La France est entrée en guerre contre l’État islamique le 19 septembre 2014 en acceptant de participer à la coalition formée par les États-Unis pour lutter contre l’organisation armée.
Cela n’a pas été évoqué à l’époque, mais cela constituait un changement profond d’attitude. L’EI n’est pas né en 2013 comme semblait alors découvrir le gouvernement, mais en 2003 sous un autre nom. En 2006, devenue l’État islamique en Irak (EII) cette organisation ravageait le pays jusqu’au cœur de sa capitale. Nous étions alors, nous Français, d’un silence total devant les horreurs que perpétrait cette filiale d’Al-Qaïda. On considérait sans doute qu’il s’agissait là d’une conséquence de cette intervention américaine à laquelle, avec raison sans aucun doute, on n’avait pas voulu s’associer. De plus, l’EII ne nous avait jamais attaqués directement. Nous estimions donc inutile de prendre les devants en rejoignant tardivement une coalition que par ailleurs tous les Alliés s’efforçaient de quitter au même moment. Le destin et surtout le retournement d’alliance des arabes sunnites ont permis finalement de vaincre l’EII en 2008. De vaincre, mais pas de détruire. L’EII était très réduit mais survivait dans les marges des zones de peuplement mixte, là où il pouvait encore apparaître parfois comme protecteur des sunnites.
Cinq ans après sa défaite de 2008, l’État islamique est revenu le devant de la scène, et le gouvernement irakien, en particulier le Premier ministre al-Maliki, porte une énorme responsabilité dans ce retour. L’organisation a alors enchaîné un cycle de renforcement assez spectaculaire, nourri il est vrai par la faiblesse de ses opposants. Le nouvel EI, qui a appris de ses erreurs, multiplie les ralliements de groupes locaux, se renforce et enchaîne des victoires spectaculaires, ce qui accroît encore les ralliements. En juin 2014, l’État islamique (devenue un temps « en Irak et au Levant » puis EI tout court) contrôle suffisamment de territoire pour proclamer un Califat. Il poursuit son expansion en Irak et en Syrie, et reçoit même, à la manière d’AQ dont il s’est séparé, des allégeances de groupes internationaux.
C’est à ce moment-là, et alors qu’un journaliste américain a été assassiné, que les États-Unis décident d’intervenir à nouveau. Comme d’habitude, ils forment une coalition non pour disposer de moyens supplémentaires (tous les Alliés réunis ne représenteront jamais plus du quart des moyens américains), mais pour renforcer la légitimité de l’action. Contrairement à son attitude précédente, la France décide cette fois de faire la guerre à l’État islamique et de rejoindre la coalition.
J’étais à l’époque assez sceptique sur l’opportunité de cette nouvelle guerre. Nous étions alors déjà engagés en guerre au Sahel après avoir décidé d’y rester militairement après la destruction du « califat nord malien ». Nous étions également engagés dans une opération de stabilisation (= opération où il n’y a pas d’ennemi désigné, donc une opération de police) en Centrafrique beaucoup plus délicate qu’annoncé initialement par le ministre. L’opération Vigipirate était toujours en cours en métropole ainsi que plusieurs autres opérations plus petites qui absorbaient encore quelques forces. En vieux soldat, je pensais qu’il valait mieux ne pas multiplier les ennemis. Les conditions stratégiques n’avaient pas fondamentalement évolué pour la France depuis la guerre civile irakienne, et l’EI ne nous avait toujours pas attaqués. Il valait sans doute mieux se concentrer sur le théâtre africain, où nous pouvions avoir un rôle militaire important, que d’ouvrir un nouveau front où notre impact serait forcément faible si on se contentait de faire comme les Américains.
L’échelon politique, qui peut user et abuser de cet outil militaire qui obéit et donne l’impression de faire quelque chose, ne voyait pas forcément les choses de la même façon. L’engagement militaire français est souvent une fin en soi dont les principaux effets attendus sont rarement sur l’ennemi. Pas avare de contradiction, tout en empilant les opérations le même gouvernement décidait par ailleurs de poursuivre et même d’accélérer la réduction du budget, des effectifs et des moyens qui permettaient de les réaliser. En cela, il est vrai qu’il n’innovait pas.
On s’engageait donc dans une nouvelle guerre. Avions-nous en mémoire les rétorsions des États-Unis la dernière fois que nous leur avions dit non ? N’avions-nous plus simplement la volonté de refuser ? Peut-être considérait-on plus justement que la menace nous concernait plus directement que quelques années plus tôt. De nombreux Français rejoignaient les rangs de l’EI, des journalistes étaient otages de l’organisation en Syrie, l’attaque du musée juif de Bruxelles en mai 2014 pouvait constituer le premier acte d’une campagne européenne d’attentats. On pouvait donc considérer que cette guerre était sans doute inévitable. Fallait-il prendre les devants ? Aurions-nous été traités de naïfs si nous avions été attaqués malgré le refus de participer à cette nouvelle expédition ? Peut-être. Difficile de le dire désormais.
A ce stade, une fois la décision prise et annoncée quelque chose me gênait. Ce sont les nations qui font les guerres et non seulement les armées. Alors qu’il annonçait cette nouvelle guerre (mais je ne suis pas sûr que le terme de guerre ait été employé), le gouvernement aurait dû logiquement mettre tout le pays en ordre de bataille. Si l’ennemi était aussi détestable et dangereux que cela, on pouvait logiquement s’attendre à ce qu’il nous porte des coups ou au moins tente de le faire. Quatre jours seulement après notre entrée en guerre, un Français était effectivement assassiné au nom de l’État islamique. Les mêmes Livres blancs qui concluaient à la nécessité de réduire les moyens de la défense contenaient tous des paragraphes sur le risque élevé d’attentats terroristes en France. C’était d’ailleurs, semble-t-il, pour essayer de les prévenir que nous étions entrés en guerre en Afghanistan, au Sahel et maintenant en Irak, et que nous maintenions des patrouilles de soldats dans nos villes.
La moindre des choses aurait été de prévenir les Français, de dire des choses comme « Nous entrons en guerre, mais l’ennemi ne restera pas passif. Nous mettons tout en œuvre pour le combattre, nous renforçons les services de sécurité intérieure, nous adaptons les moyens et les méthodes de police pour intervenir efficacement contre des attaques importantes sur le territoire national, nous adaptons les procédures juridiques, etc., mais il est hélas probable que l’ennemi parviendra quand même à nous faire mal. Il faut s’y préparer aussi dans les esprits… ».
Dans les faits, le discours politique d’entrée en guerre a été d’une incroyable pauvreté. C’est d’autant plus étonnant que celui accompagnant la guerre au Mali à peine plus d’un an plus tôt, sans parler de celui la guerre du Golfe en 1990, tranchait plutôt par sa clarté et le risque assumé. Plus de quatre ans après l’entrée en guerre contre l’EI, certains demandent encore s’il s’agit vraiment d’une guerre, si donc on peut y tuer des gens (sic.), ce qu’on doit faire des prisonniers, etc. Au-delà de l’annonce de la guerre, il aurait été utile de préciser quelques évidences : la zone de guerre contre l’EI est le territoire de l’Irak et de la Syrie, le droit de la guerre s’y applique exclusivement (et donc pas sur les autres territoires dont celui de la France) qui autorise évidemment de tuer des combattants adverses tout en préservant autant que possible la population. Il aurait été visiblement utile aussi de préciser dès cette époque, rien ne l’empêchait, ce que l’on ferait des traîtres capturés. Tout cela est normalement le kit de base de l’entrée en guerre.
Rien de cela n’a été dit. On simplement répété que nous étions face à une bande de psychopathes issus d’on ne sait où, sans contenu religieux, ni vision politique et sans autres motifs en fait que faire le mal. Désigner un ennemi, c’est désigner un alter ego politique à qui on cherche à imposer sa volonté par la force. La difficulté à dire les choses venait sans doute de la difficulté à faire un lien entre l’ennemi et l’Islam, et peut-être surtout à lui conférer ce statut d’ennemi. On poussait le ridicule jusqu’à refuser obstinément de ne pas appeler l’Etat islamique par son nom, « parce que ce n’est pas un État » (comme si cela avait de l’importance) et par mépris (comme si cela avait un effet sur lui), voire de ne pas lui donner de nom, de parler de « groupe armé terroriste » ou même de « terrorisme » tout court. On utilisait même parfois l’expression « guerre au terrorisme », un non-sens sémantique que l’on moquait treize ans plus tôt lorsque George W. Bush l’employait. Tout cela apparaîtrait simplement comme étonnant de puérilité à ce niveau, si cela n’avait pas de conséquence sur les événements. Car derrière l’absence d’explication, il y a eu surtout une absence de précautions. Sans doute persuadés que nous étions bien organisés et bien protégés, nous sommes partis en guerre la fleur au fusil, une grosse fleur et un petit fusil, nous condamnant à évoluer au rythme des coups que notre population subirait.
Entrer en guerre, pourquoi pas, mais encore faut-il savoir ce que l’on va y faire. Parlons simplement du volet militaire. Si je me souviens bien l’objectif stratégique était « détruire les égorgeurs de Daesh », selon l’expression de Laurent Fabius. Certes, mais encore, qu’est-ce cela signifie concrètement pour nos forces armées : obliger al-Bagdhadi à signer une capitulation ? Mettre hors de combat tous les combattants de l’EI ? Réduire l’organisation à l’impuissance comme en 2008 ? Mettre fin à son territoire ? Quatre ans plus tard, on attend toujours cet objectif clair. Par déduction, on semble se concentrer sur la reprise de contrôle du territoire tenu par l’EI. C’est cohérent, mais pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Pourquoi ne pas avoir expliqué aussi, car c’était prévisible dès 2014, que cela ne signifierait pas pour autant la destruction de l’EI qui est déjà en train de retourner à la clandestinité ? En d’autres termes, un objectif aurait pu être de « contribuer [on n’est pas tout seul] à mettre fin à l’État islamique comme territoire organisé » et que le dispositif serait adapté ensuite, peut-être en ne conservant que son volet formation, la possibilité de frappes sur des objectifs précis depuis Al Dhafra et surtout la poursuite du combat clandestin en coopération avec les forces locales.
Descendons au niveau opératif, maintenant. Mettre fin à l’État islamique comme territoire organisé paraît effectivement être un objectif réaliste pour les forces armées. Comment faire ensuite ? Comme il est infiniment peu probable de voir les combattants de l’EI s’enfuir aussi vite que l’armée irakienne de Ramadi ou Mossoul et encore moins se rendre, il faut bien envisager de devoir reprendre toutes les villes qu’il tient.
Techniquement, si l’exécution est évidemment difficile, le principe est simple. Tout en conduisant une action dans la profondeur de l’ennemi (en clair, frapper les bases, les chefs, les groupements de forces, tout ce qui est repéré et vaut le coup d’une mission aérienne ou d’un raid aéroterrestre) des brigades doivent remonter le long du Tigre et de l’Euphrate ou partir du Kurdistan pour s’emparer successivement de toutes les villes tenues par l’ennemi. Les combats seront difficiles, car les combattants de l’EI sont déterminés, mais la victoire est inéluctable tant le rapport de forces est écrasant. Daesh, c’est à peu près l’équivalent de 1 % de ce que l’OTAN s’apprêtait à combattre en Europe pendant la guerre froide. En face, la coalition constituée par les États-Unis doit représenter à peu près 80 % du budget militaire mondial. Dans des combats conventionnels, ce qui est le cas ici, des coalitions similaires ont dans le passé broyé des dizaines de divisions blindées et mécanisées en quelques semaines. Sur le papier, il s’agit donc d’une des plus grandes dissymétries de forces de l’histoire.
Dans les faits, cela a été plus compliqué. Si la coalition dans son ensemble avait décidé de faire comme la France au Mali en 2013, on [en fait les rares nations occidentales qui font encore combattre leurs armées] aurait engagé des dizaines de bataillons aux côtés des forces locales. Cela aurait été difficile, des soldats seraient tombés, à peu près un soldat pour cinquante de Daesh, mais l’objectif de destruction du califat aurait pu être atteint en quelques mois, peut-être un an. C’est le temps qu’il avait fallu aux seuls Américains pour reprendre les villes sunnites le long du Tigre et de l’Euphrate de l’automne 2004 à septembre 2005.
Les États-Unis se sont interdit cette voie. Les contraintes psychologiques et politiques locales et surtout américaines étaient sans aucun doute beaucoup trop fortes. Ils ont logiquement opté pour une approche indirecte, c’est-à-dire tout le reste de ce que l’on a évoqué, les campagnes de frappes, l’appui des forces locales par les feux, le soutien logistique, l’équipement, la formation, etc., mais pas de bataillons au contact (ce que pour une raison mystérieuse certains persistent à appeler « troupes au sol »). Et même dans cette approche, ils se sont même interdit initialement l’emploi de certaines armes, apparemment encore trop risquées, comme l’artillerie ou les hélicoptères d’attaque.
Nous nous sommes complètement alignés sur cette approche. Nous l’avons pratiqué dans le passé, rarement avec succès il faut le dire, mais peu importait le passé, peu importait le fait qu’à partir du moment où l’action aérienne primait, cela nous condamnait à ne représenter que 5 % de l’action globale (contre 80 % pour les Américains), l’essentiel était clairement de participer et d’être présent.
Cette approche présente le grand avantage politique (politicien plutôt) de réduire considérablement les risques pour nos soldats, au moins à court terme. Elle présente néanmoins de nombreux inconvénients que l’on a, sans surprise, retrouvés ici.
Le principal est que cela lie les évènements aux forces locales. On passera sur le fait que, quel que fut le mode opératoire choisi complet ou indirect, il fallait s’associer avec une armée qui, comme en Syrie, lançait des barils d’explosifs sur Falloujah en 2013, ou des milices chiites radicales peu avares d’exactions sur la population sunnite (comme à Tikrit en 2015 par exemple). Concentrons-nous sur les problèmes techniques. Par principe, ces forces locales souffrent de nombreuses faiblesses, sinon elles n’auraient pas été battues et au moins, elles n’auraient pas besoin d’aide extérieure pour combattre l’ennemi. Or, il faut toujours du temps pour combler ces faiblesses, en admettant simplement qu’il s’agisse d’un problème de nombre, de compétences et d’équipements.
Dans ces conditions, au lieu de mois, il faut compter que la reconquête demandera des années. On savait dès 2014 que la seule phase de destruction du territoire-Califat durerait déjà probablement plus longtemps que la Première Guerre mondiale. Il est d’ailleurs toujours étonnant de voir nos dirigeants se lancer dans des prédictions, toujours optimistes et toujours démenties. La dernière en date étant celle du président de la République annonçant la fin du territoire de l’EI pour le printemps 2018. Notons déjà que pour une organisation comme l’État islamique, une résistance aussi longue face à une telle puissance constitue au moins une victoire symbolique sur laquelle il peut peut-être capitaliser.
Surtout, la statistique joue. Plus une guerre dure, plus les destructions et les souffrances sont grandes. Des risques faibles à court terme deviennent importants sur la durée.
Les pertes de soldats, qui l’on voulait éviter à tout prix, finissent par arriver. Au bout de quatre ans, plus de 90 Américains, militaires ou civils contractors (lire « soldats discrets ») sont morts pour la plupart par accidents. On est loin des pertes de la période d’occupation, mais cela correspond déjà à que la France a perdu en Afghanistan ou à Beyrouth en 1983. Deux soldats français sont morts également en Irak, un par l’ennemi, un par accident (plus deux autres du service Action en Libye).
Les pertes civiles augmentent aussi. Au lieu de quelques milliers de frappes aériennes ou d’artillerie, de millions de cartouches qui auraient été nécessaires pour une campagne de quelques mois, il faut désormais parler en dizaines de milliers de bombes et obus et en dizaines de millions de cartouches. Malgré toutes les précautions prises, et en particulier par les Français il faut le souligner, avec la pratique ennemie des boucliers humains, cela finit par faire forcément des dégâts sur le terrain et la population. Les villes reconquises sont ravagées et des milliers de civils sont tués. La Coalition admet être directement responsable de la mort de 1 200 civils. Le site AirWars, qui recense et recoupe des témoignages, évoque une fourchette probable entre 6 000 et 9 000, soit sensiblement ce qui est aussi imputé à l’État islamique. Ces dégâts et ces pertes, outre leur aspect moral et éthique, ne sont jamais neutres politiquement. Aurait-on eu moins de dégâts que cela peut avoir en agissant plus vite, avec des troupes au contact ? Sans aucun doute, ne serait-ce que justement parce qu’on aurait été plus vite.
On n’en parle jamais, mais accepter qu’une organisation qui pratique le terrorisme conserve une grande liberté d’action, c’est également augmenter la probabilité d’occurrence d’attentats majeurs en métropole. En commençant cette guerre, on aurait dû avoir l’obsession de réduire au plus tôt cette liberté d’action et en particulier la possibilité d’engager des commandos en France. Cela n’a pas le cas et l’ennemi a pu organiser des attaques majeures en France. La lenteur des opérations en Irak et en Syrie n’est évidemment pas seule en cause. La faute en revient surtout, malgré les dénégations un peu pathétiques qui ont suivi, aux défaillances des organismes « boucliers » de la population, en partie de leur faute et partie par la négligence de l’État dans ses missions régaliennes.
Au bilan, en acceptant docilement l’approche américaine, nous avons effectivement préservé nos soldats, mais en transférant le risque sur d’autres, forces locales bien sûr, irakiens, syriens, kurdes, qui prennent complètement le combat direct à leur compte, et donc aussi par la lenteur des opérations en partie aussi aux populations locales, mais aussi nationales. La guerre de la France contre l’État islamique est la seule de notre histoire où il est à ce jour tombé presque cent fois plus de Français civils que de soldats. Nous sommes en contradiction complète avec le principe de base qui veut que ce soient les soldats qui prennent le risque sur eux pour justement en préserver les autres.
A-t-on pour autant modifié notre façon de faire ? Nullement. Après les attentats de janvier 2015, dont un était revendiqué par l’EI (et l’autre par AQPA, contre qui aucunes représailles visibles n’ont été exercées) on a énergiquement lancé nos soldats… dans les rues de France. Après les attentats de novembre 2015, le président de la République déclarait « solennellement » devant les familles des victimes qu’il mettrait « tout en œuvre pour détruire l’armée des fanatiques qui avait fait cela ». Le « tout en œuvre » a consisté à envoyer une batterie d’artillerie en Irak. Cela ne constituait même pas une audace vis-à-vis des Américains puisque ceux-ci, qui ne demandent pas leur avis aux Français pour agir, l’avaient déjà fait depuis des mois. Si cette batterie d’artillerie était si importante, et quant à rester dans la même approche, pourquoi ne pas l’avoir engagé d’emblée alors ? Pourquoi ne pas en envoyer plusieurs ? Pourquoi ne pas avoir engagé d’hélicoptères d’attaques ? etc. Les Russes ont d’emblée engagé un dispositif de frappes et d’appui complet et cela a été plus efficace que les renforcements progressifs auxquels la Coalition a procédé.
Était-ce une question de moyens ? Si c’est le cas, il faut revenir plus haut aux paragraphes « empilement des opérations » et « réduction des moyens depuis vingt-cinq ans » et se poser de sérieuses questions.
Surtout, il faudra qu’on explique pourquoi on a engagé une campagne aéroterrestre complète au Mali en 2013 avec quatre bataillons au contact, que l’on continue à le faire au Sahel et pas en Irak. Était-on plus menacé par le Mujao que par l’État islamique ? Il semblait, dès 2014 que non. Aurait-ce changé quelque chose de procéder en Irak-Syrie comme au Sahel ? Incontestablement bien plus que ce que nous avons fait, même si ce que nous avons fait a été bien fait. L’opération Chammal, la contribution française à l’action de la Coalition, c’est depuis septembre 2014, environ 10 000 soldats irakiens formés, et selon les chiffres officiels en moyenne une frappe aérienne et un tir d’artillerie chaque jour détruisant un à deux objectifs. Tactiquement, nos soldats ont fait et continuent de faire le travail demandé avec efficacité. Il n’est pas négligeable, on fait du mal aux djihadistes. Au niveau opérationnel, c’est simplement insuffisant. Si la France avait été seule à s’engager en Irak, avec les mêmes moyens et les mêmes méthodes qu’en 2014, l’État islamique aurait subi des coups, mais n’aurait même pas été freiné. En restant dans la même approche, mais avec la plénitude des moyens, à la manière des Russes, cela aurait été déjà plus efficace. En imposant notre autonomie opérationnelle au sein de la Coalition et avec un mode opératoire similaire à celui de Serval, notre poids sur les événements aurait été bien plus important. On serait non pas un actionnaire à 5 % mais peut-être à 30 %. Notre voix serait plus forte. Plus important, notre combat serait plus à la hauteur des enjeux, ne serait-ce d’ailleurs que par respect pour les victimes des attentats, et la destruction du territoire de l’Etat islamique aurait été accélérée.
Pour l’instant, si on fait disparaître d’un coup de baguette magique les Américains de la zone des combats, nous voilà en pleine lumière tels que nous avons toujours été dans cette guerre : légers, à tous les sens du terme.