L’instrument premier du combat du groupe est la mémoire à court terme du sergent qui lui permet de manipuler un certain nombre d’objets mentaux (objectif à atteindre, position des amis et des menaces, etc.). Cette capacité est cependant normalement limitée à sept objets et souvent perturbée par une circulation des informations très imparfaite (cacophonie des réseaux radio, sollicitations parfois abusive du « haut » ou du « bas », etc.). De surcroît, face au danger, le chef de groupe subit une pression émotionnelle qui peut provoquer soit une stimulation (pour donner un surcroît de ressources) soit au contraire une inhibition (pour soustraire l’individu au danger). Il subit également une pression cognitive proportionnelle à la complexité de la tâche à accomplir et l’action conjuguée de ces deux facteurs induit trois niveaux d’efficacité :
· si la pression émotionnelle est inhibante, le chef de groupe peut être paralysé ou, plus fréquemment, imiter le premier modèle d’action qui se présente à lui.
· si la pression est stimulante mais que la tâche est appréhendée comme trop difficile, le sergent se focalise, par une sorte d’ « effet tunnel » sur une menace ou à la gestion de son espace proche. Cette tendance amène à travailler en dessous de son niveau de responsabilité.
· si la pression est stimulante mais que la tâche est jugée faisable, l’efficacité intellectuelle est alors à son maximum. Le danger est souvent atténué, voire nié, et les sens semblent aiguisés. La très grande majorité des cadres entre dans la catégorie des « stimulés » mais la différence se fait dans cette appréhension de la difficulté de la tâche.
Une situation chaotique ne devient « tactique » que si on possède certaines clefs. L’expert « comprend » ainsi tout de suite des choses qui échappent au novice. Prenons l’exemple du bruit des balles. Une balle, animée d’une vitesse initiale supérieure à celle du son, produit par son frottement dans l’air un « bang » supersonique et un sifflement qui accompagnent le projectile sur sa trajectoire. Ces bruits sont distincts de la détonation du départ. La connaissance de ce phénomène permet de déterminer l’origine du tir en repérant le bruit plus sourd et plus tardif de la détonation de départ. L’écart entre le claquement et la détonation peut même fournir la distance de l’ennemi (à raison de 300 mètres par seconde d’écart). Si le sifflement est perçu, cela signifie de manière certaine que l’on est dans l’axe du tir. Un fantassin expérimenté donne ainsi du sens au moindre détail sonore alors qu’un « bleu » reste dans la confusion. Dans cet exemple, le novice aura tendance à confondre le claquement de la balle avec la détonation de départ et donc à se tromper dangereusement sur l’origine de la menace.
A partir de cette fusion d’informations l’homme construit sa vision de la situation. L’apparition d’une information « saillante » modifie cette vision et entraîne un processus de décision. Le processus débute par le choix inconscient de la vitesse d’analyse en fonction de l’urgence ou de la complexité de la situation. On peut choisir un cycle « réflexe » de quelques secondes pour des actes simples (tirer, bondir, etc.), un cycle intermédiaire, dit « court », pour des combinaisons d’actions ou un cycle « long » de plusieurs minutes pour des procédés complexes. Un combat de plusieurs heures peut ainsi comprendre deux ou trois cycles longs, quelques dizaines de cycles courts et plusieurs centaines de cycles réflexes. Chacun de ces cycles est une combinaison de souvenirs et de réflexion logique en fonction des délais disponibles et du degré d’expérience du combat. Lorsque la situation est familière, le chef de groupe choisit presque toujours une solution qui a bien fonctionné précédemment. Il lui suffit de reconnaître une situation pour amorcer un processus immédiat de recherche de réponse « typique » dans sa mémoire inconsciente. Plus la banque de données est riche (et surtout riche en expériences marquées émotionnellement comme positives) et plus cette recherche est rapide et bien sûr efficace.
Si la situation ne ressemble pas quelque chose de connu ou si la solution qui vient à l’esprit ne convient pas, la réflexion « logique » prend le relais. Un novice qui, par définition, ne possède qu’une faible expérience, sera obligé de compenser cette lacune par plus de réflexion logique. Or, cette réflexion est beaucoup plus longue et coûteuse en énergie que l’appel aux souvenirs. Le novice aura donc tendance à utiliser des cycles plus longs que ceux de l’expert ou à se « focaliser ». A la limite, un « bleu » jeté sans entraînement sur le front sera incapable d’utiliser des cycles courts, car il n’a aucun souvenir sur lequel s’appuyer. Il risque de se trouver dans une position délicate face à une surprise ou des adversaires plus rapides.
L’analyse offre rarement plus de deux options. Le choix est alors conditionné par quelques critères : la mission reçue, le seuil de risque acceptable et les objectifs personnels (« être à la hauteur », obtenir une médaille, mettre en confiance le groupe, etc.). La nécessité de franchir le seuil de risque acceptable impose une importante pression psychologique. L’évaluation de ce seuil, très subjective, est donc importante. Elle repose en grande partie sur la confiance que l’on a dans ses compétences, ses moyens, ses voisins, ses chefs, etc. Elle peut ainsi aboutir à un niveau très bas lorsque des unités effectuent des missions hors de leur domaine de compétence. La solution choisie est alors la première qui apparaît à l’esprit et qui satisfait à tous ces critères.
(à suivre)
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