Série Leadership troopers
Une
des failles majeures du système opérationnel israélien lors de la guerre contre
le Hezbollah à l’été 2006 a incontestablement été le soutien logistique. Dès
que les unités de Tsahal manœuvraient de quelques kilomètres, en particulier à
l’intérieur du territoire libanais, les flux logistiques basculaient dans la
confusion. La faute en revenait à un système mis en place peu de temps
auparavant et qui avait consisté à retirer tout ce qui relevait du soutien aux
unités de combat pour les confier à des bases à vocation régionale. Le système,
quoique rigide, avait fonctionné tant que bien que mal en temps de paix. Il
explosa complètement lorsque cinq brigades furent engagées au combat. A l’instar
de grandes entreprises civiles, l’armée israélienne avait adopté une
organisation matricielle, chaque bataillon relevant simultanément d’une chaine opérationnelle
et d’une chaine soutien. L’affrontement de 2006 venait de démontrer que cette
organisation n’était pas faite pour la guerre.
La
structure matricielle est apparue dès la fin des années 1950 dans l’industrie
aéronautique américaine afin de gérer des projets industriels complexes avant
de commencer à se généraliser dans les années 1980-1990. Elle se veut la
conjonction de deux systèmes traditionnels : l’organisation par fonctions
(production, commerce, recherche et développement, etc.) et l’organisation par divisions,
géographiques et/ou techniques regroupant en interne les fonctions nécessaires (par exemple automobiles, poids lourds, machines
agricoles pour un constructeur comme Renault). Le premier type d’organisation rationalise l’emploi des
ressources mais il est rigide. Il est donc plus adapté pour des entreprises
monoproductrices et évoluant dans des environnements stables. Le second type
est plus souple, chaque division disposant de ressources internes pour s’adapter,
et globalement plus résistant puisque la faillite d’une division n’engage pas
forcément l’ensemble de l’organisation au contraire des grandes fonctions. Il
est cependant plus exigeant en ressources.
L’organisation
matricielle cherche donc à cumuler les qualités des deux systèmes :
rationalisation des ressources et souplesse. Ce faisant chaque unité d’action
se trouve au croisement de deux chaines de responsabilités, fonctionnelle et
opérationnelle, sans relations de domination hiérarchique formelle l’une sur l’autre.
Le système fonctionne donc forcément de manière conflictuelle dans la mesure où
chacune de ces chaines poursuit des objectifs précis relatifs à sa structure
propre et relevant d’une logique de gestion spécifique. Ce fonctionnement par
conflit, forcément couteux en énergie et en temps, peut malgré tout être efficace
dans la mesure où, comme le décrivait Georg Simmel, le conflit est aussi un
échange d’informations. La confrontation des points de vue peut alors permettre
d’exposer des problèmes et de faciliter leur résolution. Mais le conflit peut
aussi être paralysant surtout si les deux fonctions divergent et/ou si l’une d’elle
a moins besoin de l’autre (matrice asymétrique, par exemple lorsque le soutien
a moins besoin des opérationnels que l’inverse). Dans ce cas, on assiste alors
généralement non pas au cumul des qualités mais plutôt au cumul des défauts. L’ensemble
devient confus et donc rigide (en 2011, les 286 employés du pôle des contrats
grands comptes d’Alactel-Lucent du site de Lannion devaient tous rendre compte
à 46 managers) mais aussi finalement couteux. La confusion impose souvent une re-bureaucratisation qui fait perdre tous les gains initiaux d’allègement du
soutien avec, en outre, une démotivation du personnel avec les conséquences que
cela peut avoir sur la production et les ventes.
L’organisation
matricielle ne fonctionne correctement que s’il y a convergence des chaines par
une forte culture commune, une adhésion à un projet mobilisateur et une
circulation libre de l’information. Si on en croît les travaux de Philippe d’Iribarne
(La logique de l’honneur), les
organisations françaises seraient à cet égard plutôt mal adaptées aux matrices.
Plus exactement, les situations seront très différentes selon les rapports
personnels qui auront été établis entre les principaux intervenants des deux
chaines et, de fait, dans le cadre de la matrice asymétrique décrite plus haut,
les choses dépendent beaucoup de la bonne volonté des acteurs de la chaine
fonctionnelle.
Ajoutons
enfin que ce système n’a été conçue que pour des organisations programmatiques,
au sens d’Edgar Morin, c’est-à-dire qui ne sont pas soumises à la dialectique,
sinon indirectement par le biais du marché (on n’a jamais vu, par exemple, un
commando de Peugeot-Citroën venir détruire des chaines de montage de Renault). Pour
des organisations stratégiques, où « chacun fait la loi de l’ordre »
et où il est nécessaire de s’adapter rapidement à des situations fluctuantes,
les choses sont différentes. Un système qui ne fonctionne que par le conflit en
interne peut difficilement être très efficace lorsqu’il faut affronter aussi
un adversaire extérieur à l’organisation, surtout si cet adversaire est souple
et innovant. Là où, en 2006, plus personne ne savait vraiment qui soutenait qui
du côté de Tsahal, le Hezbollah était organisé en de multiples secteurs regroupant,
sous un même chef, toutes les ressources pour combattre de manière autonome. Les
deux adversaires répétaient ainsi l’expérience de la guerre de 1870, qui avait
abouti, en France, à la loi sur l’administration de l’armée du 16 juin 1882
supprimant la distinction entre la chaine des forces et celle d’intendance pour
les placer sous l’autorité des commandants de corps d’armée et de régions
militaires. On avait bien compris, bien avant que les entreprises civiles ne s’y
essayent, que le système matriciel pouvait comprendre de nombreux défauts mais
surtout qu’il était désastreux pour faire la guerre.
Ah créer 90 bases de défense, là ou 30 suffisent, c'est beau.
RépondreSupprimerRigidité, doublon des chaines de commandements, ça ressemble à s'y méprendre aux BDD... Heureusement que tous ceux qui commandent sont uniquement guidés par l'intérêt commun et non pas par des questions d'égo, de préséance ou des calculs de carrière!
RépondreSupprimer