Alors que, sans
même attendre les conclusions du nouveau Livre Blanc, les difficultés
budgétaires vont conduire à planifier
une nouvelle attrition des effectifs et des moyens des armées, il faut s'interroger
sur un discours qui commence à fleurir ici et là dans les cercles initiés et
moins initiés : celui de l'échec de la projection de forces, c’est-à-dire du
déploiement de forces terrestres dans la gestion des crises, et,
concomitamment, celui des vertus de la projection de puissance, qui permet par les seules frappes ,
chirurgicales ou massives, de conduire à résipiscence un adversaire terrestre
sensé ployer sous l'effet destructeur d'un feu délivré à distance par des
vecteurs de haute technologie. Pour compenser l'absence d'engagement au sol, la
panacée serait de compléter la projection de puissance par l'emploi de forces
spéciales qu'il conviendrait donc de développer tandis que l'on taillerait
allégrement dans ce qui nous reste de forces terrestres conventionnelles.
Tout ceci
mérite examen, car il en va d'un potentiel abandon de capacités qui relève de la
manipulation intellectuelle.
Certes, la
projection de puissance sans la projection de forces présente deux avantages
majeurs pour les autorités politiques :
-le
premier est, par le non-engagement de forces au sol, de limiter au maximum la
prise de risque et l'enlisement, ce qui, au royaume du principe de
précaution, apparaît comme l'alpha et
l'omega de l'intervention militaire,
-le
second est de donner la priorité budgétaire aux capacités aériennes et aéronavales, sanctuaires de la
haute technologie et donc de la supériorité occidentale et, accessoirement,
moteurs d'une industrie de défense qu'il est indispensable de soutenir et
conforter compte tenu de son impact économique.
Pour étayer ces
deux idées fortes, deux arguments apparemment irréfutables : l'exemple de
l'engagement en Lybie et l'orientation prise récemment sous la contrainte
budgétaire par les Etats-Unis qui ont clairement affiché la priorité qu'ils
accorderont dans le futur à la projection de puissance au détriment de leurs
capacités de projection de forces. Les Etats-Unis considèrent désormais qu'il
convient de limiter au maximum le "footprint", l'empreinte terrestre
et toutes ses malédictions, et de se contenter d'utiliser les éléments
terrestres "indigènes" favorables, en les aidant directement au sol
par des actions ciblées des seules forces spéciales. Lesquelles ne nécessitent
pas d'effectifs pléthoriques et ont, du
fait de leur caractère "spécial", l'immense mérite de mener des
actions confidentielles et ne nécessitant aucune explication auprès de
l'opinion publique, que ce soit pour la décision de leur engagement, leur
emploi ou leurs éventuelles pertes. Secret d'Etat bien commode pour des
politiques confrontés aux charmes de la démocratie d'opinion.
Cette approche
des questions de défense a donc de quoi séduire les cercles politiques
occidentaux, mais elle s'appuie sur des analyses biaisées, sciemment ou non,
pour en faire la solution à notre problème d'adéquation entre ressources et
moyens.
Que peut-on en
effet observer?
-sur
le plan opérationnel, la seule supériorité des feux n'a jamais permis de
vaincre un adversaire résolu, en particulier dans les conflits asymétriques.
Israël en a fait la douloureuse expérience au Liban. Par ailleurs, sans
engagement au sol, il n'y a pas de contrôle réel de la situation et la liberté
d'action des autorités politiques intervenant dans la crise est totalement
tributaire de l'agenda et du bon vouloir des forces terrestres autochtones soutenues,
comme cela a été le cas pour l'intervention en Lybie. On peut ajouter à cette
carence critique l'absence totale de maîtrise du désordre qui suit
inéluctablement toute bascule politique dans une région en crise, avec en
corollaire l'épineuse question du contrôle
des armements amassés par le pouvoir déchu : les flux d'armes détenues
par Kadhafi et qui alimentent désormais les irrédentistes et islamistes
sahéliens en sont une belle illustration. Limitée à la seule projection de puissance,
la "victoire" est porteuse de bien des déconvenues… En fait ce n'est
pas dans le déclenchement d'une intervention mais bien dans la gestion du vide
qui s'ensuit que se joue le salut de la population que l'on aspire à soutenir
dans sa quête de liberté et ce vide ne peut être géré sans force terrestre de
sécurité.
-sur
le plan capacitaire, le réalisme commande de bien mesurer ce qu'implique une
augmentation du format de nos forces spéciales. Les missions de ces forces
n'ont rien à voir avec celles des forces terrestres conventionnelles et ne
peuvent donc s'y substituer. Dans tous les pays, la ressource humaine répondant
aux exigences de ces forces hautement qualifiées est plus que limitée, sauf à
en dégrader la qualité. Enfin, la formation et la préparation opérationnelle
des unités sont extrêmement coûteuses. Ceci a d'ailleurs conduit en France
comme au Royaume Uni à limiter drastiquement leur format à leurs capacités
actuelles.
-sur
le plan politique, notre siège au Conseil de Sécurité de l'ONU est tributaire
de notre capacité à engager des forces terrestres dans les opérations de cette
organisation. Minimiser cet atout serait fragiliser encore plus ce privilège très
contesté. Faut-il rappeler que, du fait de nos contributions dans les
engagements terrestres, le poste de DOMP *, poste d'influence majeure, est
systématiquement attribué à un diplomate français ? Au-delà, nombre
d'opérations extérieures relèvent du devoir de protéger ou du droit d'ingérence
humanitaire, même s'il ne s'agit souvent que d'utiliser ces références pour préserver des intérêts stratégiques ou
de puissance : seules les forces terrestres peuvent combiner sécurisation et
action humanitaire sur le terrain. On ne fait pas de l'humanitaire avec un
Rafale... Par ailleurs, est-il nécessaire
de rappeler que la dégradation éventuelle de notre sécurité intérieure pourrait
impliquer l'engagement de forces terrestres rompues à la gestion des crises et
à la maîtrise de la violence ?
Et ce n'est pas
dans la prétendue incapacité des forces terrestres à
"vaincre" qu'il faut rechercher les causes des difficultés
rencontrées dans les opérations extérieures, difficultés censées justifier un recentrage sur la seule
projection de puissance. Le problème est plus politique que militaire.
Au niveau international,
le vague ou l'irréalisme des mandats
émis par l'ONU pour obtenir le consensus nécessaire au déclenchement
d'une intervention, l'hétérogénéité des coalitions et la sous-estimation
systématique des effectifs à engager pour obtenir l'effet recherché, sont
autant de facteurs limitant le réel
pouvoir de décision des forces sur le terrain. De plus, rétablir la normalité
dans une région en crise exige de la constance dans la durée, ce qui n'est pas
la qualité majeure des politiques occidentaux confrontés à des opinions
publiques versatiles. Notons que cette durée implique une capacité de relève
des unités engagées, ce qui interdit un format ne permettant qu'une stratégie
du "coup de poing" ponctuel et impose de disposer d'un réservoir de
forces trois à quatre fois supérieur à l'effectif à engager.
Au niveau
national, la limitation de la prise de risque, que va accroître la
judiciarisation des opérations, l'emploi très restrictif de la puissance de feu
lorsque celle-ci est nécessaire, voire l'interdiction de sortir des bases pour
ne pas subir de pertes, comme cela est le cas en Afghanistan, dégradent
totalement les capacités d'action des forces terrestres.
Ce n'est donc
pas l'outil qui est en cause, mais bien l'emploi qu'en font les autorités
politiques occidentales et en particulier européennes. Faut-il rappeler que les
forces d'intervention ne sont qu'un des moyens, certes totalement
indispensable, dont dispose la
communauté internationale pour résoudre une crise et que lorsque la conjugaison
des moyens ne fonctionne pas, il est vain d'espérer le succès d'une opération ?
Aussi, si nous
n'avons plus le courage d'intervenir au sol et autrement qu'à "distance de
sécurité", nous devons avoir le courage, même si les économies réalisées
ne seront in fine qu'assez modestes au regard des gouffres budgétaires, de
supprimer nos forces terrestres, car elles ont atteint un seuil en deçà duquel
leur cohérence comme leurs capacités seraient plus que gravement obérées. Mais
il faudra en mesurer toutes les conséquences pour le rang et les ambitions de
notre pays et de l'Europe.
"exige de la constance dans la durée, ce qui n'est pas la qualité majeure des politiques occidentaux confrontés à des opinions publiques versatiles"
RépondreSupprimerVotre phrase, mon Général, suggère avec raison que nos politiques sont incapables d'imaginer qu'ils peuvent faire preuve de courage moral comme Churchill, de Gaulle, ou plus proche de nous Tatcher, et donc amener leur opinion publique au niveau de réflexion et d'anticipation qui est (ou devrait être) le leur, surtout dans la durée. Pour cela, il suffirait d'expliquer aux électeurs ce qui est en jeu, et obtenir l'accord de l'Assemblée. On en est loin! Et en effet, la classe politique dans son ensemble, issue pour sa plus grande part de mai 68, ne comprend pas qu'en démocratie, 1°) expliquer au peuple pour en obtenir l'adhésion, en dehors de toute politique partisane, n'est pas déchoir,
2°) en appeler aux Armées pour qu'elles accomplissent la mission qui est la leur, n'est pas signe de dictature,
3°) prévoir de doter ces mêmes Armées des moyens dont elles ont besoin pour assurer la sécurité du pays et de ses intérêts partout dans le Monde, est la première de leurs obligation, avant même celle de l'Education (bien imparfaite), de la Justice (toujours floue), de la Police, etc... Ceci, même au risque de ne pas être réélu pour un nouveau mandat (mais dans ce cas c'est que le défaut d'explications a été flagrant).
Juste une précision concernant les Forces Spéciales US, SOCOM [Special Operation Command] devrait avoisiner les 71 000 personnes en 2015 ...De plus, je n'ai pas l'impression que les USA abandonnent la notion de projection de force. Ils sont en train de rédiger a Joint Concept for Entry Operation qui est le complément de l’Air Sea Battle [qui semblait mettre en avant la projection de puissance].
RépondreSupprimerTrès clairement, le général Thomann a bien ressenti ce danger qui guette en ce moment les forces conventionnelles (il a lui-même, je crois, commandé les Forces Terrestres françaises). L'accusation d'inéfficacité des "boots on the ground" alors qu'a contrario, tout est (croit-on) possible pour les F.S. en coordination avec l'aviation, les drones, etc, bref les frappes à distance.
RépondreSupprimerSans revenir sur les divers arguments, je crois qu'il est absolumment nécessaire pour les Forces Conventionnelles (je l'ai dit dans d'autres post) de s'adapter à cette nouvelle donne. Il ne s'agit pas de renier l'engagement au sol, "on ne plante pas un drapeau avec un avion" dit le général Pellegrini, ex commandant de la FINUL en 2006, mais de concevoir de nouveaux modes d'action avec des unités reformatées. ce défi est essentiel. Pour ma part, je suis persuadé qu'il faut revenir à des unités plus petites (pas moins protégées ou moins blindées) mais plus souples, plus mobiles, moins dépendantes de la logistique et allégées de la pesante administration militaire (halte à la projection des inutiles...et il y a de la marge...). il appartient aux officiers des forces conventionnelles de trouver des solutions pour diminuer la taille des unités, et donc de les multiplier. Il y a trop d'états-majors inutiles, trop de "militaires du tertiaire" alors qu'il nous faut du "secondaire". A l'instar des panzers en 1939 redonnant le primat à la manoeuvre contre "les armées en tranchée", il faut retrouver une liberté d'action. C'est le défi des Forces conventionnelles, sinon elle monteront la garde à l'aéroport...
L’argent est le nerf de la guerre n’est-il pas ? Ors depuis l’été 2011, la chute de la capitalisation boursière des banques en dessous de leur prix comptable réglementaire, manifeste explicitement la décohérence systémique. Les marchés financiers ne croient plus que les banques puissent remplir leurs engagements contractuels et les budgets publics ne sont plus maîtrisés à cause du rachat incontrôlable des pertes financières par la dette publique. Un cercle vicieux bien connu du public maintenant …
RépondreSupprimerPendant ce temps, selon le très sérieux et très britannique journal, The Economist, la Suisse « accueillerait » plus de 2.000 milliards de capitaux fuyant le fisc (dont plus de 1.000 venant d’Europe), suivie par la Grande-Bretagne, l’Irlande et les îles britanniques (1.900 milliards, dont 750 venant d’Europe). Puis, suivent les Caraïbes et Panama (900), Hong-Kong et Singapour (900), les Etats-Unis (700) et le Luxembourg (600). En tout, cela représente 3.000 milliards de capitaux européens !
Bref, les pertes fiscales pour un pays comme la France représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros !
Malheureusement, la libre circulation des capitaux, la prunelle des yeux de l’UE, est le meilleur allié des paradis fiscaux. Car comment contrôler une évasion fiscale massive si les capitaux peuvent ignorer les frontières et se déplacer à leur guise ?
L’environnement financier ne nous laisse donc aucun autre choix que le désarmement du pays. Et il y a en cela une certaine cohérence avouons-le. Si l’impôt qui est à la base de toute organisation sociale disparaît, il ne peut qu’entraîner avec lui les moyens régaliens qui assurent la sauvegarde de la nation.
Le Prussien a dit que la guerre est la continuité de la politique par d’autres moyens. Alors, même si le mauvais souvenir d’un « quarteron de généraux à la retraite » n’est pas si éloigné, la situation économique et social de notre pays exige sans doute que l’Armée se pose une question essentiellement politique : qui sont nos véritables ennemis et où sont-ils ?
Vous avez tout résumé camarade. Il est bien beau de s'interroger sur la précarisation de nos capacités à tenir une OPEX sans se poser la question de la trahison du politique vis à vis de l'intérêt national (sciemment biffé par l'idéologie fédérale et ultralibérale de l'UE qui a peu de souci pour les puissances "nationales").
Supprimer@rb
RépondreSupprimerVotre analyse est judicieuse,et les deux commissions nommées,livre blanc,et otan ne sont que brouhaha pour mieux cacher ,et tromper ,l'enorme hemorragie que la défense nationale Francaise va subir dans les cinq années a venir.
Je doute qu'une forme de pronunciamento s'éleve contre cet etat de fait.Tuer la défense ne va pas rendre les autres compartiments de l'état France plus viables.
Trois années en arrière,j'estimais que le siège au conseil de sécurité
etait menacé dans les dix ans a venir,avec la futur défense confetti c'est plus que certain,mais qui accabler,tous les pouvoirs politiques
successifs, qui ce sont commis et soumis aux grands financiers
Avant tout nous ne gagnons pas manque d’effectif, rien que pour sécuriser un pays comme la France en paix et développé il nous faut un ratio de 110 000 policiers, 90 000 Gendarmes 20 000 douanier, 22 000 Agents pénitenciers, 100 000 agents de surveillance privés, 20 000 Policiers municipaux, 5 000 militaires de Vigipirate résumons : 367 000 hommes pour 62 millions d’habitants, donc pour l’Afghanistan 30 millions d’habitants en guerre combien d’hommes ? OTAN 130 000 hommes et armée Afghane 140 000 Hommes tout va bien.
RépondreSupprimerRevenons à nos moutons, l'organisation de nos forces et une stratégie de puissance (la guerre de la grande "gueule") Une bonne stratégie commence par maîtriser son métier, et avoir une bonne caisse à outil, avec de bon outils; une projection de puissance revient au concept inepte de l'outil unique qui fait tout en l’occurrence le marteau (voir un petit marteau) Le bon dosage d’une armée est simple compter 1% de forces spéciales, 10% de forces d'élites, 89% de forces conventionnelles voilà le ratio et pas le choix tous ces hommes et femmes sont rares.
Grenadier de la Garde a raison, la taille des unités doit être revue et revenir à des unités plus nombreuses, plus souples, plus autonomes, mais puissantes, les équiper de matériels qui s’adaptent aux unités et non pas l'inverse.
1 chef avec son unité C3C, contrôle 5 pions et ceci de la plus petite à la plus grosse unité.
Quant aux "brousouf" il n'y en a plus, pas la peine de pleurer, nous pouvons quand même garder une belle armée efficace et cela sans désarmer. La puissance ce n'est pas jeter des trucs et ce dire toi tu n'as pas le droit de toucher à mon sanctuaire, jeter ! Cela vous revient toujours dans la "trombine" par contre projeter de l'humain humain il en reste toujours quelque chose.
À oui arrêté de vous faire des idées avec les forces des zamies locaux, nous formons peut être nos adversaires de demain alors que nous n'aurons plus d'armée ! Formé plutôt des "Franchouillards".
Houaaaa ! Notre seul espoir une Armée Européenne.
Citoyen Européen ! zzzzzzzzzzz
Et si on laissait tomber le conseil de sécurité de l'onu? Privilège contesté légitimement pour la France comme pour les autres!
RépondreSupprimer