Cet
article est inspiré de la veille stratégique mensuelle sur les Etats-Unis
réalisée par l’auteur pour l’IRSEM et disponible ici.
Alors que Washington et le monde sont restés
focalisés sur les dossiers syrien et iranien, il existe un autre dossier tout
autant voire plus important au Moyen-Orient, le dossier égyptien. Cet article
propose un tour d’horizon du débat aux Etats-Unis (avec une sélection de liens
à des articles en anglais).
Nombreux sont ceux qui plaident aux Etats-Unis pour
une remise à plat de la relation Washington-Le Caire, depuis les événements du
printemps égyptien de janvier 2011, mais surtout depuis le coup de théâtre du
30 juin dernier avec la reprise en main du pays par les militaires égyptiens et
l’éviction des Frères Musulmans.
Aux Etats-Unis, le débat est extrêmement compliqué
voire confus, et brouille les repères et les camps habituels de politique
étrangère. Plusieurs
traits marquants en ressortent tout de même :
Il n’y a pas de consensus sur l’Egypte, y compris
dans l’establishment (voir les éditos opposés du Washington Post et du New
York Times par exemple) :
• Hors
de tout autre principe directeur, nombreux sont ceux qui sont contents
« d’être débarrassés des Frères Musulmans » ;
• Les
puristes pro-démocratie regroupent à la fois Démocrates (le sénateur Patrick
Leahy) et Républicains (le sénateur John McCain), mais certains (… McCain) ont
fini par rejoindre les réalistes notamment en raison de la problématique
aide/Camp David/ Israël ;
• Le
sujet intéresse aussi un groupe croissant de Républicains investissant le champ
de la politique étrangère bien que totalement ignorants, mais capitalisant
sur toute opposition à Obama (Bachmann, Cruz) ;
• Malgré
l’impression d’une montée en influence des « isolationnistes »,
l’amendement visant à suspendre l’aide à l’Egypte, proposé par leur médiatique
chef de file le sénateur Rand Paul, subit un échec cinglant au Sénat fin
juillet.
Problème pour l’administration Obama : la
relation Etats-Unis/Egypte est depuis longtemps sur pilote automatique
concernant les 1,3 milliards de dollars d’aide militaire (et 250 millions en
assistance économique). MAIS, les médias l’ont tous souligné au début de
l’été, l’aide
américaine est régie par la loi sur l’aide extérieure (Foreign Assistance Act) dont une disposition précise la suspension
automatique de toute assistance à un gouvernement issu d’un coup d’Etat ;
dans ce cas, seul un vote du Congrès (ou l’élection d’un nouveau gouvernement
comme au Mali) peut permettre de rétablir l’aide.
D’où la « décision » de l’administration
Obama de rester dans le flou quant à la qualification des événements égyptiens
de juin 2013, décision qui a été précédée d’un débat long et mouvementé à la Maison Blanche et
entre les différentes agences, débat dans lequel les juristes gouvernementaux
ont été étroitement impliqués. Plusieurs conseillers (dont les plus jeunes du
NSC, comme souvent) voulaient qualifier de coup d’Etat et suspendre l’aide,
mais la realpolitik l’a emporté,
l’argument décisif étant celui de l’aide comme seul levier d’influence restant
à la disposition de Washington. Ainsi, le secrétaire d’Etat John Kerry, le
secrétaire à la Défense
Chuck Hagel et la conseillère à la Sécurité nationale Susan
Rice étaient tous favorables
au maintien de l’aide afin de conserver un moyen d’influence sur les
généraux égyptiens.
Après avoir beaucoup protesté et critiqué, le
Congrès – en l’occurrence le Sénat – a rejeté un amendement
proposé par le Sénateur Rand Paul visant à suspendre l’aide américaine à
l’Egypte jusqu’à la tenue de nouvelles élections, par un vote massif de 86 voix
contre l’amendement, 13 pour. Le vote a donné lieu à des volte-face notables,
comme celles du sénateur McCain qui, après avoir défendu la suspension de
l’aide pour cause de coup d’Etat contre un régime démocratiquement élu (McCain
avait d’ailleurs rencontré les Frères Musulmans égyptiens à plusieurs
reprises), a voté contre la suspension de l’aide qui serait finalement
« une terrible erreur ». Une « erreur » également selon le
lobby AIPAC,
dont l’influence auprès des parlementaires du Congrès n’est plus à démontrer.
Et c’est ainsi que le 15 août Obama, depuis sa
villégiature de Martha’s Vineyard, a prononcé une allocution sur l’Egypte de
800 mots sans jamais utiliser les mots « coup » et
« aide ». Tout juste a-t-il suspendu un exercice militaire conjoint
qui n’avait de toute façon pas eu lieu depuis 2009. Mais l’aide
a donc été maintenue. Pour
l’instant, du moins.
Les commentateurs américains notent tout de même la
perte
d’influence notoire de Washington, en particulier du Pentagone (malgré le
maintien des 1,3 milliards d’aide annuelle), alors même que Hagel et le général
al-Sissi se sont parlés quotidiennement au téléphone pendant tout le mois de
juillet. Selon les mots du porte-parole du DoD, « nous observons pour voir
ce qui va se passer ». Coup dur pour les complotistes.
Autre paramètre essentiel, la majeure partie de l’aide
militaire américaine à l’Egypte revient en fait aux Etats-Unis via les
contrats d’armements avec l’Egypte (d’où l’autre risque en cas de suspension de
l’aide, risque pour l’emploi aux Etats-Unis ; l’exemple des chars Abrams
est particulièrement éloquent, puisque l’armée de terre américaine n’en veut
plus, mais que de nombreux emplois américains sont menacés en cas de
non-commande par l’Egypte et donc de fermeture des chaînes industrielles.
Les responsables Egypte ou Moyen-Orient ayant
quitté l’administration Obama ne se sont pas privés en revanche pour critiquer
la décision présidentielle – qui pourrait être seulement transitoire. Et on
notera que ce point de vue semble également être celui de l’opinion
américaine – dans la mesure où elle s’intéresse au dossier : la
majorité des Américains est pour la suppression de l’aide américaine à
l’Egypte.
Un récent rapport
de la Brookings vient en tout cas
de plaider pour
une remise à plat de la relation entre Washington et Le Caire. Selon ses
auteurs, il est temps de « dépasser la mythologie de Camp
David » et en particulier de remettre en question le « dogme de l’aide
contre la paix avec Israël » – dogme que les généraux égyptiens n’ont pas
vraiment intérêt (et ne cherchent pas) à remettre en question de toute façon,
selon la Brookings.
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