A l’occasion de l’anniversaire de la prise d’assaut du pont de Verbanja et en hommage aux Forbans du 3.
Sarajevo, 27 mai 1995, 08H 45
« Je
suis le lieutenant Héluin, je suis à la tête de la première section des Forbans
du 3e Régiment d’Infanterie de Marine. Nous nous infiltrons à
travers les ruelles étroites qui bordent le cimetière juif en direction du pont
de Verbanja. J’ai reçu ma mission, il y a un peu plus d’une heure. Elle est
très simple : reprendre le poste français, pris dans la nuit par les
Bosno-Serbes. Dans notre marche nous abordons par hasard un poste de combat
bosniaque. Après une courte explication les Bosniaques acceptent de nous faire
traverser leur ligne et de guider mon élément d’appui vers sa position. Nous
arrivons près de l’objectif. Je reconnais le grand rectangle fait d’une
juxtaposition de containers noyés dans des centaines de sacs à terre. Il y a
même une vieille carcasse de char intégrée dans la structure. Le poste est long
d’une cinquantaine de mètres et parallèle à la rivière Miljaca.
Je
dois agir par surprise si je veux neutraliser le détachement serbe sans que les
prisonniers français, qui sont peut-être encore là, souffrent trop. Mon idée
est donc d’attaquer simultanément les trois sous-ensembles qui composent le
poste, deux points d’appui aux extrémités et une zone vie au centre, avec un
groupe de trois binômes pour chaque objectif. Pour cela j’ai réorganisé ma
section. Chaque binôme associe un homme qui a déjà fait un séjour dans le poste
et un autre qui ne connaît pas les lieux. J’ai défini pour chacun d’eux un
point d’entrée, une mission, un ennemi possible et surtout une attitude à tenir
à la fin de l’action. Je veux à tout prix éviter les erreurs et les tirs
fratricides.
Faute
d’accès routier, tous les VAB sont restés à proximité du cimetière juif avec
tous les tireurs d’élite, avec un fusil Mac Millan en 12,7 mm et les tireurs
antichars. Ce groupe d’appui est aux ordres de mon adjoint, le sergent-chef
Amin Check. Son rôle est essentiel car il doit nous protéger face aux tirs qui
pourraient venir du poste mais surtout des immeubles environnants. Il est
pourtant désespéré de ne pas participer à l’assaut. Lorsque je lui ai annoncé
se mission, il m’a regardé dans les yeux : « mon lieutenant, vous pouvez pas me faire ça ! ». Le
capitaine Lecointre nous accompagne pour gérer les appuis du bataillon,
plusieurs pelotons de blindés du RICM disposés de part et d’autre de la
rivière.
Je
regroupe la section pour l’assaut. Je m’aperçois alors que nous avons laissé
dans les VAB les deux portes qui devaient nous aider à franchir les barbelés, à
la manière de ponts, pauvre expédient à l’absence de matériel spécifique. Tant
pis on s’en passera. Je regarde mes marsouins. Ils sont calmes et silencieux.
Comme eux, je me sens étrangement serein. Il est vrai que depuis mon réveil, il
y a trois heures, je n’ai pas eu une minute pour penser au danger. Nous portons
les équipements de protection pare-balles complets, ceux-là mêmes qui n’ont été
conçus que pour des sentinelles fixes. Certains de mes marsouins sont en
treillis de cérémonie. Ils ne savaient pas quelques heures plus tôt que le
point fort de la journée ne serait pas la prise d’armes prévue mais un assaut.
Le capitaine Lecointre m’informe que les appuis sont prêts. Je fais une signe à
la section et nous dévalons en colonne, baïonnette au canon, jusqu’à une
tranchée à une cinquantaine de mètres de l’objectif. Les Bosniaques ouvrent le
feu pour nous appuyer. Pour eux l’occasion est trop belle de frapper les
Serbes qui commencent à nous prendre à partie depuis toutes les fenêtres des
immeubles de la zone. A mon signal et comme prévu, le sergent Le Couric et son
groupe s’élance à notre gauche en direction de l’objectif le plus éloigné, le
poste de garde Ouest. Ils sont immédiatement stoppés devant les barbelés qui
entourent le poste par une pluie de projectiles en provenance des immeubles
voisins. Le caporal Colantonio met un genou à terre et tombe sur le coté, il
regarde sa cuisse perforée, sa bouche fait un rond. Maudoigt regarde incrédule
ses doigts sectionnés par une balle qui a fait exploser la poignée en bakélite
de son FAMAS. Le projectile termine sa course dans son pare-cou. Impuissants
devant les barbelés, deux marsouins se vident de toute énergie. Ils se
transforment en mannequins inertes jusqu’à la fin des combats. Un obus de 90 mm
frappe le bâtiment baptisé Prisunic, suivi de rafales de 7,62 et de 20 mm en
provenance des pelotons du RICM. Nous sommes désormais enveloppés d’une bulle
de détonations, claquements, sifflements, impacts. Le premier groupe est totalement immobilisé et toujours sous les
tirs fichants des serbes. Nous ne pouvons rien faire pour eux. Les blessés ne
peuvent même pas s’injecter de la morphine pour atténuer la douleur. Elle a été
retirée des trousses de premiers secours suite à un changement de
réglementation.
(à
suivre)
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