Maya Kandel est chargée d’études à l’IRSEM et chercheuse associée à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
1ère partie : Obama, Romney, deux visions du monde et des Etats-Unis
Politique étrangère et défense dans la campagne 2012
Les enjeux de politique étrangère sont peu présents dans la campagne électorale américaine. Le taux de chômage reste à un niveau historiquement élevé pour les Etats-Unis, même s’il vient de passer sous la barre des 8%, détail qui a son importance quand on sait qu’aucun président américain n’a jamais été réélu avec un taux de chômage supérieur à 8%. Les préoccupations économiques dominent largement les enjeux de ces élections, de même qu’on note une lassitude croissante de la population face aux guerres américaines et à l’aventurisme extérieur. Le Pew Research Center a sorti l’an dernier une étude qui montrait que le sentiment isolationniste (la volonté que le pays soit moins interventionniste) n’avait jamais été aussi élevé depuis un demi-siècle aux Etats-Unis. Ce sentiment est exprimé par la même proportion de sympathisants démocrates que républicains.
En dépit du faible intérêt de la population, les deux candidats ont évidemment des positions sur ces questions : la vision du candidat républicain Mitt Romney demeure difficile à cerner, même s’il a fait lundi 8 octobre un discours remarqué sur ce que serait sa politique étrangère. L’exercice est bien sûr plus facile concernant Barack Obama, qui gouverne depuis quatre ans.
Obama le réaliste : l’Amérique puissance de statu quo ?
On a défini Barack Obama comme un réaliste pragmatique sur le plan international. Obama avait exprimé en 2008 la volonté de clore les deux décennies post-guerre froide et de « revenir à la politique étrangère réaliste traditionnelle des Etats-Unis ». Plus précisément, deux caractéristiques essentielles ont été affirmées dès le début de son mandat : la volonté de tourner la page des années Bush en mettant fin aux guerres de la décennie 2000, et son corollaire, restaurer l’image des Etats-Unis et transformer le leadership américain pour l’adapter à l’évolution du contexte international. En réalité, les choses ont été évidemment plus compliquées : si la rupture a été nette sur l’Irak et au Moyen-Orient par exemple, on peut également noter de fortes continuités entre les administrations Bush et Obama, que ce soit sur l’utilisation des drones (intensifiée) ou sur le programme de cyberattaque contre l’Iran (lancé par Bush, mis en œuvre par Obama avec « Stuxnet »). Certains commentateurs ont même affirmé que Obama avait été « plus efficace que Bush sur l’agenda de Bush ».
Ce qui domine pour résumer :
- le pivot vers l’Asie-Pacifique, idée affirmée dès le début par Obama (« l’Amérique est une puissance du Pacifique ») et exprimée par plusieurs symboles en début de mandat : le premier voyage de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a par exemple été en Asie et non en Europe, pour la première fois depuis 1961 ; le premier dignitaire reçu à la Maison Blanche fut le premier ministre japonais, et non un Européen. En 2009, Obama ne s’est pas déplacé pour le sommet US/UE alors qu’il est allé « s’incliner » devant le président chinois. Bref, une insistance sur l’Asie marquée d’emblée et qui a été officialisée en janvier 2012 dans le nouveau document stratégique américain. Cette nouvelle directive stratégique de défense ou Defense Strategic Guidance, document court de 8 pages, officialise le rééquilibrage vers l’Asie (idée qu’une fois les guerres Irak et Afghanistan soldées dans un premier mandat Obama, le second mandat pourrait alors se préoccuper de l’ascension des émergents et autres bouleversements globaux). A noter, la presse et l’ensemble des commentateurs ont retenu le « pivot vers l’Asie », expression préférée par le département d’Etat, alors que la Maison blanche et le Pentagone avaient choisi « rééquilibrage » vers l’Asie (rebalancing), terme utilisé à plusieurs reprises dans la directive stratégique officielle du Pentagone alors que celui de « pivot » n’y apparaît pas.
- autre aspect présent chez Obama dès le début et dans le document stratégique de 2012, c’est la notion de light footprint, c’est-à-dire d’une plus grande discrétion de la présence militaire américaine. Discrétion qui va de pair avec le recours privilégié aux drones (Pakistan, Afrique), mais repose aussi sur une plus grande interaction entre les forces armées (notamment forces spéciales) et la CIA (instrument à l’usage du président, la CIA permet aussi d’échapper à la surveillance du Congrès), à l’image de l’opération Ben Laden (Navy Seals et supervision CIA).
- plus globalement, c’est la reconnaissance du nouveau contexte et de la redistribution en cours de la puissance autour du globe. Elle se traduit par exemple, toujours dans le document stratégique de 2012, par cette idée que les Européens sont désormais « producteurs de sécurité », et par l’insistance sur les partenariats, dans la droite ligne du leadership from behind, expression malheureuse appliquée à la Libye et critiquée (par l’establishment de politique étrangère plus que par la population d’ailleurs), mais dont les démocrates ne renient pas le concept. C’est l’évolution souhaitée pour l’OTAN, même si elle va de pair avec l’organisation d’une défense antimissile de plus en plus globalisée, sous tutelle américaine.
- on a donc une évolution, de la notion de « partage du fardeau » à celle de « transfert du fardeau », ce qui signifie aussi forcément une contrainte moins grande de la tutelle américaine. Pourquoi Washington accepterait-il cet amoindrissement ? Parce que, Obama l’a dit, les temps sont durs et l’Amérique doit d’abord se consacrer au « nation-building at home », c’est-à-dire réinvestir dans la société nationale. Cette priorité va de pair avec une décroissance du budget militaire (idée en partie sous-jacente au document stratégique, voire idée qui l’a déterminé pour ses détracteurs) : il s’agit de restaurer les bases économiques intérieures de la puissance.
S’il fallait résumer la philosophie générale d’Obama, on pourrait parler de posture de « puissance du statu quo » : conserver la position dominante des Etats-Unis, en particulier l’architecture du système international mis en place par Washington après 1945. Statu quo aussi pour maintenir (donc défendre) la liberté d’action américaine sur les mers du globe, ce qui explique aussi le pivot vers l’Asie et l’accent mis en début de mandat sur la protection des Global Commons, désormais davantage sur le concept opérationnel Air-Sea Battle pour lutter contre les stratégies de déni d’accès, c’est-à-dire contre les entraves à la liberté d’action américaine. C’est bien cette philosophie « sur la défensive » que critiquent les républicains, alors que, chez eux, les néoconservateurs en particulier souhaitent reprendre l’offensive – c’est du moins ce qui ressort de la rhétorique utilisée par le camp républicain pendant cette campagne.
Romney le néoconservateur ? Les Etats-Unis, puissance du changement
Il est plus difficile de définir quelle est la vision du monde du républicain Mitt Romney. Il n’a pas occupé de fonction nationale, et n’a eu pas d’expérience internationale comme gouverneur du Massachussetts. Très à l’aise sur l’économie, c’est un businessman qui ne semble pas avoir d’instinct sur l’international. De plus l’homme est une girouette, difficile à caractériser autrement : élu du Massachussetts, il représente une espèce en voie de disparition, le républicain libéral de la côte Est, dans un parti qui n’a cessé de se droitiser (en gagnant le centre et le Sud du pays) depuis 30 ans. Romney avait par exemple instauré une couverture médicale universelle dans son Etat du Massachussetts, avant de la renier comme candidat d’un parti qui en a fait son cheval de bataille contre Obama.
Son équipe de conseillers sur la politique étrangère et de défense est importante, avec pour schématiser deux clans, représentant d’un côté les réalistes internationalistes à l’ancienne (partisans de l’approche Bush père, Kissinger, Scowcroft), de l’autre les néoconservateurs dont beaucoup viennent de l’administration Bush fils. Jusque récemment d’ailleurs, ses conseillers admettaient (anonymement) qu’ils n’avaient pas la moindre idée de ce que Romney pensait vraiment sur l’international. Les choses ont commencé à s’éclaircir récemment, avec certaines promotions au sein de l’équipe, certains conseillers s’exprimant dans la presse, et enfin le discours de lundi 8 octobre : il semblerait que les néoconservateurs aient pris l’ascendant, ce que pourrait confirmer la nomination de Dan Senor à la tête du staff de politique étrangère du colistier de Romney, Paul Ryan. Ryan a été chargé d’attaquer les démocrates sur la politique étrangère et la défense, tandis que Romney se concentre sur l’économie nationale et l’emploi (bien sûr, cela ne signifie pas obligatoirement que ces mêmes hommes obtiendraient les postes qui comptent dans une future administration Romney).
Qu’est-ce qui ressort plus particulièrement du discours de politique étrangère de Romney, et qui aiderait à différencier sa vision de celle d’Obama ? Romney explique que la responsabilité de l’Amérique et donc du président américain est d’utiliser la puissance de l’Amérique pour « modeler l’Histoire » ; en opposition au leading from behind (violemment critiqué comme une attitude « d’excuses »), le destin américain est de peser sur le cours des événements, non être à leur merci. Ce discours offensif est doublé d’une référence au héros républicain Ronald Reagan avec la notion de « paix par la force ».
Plus spécifiquement, au-delà de ces visions différentes sans doute, il est utile de préciser concrètement ce qui rassemble et ce qui sépare les deux hommes sur les grands enjeux de défense, si l’on juge par leurs déclarations.
Les points communs des deux candidats :
- le pivot vers l’Asie ;
Les points communs des deux candidats :
- le pivot vers l’Asie ;
- ne pas lancer de grande opération terrestre, dans l'immédiat du moins ;
- si Obama a engagé une réorientation à la baisse du budget du Pentagone, il est contre les coupes drastiques supplémentaires liées à la séquestration (voir 2e partie) au budget militaire américain, conviction partagée par Romney.
Les divergences :
- sans surprise vue sa reprise du crédo reaganien, Romney est contre toute baisse au budget militaire, qu’il veut au contraire maintenir à 4% du PIB, ce qui veut dire qu’il remettrait en cause (si le Congrès veut bien, ce qui est possible) les économies initiées par l’ancien secrétaire à la défense Robert Gates, revues et actées à la hausse par l’accord de l’été 2011 sur la maîtrise du budget. Cette baisse représente 487 milliards d’économies sur les 10 prochaines années ;
- alors que Obama va réduire les forces armées de 100 000 hommes (Army et Marines), Romney veut ajouter 100 000 hommes (sans précision) ;
- autre divergence, sur la défense antimissile : Obama avait fait évoluer les plans républicains en laissant de côté la DAMB nationale (du territoire américain) pour mettre l’accent en la réformant sur la défense de théâtre ; Romney veut à nouveau mettre l’accent sur la défense du homeland avec en particulier le projet de construction d’un troisième site sur la côte Est, mais avec également le maintien des projets DAMB de théâtre. Comme il compte augmenter le budget du Pentagone, c’est cohérent ;
- il y a une différence de taille dans l’accent sur la construction navale : engagement de construire 15 nouveaux navires par an pour Romney (Chine…), contre 8 à 9 pour Obama ;
- sur la Russie, on se souvient de l’épisode du « micro ouvert » d’Obama qui avait expliqué à Medvedev qu’il aurait « plus de flexibilité après les élections ». Romney, lui, a évoqué la Russie comme « l’ennemi géopolitique numéro 1 » des Etats-Unis (à la grande joie de Poutine, qui a déclaré apprécier que « les choses soient claires ») ;
- enfin, sur d’autres dossiers comme l’Afghanistan, la Syrie, l’Iran, on a une rhétorique très critique côté Romney, mais des propositions floues ou inexistantes, ou proches des politiques suivies par l’administration actuelle lorsqu’elles sont formulées.
Ce à quoi aucun des deux ne pourra échapper :
- la nécessaire réforme du budget de fonctionnement du Pentagone : les « coûts de personnels » (salaire, santé, pensions) représentent déjà près du tiers du budget militaire, ils en absorberont la totalité d’ici 2039 si rien n’est fait ;
- un événement dans le monde aux conséquences majeures et imprévisibles ;
- mais plus que par toute autre chose, les deux hommes vont voir leurs ambitions et leurs choix contraints par la situation fiscale du pays : depuis l’arrivée au Congrès des représentants du mouvement Tea Party en novembre 2010, le déficit budgétaire est devenu l’enjeu politique numéro un à Washington. Chacun convient de la nécessité de le réduire, mais les deux partis ont des solutions diamétralement opposées et apparemment inconciliables.
C’est d’ailleurs la question essentielle de cette campagne. La défense n’est pas un enjeu dans ces élections, mais elle sera contrainte par les questions budgétaires, et ce quel que soit le président en 2013. Le débat stratégique dépend pour beaucoup de choix qui seront faits dans d’autres domaines. Ce qui explique certains commentaires acerbes, par exemple que Romney devra emprunter aux Chinois pour financer des navires destinés à faire la guerre aux Chinois. D’où l’importance aussi des élections de novembre 2012 au Congrès, qui est le seul à pouvoir trancher (par la loi) nombre des échéances cruciales de la fin 2012, concernant aussi bien la fiscalité, le déficit, la séquestration, que l’évolution du budget militaire. Les Américains ont résumé l’ensemble de ces échéances par l’expression de fiscal cliff, soit la « falaise fiscale » – à cause du gouffre (économique) au fond duquel le pays est menacé de tomber en l’absence de décisions sur tous ces points.
A suivre, 2e partie : contrainte fiscale et budget militaire
Je souligne, concernant le discourt du Républicain Rommney, bien que je ne le soutient pas, que son objectif affiché pour la US Navy de 350 bateaux dont 11 porte-avions feraient remonter la statut de la flotte à... 1999... ou elle avait 352 navires dont 12 porte-avions.
RépondreSupprimerActuellement, l'US Navy affiche 287 grands bâtiments sur son site, les années Bush, malgré la hausse du budget de la défense, n'ont pas empêché les coupes dans son ordre de bataille.