mercredi 4 juillet 2012

BH-A quoi peut bien rêver un officier de réserve spécialiste d’Etat-major ? (1/2)-Jacques Soulhier


Activer la réserve est en général un geste de sécurité pour terminer un parcours avéré plus exigeant que prévu. Difficile, lorsqu’on aime voir distinguée sa faculté d’anticipation, reconnaître devoir compter sur la réserve. Or parler de la réserve militaire aujourd’hui, c’est, souvent, évoquer ce soutien pour rejoindre la station. Je rêve pourtant de voir se réaliser ce vieux rêve du plan Armées 2000 : non seulement un complément à flux tendu pour le temps ordinaire, mais une réserve professionnalisée, engagée aux côtés de l’active, l’accompagnant dans de nouveaux défis, à l’heure d’une redéfinition des conflits, de nouvelles crises, de nouvelles perspective d’engagement. Des militaires à temps partiel, dont l’emploi serait un acte réflexe.

La réserve a aujourd’hui besoin de voir ses missions redéfinies, adaptées aux nouveaux scénarios de crise. Sa filiation avec les unités d’active doit être reconnue, renforcée, entretenue, les parcours des officiers du complément individuel, mis à l’épreuve de situation réelle. Pour cela, il y a aujourd’hui nécessité de briser deux murs de verre. Le premier est celui qui existe dans les régiments entre les filières « commandement » et « état-major ». Le second sépare officiers d’active soucieux de préserver cohérence des troupes et identité de leur statut, et des cadres de réserve à même de pouvoir, un temps dans leur vie, pleinement leurs compétences au profit d’une institution dans son ensemble, sous formes de contrats courts, définis et reconnus.  

Des composantes autonomes et intégrées

Au lieu de cela, bien souvent nous restons à la maison, pour garder la maison. Lothar, Martin, Erika, Xynthia : les corvées «bois et mazout» trouvent à nous exercer, lorsque cela a été prévu, qu’on se souvient de nous, que nos appels aboutissent à une personne qui nous connaisse, un chef qui veuille bien prendre le risque de nous employer.  Certains chefs de corps ont compris l’avantage d’avoir une composante de réserve autonome, dans ses moyens, ses missions, son recrutement, de pouvoir ainsi compter sur sa réactivité. D’autres, moins. A défaut de hanter les quartiers, le syndrome des « Scouts du hangar B » est présent dans encore bien des esprits. Mettre à profit son temps libre le week-end pour faire ce que d’autres font la semaine reste  mal considéré. Or si notre vraie vie est ailleurs, l’armée est aussi notre métier. Pour nous, plus que quiconque, l’armée est bien plus qu’un métier.  

Un statut particulier

Il y a un « iste » dans réserviste. Un suffixe qui éveille, chez les civils comme les militaires, le doute, le soupçon : celui d’un discours plus que de l’action, d’une idéologie, plus que d’un idéal. Pourtant, l’ idéal républicain, les soldats de réserve, militaires à temps partiel, prémices d’une nation en armes, ont toujours su le défendre, l’opposer avec succès aux caprices de l’histoire. Si la formation d’un officier de réserve est (était?) bien plus longue que celle d’un(e) officier sous contrat (OSC) aujourd’hui, sa carrière l’est tout autant.  Avant de pouvoir prétendre au grade d’officier supérieur un jeune sous-lieutenant choisissant la voie « état-major » pourra aisément servir  jusqu’à 7 ou 8 chefs de corps, et au moins autant de chefs de bureau opérations-instruction (BOI).

Nous avons relevé le défi de la fin de conscription en allant chercher les grenadiers-voltigeurs qui nous faisaient défaut, en formant nos cadres, en jouant le jeu de formations exigeantes qui nous emmènent  longtemps loin de foyers où bien souvent cet aspect ne faisait pas partie du contrat de base. Nous convainquons nos employeurs, partons souvent sur nos congés. Nous n’en retirons d’autre bénéfice que notre solde, à l’indice de base, (depuis peu) sans autre perspective d’avancement et de décorations que ce que nous, composante réserve, voudrons bien nous octroyer entre nous. Le danger de voire grandir une réserve « hors-sol », juste présente le week-end dans des quartiers déserts, est à nouveau présent.  Or Darwin a démontré que loin du berceau initial, une espèce développait de nouvelles caractéristiques, pour devenir quelque chose d’autre.

Le cimetière des éléphants

Cette situation concerne les unités de réserve, mais plus encore la filière Etat-major : le complément individuel. A part (se) former, (s’) instruire, quels débouchés ?

Nos compétences, acquises grâce à l’excellence de la formation ORSEM (pour ceux qui ont la chance d’habiter près d’une grande ville, mieux, près de Paris encore mieux, à Paris, c’est bien), reconnues, nous amènent à garnir les cellules lors des exercices. Voilà. Certains régiments emploient quelques officiers volontaires pour remplacer un départ, une absence, mais cela reste marginal. Loin du sérail de l’active mais à ses côtés, près du terrain où s’ébrouent nos GV le WE, mais juste un peu trop loin, il y a peu de perspective d’évolution pour le complément individuel.

Officiers de complément, garnissant jusqu’à 30 % des postes d’un centre opérationnel, il n’est pourtant d’exercice qui ne puisse être mené sans leur concours. Lorsqu’un jeune commandant d’unité sortant arrive au BOI pour se frotter aux dures réalités de l’administration, tout en préparant un diplôme, son chef de BOI est heureux de pouvoir lui faire bénéficier de la présence d’un ORSEM. Lorsque les engagements se multiplient à la surface du globe, la présence de la réserve devient une nécessité pour maintenir le taux d’opérabilité d’un régiment. Lorsqu’enfin arrive la bascule, dans la douceur d’une fin d’été, quel colonel n’est pas heureux de pouvoir confier à quelques cadres de réserve les clefs de son BOI pour accueillir les nouveaux arrivants ?

Vue depuis la réserve, l’image des officiers du complément individuel (CI) est moins idyllique. Qu’importe qu’ils aient commandé ailleurs, ou, pire, soient partis en OPEX, les officiers du CI ne sont décrits que comme les alliés objectifs d’une strasse, prompts à frémir, (et c’est tant mieux), lorsqu’on préfèrerait voir le « terrain » excuser certaines libertés. Plus limitatif, le complément individuel n’est envisagé, pour les cadres d’unités de réserve, que comme un cimetière des éléphants, où d’anciens commandants d’unité, frappés d’épectase, tenteront de conclure les pactes noués en unité, pour ravir 1/ le poste de chef du CI, 2/ celui d’officier adjoint réserve (OAR). Vaste programme.

(à suivre)

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