Dans
une émission du samedi soir, le journaliste Patrick Besson expliquait qu’il
était scandaleux d’envoyer des chômeurs en Afghanistan, car « on ne
s’engage évidemment que pour l’argent…Pourquoi voulez-vous vous engager sinon ?
». J’enverrai (peut-être) le livre du sergent Yohann Douady, D’une guerre à l’autre, à ce personnage
digne du film Ridicule. Je l’enverrai
peut-être aussi aux joueurs de l’équipe nationale de football, ceux-là mêmes
dont la masse salariale équivaut à celle de tous les soldats français engagés
en Afghanistan pour leur montrer ce que signifie vraiment « mouiller le
maillot » pour la France.
Le
témoignage militaire est un genre littéraire en essor et c’est tant mieux. Les
expériences de soldats sont souvent des expériences fortes et elles méritent
d’être racontées. Mieux, elles ont besoin d’être racontées, pour servir d’abord
d’exutoire à un empilement d’émotions rentrées, pour gratter un peu de cette
reconnaissance que la nation semble incapable de donner à ses défenseurs, pour
montrer ce qu’est la vie d’un soldat professionnel moderne, pour expliquer
enfin les heurs et malheurs des opérations actuelles en contournant par ce
biais la censure des cabinets.
Le
soldat plongé dans l’action voit finalement peu de choses des opérations auxquelles
il participe mais ce qu’il voit, il le voit bien et lorsqu’il parvient à
transformer ces émotions en mots justes, ce qui est le cas avec Yohann Douady,
le résultat est évidemment impressionnant. Il est en tout cas de bien meilleure
qualité que les tentatives de la communication officielle comme « les
aventures du lieutenant Zac ».
Alors
oui j’ai beaucoup aimé cette peinture, parfois tragique, souvent drôle, de la
vie du soldat professionnel moderne, à des années lumières des « Bidasses
en folie » mais aussi des soldats perdus de l’Indo-Algérie qui font encore
fantasmer jusqu’à des lauréats de prix Goncourt. Le soldat moderne est un
nomade qui mène une guerre mondiale en miettes sautant en quelques mois d’une
zone de crise à l’autre, de la Bosnie aux montagnes afghanes en passant par la
brousse ivoirienne et Abidjan. C’est un homme écartelé entre les exigences de
missions aussi variées que la stérile interposition et la traque des rebelles,
entre la lenteur des attentes ou des déplacements de 100 m par heure et
l’accélération soudaine des sensations en présence de l’ennemi, lorsqu’en
quelques secondes passent les émotions d’une vie « normale ».
Yohann
Douady s’est engagé pour devenir ce soldat-nomade dans un régiment d’infanterie
de marine, pour devenir un autre et non pour « être lui-même ». Il décrit
fort bien cette transformation, avec honnêteté sur ses faiblesses et sur son
profond désarroi lorsque ses frères d’armes tombent, tous frappés absurdement. Il
décrit aussi incidemment ces poisons lents qui enrayent nos belles
machines guerrières : l’intrusion politique, la réglementation croissante
ou la judiciarisation et son bras armé en opération, la prévôté.
Indispensable
à lire à celui qui veut devenir soldat, indispensable à lire aussi pour ceux qui veulent
comprendre au ras du sol comment ont été et sont toujours employés nos « atomes
de la force légitime » en Afghanistan, dans le bourbier ivoirien ou ailleurs.
Sergent Yohann Douady, D'une guerre à l'autre, Editions Nimrod.
Sergent Yohann Douady, D'une guerre à l'autre, Editions Nimrod.
Interview
du sergent Douady :
EN Angleterre, au sein de l'université, les professeurs des War Studies Department utilisent ce genre de témoignage pour leur module "Soldiers in Society"....Allez je retourne à ma Guerre du Péloponnosèse en disant à ce bon Besson que sur le tempslong historique une démocratie n'a jamais su recruter ses soldats et sans phoros elle ne recrute que des Mercenaires.....
RépondreSupprimerIl faut envoyer cet ouvrage à Patrick Besson, mais je doute que cela change grand'chose avec ce genre de journalistes. Fort heureusement, il y en a des meilleurs, mais c'est comme les vrais chercheurs (ceux qui passent leur temps dans leurs labos et non à vaticiner à la télé): on les voit et entend trop peu. Ce genre d'ouvrage est en effet dérangeant pour beaucoup, car il remet en cause les idées reçues en vogue dans une partie de notre société. Souhaitons que se multiplie ce genre de témoignages : petit à petit et si le succès est là, la sphère médiatique devra les prendre en compte.
RépondreSupprimerJe trouve un peu sévère la critique du slogan de recrutement de l'armée de terre ; je l'interprète pour ma part comme "viens chez nous découvrir ce dont tu es réellement capable".
RépondreSupprimerJe crois en effet que dans leur grande majorité, nos soldats se découvrent au cours de la formation, de la vie en unité, des engagements, ... et qu'à l'exception de quelques marginaux (les as brillamment étudiés par l'auteur), ils ne se révèlent qu'une fois aguerris, "trempés et durcis", confrontés à des situations qu'ils n'auraient probablement pas imaginé. Combien d'entre eux sont venus s'engager sans idée précise, mus par un mélangé d'idéalisme (patriotisme, attirance pour l'institution militaire), de goût de l'action et du mouvement, parfois faute d'alternative, avant de murir sous l'action de leurs chefs, de leurs camarades, des valeurs propres à leur unité, à leur arme et à l'armée de terre ?
Ces valeurs étant, sinon étrangères, au moins exotiques au regard de celles que promeut la société par le biais, ils sont bels et bien devenus "autres". Mais, s'ils ont certes "forcé leur naturel", il ne s'agissait pas de jouer un rôle pour évoluer ; mon expérience m'amène même à croire que ceux-ci que se contentaient de reproduire les comportements sans les intérioriser étaient les moins fiables en cas de coup de dur.
N'est-ce pas d'ailleurs l'objectif qui nous était fixé comme chefs : voici vos hommes, faîtes en sorte qu'ils donnent le meilleur d'eux mêmes ?
N'est-ce pas le cheminement de toute aventure humaine ?
RépondreSupprimerLes autobiographies a chaud de soldats retour de mission sont nombreuses en Grande Bretagne ou l'avance civilisationnelle est evidente. Outre Manche personne ne se pose la question de savoir si un soldat est un citoyen. Il l'est comme un ouvrier, un fermier ou un dentiste. Ses moments de vie hors normes en operation ce soldat les conte et les raconte et cela fait des succes de librairie. En France, l'armee aux mains d'une clique monarchisante et oligarque se pique de ne pas distendre le lien armee-nation mais n'est guere representative du pays reel. Au contraire des jeunes engages qui connaissent souvent le quotidien du francais, un humain de moins en moins moyen et de plus en plus precaire. En France le recit historique appartient aux elites fussent-elles mediocres mais diplomees toujours. Le recit du caporal Douady est vital a le France et a ses armees. Ce genre d'initiatiave fait entrer l'armee dans son siecle et lui permettra peut etre de dialoguer vraiment avec les politiques quel que soit leur bord. A ce jour ce dialogue est confisque par une clique quasi sectaire qui pousse nos forces armees au delire juridiste, reglementariste et neutralisant le plus lenifiant possible. Alors des jeunes, des vrais, des initiatives, des demandes, des cris, des appels mais surtout foin des reflexes identitaires militaro-soldatesques qui laissent l'armee representee par des caricatures d'elle meme. Les soldats sont des citoyens. Leur profession doit les autoriser a dire ce qui est bon pour eux et donc pour la France (je renvoie au post suivant de ce blog sur ce qu'est un soldat francais ET professionnel. Continuez caporal Douady, et les autres a la suite. La France a besoin de vous, il faut qu'elle nous regarde enfin.
RépondreSupprimerJ'oubliais, Patrick Besson est un excellent ecrivain mais a force d'etre plus mediatique que styliste il perd le sens des realites. Les marsouins du 2e RIMa devraient l'inviter au camp d'Auvours ou en operation, que chacun apprenne a se connaitre. Tous y gagneraient.
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