mercredi 15 février 2012

Dans le crâne d'un sergent (1/3)


Nous sommes à la fin de l’année 1997 et j’organise une expérience à la 4e compagnie du 2e Régiment d’Infanterie de Marine (RIMa). Sur un terrain parsemé de trous et d’obstacles, tous les groupes de voltigeurs (un chef de groupe et deux équipes de trois hommes équipés de fusils d’assaut) doivent, à tour de rôle, tenter de s’emparer d’un petit point d’appui tenu par trois hommes. Attaquants et défenseurs sont équipés de « systèmes de tir de combat arbitré par laser » (STCAL), c’est-à-dire que chaque coup au but (par laser) entraîne la mise hors service de l’équipement de celui qui est touché. La ligne de départ de l’action se situant à environ 500 mètres et les défenseurs étant particulièrement bien postés, les groupes attaquants sont obligés, pour pouvoir éliminer les défenseurs, de progresser sous le feu jusqu'à l’objectif. Le groupe d’assaut ne bénéficie ni d’appui extérieur, ni de son lance-grenades individuel (LGI), il ne peut compter que sur « son art du déplacement sous le feu ».

Un premier passage donne un résultat intéressant : les performances sont très inégales suivant les groupes. Certains sont étrillés dès le début de l’action, d’autres échouent à quelques dizaines de mètres du point d'appui mais deux (sur neuf) parviennent à réussir la mission, dont un, celui du sergent Esnouf, avec des pertes très légères.

Un deuxième passage (avec une configuration différente du polygone d’assaut) fournit deux nouveaux résultats :
• la hiérarchie des performances est sensiblement la même, ce qui réduit les possibilités d’explication par le hasard. Le groupe Esnouf domine encore plus nettement ;
• il y a une progression de l’efficacité moyenne des groupes (quatre groupes réussissent la mission et les pertes diminuent), ce qui sous-entend un apprentissage.

Cet apprentissage s’est effectué pendant l’exercice lui-même, et de manière plus explicite, par les conversations pendant le temps d’arrêt entre les passages. En écoutant ces conversations j’ai remarqué trois choses :
• Le combat aux petits échelons est une affaire de détails minuscules dont l’accumulation peut faire la différence entre la vie et la mort. Affaire de détails ne signifie d’ailleurs pas que cela soit simple, car il faut analyser en quelques fractions de secondes une multitude de paramètres. Par exemple, pour chacun des hommes à l’assaut une question essentielle est de savoir si les tireurs adverses coordonnent leurs actions. Si ce n’est pas le cas, plusieurs opportunités peuvent se présenter. Ils risquent de manquer de munitions à peu près au même moment (chargeur vide). Il y aura alors un « blanc » dans le tir qui pourra être mis à profit pour faire un déplacement important ou prendre l’initiative du tir. Autre possibilité, leur attention risque d’être attirée en même temps sur les mêmes phénomènes. Comment en profiter ? Comment provoquer cette diversion ? etc.
• L’apprentissage s’effectue très vite et plus particulièrement chez les hommes déjà bien entraînés car ils savent tirer plus d’informations d’un événement tactique que le novice. Cet apprentissage-là est largement implicite. Celui du novice passe d’abord par la recherche d’une meilleure lecture de la situation et s’effectue de manière explicite. Le rôle du sergent et des « anciens » est alors primordial.

Dans un troisième passage, les hommes ont été mélangés dans les différents groupes. L’efficacité moyenne a nettement diminué mais la hiérarchie des chefs de groupe est restée sensiblement la même. Toutes choses égales par ailleurs, deux facteurs influent donc sur la performance du groupe : la connaissance mutuelle et l’expertise du chef de groupe. Le talent s’exprime très inégalement dans le combat aux petits échelons et cette inégalité entraîne des différences énormes d’efficacité. 

(à suivre)

7 commentaires:

  1. Bonjour, et bravo pour votre blog.
    Dans cette expérience, le chef de groupe a-t-il une action offensive ou ne fait-il que diriger ?

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    1. Le sergent doit aussi se déplacer et utiliser ses armes, sans se laisser absorber par ces tâches. Pourquoi s'en priver d'ailleurs, c'est généralement un bon combattant et comme les gens vraiment efficaces sont rares, son action peut faire la différence. Voir l'action remarquable du chef de groupe de tête de la section du 8e RPIMa à Uzbeen en 2008.

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    2. Bonjour Colonel. Vous avez fait un papier sur le RETEX de cette affaire ?

      Félicitations pour cette approche "ergonomique" du problème et la clarté de vos exposés.

      Et d'une façon générale, pour votre approche de "consultant" et votre culture du "benchmarking".

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    3. Bonjour,
      je dois avoir conservé quelques documents de cette époque.
      Merci pour ces mots gentils...vous embauchez ?

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    4. Oh, Colonel ! Vous avez besoin de travailler encore plus ?! ;)

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  2. Blog très intéressant, merci aussi pour votre série sur la section d'infanterie. Vous êtes très convainquant pour expliquer qu'il y a des gains d'efficacité tactiques importants que l'on peut faire à moindre coût. Dans le privé on parlerait de "productivité" :)

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  3. Je suis un ancien sergent et un vieux sergent Sapeurs Pompiers de 52 ans tj actif , avec mes fils je me suis mis au air soft
    et quand vous parlez d'apprentissage, vous avez raison, cela est particulierement visible au niveau des déplacements et de l'adaptation au terrain; mais restons modeste le niveau d'analyse reste pauvre nous restons des intermitents du spectacle, les balles ne bourdonne pas

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