|
John Boyd |
Le Military Reform
Movement est né au milieu des années 1970, a connu un grand développement
dans les années 1980 pour finalement disparaître dans les années 1990.
Ce mouvement est d’abord le résultat d’une profonde
inquiétude quant aux capacités militaires des Etats-Unis au sortir de la guerre
du Vietnam. Les forces armées sont alors entièrement professionnalisées mais
elles cumulent les échecs : libération de l’équipage du Mayaguez en 1975 (39 soldats américains
tués), fiasco du raid de libération des otages de l’ambassade américaine à
Téhéran en 1980 ; attentat de Beyrouth tuant d’un coup 241 Marines en 1983
et, à la même époque, innombrables maladresses lords de l’invasion de la
Grenade. Comme pendant la même période, l’armée soviétique multiplie les
innovations et les interventions, le sentiment e répand d’une infériorité
militaire américaine pouvant se révéler désastreuse, en particulier en
Europe.
Une première réaction survient avec la forte augmentation du
budget de la défense par l’administration Reagan mais beaucoup considèrent que
le problème n’est pas seulement budgétaire mais aussi structurel : il faut
obliger le Pentagone à se réformer.
Le noyau dur de cette guérilla politique est un groupe de membres
(jusqu’à 130) de la chambre des représentants et du Sénat, démocrates comme
républicains, associés dans un caucus
(réunion sur un intérêt commun) sur l’initiative de Gary Hart et William
Whitehurst. Le caucus s’appuie sur
les réflexions de cinq hommes : Steve Canby, ancien officier de l’Army et
consultant indépendant ; Norman Polmar, rédacteur au Jane’s Fighting Ships ; Pierre Sprey, ingénieur à l’origine du
design de l’avion A-10, et surtout l’analyste Williman Lind et le colonel en retraite John Boyd, ancien
pilote, tacticien et technicien reconnu de l’Air force. Leurs écrits et propos
souvent iconoclastes attirent l’attention des médias. Ils sont rapidement
rejoints, souvent anonymement, par de nombreux officiers mais aussi des
universitaires comme Jeffrey Record, Richard Gabriel ou Paul Savage, séduits
par leurs idées neuves. Cet ensemble, baptisé Military Reform Movement (MRM) est très informel. Il s’entend
cependant pour mettre l’accent sur ce qui apparaît comme les trois principales
faiblesses des forces armées américaines : la gestion des hommes, la
doctrine d’emploi et la politique des équipements.
Contrairement à une administration militaire plutôt orientée
par les grands programmes d’armements, la priorité du MRM est accordée à ceux qui
utilisent les armes plutôt qu’à ceux qui les fabriquent. La gestion des
nouveaux est alors calquée sur celle des fonctionnaires civils alors que pour
des questions de rationalisation des coûts de fonctionnement les unités de
combat sont déstructurées. Les soldats font alors des carrières très courtes et
leur taux de rotation dans les unités est le plus élevé au monde, près de 25 %
tous les trois mois dans les compagnies de l’US Army. La cohésion est faible. Le
MRM pousse donc à revenir à des logiques plus militaires. L’US Army, la plus
réceptive des armées aux idées des réformateurs, reconstitue le régiment comme
échelon de tradition et de gestion des ressources humaines, et lance
l’expérimentation COHORT (Cohesion,
Operational Readiness, Training) visant à garder ensemble le même personnel
d’une compagnie pendant trois ans. Au Tactical Air Command, le général Creech
réassocie avions, pilotes et mécaniciens dans des escadrilles reconstituées. La
deuxième priorité est l’entraînement, dont les moyens et surtout le réalisme sont
augmenté, grâce à la mise en place de camps comme Fort Irwin, 29 Palms ou camp
Nellis, utilisant les technologies de simulation moderne. L’enseignement
militaire supérieur est également refondu.
En attirant plus de volontaires et en les conservant plus
longtemps, Ce meilleur environnement humain, au coût de fonctionnement
apparemment plus élevé, crée un cercle
vertueux où la qualité des hommes et des unités augmente de manière bien plus
importante (mais il est vrai moins visible) que les coûts de fonctionnement.
Les réformateurs insistent ensuite beaucoup également sur la
manière de combattre, critiquant notamment vivement le FM 100-5 de 1976, le
règlement de base de l’US Army, qui se résume selon eux à une série de procédés
pour avoir le meilleur ratio de pertes contre les Soviétiques.
Par opposition à ce combat d’attrition et faisant souvent
appel aux exemples de la Wechmacht ou de Tsahal, les réformateurs prônent plutôt
le Maneuver Warfare visant à obtenir
plus de prisonniers que de tués par la destruction de la volonté et de la
capacité de combattre de l’adversaire. L’idée est surtout de s’attaquer à la structure
de commandement adverse ou à la surprendre en permanence en agissant et
réagissant plus vite qu’elle. A l’imitation des Soviétiques, on s’intéresse également
pour la première fois à l’art opératif, combinaison harmonieuse des batailles
afin d’atteindre les objectifs stratégiques. Ces réflexions aboutissent aux FM
100-5 de 1982 et surtout de 1986, dits aussi Air-Land Battle car sur
l’impulsion de la « Mafia des chasseurs », la coopération Air-Sol est
sérieusement organisée. Ces concepts, destinés à compenser un rapport de forces
défavorable, ne seront finalement pas utilisés face aux Soviétiques mais contre
les Irakiens, par deux fois avec succès, même si, au moins en 1991, on était
assez loin de la fluidité et de la prise d’initiative prônée.
Si les deux premiers axes de réflexion des réformateurs ont
été stimulants et incontestablement positifs, le troisième, une politique des équipements orientée uniquement
vers la réussite au combat, a plutôt été un échec. L’idée première était de
renoncer à l’acquisition systématique de matériels les plus sophistiqués,
souvent par simple prolongement de l’existant, au prix d’une plus grande
complexité (et donc parfois aussi d’une faible disponibilité) et surtout de
coûts exponentiels. Les réformateurs prônaient plutôt un équilibre des forces
entre quelques engins de « supériorité » et des matériels plus petits,
fiables et surtout nombreux à l’instar du chasseur F-16. Finalement, les
industriels, se sont associés aux agents de l’administration de la défense
(dont beaucoup font une deuxième carrière dans l’industrie) et utilisé les
journaux qu’ils contrôlaient pour ne rien changer aux pratiques anciennes. La
haute-technologie restait pour eux beaucoup plus prestigieuse et surtout
lucrative. L'US Air Force et plus encore l'US Army restent encore largement équipés des matériels conçus à cette époque. L'Army en particulier et à l'exception du Striker acheté sur étagère et modifié ensuite, a vu tous ses grands programmes d'équipement s'effondrer sur leur poids.
Dans les années 1990, avec la disparition de l’ennemi
soviétique et le spectacle de la victoire de 1991 le besoin de réformer la
défense se fait moins sentir et le MRM disparaît. Certains de ses membres, Newt
Gingrich et Dick Cheney, ont opportunément utilisé cette image de réformateurs pour
parfaire leur carrière politique mais sans rien changer.
Au bilan, malgré ses échecs, le MRM, par le courage et la
diversité de ses membres, a largement contribué à contrer la spirale négative
dans laquelle les forces armées étaient engagées dans les années 1970 et à
établir la nouvelle suprématie américaine. Il témoigne donc que le déclin militaire
n’est pas une fatalité pour peu que des citoyens, civils ou militaires, élus ou non, se sentent concernés.