vendredi 19 avril 2013

Guantanamo : Obama a tenu parole, mais le Congrès en a décidé autrement-par Maya Kandel


Barack Obama n’a pas décidé de ne pas fermer Guantanamo : c’est le Congrès qui l’en a empêché, par plusieurs lois successives votées à une majorité écrasante, et sous forme d’amendements à des lois indispensables au fonctionnement de l’Etat – en l’occurrence les lois de budget, et plus précisément celles du Pentagone (rappelons que l’Amérique est un pays en guerre et que rien ne peut sortir du Trésor américain qui n’ait été approuvé par une loi du Congrès).

Ce pouvoir des parlementaires peut surprendre un public français, tant notre régime diffère du système politique américain organisé selon le principe des « checks and balances » ou pouvoirs et contre-pouvoirs. Aux Etats-Unis, le Président ne peut agir contre une décision du Congrès ; surtout, il ne peut imposer sa volonté au Congrès, même quand celui-ci est du même bord politique. On l’a vu encore récemment avec l’échec au Sénat, pourtant à majorité démocrate, de la loi sur le contrôle des armes à feu, dans une version très édulcorée et alors qu’Obama s’était investi personnellement et avait mis son poids politique dans la balance.

Pourquoi et comment les parlementaires américains ont-ils empêché la fermeture de Guantanamo, alors que l’une des premières mesures du président Obama, deux jours après son investiture en janvier 2009, avait été la promulgation d’un décret ordonnant la fermeture du centre de détention « aussi rapidement que possible et au plus tard dans un an » (Executive Order, Jan. 22) ? L’opposition du Congrès semble d’autant plus surprenante qu’il y avait en 2008 aux Etats-Unis un consensus favorable à la fermeture de Guantanamo, au sein de la classe politique comme de l’opinion : le président Bush lui-même y était favorable à la fin de son mandat, et le sénateur John McCain, candidat républicain contre Obama en 2008, s’était prononcé pour pendant la campagne présidentielle ; enfin, l’opinion américaine, quoique relativement indifférente, n’était pas contre (seuls 35% des Américains s’y déclaraient opposés en 2008).

Or en mai 2009, à la surprise de l’administration Obama, la Chambre, puis le Sénat, pourtant tous deux à forte majorité démocrate, votent au sein d’une loi budgétaire un amendement interdisant le financement destiné à fermer Guantanamo. Au Sénat notamment, l’amendement est voté par 90 voix contre 6 : la majorité des Démocrates ont voté pour l’amendement, contre leur Président. Que s’est-il passé ?

L’explication est avant tout politique. Dès la victoire d’Obama, les Républicains se sont lancés dans une contre-attaque tout azimut, contre tous les projets du nouveau président (du plan de relance économique à la réforme de santé), et même plus largement contre la personne du président (avec des attaques verbales de plus en plus violentes, et bientôt la naissance du mouvement Tea Party). Sur Guantanamo, les Républicains se mobilisent très rapidement, menés par l’ancien vice-président de Bush, Dick Cheney : discours démagogiques, politique de la peur, les Républicains sont prêts à toutes les instrumentalisations sur une question qui leur permet de mobiliser l’opinion tout en divisant le camp opposé. L’argument typique consiste ainsi à accuser Obama et les Démocrates d’être davantage préoccupés par les droits des terroristes que par la sécurité des Américains. Or l’accusation porte contre un parti démocrate traditionnellement considéré comme faible sur les questions de sécurité nationale – nous sommes encore avant les révélations sur l’intensification des frappes de drones, et surtout avant le raid audacieux et réussi contre Ossama Ben Laden (mai 2011).

Le nom de la loi interdisant la fermeture de Guantanamo illustre parfaitement les tactiques républicaines : « Keep Terrorists out of America Act », soit loi « pour maintenir les terroristes hors des Etats-Unis ». Or en mai 2009, après plusieurs mois d’attaques républicaines, l’opinion a évolué et 65% des Américains s’opposent désormais à la fermeture de la prison. Les parlementaires démocrates, tétanisés, inquiets pour leur réélection, lâchent Obama et votent avec les Républicains contre la fermeture de Guantanamo. En décembre 2010, le Congrès ira plus loin encore par une série d’amendements à la loi de budget 2011 du Pentagone. Les nouvelles dispositions interdisent tout transfert de prisonniers de Guantanamo sur le sol américain et durcissent également les conditions de transfert à des pays étrangers, sans même parler de la libération des détenus. Obama, qui vient de subir une défaite sévère aux élections parlementaires de novembre 2010 et ne veut pas davantage s’aliéner l’opinion, renonce à la possibilité du veto (difficile sur une loi de budget militaire) et signe la loi.

Si cette décision sonne comme un important renoncement, elle sera pourtant validée par le peuple américain : pendant la campagne présidentielle de 2012, 70% des Américains disent approuver la « décision » d’Obama de maintenir la prison de Guantanamo, y compris une majorité de la base la plus à gauche du parti démocrate. De même que 83% des Américains approuvent les frappes de drones armés qu’Obama a intensifiées dans des proportions sans commune mesure avec son prédécesseur. Guantanamo et les drones armés : les deux aspects les plus controversés, du moins pour le reste du monde, de la politique antiterroriste d’Obama recueillent donc le plus d’opinions favorables au sein de la population américaine, pourtant divisée sur à peu près tout le reste. Ils ont d’ailleurs été un atout non négligeable pour la réélection du président démocrate.

Aujourd’hui, la fermeture de Guantanamo demeure pour Barack Obama un objectif à long terme – comme celui d’un monde sans armes nucléaires.


Pour une discussion plus appronfondie des enjeux juridiques et politiques de la fermeture de Guantanamo, vous pouvez réécouter la table-ronde consacrée au sujet vendredi 19 avril sur France Culture (ici).

Maya Kandel, chargée d’études à l’IRSEM.

Vous pouvez suivre Maya Kandel sur Twitter : @mayakandel_ 

5 commentaires:

  1. Toujours le mythe de la bonne et de la méchante Amérique. On n'en sort pas décidément. L'auteur comprendra peut-être un jour qu'il n'y a qu'une seule Amérique. Comme le dit si bien Brad Pitt à la fin de Cogan : “America's not a country, it's a business. Now fucking pay me.” A deadly business, serait-on tenté de rajouter.

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  2. Deux précisions importantes pour atténuer l'analyse de Maya Kandel :

    - Pourquoi le président américain n'a t'il pas utilisé son veto pour contrecarrer le Bill sur le budget annuel de la défense ?. La question reste posée. Il en avait la possibilité et ces conseillers le lui avaient suggéré cette idée. On voit bien cependant, que cette décision n'aurait pas été sans conséquences négatives pour l'armée américaine. Cependant en menacant d'apposer son veto à ce Bill, il obligeait le Sénat a fermer Guantanamo.
    On peut ainsi se demander, si le président a la volonté réelle de parvenir à la fermeture de ce pénitentier militaire.

    - On ajoutera, et c'est un point important, que le Président américain n'a certes pas pu fermer Guantanamo, mais il est parvenu à mettre fin aux interrogatoires musclés.

    Le Président américain n'est donc pas un colosse au pied d'argile comme pourrait le donner à penser le texte de Maya Kandel. Il a des pouvoirs réels qu'il peut exercer sans interférence du Congrès (Executive Orders, Emergencies Powers). L'Amérique est complexe, ne nous contentons pas d'une vision caricaturale du pays et de ses institutions.

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  3. Je crois que, s'agissant des budgets, le président n'a pas de veto partiel. C'est-à-dire qu'il ne peut refuser juste un financement pour un projet. Il doit refuser tous les financements présentés avec le budget de Guantanamo. Les parlementaires le savent bien et ont dû inclure le financement de Guantanamo avec d'autres financement qu'Obama ne pouvaient refuser.
    C'est en tout cas ce que dit Ronald Reagan écrit à propos des budgets dans ses mémoires.

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    1. Il y a aussi le fait qu'un veto du budget du Pentagone donne des arguments aux Républicains pour dénoncer un prétendu laxisme d'Obama quant à la sécurité des États-Unis.

      Bon, après c'est ce même Congrès qui n'a pas réussi à trouver autre chose que des coupes automatiques pour limiter le déficit budgétaire, mais c'est une autre histoire.

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  4. Un point me trouble : Obama pouvait anticiper cette réaction dès avant son élection, non ? Si c'est, comme je le crois, le cas, c'est un peu facile de faire des promesses et de laisser entendre qu'on n'a pu les mettre en oeuvre par la faute de quelqu'un d'autre.

    Un boxeur ne va pas se plaindre en disant qu'il aurait eu sa victoire si son adversaire avait eu la délicatesse de ne pas le combattre.

    Je me permets une remarque : j'ai l'impression que le début (mais pas la fin) de l'article s'inscrit dans un story telling très "Obama le Réformateur sincère et naïf torpillé par la hargne démesurée de ses adversaires". Une position à mon avis induite par la com' de l'équipe Obama, qui a vendu un président rénovateur aux gens (yes we can, sans bien préciser quoi) mais qui savait au fond que sa marge de manoeuvre serait des plus limitée.

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