Le
19 mars 1924, Léon Trostky écrit dans ses carnets, à propos de l’entrée en
guerre de la France en 1870 : « La
réalisation de plans de guerre aussi audacieux [ des opérations rapides
entre les armées ennemies à la manière napoléonienne ]dépend aussi, toutes choses égales par ailleurs, du travail exact de
l'intendance ; or, tout le régime du Second Empire, avec sa bureaucratie
effrénée et incapable, n'était en aucune manière apte à assurer les soins et
l'entretien des troupes. D'où les frictions et les pertes de temps dès les tout
premiers jours de la guerre, l'abandon général, l'impossibilité d'appliquer un
plan quelconque et, en conséquence de cela, l'effondrement. »
La
pagaille logistique de l’armée du Second Empire en 1870 a profondément marqué
les esprits de l’époque, imposant une profonde réorganisation sous la IIIe
République après avoir identifié l’origine du problème dans la séparation entre
une chaine des forces et une chaine du soutien. Cette séparation avait une origine
historique. Les
intendants (du latin superintendentia,
surveillance) militaires du Second Empire sont les descendants des
« commissaire du roi pour les guerres » dont on trouve trace dès le
milieu du XIVe siècle. Leur rôle premier était de s’assurer de la
réalité des effectifs et de l’emploi des deniers de la caisse royale. Richelieu
et Louvois les chargèrent ensuite de fournir à la troupe tous les moyens pour
survivre et combattre. Rendant compte directement au secrétaire d’Etat à la Guerre , ils jouèrent ainsi
un rôle majeur dans le développement d’une administration dévouée à ce dernier
et au roi face aux féodaux à qui était sous-traité le commandement des forces.
En
1817, après de nombreuses réorganisations sous la Révolution et l’Empire,
ce corps devint le corps des intendants militaires dépendant directement du
ministre et occupant, outre les missions classiques de contrôle, la direction
des services de soutien qui se développaient alors. Comme sous l’Ancien régime,
tout ce qui relevait de l’administration, de l’alimentation, de l’habillement
et de la santé était toujours indépendant du commandement des armées. Ce
système subit pourtant de fortes tensions au fur et à mesure que la
bureaucratie rigide de l’intendance dut satisfaire les besoins croissants
d’une armée aux effectifs grandissants. Ardant du Picq a fait une peinture
saisissante du sort des soldats malades pendant la guerre de Crimée (1853-1856)
:
Nos soldats n’ont eu ni draps, ni paillasses,
dans les ambulances, ni vêtements, ni effets de rechange ; plus de la
moitié ont couché sur le foin mouillé, par terre et sous la tente […] des
milliers de fournitures de couchage ont été offertes par les Anglais à notre
intendant général, qui a refusé […] les malades anglais avaient, dans de
grandes tentes bien aérées, des couchettes, des draps, un coffre de nuit fourni
de son vase. On guérissait dans les ambulances anglaises ; on pourrissait
dans les nôtres.
Alors
que les Français perdent 25 000 hommes par le typhus et le froid, le taux de
maladie du contingent anglais est inférieur à celui de la population de Londres.
On retrouve les mêmes problèmes lors de la campagne en Italie en 1859 et bien
sûr, à une autre échelle, lors de la mobilisation de 1870. Les régiments partent sans toutes leurs munitions et même tous leurs réservistes et permissionnaires qui rejoignent comme ils peuvent. Sur 1 147 médecins, seuls 173 sont sur le terrain. Le 1er
corps d’armée ne reçoit des ambulances qu’après la bataille de Froeschwiller et doit abandonner de nombreux blessés. D'une manière générale, on ne sait plus très bien qui soutient qui. Intendants et généraux ne parviennent pas à s'entendre.
On
pourrait imaginer que les armées modernes ont dépassé ce clivage dévastateur
pour l’efficacité opérationnelle. Pourtant, les problèmes de l’armée du Second
Empire évoquent évidemment…ceux de l’armée israélienne durant l'été 2006. Il n’y avait là aucune survivance historique mais un souci de
rationalisation. Le retrait des unités de combat terrestres de tous leurs
organes de soutien pour les regrouper dans des bases répondait en effet à un
souci d’économies dans un contexte budgétaire contraint. Ce système a plus ou
moins bien fonctionné tant que les opérations sont restées d’ampleur limitée.
Comme en 1870, il a complètement explosé lorsque la guerre contre le Hezbollah
a imposé un changement radical d’échelle. Les économies réalisées pendant
plusieurs années ont été effacées en quelques jours et Israël a connu son premier échec militaire.
Extrait d’une fiche au
chef d’état-major des armées en 2009.
Vieille habitude technocratique française que de diviser pour mieux régner, de réaffirmer sans cesse sa confiance sans pour autant le faire dans les faits..... La mise en place des BdDs relève de ce même esprit. Tant que nous n'appliquerons pas le principe d'"employeur - payeur", les choses ne bougerons pas et la friction, au sens clausewitzien du terme, continuera de faire des ravages.
RépondreSupprimerMerci pour cet article utile.
RépondreSupprimerLa seule solution ne serait-elle pas de parvenir à créer un lien de subordination (TACON ?) entre les COMGSBdD et les chefs de corps pour s'assurer que le soutien reste au service de l'ops et que ce n'est pas l'ops qui finalement sera totalement conditionné par le soutien. Les difficultés actuelles laissent parfois présager de bien sombres lendemains. Malheureusement, il va être difficile de revenir en arrière sauf si les prochaines décisions politiques (si il devait y en avoir) se traduisaient par de nouvelles exigences qui justifieraient une nouvelle organisation...
Merci Michel pour cet éclairage.
RépondreSupprimerPour "anonyme", Il ne faut pas confondre la LOG OPS et le soutien. Si le soutien courant est effectivement à la main des bases de Défense, la LOG OPS , quant à elle, est avec les forces et s'engage dans les mêmes conditions, poussant la ressource au plus près du combat. Cette ressource est acheminée stratégiquement depuis les dépôts sous l'égide d'organismes opérationnels interarmées très conscients des réalités de terrain. Il n' y a donc pas de clivage majeur et nous sommes, hors aspects d'externalisation, dans l'esprit et le schéma voulu par l'Empereur en 1807 lorsqu'il crée le train des équipages militaires. En revanche, l'enjeu de nos jours est bien d'éviter que l'organisation des soutiens en métropole (services et directions interarmées relativement soucieux de leur autonomie), organisés en "tuyaux d'orgues", soit décalquée sur les théâtres. Dès que "le canon tonne", un chef militaire opératif unique, logisticien interarmées, doit prendre la main sur les 14 fonctions log afin de planifier et de les placer au strict service des chefs tactiques, évitant par ce biais que ne se créent "des intendances"...
Intéressant, merci pour ces remarques. 14 fonctions log...cela laisse rêveur....
SupprimerJe pense qu'il est trop facile de séparer soutien et log ops. Le principe régimentaire connu jusqu'à la dernière réforme permettait de projeter des unités relativement cohérentes et homogènes. Cela n'est plus le cas. En outre, projeter un GTIA ou une unité plus importante dans de bonnes conditions (en particulier dans le domaine de la préparation à la mission) impose de nombreuses contraintes au chef interarmes ou interarmées qui doit faire preuve de beaucoup d'ingéniosité et de patience pour s'assurer que l'unité qu'il commandera sera correctement soutenue. Il suffit de regarder les TUEM des unités de soutien des GTIA de certains théâtres. Les frictions sont nombreuses mais heureusement le culte de la mission permet de pallier certaines difficultés...
Amicalement
Attention aux généralisations. Présenté de cette manière on a le sentiment que l'intendance/logistique française est toujours défaillante contrairement à celle des autres pays. Or c'est loin d'être le cas.
RépondreSupprimerConcernant la guerre de Crimée par exemple, l'intendance anglaise met un an avant de se mettre en place. Durant la première année du conflit les anglais sont totalement dépendants des français. Lors du débarquement en septembre 1854, des soldats anglais meurent de froid du fait de l'absence de tentes, tandis que les français sont bien au chaud (cf Alain Gouttman : La guerre de Crimée).