2 avril 2013
Après deux mois et demi de combats, la mission prescrite par le chef des armées (rétablir la souveraineté de l’Etat malien sur l’ensemble de son territoire et y détruire les organisations terroristes) n’est pas encore accomplie que l’on peut déjà évoquer le repli du gros des forces françaises.
Mission non encore accomplie
Après avoir stoppé l’offensive djihadiste, reconquis les villes du Nord et détruit le bastion d’AQMI dans le massif de Tigharghar, les forces alliées, et avant tout françaises, ont « planté le drapeau » sur la totalité des villes tenues par les rebelles depuis janvier 2012. La première partie de la mission peut donc être considérée comme atteinte même si avec seulement treize ou quatorze bataillons actifs français ou africains on ne peut prétendre contrôler étroitement un territoire grand comme deux fois la France.
Sur les cinq organisations qui faisaient face au gouvernement malien, les deux organisations touaregs ont pratiquement disparu, comme Ansar Eddine, ou se sont associées aux forces françaises, comme le MNLA ; AQMI a subi des pertes sévères et semble désorganisé ; le MUJAO et sans doute aussi le groupe de Belmokhtar ont également subi des pertes mais dans des proportions moindres. Ces résultats militaires remarquables ne sont cependant pas décisifs et comportent plusieurs incertitudes.
Si AQMI a subi des coups sévères avec la perte de sa base locale, de plusieurs centaines de combattants et de son principal leader, cette organisation possède encore des ressources et surtout la volonté de combattre la France. L’ex Groupe salafiste pour la prédication et le combat (CSPC) n’a accédé au label Al Qaïda à la fin de 2006 qu’avec la promesse de mener le djihad contre la France. Incapable de porter le combat en Europe, AQMI s’est attaqué aux ressortissants français dans le Sahel, y trouvant même une source importante de financement. Avec l’opération Serval, nous lui donnons un véritable front, à la manière des Américains en Irak. Il faut donc s’attendre très probablement à des actions offensives de sa part. Celles-ci peuvent encore avoir lieu au Mali, s’il reste à AQMI des forces dans l’adrar des Ifoghars et s’il est possible de les renforcer ou les renouveler. La surveillance aérienne, la tenue des villes de la région par les forces alliées, le quadrillage accru de l’armée algérienne dans le Sahara et la coopération des Touaregs réduisent néanmoins les possibilités de manœuvre dans ce secteur. Le mode d’action le plus probable pour AQMI consiste donc plutôt dans des opérations contre les Français hors du Mali, au Niger ou en Mauritanie par exemple, avec peut-être l’espoir d’y attirer à nouveau des forces françaises et de multiplier les « Mali » comme Che Guevara voulait multiplier les« Vietnam » pour épuiser les Américains. Par ailleurs, AQMI détient toujours six otages français après le décès probable et encore non clairement expliqué de l’un d’entre eux. Ces otages sont désormais probablement hors du Mali.
La deuxième incertitude concerne les organisations armées des Touaregs. Nous coopérons ouvertement avec le MNLA alors que celui-ci, déclencheur des évènements en janvier 2002 est toujours en guerre contre le gouvernement malien. Ansar Eddine a disparu mais ses combattants n’ont pas tous été éliminés, loin s’en faut. Certains ont rejoint le MNLA ou le nouveau Mouvement islamique de l’Azawad, d’autres poursuivent sans doute le combat, peut-être avec AQMI. Avec cette alliance avec le MNLA, on touche certaines difficultés du « combat couplé ». La coopération des Touaregs est un des clés de la sécurisation du Nord Mali et même de la région mais outre que cela suppose de s’associer avec d’anciens ennemis (beaucoup d’entre eux ont combattu avec Kadhafi), dont des Islamistes radicaux, cette alliance irrite les gouvernements alliés de la région.
Le point le plus préoccupant reste la résistance active du MUJAO qui, au contraire d’AQMI, poursuit un combat asymétrique dans la région de Gao, combat fait de multiples actions d’éclat combinant attaques suicide, infiltrations et tirs de harcèlement. Ces attaques ponctuelles témoignent à la fois de la motivation des membres du mouvement, assez éloignée de l’image de groupe de bandits parfois présentée, de la persistance de leur présence et donc aussi de l’incomplétude de l’opération Serval. Classiquement, le MUJAO mène une campagne de communications appuyée par des actions de combat, là où nous faisons l’inverse. De recrutement local, y compris dans les ethnies Songhaï et Peul, et régional, notamment en Mauritanie, le MUJAO peut prétendre au leadership régional à la place des Algériens d’AQMI. Le MUJAO détient aussi un otage français.
L’action du groupe de Mokhtar Belmokhtar, indépendant d’AQMI depuis la fin 2012 est floue dans ce paysage tactique. Proche du MUJAO, il combat peut-être à ses côtés mais certains témoignages tendent à montrer que non seulement Belmokhtar est toujours vivant mais qu’il se serait réfugié en Algérie. Une organisation qui a été capable d’organiser la prise d’In Aménas est capable de surprendre à tout moment.
Qui pour combattre les djihadistes ?
Face à ces groupes encore très actifs, la force Serval fait encore basculer son centre de gravité sur le fleuve Niger et combine ses actions offensives (l’opération Doro) non plus avec les Tchadiens et les Touaregs comme dans le Nord mais avec l’armée malienne et la MISMA.
Or, ces deux forces sont faibles. Les contingents de la MISMA sont arrivés rapidement sur le territoire malien mais le plus souvent sans équipement et sans un financement suffisant. Le bataillon logistique de la force n’arrivera pas avant la fin du mois d’avril. De fait, l’action de la MISMA se limite au contingent tchadien à Kidal- lui aussi en recherche de financement et rattaché depuis peu à la MISMA- au contrôle de Ménaka par le bataillon nigérien et d’une présence sur les axes routiers du Sud. Quant aux forces armées maliennes (FAMa), elles sont désorganisées. Tout au plus peuvent-elles mettre en œuvre huit petits bataillons très mal équipés et mal encadrés. Sans appui français, les FAMa sont clairement incapables de sécuriser le fleuve Niger sans même parler de l’Adrar des Ifoghas. La Mission européenne de formation de l'armée malienne, EUTM Mali, a commencé son travail de quinze mois de formation de quatre bataillons de 650 hommes. Avec une Union européenne au moins aussi réticente à financer et armer l’opération EUTM que la CEDEAO avec la MISMA, la reconstitution de l’armée malienne risque de prendre beaucoup de temps.
Quant à la force ONU envisagée pour remplacer la MISMA, son intérêt principal, outre d’élargir le champ des contributeurs, est surtout de transférer aux Nations Unies le financement des opérations. Ce soulagement financier se paierait d’une moindre efficacité tactique, les forces ONU étant incapables de mener des opérations offensives. On voit mal, même avec mandat de chapitre VII et un volume de plus de 11 000 hommes (qu’il reste à réunir), résister longtemps à un adversaire résolu. On peut espérer qu’AQMI se détourne d’un adversaire aussi peu gratifiant mais ce ne sera surement pas le cas du MUJAO. Le secrétaire général des Nations Unies a d’ailleurs admis implicitement l’inefficacité de cette force en demandant la présence d’une force parallèle, qui en l’occurrence ne peut être que française. Nous avons accepté.
Les djihadistes ne sont forts que parce que les Etats sont faibles
Avec un peu de recul sur les événements, on voit bien avec ces atermoiements que la vraie force des organisations non étatiques armées réside surtout dans la faiblesse des Etats qu’elles affrontent. Ceux-ci ne sont pas faibles parce que leurs armées le sont, c’est l’inverse qui est vrai et les tendances ne sont pas favorables.
Autant AQMI et ses alliés bénéficient des réseaux sombres de la mondialisation (armes légères en abondance, parasitage des trafics en tous genres) sans, pour l’instant, en subir vraiment la corruption, autant les Etats locaux, tous ou presque en situation de désendettement, ont vu leurs moyens d’action publique se réduire. Cela vaut pour les instruments de sécurité mais aussi pour une action sociale qui laisse le champ libre aux organisations privées islamiques. Pire, les financements extérieurs, licites (aide du FMI) ou non (drogue), ont tendance à accroître nettement une corruption endémique qui, par contraste, rend l’offre des organisations islamistes, dure mais honnête, de plus en plus séduisante. Dans une zone sahélienne sous pression écologique et où la population risque de doubler d’ici à vingt ans, les recruteurs du MUJAO ou de tous les groupes qui sont amenés à naître ou se transformer n’auront aucun mal à trouver des volontaires. Le coup d’état militaire de mars 2012 au Mali doit se voir aussi comme une tentative locale de réaction contre cette dérive générale.
Pour autant, ces pays du Sahel, Mali compris, disposent de ressources importantes dans leur sous-sol. Leur exploitation, par des compagnies étrangères, peut être la chance de ces pays à condition de parvenir à en dériver une partie notable des revenus dans des Etats solides et des administrations honnêtes.
A court terme, et sans préjuger des évolutions du monde arabe tout proche, l’apaisement des tensions avec les Touaregs est une condition sine qua non de la victoire contre les djihadistes. A long terme, recensements, plans cadastraux, systèmes de retraites, éducation, juges et administrateurs suffisamment bien payés pour être honnêtes, élections transparentes, sont les meilleurs instruments pour couper les racines de mouvements que l'action de l'armée et de la police pourront mieux affronter en surface grâce à de vraies rentrées fiscales et une meilleure organisation. Dans l’incapacité de créer ce cercle vertueux et sans Etats forts, la guerre contre les djihadistes sera une guerre de Sisyphe.
La France est-elle suffisamment endurante pour mener le combat ?
Le combat initié au Mali, s’inscrit dans un affrontement de longue haleine. Dans des conditions assez proches, il aura fallu trois ans d’engagement au Tchad de 1969 à 1972 pour y rétablir provisoirement la sécurité .
A l’époque, la force de la France reposait sur une intégration assez réussie de tous ses moyens d’action sous un commandement unique. La diplomatie ne se focalisait pas sur le repli le plus rapide possible des forces françaises mais sur la manière de réunir les pays de la région dans un même combat, de dissocier le mouvement local de ses sponsors et d’aider à la résolution des problèmes ethniques locaux. Elle participait, avec les militaires qui, de fait, fournissaient la quasi-totalité du personnel engagé, à la restructuration parallèle de l’administration et de l’armée locale. De son côté, un contingent moyen de 2 500 hommes a conduit le combat jusqu’à ce qu’on soit certain que l’armée locale soit capable de prendre le relais et pas avant. Cela se passait quelques années seulement après la guerre d’Algérie, bien plus traumatisante pourtant que le « syndrome » afghan. L’opinion publique était alors beaucoup plus réticente à ce type d’engagement qu’aujourd’hui, où, malgré une chute rapide qui interroge, une majorité de Français soutient toujours l’opération.
Avec l’intervention du 11 janvier, nous avons retrouvé les vertus de la réactivité qui faisait une partie de notre force à l’époque des interventions nationales françaises. Puisque nous avons décidé de rester, il reste à retrouver celles de l’endurance en accompagnant l'action de l'Etat malien jusqu'au moment délicat où il faudra admettre ce qui suffit et se retirer, à condition bien sûr qu'il y ait cette action de l'Etat malien.