Pour
poursuivre avec l’analyse des opérations françaises en Kapisa-Surobi, je vous
conseille vivement la lecture de la note du chef d’escadrons Alexandre de
Féligonde publiée récemment par l’Institut de relations internationales et stratégiques :
1. Après celle menée au
Tchad de 1969 à 1975, cette campagne de contre-insurrection (COIN) en
Kapisa-Surobi n'a incontestablement pas connu le même succès, alors que
pourtant nos moyens actuels sont incomparablement supérieurs. Comment expliquer
ce décalage ?
En
premier lieu, je me garderai bien de tout jugement définitif concernant
l’action de la France en Afghanistan, notamment parce qu’il existe finalement
peu de documents accessibles sur les actions des Task Force successives, ce qui
complique singulièrement toute tentative d’explication. Peu de personnes, parmi
les militaires en particulier, disposent à ce jour d’une vision générale de
l’engagement français depuis 2001.
Pour
en revenir à la question, une première réponse simple est liée à la géographie et
au terrain : au Tchad, il s’agissait de régler le problème à l’échelle
nationale, sur un terrain éprouvant certes, mais bien davantage du point de vue
du climat que du relief. En Afghanistan, il n’a jamais été possible d’envisager
le problème dans sa globalité, mais bien de tenter de faire valoir l’action
originale d’un contingent français représentant environ 2% des forces de l’ISAF
sur un terrain montagneux très difficile qui ne couvre que 2% du territoire
afghan… Il semble en outre beaucoup plus généralement que les militaires
français n’ont jamais bien su quel objectif ils devaient atteindre, un objectif
qui soit clair, réaliste et durable. L’action a donc été passablement morcelée,
sans cohérence d’ensemble, poursuivant même parfois des objectifs antagonistes.
Placées
au sein d’une chaîne hiérarchique simple et française au Tchad, les troupes
françaises étaient en revanche sous les ordres du Regional Command East en
Afghanistan, tentant en permanence de concilier les ordres de la hiérarchie
américaine avec ceux reçus directement de Paris, ce qui est loin d’être idéal
en termes de cohérence. La médiatisation de ces deux opérations était également
très différente. Les Français étaient à peine au courant du conflit tchadien,
mais ont découvert en revanche, de façon douloureuse parfois, la réalité de
l’engagement de leurs soldats en Afghanistan. Il est certain qu’il est
souhaitable que la population française connaisse les engagements de ses
soldats, mais on ne peut que constater que cette médiatisation a pour
conséquence de limiter fortement la liberté d’action des autorités politiques
et donc militaires. Enfin, nous avons certes aujourd’hui des moyens
incomparablement supérieurs à ceux que possédaient nos anciens du Tchad, mais
la « guerre au milieu des populations » a un effet égalisateur entre les
adversaires, en particulier parce que les insurgés se distinguent difficilement
des simples civils. Le fait de disposer de davantage de moyens n’a de toute
façon jamais donné la victoire, si leur utilisation n’est pas optimisée.
Paradoxalement, la supériorité technologique peut même s’avérer être une faiblesse
dans ce type de conflits.
2. Les procédés que vous
évoquez ne sont finalement pas nouveaux. Alors que la France est présente en
Afghanistan depuis 2001, pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps et
autant de tâtonnements avant de les redécouvrir ?
Il
faut bien avouer qu’une bonne partie des procédés théoriques était à la
disposition des responsables militaires français, à condition d’un bon
dépoussiérage destiné en premier lieu à adapter les pratiques aux réalités du
moment. Une première explication peut être que nous avons été intoxiqués par ce
qui a été décrit par beaucoup d’auteurs, américains notamment, comme un nouveau
type de guerre, oubliant complètement tous les conflits similaires du passé.
Paradoxalement, les Français ont redécouvert des auteurs majeurs comme Galula
par exemple grâce aux Américains. Au passage, il faut noter que ce dernier a
tiré de nombreux enseignements des opérations en Algérie, qui était alors
territoire français, aux règles juridiques spécifiques et dans tous les cas
très différentes de celles s’appliquant en Afghanistan.
De façon pratique, il
faut constater que, quels que soient les mérites des contingents français qui se
sont succédés en Afghanistan entre 2001 et 2008, leurs missions étaient loin
d’être aussi dures que celles des Britanniques ou des Américains à la même
période. Ce n’est qu’à partir de 2008 que les Français ont redécouvert la
guerre : il suffit pour s’en convaincre de comparer des photos de soldats en
patrouille en 2004 et en 2010 par exemple. Ce n’est que quand la France a pris
la responsabilité de la Kapisa-Surobi et que les combats se sont vraiment
durcis, qu’il a fallu trouver des solutions doctrinales. C’est ce qui explique
également le succès de modes d’action très américains comme la COIN (Counter-insurgency). En effet, ceux qui
possédaient une belle connaissance de la guerre, en Irak et en Afghanistan au
premier chef, nourrie d’une riche expérience et à grande échelle, c’étaient
alors bien les Américains. Et les tâtonnements français étaient naturels, alors
même que leurs maîtres en doctrine américains ont eu des résultats quelque peu
décevants si l’on considère les objectifs initiaux.
3. Vous évoquez
l'incapacité à établir une réelle présence auprès de la population mais cela
est-il compatible avec les impératifs de "protection de la force" ?
Il
me semble d’abord que la population française n’est pas si sensible qu’on le
dit concernant les pertes de soldats en opérations, à condition qu’elle
comprenne le sens de leur engagement et que celui-ci lui semble juste (on en
revient ainsi à la nécessaire définition de l’objectif poursuivi). Les Français
conçoivent à mon sens encore aujourd’hui que l’engagement d’un soldat peut
s’achever par sa mort au combat. Pour en revenir à des considérations plus
tactiques, la protection d’une force ne se fait pas par la « bunkérisation »,
l’enfermement dans des camps ultra-sécurisés, d’abord parce que c’est en grande
partie inefficace (il est toujours possible pour un adversaire résolu
d’exploiter les failles d’un système de sécurité et de causer des pertes), mais
aussi parce que cela coupe les forces de la population, qui est un enjeu du
conflit.
L’initiative
crée la sécurité pour utiliser une formule un peu facile. Si l’adversaire ne
sait jamais d’où, quand et comment va venir la menace, il devient alors
beaucoup moins dangereux. Autrement dit, la prise de risques mesurée peut faire
diminuer la menace globale. Si l’on considère maintenant l’équipement
individuel, on constate qu’il est beaucoup plus difficile de neutraliser un
soldat doté de protections individuelles, mais qu’il perd ainsi de façon
concomitante une bonne partie de son aptitude à la manœuvre : comment un homme
avec 40 kg sur le dos pourrait-il rivaliser avec un insurgé équipé d’une simple
Kalachnikov ? Plus léger, mais plus agile, le soldat serait en mesure de
surprendre à nouveau l’adversaire et de faire diminuer la menace qu’il
représente. Bien évidemment, il serait également beaucoup plus accessible pour
la population locale car perçu comme moins menaçant.
En complément : Kapisa,
Kalashnikovs et Korrigan de Guillaume Lasconjarias, cahier de l’Irsem n°9
(2011).
Aurais-je mal compris la fin du post ?
RépondreSupprimerOn en est encore à la comparaison du poids et de l'équipement entre les combattants..."Ils sont plus agiles, ils courent plus vite"...Très franchement, ce n'est pas sérieux.
On passe brutalement d'une explication opérative ou même tactique à des considérations micro-tactiques. Comment peut-on encore ressortir le vieux schéma du "soldat mieux perçu car moins menaçant" car "sans gilet pare balles ou sans lunettes de protection" pour parler "aux vieux messieurs si sages" ? N'a-t-on rien compris de ce conflit , comme de celui de l'Irak ? Quand on pense à ceux qui en 2003 vantaient tant l'expérience brit à BASSORAH (sans casque, en béret pour "faire baisser la tension", "comme nous en Afrique"...). Vous connaissez la suite quand sont revenus les miliciens de l'Armée du Mahdi....
L'auteur a-t-il réellement mis les pieds en ASTAN ? Je veux dire sur le terrain....
L'expérience de la "lune de miel" en Irlande du Nord en 1969 montre que lorsque la volonté de combattre (par la guerilla, le terrorisme, etc) existe, ce n'est pas parce les soldats de la Force aident les ménagères à traverser la rue, qu'ils se balladent en land rover non blindées, etc, que cela changera quelque chose. S'il y a des raisons de se battre, et des hommes prêts à le faire, n'accusez pas les soldats sur le terrain de servir de détonateur...
Pour rebondir sur votre post précedent, bien sûr il faut occuper le terrain, mais c'est épuisant, surtout en été. Et il faut des effectifs. Sans faire appel à l'armée locale, à des personnels recrutés sur place, c'est perdu d'avance. Pour gagner, il faut d'abord "tenir plus longtemps que l'autre". Et pour cela, il faut une volonté politique, le moyen d'économiser les pertes, laisser l'insurrection se lasser et lasser la population. C'est long, c'est dur, c'est parfois désespérant, mais c'est la meilleurs solution. C'est ce qu'on fait les brits en Irlande du Nord. C'est le message des armées locales. Si parfois les gouvernementaux ne cherchent pas le fond de vallée, s'ils semblent refuser le combat et temporiser, etc, c'est qu'ils savent qu'il va falloir durer... Que cela va prendre du temps. Pas six mois, le temps d'un mandat, ou d'un "tour en OPEX"....Quant à la COIN de GALULA et tout le reste...Et si c'était encore une belle histoire racontée, une "story telling"...à destination des journalistes, des intellectuels, des autres contingents ? Demandez à des officiers US du niveau bataillon s'ils connaissent ?
Nous n'avons pas fini d'en débattre...
Vu que l'engagement français en Afghanistan n'était que de pure raison diplomatique (faire de la lèche au maître US), nos officiers n'ont guère d'autre choix que de se pignoler sur des considérations micro-tactiques vu que c'est qu'ils ont fait en A-Stan : de la tactique de détail, i.e. le plus bas niveau de la guerre. Le jour où ils devront livrer une vraie guerre, ça va faire mal.
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec Anonyme, sur la masse de connerie écrite (nous compris),l'essentiel restera d'être ensemble, manoeuvre vite, de tirer le premier, de re-maoeuvrer vite, avoir à bouffer, de l'eau et des munitions et quelque part des amies qui nous parlent. La protection bien sur "face à du 14.5 je préfère courire)
RépondreSupprimerCitoyen garder des espoirs ? ! bonne fête à tous....
Vu de mon clavier, le poids me paraît important, pour esquiver, se planquer, contourner, crapahuter, endurer... Nos soldats ont beau faire de la muscu, quelle est la fréquence d'utilisation de certaines de leurs dotations ? J'imagine que certains ont procédé à des arbitrages avant de partir en opération. Mais bon, je ne suis pas soldat.
RépondreSupprimerPar contre, un élément que je n'ai pas vu discuté ici me semble d'importance : la langue, la capacité réelle à échanger avec la population, à nouer des liens autrement que par le filtre d'un interprète qui n'est pas forcément de la bonne ethnie, qui gomme mécaniquement certaines informations ou subtilités, etc... Au Tchad, les troupes françaises pouvaient certainement converser directement avec une bonne partie des habitants, ou avec des prisonniers. Qu'en était-il en Afghanistan ? M'est avis que ces capacités étaient réduites ou inexistantes pour des troupes effectuant des mandats de 6 mois.
J'ignore s'il est seulement envisagé de qualifier ou de quantifier les conséquences de cette incapacité, mais je doute qu'elles soient nulles. Impossible de se faire aider par l'ami d'opportunité, impossible de déceler certaines menaces verbales, certains bobards, impossible de demander quoi que ce soit aux "neutres"... Dans une guerre de contre-insurrection, ça me semble être un sérieux handicap.
Pas de langue commune, pas de culture commune (si ce n'est l'admiration des elites afghanes pour la France, et plutot celle de la commune que de la monarchie de droit divin!), pas de destin commun non plus. Il restait le partage des souffrances inherentes au milieu afghan lui meme. En se bunkerisant, en s'americanisant, les francais ont choisi un modele qu'ils n'ont pas les moyens de tenir, et le retour de cette campagne va etre tres douloureux. Car l'appui aerien, les mouvements humains et logistiques ont ete llargement fournis par le Grand allie. Et comme en France il n'y a eu aucun debat reel sur le role strategique de la France sur place, le niveau de pensee militaire n'a pas depasse le niveau tactique encore que partiellement (absence d'une bonne partie des fonctions operationnelles du perimetre francais). Pire, car dans ce cercle vicieux il y a pire, la defiance des plus hauts grades envers l'OTAN n'ayant d'egale que celle des gouvernants actuels, tout debat de fond sur une action nationale dans l'organisation est banni. Bref, il restera de la campagne afghane de belles photos, des malheurs individuels (trop nombreux helas), et de beaux placards de decorations comme toujours attribues un peu au hasard. Il n'a jamais ete question de la bravoure de nos spldats dans nos medias! De devoir, de sens sacre de la mission, de "French touch", oh que oui, mais a l'heure ou toute action collective desinteressee ne put qu'etre pacifiste (meme les delires de Jaures en 1911 preparant les millions de victimes milktaires et civiles du premier conflit mondial se paraient d'amour de la paix), le courage des forces, leur maitrise, leur ardeur guerriere ont ete occultees. Pire, vu de l'interieur, ces valeurs sont en voie de disparition. Sacrifice oui, courage non! Resilience oui encore agressivite non plus! La lecon de l'Afghanistan, les elites civiles francaises ne veulent plus faire de guerre, et celle des armees ne savent plus les faire, noyees qu'elles sont entre contradiction et administration galopante!
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