevo où étaient tombés 26 de mes camarades une chargée de prévention est
venue me demander quels postes étaient dangereux dans mon unité), la
rigidification du soutien, la peur des procès et l’inquisition prévôtale. Ils
ne sont pas encore assez forts pour infliger un nouveau Dien Bien Phu mais
suffisamment pour enliser des forces à qui on refuse la victoire.
Je
crois qu’il faut revenir à une conception classique de l’emploi de la force
armée. Il faut dégager le militaire du fourre-tout de la sécurité nationale
pour le faire revenir dans son cadre naturel d'une stratégie de puissance, à moins
que l’on renonce définitivement à en avoir une. Il faut ensuite renouer avec
l’efficacité. Malgré le faible effort de la nation, à son plus bas historique,
nous disposons encore du 5e budget de la défense au monde. Quand on
voit ce que pouvaient faire les forces d’intervention françaises de Bizerte en
1961 ou à l’opération Tacaud au Tchad en 1978, on se plait à rêver ce que l’on
pourrait faire avec des moyens (encore) au moins trois ou quatre fois
supérieurs en volume.
Mon colonel,
RépondreSupprimerJe ne suis pas forcément totalement d'acord avec vous, surtout sur les interventions françaises dans les années 70. Mais pour le reste,vous avez pratiquement tout dit. Je suis comme vous. Je crois qu'il faut revenir à une conception classique (et véritablement démocratique) de l'emploi de la force.
Et dans cette conception classique, il y a entre autres, un homme clé: Le chef de guerre. Ou sont les nôtres ? En restent-ils ? N'ont-ils pas disparu dans le néant virtuel et administratif ? Comme vous le dites bien, ceux qui nous combattent n'ont que peu progressé sur le plan technique. Mais ils acceptent le combat et ils ont de vrais chefs de guerre, qui "mouillent le maillot" et combattent en première ligne au lieu de "traiter leurs mails"...
Notre système de recrutement des chefs ne devrait-il pas être remis en question? Notre façon de commander les opérations est-il adapté? Comme en 40, comme bien souvent, n'est-ce pas par là que le "poisson pourrit en premier" ? Ce n'est plus "l'étrange défaite" que devrait réécrire un nouveau Marc Bloch, mais "l'absurde défaite" quand on voit à quoi en sont réduits les gens qui commandent en ce moment. Il faut que les chefs de guerre reprennent le pouvoir (je ne parle pas du pouvoir politique) aux administrateurs, aux fonctionnaires, aux ingénieurs, aux informaticiens, aux juristes, aux communiquants, etc...Et ensuite, on y verra plus clair.
Merci pour cette analyse tout simplement remarquable.
Merci. Maintenant que reprochez-vous donc aux interventions des années 1960 et 70 ?
SupprimerJe me demande si ces opérations n'ont pas en définitive quelque part amené là ou nous en sommes. C'est-à-dire qu'elles ont (malgré leurs succès tactiques) marqué (ou conservé après l'Algérie) une certaine cassure au sein de l'Armée en empéchant de réflechir à autre chose de plus fort, de plus marquant. N'ont-elles pas convaincu le politique que l'Armée savait faire à peu de frais ? Et que finalement aujourd'hui, ce sont les Forces Spéciales qui le font en lieu et place de ces unités professionnelles d'alors. On a simplement déplacé le curseur avec la création des FS. C'est donc durablement le mythe du léger, pas cher, qui sent bon le sable chaud....Dès lors, à partir du moment ou il a fallu se frotter à plus dur, à engager du plus lourd, à se maintenir dans la durée, le politique et même les chefs miltaires étaient pris au dépourvu. Comme vous le dites, les achats de matériels n'étaient pas destinés au combat mais au soutien des industriels, quitte d'ailleurs à acheter n'importe quoi...
SupprimerN'est-ce pas là toute la différence avec les Britanniques ? On retrouve cela dans un ouvrage sorti en 1984 (certes un peu après les années 70) que vous connaissez peut-être. "Opération Manta" du "colonel Spartacus"...qui avait défrayé la chronique à l'époque sur la capacité à réellement projeter et entretenir un volume de forces. Dès lors, l'armée s'est trouvé dépourvue en 1991 lors de la guerre du Golfe, et aussi en 2003 s'il avait fallu aller en Irak, et encore en 2008 quand on s'est aperçu que l'Afghanistan ne se gérait pas comme une TP en Afrique...Ne croyez pas que je ramène tout à la guerre des chapelles, j'essaie simplement comme vous le faîtes souvent de trouver comment joue le marquant culturel sur une organisation aussi complexe et aussi fragile qu'une armée pro. C'est ce qui explique par exemple que malgré des réductions budgétaires sans précedent, nous continuons à entretenir une cavalerie légère à roues, et bien d'autres choses qui ne servent en fait à presque rien...
Pour le reste, je partage largement vos analyses.
Cordialement
Mon Colonel, en effet, ce billet nous promène vers des lieux qui cotoient l'abîme et suscitent vite le vertige.
SupprimerSimplement, cher Grenadier de la Garde, que reprochez vous avec insistance à nos (vos?) chefs et à leur système de recrutement ? Les chefs de corps qui se sont illustrés en Afghanistan passaient-ils leur temps à traiter des e-mails ? Je ne le crois pas. Les différents "patrons" à Licorne et à la TFL non plus.
Croyez vous pour autant que d'ici 10 ans, lorsqu'ils seront placés en position d'interface avec le politique, ils réussiront à "mettre au pas le politique"? Sérieusement, est ce celà que vous attendez d'eux ? Quoi sinon ?
Amicalement. OT
Un billet terrible.
RépondreSupprimerNus. Il ne reste presque rien, pas de chef, pas d'honneur, le vrai.
Mais nombreux nous sommes, éparpillés, impuissants, inutilisés, à le comprendre, à le vivre. Et prêts toujours, malgré tout.
Je partage entièrement votre point de vue. A mon avis, on ne pourra revenir à ce goût de la victoire que si on admet notre défaite récente en Afghanistan. Ce n'est pas seulement un bourbier, c'est une défaite stratégique. L'ennemi insurgé nous a imposé sa volonté en atteignant notre centre de gravité stratégique: l'opinion publique française.
RépondreSupprimerTactiquement, nos unités ont remporté des succès évidents et répétés. Le problème se situe au niveau politique.
Houlà trop bien ! Mon Colonel vous m’enlevez les mots de la bouche, merci de si bien exprimer nos pensés.
RépondreSupprimerEn fait tout est lié à la perception du danger, pas de menace perceptible, pas d’armée, mais une grosse couche de connerie, l’imbécile arrête de briller que quand il sert de cible ! L’inconcevable nous le connaissons tous, nous ne serons pas près l’hiver venu ! Notre armée sera petite, avec un équipement peut être bon mais pas disponible, ou pas d’équipage ; pas de munitions suffisantes, des informations et des communications en masses, mais pas de pion, pas de mobilisation car pas d’arme à donner, une insécurité hexagonale paralysante; mais sans doute une poigné de héros au sacrifice comme toujours. Nous attendrons l’aide des autres, ils ne viendront pas ou lentement, ou tout simplement ils panseront qu’un peu d’humiliation pour ce peuple de bavard n’est que justice !
Elle est ou ! La nation républicaine de 65 millions d’habitants en arme à la moindre menace ?
(Si nous avions 1% du total mobilisable et instruit nous pourrions voir venir et cela n’est pas une question d’argent mais de volonté)
Citoyen gagné non, ne pas perdre oui l’objectif est raisonnable !
Tout cela est bel et bon et compte-tenu de votre expérience on comprend le bien-fondé ces propos. Seulement maintenant on fait quoi ? Le constat, surtout s'il est pertinent, c'est bien, mais il ne faut pas en rester là. Que propose-t-on pour renverser la vapeur ? L'affaiblissement de l'esprit de défense : comment faire prendre conscience aux générations montantes qu'il faut réagir ? Face à la judiciarisation galopante de notre société, que faire pour rassurer une population qui croît se sécuriser de cette manière ? Il y a une bataille à gagner dans les esprits et dans l'opinion publique. On entend trop souvent que le son de cloche habituel et convenu parce qu'on n'a pas su exprimer une autre parole audible pour les gens d'aujourd'hui. Nos concitoyens ne sont pas qu'une bande d'abrutis se vautrant dans leur (de plus en plus petit) bien-être. Il y a des personnes qu'il est inutile de chercher à convaincre, on le sait, mais il y a les autres. La crise aidant, l'idée de prendre en compte nos véritables intérêts ne sera pas si absurde que cela à une majorité. Nous sommes en démocratie et des élections ont lieu à rythme connu. Reconnaissez que depuis quelque temps en Europe, on sort les sortants. il est vrai qu'expliquer la guerre aujourd'hui, ce n'est pas simple, mais ce n'est pas impossible.
RépondreSupprimerBeau et fort billet.
RépondreSupprimerSi je partage vos états d'âmes, il est à craindre cependant que vos exhortations ne trouvent pas beaucoup d'écho chez leurs destinataires.
En effet, que le militaire "se dégage du fourre-tout de la sécurité nationale" est une aspiration sans doute universellement partagée au sein des armées. Pourtant, l'heure s'annonce à la "betteravisation", au retour au bercail, faute de sous. La nécessaire justification de l'outil militaire passera donc par son utilisation dans un contexte métropolitain, en "soutien à l'action de l'Etat" comme le dit pudiquement le concept d'emploi des forces, bien loin de l'emploi auquel vous (et moi, et bien d'autre) aspirez.
Je vous rejoins également sur la rancœur que vous éprouvez vis à vis des choix budgétaires visant à soutenir les industriels plutôt que ceux qui servent leurs matériels. Mais n’est pas l’ordre des choses dans la mesure où il est impossible pour les armées de quantifier ce qu’elles rapportent ?
En effet, accorder des crédits aux industriels offre une forte lisibilité en termes financiers : cela crée des emplois et développe une industrie dont les biens s'exportent. En revanche, comment chiffrer ce que rapporte une présence d'un bâtiment au large du Yemen ou des troupes de souveraineté dans des zones où nos industries travaillent ? Plus encore, comment chiffrer ce que rapporte une diplomatie militaire ?
Ainsi, faute d'arriver à justifer quantitativement la plus value de l'usage de l’outil militaire, l'homme politique ne voit que ce qu'il coute, financièrement bien sûr, mais aussi politiquement : 10 cercueils alignés aux invalides, cela coute en terme de popularité. Il apparaît alors évident que celui qui a été élu et qui aspire à l'être à nouveau manifeste de la pusillanimité.
Bref, je partage vos sentiments et soutiens vos requêtes mais suis sans illusions de les voir exhausser un jour.
Billet remarquable. Quelques micro désaccords mineurs et sans intérêt ici. Mais il pose de vraies et cruelles questions...
RépondreSupprimerUn point, cependant : Grenadier de la Garde soulève lui aussi un vrai problème et je partage totalement son analyse de fond sur les interventions des années 60 et 70. Une partie de nos pathologies (ou de nos faiblesses, défauts, etc., on choisira le mot qu'on voudra) provient de là. Il est inutile et dangereux de se le masquer. Comme toujours dès lors qu'on cherche à penser la guerre et la force armée : attention aux succès tactiques ! Ils peuvent devenir notre plus grand ennemi...
Impressionnant billet, merci de votre analyse et de votre cri du vécu.
RépondreSupprimerCe qui rejoint les analyses du général Irastorza sur les OPEX.
Je suis fier que les gens de métier "l'ouvrent" haut et fort.
Mais Colonel, que diriez-vous alors à un jeune qui croit dur comme fer que son avenir est dans les forces françaises, mais pour qui l'idéal apparaît avant même sa réalité largement bafoué par un aveuglement et une incompétence politique, dus avant tout à des logiques aujourd'hui de "confort" émotionnel et financier, loin des valeurs concrètes de ce qu'on attend d'un soldat, d'un matelot, ou d'un pilote?
Bien vu et courageux, comme d'habitude.
RépondreSupprimerMerci
Je vais ajouter de l'eau à votre (très bon) moulin, Colonel Goya.
RépondreSupprimerPour moi il reste 3 points essentiels et distinctifs qui caractérisent la chose militaire en France. Et il faut s'y accrocher comme des damnés.
- En premier, La panoplie relativement complète des capacités militaires (terre air, mer) : cela permet de conjuguer efficacement une action militaire avec une action diplomatique pour obtenir un vrai résultat (pour qui sait faire cette conjugaison). Peu de nations ont cette faculté dans le monde, même l'Angleterre ne sait plus le faire. Qu'on passe par des Livres Blancs, des petits livres rouges etc, peu importe. IL FAUT préserver la variété de ces capacités. Le savoir-faire militaire est notre véritable trésor.
- ensuite, la faculté à créer des circuits de décision courts (par ex., Giscard et Kolwezi). Sans cela, on va toujours se perdre en conjectures à vouloir être 25 mains sur le volant des gros semi-remorques OTAN / ONU.
- Et enfin, et surtout : la qualité de nos ressources humaines militaires. Il n'y a qu'à interroger les généraux US par exemple.
je dirai aux généraux qui sont face aux décideurs politiques français, que leur combat c'est de préserver ces 3 points. Quand on a des capacités multiples on sait montrer sa puissance sereinement. Et il faut montrer sa puissance pour être entendu, dans ce monde où toutes les valeurs se brouillent vite. Il faut savoir décider et faire décider sans atermoiements et sans chaîne lourde. Quand vient l'heure de mettre ses c... sur la table, c'est d'homme à homme que ça se décide. Et surtout, surtout, préserver les traditions militaires millénaires qui façonnent ce qu'est notre militaire français d'aujourd'hui : au-delà des républiques qui passent, c'est encore lui le meilleur représentant de ce qui perdure : notre nation.
Accepter d'employer le militaire dans le cadre d'une stratégie de puissance, c'est finalement et simplement accepter de faire de la politique. Faire de la politique, c'est penser aux moyens de conquérir et conserver le pouvoir. En d'autres termes, c'est être capable de se positionner dans le monde, de désigner un ennemi, d'afficher une ligne et de l'assumer. C'est avoir, semble-t-il, le courage de continuer à envisager que puisse être décrété l'état d'exception.
SupprimerIl faut bien reconnaître que les hommes politiques qui assument ce genre de position ouvertement sont inaudibles en France, pour peu qu'ils existent encore. Né début des 80's, j'ai souvent le sentiment que, tout simplement, je n'en ai jamais connu.
Dans d'autres pays les lignes directrices sont claires; sans être nécessairement déterminante dans une élection présidentielle, la politique étrangère américaine est affichée. Des documents sont rédigés; des stratégies sont rendues publiques. La question de la défense et de l'avenir de l'Etat-nation ne se pose pas non plus en Chine, ni en Russie, ni en Inde, ni même en Grande-Bretagne.
Les positionnements sont assumés, et l'on accepte de penser la stratégie, c'est à dire de penser la guerre ou jusqu'à la guerre.
Partout. Sauf en Europe où la question de la guerre est consciencieusement évincée du débat publique, en particulier en France où elle fait l'objet d'un consensus moue, "déclaratoire et compassionnel". Dire cela n'est même plus un scoop polémique ,je ne crois d'ailleurs pas tenir ici de propos qui ne soient partagés par des hommes et des femmes de tous bords.
En dehors des discours universalistes,existe-t-il un document qui fixe les lignes directrices d'un positionnement et d'une stratégie de la France sur la scène internationale?
Quelqu'un peut-il dire ce que la France vise, hormis l'éradication de l'intolérance et des mauvais citoyens du monde??
Conséquemment, comment est-il possible de rédiger un livre blanc fidèle à sa vocation sans répondre aux questions précédentes?
Je partage donc votre avis, en vous posant une autre question.
Politique et engagement sont, semble-t-il, indissociables. Du moins c'est ce que j'ai appris depuis tout petit et que bêtement je croyais. Si le vrai prix de l'engagement est celui du sang, peut-on tout simplement faire de la politique sans envisager la facture qui y sera peut-être associée? Et si le prix du sang constitue le cœur même de l'engagement politique, cette facture ne mérite-t-elle pas de faire l'objet de déclarations et de débats publiques?
La question ne se pose pas aux militaires ni ne remet en question leur loyauté vis à vis du politique. La question se pose aux citoyens en tant qu'électeur.
Rik
@Rik
SupprimerVous avez parfaitement cerné le noeud du problème. Il ne peut y avoir de stratégie de puissance sans une conception forte de sa propre identité stratégique, identité déterminée par l'idée de nation, champ déserté par les deux principaux partis d'Etat au profit d'une idéologie post-nationale, européiste ou otanienne (deux faces de la même pièce). La perte de repères identitaires de notre réflexion stratégique et du militaire se déduit de ce sacrifice consenti du destin national. Sans cet enracinement conceptuel et charnel, point de salut pour l'idée de puissance. La faiblesse du rapport du politique à la guerre est celle du rapport du politique à la nation.
La question se pose aux électeurs, en effet. Mais les électeurs ont besoin d'éclairages sensés pour se forger un jugement sûr et serein. La question, au fond, c'est : qu'est ce que la politique étrangère et internationale de la France, et quel but sert-elle?. Les militaires sont une composante parmi d'autres, certes, très efficace (si on ose parler en terme de 'rapport qualité/prix', par exemple, bien que personnellement je déteste cette vision budgétaire très réductrice que certains politiques évoquent), mais pas la seule composante. Donc ce n'est pas à eux d'apporter l'ensemble des réponses, mais bien à la nation toute entière. L'Allemagne, par exemple, a décidé de mettre sa diplomatie au service de sa priorité nationale : les exportations industrielles qui fondent sa prospérité à long terme. Réducteur, peut-être, mais clair, au moins. Une ambassade allemande ressemble plus aujourd'hui à une officine commerciale de luxe du 'Gross Germany' et l'ambassadeur lui-même en est le premier vendeur, son rôle à cet égard répondant à certaines directives émanant directement du Bundestag. Je n'ai ni vu, ni lu, ni entendu quelque chose d'équivalent en France. Nos militaires essaient -et c'est louable- de déduire leur propre rôle et capacités, en fonction d'un raisonnement 'géostratégique', qu'ils dessinent eux-mêmes par défaut par ce que on ne le leur a pas donné, tout en disant bien que ce n'est pas à eux de valider ce contenu. Il revient aux politiques gouvernants d'instaurer ce débat FACE AUX CITOYENS et d'en clarifier les buts, les moyens et les engagements qui en découlent. J'ajouterai simplement : et le faire sans arrogance, mais sans non plus rougir ni être timoré comme c'est parfois le cas aujourd'hui.
SupprimerIl faut rendre à César ce qui lui appartient et signaler un point que le précédent gouvernement avait compris, mais qui n'a pas eu d'écho public. le noeud du problème est en effet la conception forte d'une identité de nation. Tout en découle. Au-delà, c'est aussi la 'nation' européenne qui doit affirmer son identité forte. pas moyen d'évacuer ça. Oui mais voilà, "l'Europe, quel numéro de téléphone ?" comme disait Kissinger... Le précédent gouvernement (Sarkozy) avait compris que les USA bougeaient stratégiquement vers l'Asie-Pacifique. Les nations européennes membres de l'OTAN se sont alors tournés vers la France, seule capable à leur yeux d'avoir le savoir-faire nécessaire pour pallier à la désaffection programmée des USA au sein de l'OTAN.
Supprimer(on parle bien de savoir-faire, pas de budget...)
Le but ? prendre l'opportunité pour s'approprier l'OTAN, la transformer en instrument de la PESD, la politique de sécurité et de défense européenne. Et du coup mieux affirmer l'Europe et sa puissance (tout en gardant opportunément la bienveillance budgétaire des USA). Nicolas Sarkozy, à son crédit, a parfaitement compris l'enjeu et a répondu présent. Il décidé de réintégrer l'OTAN dans ce but, a exigé (et obtenu) que le poste de transformation de l'OTAN, le 2ème poste le plus important (ACT - Allied Command Transformation) soit obligatoirement dévolu à un officier français (le Général Stéphane Abrial a pris le poste en premier). L'affaire a été très mal expliquée au grand public, et beaucoup s'en sont servi pour dire bêtement 'la France réintègre l'OTAN et s'aligne comme un petit caniche otanien des USA'. Discours facile ... et complètement à côté de la plaque. Transformer le 'gros machin' OTAN en instrument de la puissance européenne: tâche ardue et de longue haleine, sûrement. Mais au moins le but est clair et la volonté et l'ambition sont là. Qui va s'en plaindre ? Mais tout ça a été extrêmement mal expliqué aux électeurs ...
"Transformer le 'gros machin' OTAN en instrument de la puissance européenne: tâche ardue et de longue haleine, sûrement."
SupprimerProjet fumeux et voué à l'échec que ressassent un certain nombre d'atlantistes qui essaient de nous faire croire qu'une politique d'influence forte de la part de la France au sein de l'OTAN pourrait la faire changer d'identité et de direction. Pure illusion. Si je conviens avec eux que la sociologie du fonctionnement réel de l'OTAN est bien plus complexe que la caricature que peuvent en livrer ses plus farouches détracteurs, l'équation politique qui anime l'organisation est elle incroyablement simple : elle est au service, non pas des Etats-Unis eux-mêmes (ou en tous les cas pas de manière exclusive et unilatérale) mais de l'idéologie euraméricaine, moteur du mondialisme (la même qui nous interdit de penser un protectionnisme économique là où les USA, la Chine et la Russie l'appliquent avec force). En cela elle sert avant tout les intérêts américains et des élites européennes qui adhèrent à cette idéologie dominante. Il n'y a pas de marge de manoeuvre possible pour la France au sein de l'OTAN autrement que comme vassale parce que ce sont eux les Américains qui fabriquent et tiennent la norme stratégique et militaro-industrielle. Point barre. Le général de Gaulle l'avait bien compris. Que le SACT soit Français, Ivoirien, Singapourien, n'a en l'occurence aucune importance puisqu'il se contente de régurgiter la norme de l'imperium. C'est ce qu'a fait Abrial, c'est ce que fera Paloméros. De surcroît, il serait bon pour certains de comprendre qu'un vassal fidèle et zélé ne peut récolter comme récompense de la part de son maître qu'une vassalité encore plus forte et contraignante. Les Américains ne nous feront pas de cadeaux parce que nous contribuons à servir leur intérêt. Regardez du côté du contrat de modernisation des AWACS et vous comprendrez comment ils fonctionnent vraiment.
Pour revenir sur mon post précédent, il faut reprendre la typologie de la guerre que donne Jomini : le niveau (ou l'art) suprême de la puissance n'est pas celui de la stratégie mais celui de la politique de la guerre (grande politique). Mettre en oeuvre une grande politique suppose que "le" politique ait une conception du destin national. Sans nation pas de puissance, sans puissance pas de stratégie indépendante, sans indépendance et sans moyens la réflexion militaire de nos armées continuera à tourner à vide.
Cher GH, sauf votre respect je pense que votre conception de l'OTAN date un peu ... Je conviens tout à fait que en l'état actuel ce gros machin porte encore l'odeur des USA mais quelle importance ? Personne aujourd'hui n'attend plus de L'OTAN qu'elle soit un instrument doctrinal de puissance (vision Gaullienne des années 60) mais simplement qu'elle soit un instrument opérationnel, et on lui demande juste d'être capable de faire fonctionner une coalition militaire internationale en bon ordre. Point barre. A cet égard, l'OTAN est un contractant maitre d'oeuvre, si vous voulez. Tout le reste est pour moi à construire en amont et en dehors de l'OTAN. Vous parlez des AWACS. Ne soyons pas naïfs, tout le monde fonctionne comme ça.... Des exemples ? Je pourrai vous citer les radios AN/PRC-148 de l'US Army. C'est THALES qui les conçoit et qui les fabrique.... il suffit d'un mot au Pdt de THALES et c'est toute l'US Army forces spéciales incluses, qui est sourde et muette sur le terrain... C'est bien pire que ne pas avoir d'AWACS. Quant à votre remarque sur les politiques, tout à fait d'accord. Mais il ne faut pas trop idéaliser le 'politique'. Je vous renvoie une citation de Churchill : "un homme politique s'occupe de ses électeurs. Un homme d'état s'occupe de l'avenir de ses concitoyens". LE problème, c'est qu'aujourd'hui nous n'avons que des hommes politiques, pas d'homme d'Etat, au sens Churchillien du terme. Attendre quelqu'un qui ait, comme vous dites, 'une conception du destin national' est louable et ambitieux. Et c'est évidemment le bon point de départ de la réflexion, cela va sans dire et nul besoin de Jomini pour le comprendre. Mais en voyez-vous capable d'avoir une telle vision ? la barre est très haute pour le 'personnel' politique actuel.
Supprimer@Naro
SupprimerJe crois qu'on partage globalement la même analyse. Je comprends votre propos sur la perspective d'une transformation de l'OTAN en une force de défense européenne, elle n'a, sur son fond théorique, rien d'absurde et elle est effectivement souhaitable, mais elle est politiquement infaisable. Elle supposerait qu'on rompe le cordon ombilical avec les Etats-Unis. Hors sans les USA plus d'OTAN. Quitte à envisager cette Europe de la Défense (qui est une chimère mortifère et contre-productive en l'état des rapports de force actuels), autant se détacher définitivement de l'organisation et monter une véritable alliance européenne en se tournant vers la seule puissance qui soit à même de conduire naturellement une unification de notre masse continentale, c'est-à-dire la Russie. Inutile à mon sens de rester à la remorque d'un empire en phase de déclin aggravé (dont le défaut de paiement est programmé). Contrairement aux Américains, les Russes ont besoin de nous et un véritable équilibre pourrait se dégager dans une telle alliance. C'est évidemment de la pure géopolitique-fiction et les obstacles sont immenses. Instrument opérationnel pour faire quoi, au service de quelle ambition, façonné par quelle identité stratégique, appuyé sur quelle idée de la nation ? Nous l'avons compris tous les deux, le principal problème de nos armées et de notre pays en général repose sur la désertion du politique de la grande stratégie. Plus profondément le mal français est lié historiquement depuis les quarante années, mais sans doute bien au-delà, au système de fabrication de son élite politique, la même qui nous a mené là où nous en sommes, puisque la crise actuelle ne tombe pas du ciel et est la résultante d'une série de choix politiques. Non je ne vois personne capable d'avoir une vision suffisante dans le personnel politique actuel même si certaines figures ont mon estime et se battent avec courage pour la résurrection de l'idée nationale. Cependant, gardons espoir (nous n'avons pas le choix). Les grandes personnalités apparaissent dans les temps de crise profonde. Mais il n'y a pas lieu d'attendre notre sauveur, il faut nous prendre en main. Si nous avons l'occasion et le courage de refuser la logique de la ruine et du déclin à nos modestes niveaux d'individus, il faut le faire, quitte à se mettre en danger. C'est rien moins qu'une question de survie pour l'honneur de ce pays, pour le respect de nos ancêtres, et l'avenir de nos familles.
@Naro
SupprimerJe vous invite à lire l'article du contre-amiral Jourdier (qui formule la même analyse que moi sur l'alliance avec la Russie) paru dans la RDN : "Il faut dissoudre l'OTAN". Les langues se délient. C'est une excellente chose. Il faut parler fort pour réveiller les agonisants.
Mon Colonel,
RépondreSupprimerChers lecteurs,
J'apprécie beaucoup vos interventions et l'originalité de vos approches. Permettez-moi de vous soumettre à chaud un commentaire qui n'a la prétention d'être ni complet, ni un exposé.
Identifier le mal n'empêche pas la maladie. Nous allons vers une crise profonde et grave qui va probablement nous amener au bord de l'abîme, cela semble inévitable. C'est sans doute plus lié au début d'un cycle de recomposition des Nations qu'à l'absence de stratégie.
Ce qui manque à la France, ce n'est ni un peuple, ni une ambition, ni des chefs, ni des moyens: tout cela est en veille... la France est probablement l'un des seuls pays à pouvoir réagir face au désastre ex nihilo, l'histoire l'a suffisamment montré; en revanche ce qui manque actuellement ce sont les conditions favorables à l'émergence de l'initiative, à la libération des énergies des individus et des groupes au sein de la société. Depuis la révolution, l'Armée a toujours joué un rôle majeur dans la construction politique française, c'est pourquoi elle est "muselée" politiquement dans le temps de paix. Muselée par le pouvoir, mais aussi administrativement, muselée par ses propres contradictions et ses oppositions internes qui sont bien utiles pour la guider dans un sens ou dans l'autre.
Nous sommes entrés désormais de plain-pied dans l'ère du tout numérique, nous sommes à l'aube d'une révolution technologique, économique et sociale exceptionnelle, sans doute plus large par ses conséquences que celle qui s'est déroulée au début du vingtième siècle. Pour autant la société semble divisée et paralysée par des problèmes démographiques inédits et par l'évolution de son modèle social. Il est normal que nous ressentions une forme de mélancolie face à tant de menaces aux contours incertains. Cela signifie-t-il que nous ne survivrons pas? Confiance!
Sans danger immédiat, impossible de cimenter l'armée puisqu'elle n'est que la représentation fidèle de la société. Nous aurons probablement notre nouvelle période terroriste, notre nouvelle affaire Dreyfus, notre nouvelle laïcisation, notre nouvelle Triple Entente pour nous conduire progressivement de la division à l'inaction puis à l'inévitable. Le danger de l'OTAN et de la course aux alliances actuelles c'est de voir sacrifier l'indépendance stratégique du pays au nom de petits arrangements industriels, et finalement nous retrouver à participer à une guerre pour laquelle nous n'avons pas préparé notre Armée.
La France des années Trente n'est pas si éloignée de nous. Une crise larvée qui touche notre économie avec retard, une réaction politique brouillonne et décalée, une économie peu adaptée aux enjeux contemporains, une société détournée de l'essentiel par des média corrompus et partisans et par la satisfaction de besoins mercantiles et immédiats, l'orientation purement défensive de la doctrine, un report mortifère de l'effort de modernisation de l'armement et l'abandon progressif de la dissuasion (Maginot/Nucléaire) et enfin une prise de conscience trop tardive de l'imminence du danger.
Derrière ces comparaisons historiques approximatives, chacun pourra trouver une allusion plus ou moins directe à nos problèmes internes actuels.
Il ne s'agit plus de demander des comptes à nos hommes politiques mais de se préparer en tant que citoyen à assumer notre propre devoir de défense du pays. Du chaos émergeront les leaders naturels de la génération suivante. A défaut d'éviter le pire à notre jeunesse, nous pourrons l'accompagner et la guider le jour venu, si nous en avons le courage!
CNE DANRIT
Une petite question, à quoi correspond la mission suivante de ''la garde à la frontière luxembourgeoise pour protéger de mon corps le pays des terroristes issu du Grand-duché'' ? Je ne voit pas à quel événement cela ce rapporte.
RépondreSupprimerC'est anecdotique, mais cela m'intrigue.
Cela correspond à la mission dite de garde aux frontières, conséquence gesticulatoire des attentats à Paris de 1986. J'ai passé deux semaines à aider policiers et douaniers à barrer un poste douanier aux terroristes luxembourgeois. Grande épopée !
SupprimerMon Colonel,
RépondreSupprimerà la lecture de votre billet et des commentaires des contributeurs, il me vient deux réflexions sur ce qui constituent, à mon avis, des pistes qui permettent de comprendre le changement qui s'est opéré dans l’emploi de la force armée entre Bizerte ou TACAUD et aujourd'hui : la perception du temps par les décideurs politiques et, en premier lieu, par celui qui est le chef des armées ainsi que les modifications dans la composition de la population française.
Ce changement dans la perception du temps a été introduit par la décentralisation, qui a transformé les élections locales en véritable enjeu politique national, puis il a été particulièrement accentué par le passage du mandat présidentiel de sept au cinq ans qui induit un rapprochement calendaire entre les différents scrutins qui se succèdent désormais à un rythme frénétique. En conséquence, les décideurs politiques s'astreignent à une gestion court-termiste dont l'horizon ultime se situe à deux ans, soit la prochaine échéance électorale.
En effet, depuis cette modification de la durée du mandat présidentiel, le chef des armées se doit, s'il veut conserver son parti au pouvoir dans les différentes strates de gouvernance nationale, de ne pas déplaire à l'électorat pendant le cours laps de temps dont il dispose entre deux campagnes électorales. Or, ce cours laps de temps ne permet pas de prendre des décisions importantes qui engagent durablement le pays, renvoyant à un futur plus ou moins lointain le retour sur investissement.
En 1961, le général de Gaulle disposait de temps. Son mandat présidentiel courait jusqu'en 1965, celui des députés jusqu'en 1963, celui des maires jusqu'en 1965. De plus, il venait de remporter le référendum de janvier 1961 sur l'autodétermination de l'Algérie ce qui fait que, électoralement parlant, il disposait donc du temps politique nécessaire (deux ans) pour engager le pays dans une action de coercition à l'étranger.
En 1978, V. Giscard d'Estaing disposait également de temps. Son mandat présidentiel courait jusqu'en 1981. Les élections municipales avaient eu lieu en 1977 (victoire de l'union de la gauche), les élections législatives venaient juste d'avoir lieu en mars 1978 (victoire de l'UDF). En clair, VGE disposait lui aussi du temps politique nécessaire (trois ans) pour engager puis assumer une intervention militaire.
En considérant à compter de 2002, première élection présidentielle confiant un mandat de 5 ans au chef de l’Etat, on constate :
2002 : présidentielles + législatives
2004 : cantonales + européennes
2005 : référendum sur la constitution européenne
2007 : présidentielles + législatives
2008 : municipales + cantonales
2009 : européennes
2010 : régionales
2011 : cantonales
2012 : présidentielles + législatives
2014 : municipales + européennes
Considérant ce rythme électoral soutenu, il est aisé de tirer comme conclusion qu’il n'existe plus aucune marge de manœuvre en termes de temps politique. La décision d’engager les forces armées nationales dans une opération, qui débutera forcément par une phase de coercition, phase où les probabilités de pertes sont les plus élevées, sera donc très vite sanctionnée par la voie des urnes.
C’est la raison pour laquelle le décideur politique cherchera à éviter cette phase de nécessaire coercition « niant d’abord d’être en guerre contre [ceux qui nous combattent actuellement les armes à la main] avant de simplement décider d’éviter de les affronter directement et de s’immiscer dans la conduite des opérations jusqu’à les vider de la majeure partie de leur efficacité », et qu’il cherchera à gagner en légitimité en se dédouanant de sa responsabilité propre, invoquant des décisions supranationales du conseil de sécurité de l’ONU, du secrétariat général de l’OTAN ou de l’Union Européenne.
.../...
suite
SupprimerCe changement dans la perception du temps, qui trouve donc son origine dans l’augmentation des rythmes électoraux, se trouve être amplifié par les modifications dans la composition actuelle de la population française.
Ces modifications sont un constat de ma part et ne font pas ici l’objet d’une critique, tant positive que négative. Elles sont observables à compter de 1976 et de l’application du décret N°76-383 du 29 avril 1976 relatif aux conditions d'entrée et de séjour en France des membres des familles des étrangers autorisés à résider en France, c’est-à-dire depuis la mise en place du regroupement familial.
L’application de ce décret a entraîné le fait que, désormais, d’après l’enquête sur la diversité des populations en France de l’Insee parue en octobre 2011, 30% de la population métropolitaine âgée de 18 à 50 ans est soit née hors de la métropole, soit née d'au moins un parent né hors de la métropole. De plus, la très grande majorité de cette population étant de nationalité française, elle dispose par conséquent du droit de vote.
Or, dans un contexte de campagne électorale quasi-permanente, les décideurs politiques ne peuvent se permettre de s’aliéner près de 30 % du corps électoral. En conséquence, la décision d’engager les forces armées françaises dans une opération extérieure doit obligatoirement prendre en compte cette dimension « d’internationalisation » de la composition de la population nationale.
Il va donc s’agir pour le décideur politique, c’est-à-dire tant pour le chef des armées qui va décider l’intervention que pour le parlement qui va voter la poursuite de l’intervention au-delà du délai de 4 mois, de réfléchir aux conséquences internes, sur un électorat national volatil, que vont avoir une intervention armée à l’extérieur. Nonobstant une sanction rapide par la voie des urnes, des troubles à l’ordre public, de type manifestations qui feront immédiatement et inévitablement l’objet d’une récupération politicienne, sont fortement envisageables, dès lors que l’intervention a lieu dans un pays d’où est originaire une portion non négligeable des 30% de la population française précédemment citée.
Dès lors, Mon Colonel, la question reste posée de savoir comment « renouer avec l’odeur de la victoire », comment « revenir à une conception classique de l’emploi de la force armée » ? Comment « dégager le militaire du fourre-tout de la sécurité nationale pour le faire revenir dans son cadre naturel d'une stratégie de puissance, à moins que l’on renonce définitivement à en avoir une » ? Et comment « ensuite renouer avec l’efficacité » ?
La réponse que j’entrevois est de (re)donner à nos décideurs politiques suffisamment de profondeur stratégique (tant temporelle que sociale) pour accroître leur liberté d’action.
La profondeur temporelle ne peut s’acquérir qu’en modifiant le rythme électoral actuel. Le temps stratégique du Général de Gaulle ou de Valéry Giscard d’Estaing se comptait en années et non en mois.
Quant à la profondeur sociale, j’avoue que je ne vois pas de solution permettant de l’acquérir sans modifier la population, ce qui me semble irréaliste en l’état actuel des choses.
A titre d’exemple, les origines géographique de la population française des années 60 et 70 étaient beaucoup moins éclatées, ce qui permettait une plus grande liberté d’action dans ce « pré carré » que constituait alors l’Afrique. Actuellement 42% de la population immigrée en France est originaire d'un pays d'Afrique. Or, on constate que l’arc de crise « traditionnel » de B. Lewis et Z. Brzezinski a glissé vers l’Afrique suite aux « printemps arabes ». Quelle est, dans un tel contexte, la liberté d’action du décideur politique ?
CNE ARNAUD