Ceci est l’histoire d’une armée construite, entraînée et équipée pour faire face à une menace venue de l’Est et qui, en l’espace de quelques années s’est transformée en force professionnelle à vocation expéditionnaire. Cette armée, l’armée britannique de l’entre deux guerres, a ensuite été obligée de faire le chemin en sens inverse et cela s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu.
L’armée britannique de 1918 est une magnifique organisation qui est parvenue dans les cent derniers jours de la guerre à organiser magistralement une succession d’opérations très complexes. Dès 1919 cependant, les Britanniques renouent avec une petite armée d’intervention qui sera équipée selon le principe du « Ten years rule », c’est-à-dire le strict minimum s’il n’y a pas de risque majeur dans les dix ans à venir. Pour autant, de la Russie à l’Afghanistan en passant par l’Irak, les forces britanniques sont engagées partout dans monde et souvent violemment. Toutes ces opérations de « stabilisation » provoquent un surcoût qui entame le faible budget d’entraînement et dès le début des années 1920, les unités de l’Army et de la Royal Air Force (RAF) en métropole ne sont plus que de simples réservoirs de force pour les missions extérieures. L’angélisme et le Ten years rule prennent fin en 1932 avec l’invasion de la Mandchourie par les Japonais et la montée du nazisme mais le chemin du retour à la puissance militaire est difficile.
En 1933, la part du budget de la défense ne représente plus que 10,5 % du budget total du gouvernement contre 30 % en 1913 mais au cours de la même période le service de la dette est passé de 6,1 % à 21,4 %. Dans une économie en plein marasme, et alors que l’Allemagne et les Etats-Unis font le pari inverse, le Trésor freine tout augmentation de crédits pour ne pas déplaire aux marchés financiers. Ce n’est qu’à partir de 1938 que les budgets d’équipement prennent vraiment de l’ampleur mais la faiblesse des commandes a été telle pendant une quinzaine d’années que de nombreux savoir-faire industriels ont disparu. Les quelques industries restantes s’entendent pour imposer des prix élevés. Même l’industrie aéronautique, qui bénéficie pourtant de la priorité des crédits a du mal à « décoller ». Les rares ressources sont concentrées la conception de bombardiers à long rayon d’action, dont les délais de mise au point sont beaucoup plus longs que prévu. En 1931, c’est une riche aristocrate, Lady Houston, qui supplée l’absence de fond public pour financer le prototype de ce qui deviendra le Spitfire. La défense aérienne est malgré tout la seule réussite de la période.
En 1936, on renoue avec les grandes manœuvres pour découvrir que cette armée professionnelle, présente de graves lacunes. Dans les années 1918-1920, le Journal of the Royal Artillery était rempli d’articles techniques et tactiques inspirés de l’expérience récente. Au début des années 1930, il n’y a plus que des articles sur les vertus du polo et de la chasse au renard. Le seul débat existant dans les années 1920 est provoqué par les apôtres des chars qui parviennent à imposer de 1927 à 1931 la création d’une force blindée expérimentale qui ne survit pas à la crise économique. La réflexion doctrinale institutionnelle ne commence véritablement qu’en 1932 avec la commission Kirke qui se propose, enfin, de tirer les enseignements de la Grande Guerre.
Finalement lorsque le Royaume-Uni entre en guerre, il ne dispose pas de l’immense flotte de bombardiers qui lui aurait, paraît-il, permis de mettre à genoux l’Allemagne. Le corps expéditionnaire en Europe, malgré le rétablissement de la conscription quelques mois plus tôt, dépasse à peine en volume celui de 1914. Et s’il se révèle solide au combat, il est aussi particulièrement rigide. Alors que les Britanniques étaient des pionniers en matière de chars, ils ne parviennent à déployer qu’une seule division blindée et ne seront capables de produire un char efficace, le Centurion, qu’en 1945. Alors qu’ils étaient également des pionniers en matière de porte-avions, ceux-ci sont encore équipés de biplans. Pire encore, alors que la première bataille de l’Atlantique en 1917 avait failli être fatale, les Britanniques sont toujours incapables de lutter efficacement contre les U-Boots. Il faut attendre véritablement la fin 1942, et grâce à l’aide américaine, pour voir une armée britannique efficace. Jusque là, elle a surtout accumulé des désastres, dont beaucoup auraient pu être évités avec une politique de Défense d’avant guerre plus clairvoyante.
Résumé d'une fiche au chef d'état-major des armées, 2007.