mardi 17 juillet 2012

BH-L'armée invisible


Une des plus grandes découvertes astronomiques du XXe siècle a eu lieu dans la nuit du 23 février 1987. Cette nuit-là trois astronomes amateurs en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Chili observèrent la supernova d’une étoile en périphérie de la nébuleuse de la Tarentule. La conjonction de ces trois observations et la détection par l’observatoire japonais Kamiokande II d’une bouffée anormale de neutrinos permis de confirmer l’hypothèse de l’émission massive de ces particules subatomiques lors des explosions stellaires.

Cette date marque le début d’une fructueuse coopération entre professionnels et amateurs (Pro-Am) en matière d’astronomie. Cette coopération a été rendu possible techniquement par le développement de télescopes peu couteux et aussi performants que les télescopes énormes d’il y a cent ans, puis élargie encore par la capacité à transmettre les informations par Internet. Elle a possible aussi sociologiquement par l’acceptation et la reconnaissance du travail des amateurs passionnées par les professionnels. On a pu ainsi associer la puissance de moyens professionnels lourds et couteux à la masse des observations et des capacités de calcul de centaines de milliers d’amateurs et de leurs ordinateurs. Depuis, la Nasa emploie régulièrement ces bénévoles. Huit-cent d’entre aux scrutent ainsi en permanence certains astéroïdes susceptibles de se diriger vers la terre alors que 500 000 autres prêtent les capacités inutilisées de leurs ordinateurs pour le décèlement éventuel de signaux extra-terrestres dans le cadre du programme SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence).

Qu’est-ce qui empêche les armées de faire aussi appel à cette intelligence collective et bénévole, pour peu qu’elle soit payée en retour d’un peu de reconnaissance ? Il existe dans notre pays des milliers de civils intéressés voire passionnés par la chose militaire ou qui sont simplement prêt à servir le pays et, comme le confiait le chef d’état-major des armées il y a quelques années, chacun d’eux peut désormais avoir accès à presque autant d’informations que lui. De fait, tous les services qui ont besoin de traiter de l’information pourraient en bénéficier.

Lors de l’opération israélienne Plomb durci dans la bande de Gaza (décembre 2008), les Israéliens ont doublé leur manœuvre sur le terrain d’une manœuvre dans les espaces d’information. Ils ont notamment occupé les  points clés d’internet (premières positions sur Google, You tube, réseaux sociaux, etc.) pour y placer des messages favorables à leur cause et au contraire barrer l’accès aux commentaires hostiles. Cette e-manœuvre n’a pu réussir qu’avec l’aide de plusieurs milliers de web-combattants, réservistes et bénévoles.

Outre la cyberdéfense, qu’est-ce qui empêche, par exemple, la Direction du renseignement militaire de faire appel à des centaines de volontaires afin de l’aider à traiter la masse d’information ouverte ? Dans le domaine de la recherche stratégique, soumise à des contraintes croissantes tant budgétaires qu’intellectuelles, l’appel aux compétences bénévoles permettrait d’identifier des personnalités qui pourraient être associées dans certains programmes et constituer un réservoir de compétences disponibles en cas de crise. Il existe sans doute en France des centaines d’individus capables de dire des choses intelligentes, ne serait-ce que parcellaires, sur la situation au Sahel et ses évolutions possibles. Plus de 95 % d’entre eux sont inconnus de ceux qui sont qui en charge de réfléchir sur la région au ministère de la défense. En matière de réflexion opérationnelle, l’US Army a déjà réuni 200 000 de ses membres d’active ou de réserve dans le programme de réflexion collective milSuite. L’opération Bir Hakeim sur ce blog s’inspire très modestement de l’esprit de ce programme avec l’idée que des amateurs civils peuvent aussi apporter des idées nouvelles. Après tout, les armées ont toujours connu des poussées de productivité considérables lorsqu’elles ont mobilisé en masse des civils qui sont venus non seulement avec leur bras mais aussi avec leur expérience propre. Pourquoi ne pas le faire dès le temps de paix.

Les possibilités sont énormes, qui profitent pour l’instant plutôt à nos adversaires actuels ou potentiels. Cela suppose cependant pour nous de créer des structures afin d’attirer, recenser, organiser ces intelligences collectives dispersées mais surtout, et c’est là le plus difficile, de faire preuve d’audace intellectuelle.

L’exemple de l’astronomie Pro-Am est tiré de La longue traîne de Chris Anderson, et de La richesse révolutionnaire de Alvin et Heidi Toffler.

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8 commentaires:

  1. Ce sujet est très intéressant et le concept que vous développez porte de nom de crowd sourcing.

    Dans le milieu libre, associatif ou commercial, le crowd sourcing fonctionne. Pourquoi pas au bénéfice de notre armée, de notre pays.

    Je vote: +1

    Christian VBS2

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  2. Votre hypothèse ou proposition est intéressante et je ne suis pas sûr que ce soit une question d’audace intellectuelle mais beaucoup plus de temps disponible et de capacité à se projeter dans l’avenir.
    Je reste persuadé que bon nombre d’officiers supérieurs ou très supérieurs sont absorbes par des taches d’exécution et non par de la réflexion et je ne parlerai pas de prospective.
    La tyrannie de l’e-mail empêchant la prise de recul, ils n’ont pas la disponibilité d’esprit pour penser ou concevoir …

    COL de FTS

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    1. "Le plus grave défaut de notre armée actuelle, c’est qu’elle travaille trop ! Tous les bureaux sont noyés sous la paperasse ! Nos chefs, trop absorbés par des questions secondaires, n’ont plus le temps de réfléchir et de penser aux questions importantes. Ils ne dominent plus aucun problème. En dépit des déclarations officielles, on est partout sur la défensive. Malgré nos grands moyens, nous parons simplement les coups comme nous pouvons, mais toujours à courte vue, dans l’immédiat". Général Salan, 1956.

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    2. Belle vision prophétique ou constat accablant ?
      Ne serions-nous donc pas capable de générer autre chose que de l’agitation [ou des fiches] et augmenter l’entropie ?

      Ne faudrait-il pas mieux appliquer le principe de subsidiarité ?

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  3. Cet article de 2010 parle du "cloud" et d'intelligence collective; y remplacer "l’informatique en nuage —délocalisée, décentralisée, dispersée" par "l'information en nuage —délocalisée, décentralisée, dispersée", c'est changer d'échelle sur l'information/le savoir nécessaire pour résoudre un problème donné, en remettant l'homme au centre d'un réseau dynamique à organiser/animer, au commandement à inventer:

    "La gigantesque masse de données amassées par le Large Hadron Collider, à la poursuite des secrets de l’Univers, ou par les chasseurs de planètes extrasolaires, c’est du cloud computing, a rappelé Jeannette Wing, de l’Université Carnegie Mellon —puisqu’aucun ordinateur ne pourrait emmagasiner, encore moins traiter, tout cela. Les processeurs de Google qui permettent de faire des recherches en une fraction de seconde, c’est aussi de l’informatique en nuage —délocalisée, décentralisée, dispersée.

    Les enjeux sont bien sûr technologiques, mais arrive un moment où ce ne sont plus juste des questions techniques qu’il faut poser.

    […] Ça ne veut rien dire, mais ça renvoie à l’image, popularisée dans la littérature, d’une intelligence collective, plutôt qu’individuelle : comment un grand groupe de gens (et de machines) peut-il apprendre à récolter des données et à les traiter collectivement?

    Pas juste une armée de tâcherons qui exécute les ordres d’un grand chef. Plutôt une armée où la hiérarchie traditionnelle a perdu tout son sens, ce qui ne l’empêche pas d’être très bien organisée et auto-disciplinée."

    http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2011/02/19/lavenir-science-buzzword-mois


    Pour mémoire, l'exercice des 10 ballons rouges de la DARPA, organisé en 2009:
    MIT wins DARPA balloon challenge
    MIT team first to identify locations of 10 red balloons scattered across United States, winning a $40,000 cash prize.
    http://news.cnet.com/8301-1023_3-10410403-93.html

    Et, oui, il y a des centaines "d'experts de cuisine", comme on pourrait les appeller, ces amateurs-savants qui travaillent le jour et cherchent le soir, sur leur table de cuisine, patiemment, et qui trouvent leur petite parcelle d'information, que parfois les professionnels n'ont pas vue ou ne savent pas voir.

    Or il n'y a rien de pire ou de plus tragique qu'une information perdue, aujourd'hui.

    Perdue, parce qu'elle n'alimente pas une réflexion ou une connaissance plus vaste; perdue, parce que son possesseur/découvreur ne sait pas à qui ni comment ni pourquoi la transmettre.

    Perdue, parce qu'ensuite le moment d'agir est passé; et que bien autre chose sera perdu, alors, et à une toute autre échelle.

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  4. L'une des questions est celle de la veille technologiques sur Internet et son corollaire, de devoir dépouiller une multitude de pdf issus des nombreux Think tank US.
    Sans doute ce qui s'apparente le plus à un travail d'Astronomes amateurs qui ici scrutent le net au lieu de scruter le ciel ...
    Pour l'avoir vécu auprès d'acteurs réels du monde de la défense, ce type de travail peut parfois influer fortement le cours d'un projet.
    Quelle est votre impression, Michel Goya, vous que l'on trouve déjà comme récipiendaire de mails éventuels dans le travail du CDEF sur les "fantômes furieux de Fallujah" ?
    Comment renforcer encore cet action d'astronomes amateurs ?

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    1. Si à l'époque j'ai mis mon adresse mail sur "Les fantômes furieux" c'était surtout une manière détourné de montrer que c'est moi qui l'avait écrit. Quand on passe des mois sur un dossier qui est ensuite publié, on a la petite vanité d'avoir envie de le signer. Sinon je n'ai eu que peu de retour par ce biais.

      j'avoue que je ne sais pas trop comment faire. Peut-être simplement faire appel à des bonnes volontés qui sont ensuite identifiées, enregistrées et à qui on confie des documents à lire et à synthétiser ? Il faut ensuite trouver le moyen de remercier (nom sur une publication, lettre de félicitation, décoration, ...).

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  5. Les blogs et Forum de défense fournissent de manière évidente un vivier de passionnés qui ont souvent et de la bonne volonté et potentiellement du temps (au moins celui mis pour écrire des posts structurés...).
    Quand on a la possibilité comme sur Secret Défense de repérer les pseudo apportant une contribution régulière et sensée et leur mail (ce que n'offre pas la structure logicielle de votre blog), il devient aisé de contacter les gens pour leur proposer une démarche citoyenne de participation effective à la chose publique.
    Franchement, quand je vois sur certain blog le travail de fourmis fournis par certains pour maintenir une veille scrupuleuse, depouiller les articles publiés, je serai surpris que vous ne puissiez pas vous constituer rapidement de gros bataillons d'"Astronomes amateurs" !
    Surtout que l'élément principal est de participer et que nombre de participants se contenteraient d'invitation à des colloques ou des salons professionnels.,.

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