"En tuer", devise du 501e
Régiment de chars de combat
Ainsi donc, on découvre que cette nation dont le Premier ministre
avait déclaré être « en
guerre » après les attentats de janvier 2015 et dont le Président
s’était engagé après ceux de novembre à «
détruire l’armée des fanatiques qui ont commis ces crimes » chercherait
à tuer des combattants ennemis et traquerait plus particulièrement les traîtres
parmi eux. Quelle surprise ! Quelle surprise surtout que cela puisse
surprendre certains. Preuve en tout cas que les choses ne sont pas forcément
claires pour tout le monde et la faute en incombe à ceux qui étaient chargés de
dire les choses.
La France affronte l’Etat islamique depuis qu’elle a rejoint la
coalition dirigée par les Américains en septembre 2014. C’est à cette époque
qu’il aurait fallu certainement clarifier les choses, avant de paraître surpris
par le fait que ceux que nous attaquons nous attaquent aussi. Déclarer la
guerre, c’est désigner un ennemi et désigner un ennemi c’est lui reconnaître un
statut politique et une forme d’équivalence dans ce qui devient un dialogue
violent. On peut comprendre que l’on soit réticent à accorder ce statut à des
groupes méprisables par leur faible volume ou, surtout, par leur comportement
ignoble. Le problème est que si on ne le fait pas, on reste automatiquement
dans le cadre d’une mission de police, avec ses contraintes nécessaires mais parfois
inadaptées. A cette époque on était parti « détruire les égorgeurs de
Daech », selon l’expression du Ministre des Affaires étrangères, peu
avares de déclarations aussi floues qu’hyperboliques.
Pas d’ennemi donc mais une bande de psychopathes que par
coquetterie on refusait (et refuse toujours) de désigner par le nom qu’ils se
donnent ; pas de guerre non plus mais une criminalisation et par voie de
conséquence pas de cadre politique clair à l’engagement de la force. Accessoirement, on
n’engageait pas non plus beaucoup de moyens (initialement environ 5% de l’effort
total d’une coalition, elle-même en appui de « forces décisives »
locales) pour atteindre cette très hypothétique destruction. Comme plus tard
pour l’opération Sentinelle,
l’essentiel était bien plus dans la présence visible que dans les effets réels.
Si l’Etat islamique n’avait eu que la France comme adversaire, il serait actuellement
très prospère.
Il aura donc fallu attendre les attaques de janvier 2015 à Paris
pour « annoncer » la guerre. Mais annoncer la guerre ne constitue que
la première partie de la « déclaration ». On ne déclare pas la guerre
à un mode d’action comme le « terrorisme » ni même à un ensemble flou
(« le terrorisme islamique ») mais à des entités politiques
clairement désignées. Mais ce n’est pas tout. La déclaration de guerre n’est
pas là pour répondre à une émotion mais pour donner un cadre à un emploi
exorbitant et exceptionnel de la force. L’état de guerre crée de facto un
espace-temps où les règles habituelles de droit civil cèdent la place au droit des conflits armés (qui s’applique aussi aux conflits non-étatiques).
Ce cadre doit être clairement défini. Il y a cent ans, en 1917, la France était découpée entre la « zone des armées » (le « front »), où s’appliquait le droit de la guerre (et donc la possibilité de tuer hors légitime défense ou application d’une peine de justice), et la « zone arrière », où s’appliquait le droit normal. Il en est de même dans la guerre contre l’Etat islamique. Même si cela peut heurter la logique aristotélicienne de certains (A et non-A ne peuvent coexister), il peut et il doit y avoir des zones différentes de droit dans une même guerre. Il est nécessaire toutefois de délimiter clairement celle « des armées ». Dans le cas de la guerre de l’EI, on s’est limité d’abord à l’Irak avant de s’étendre à la Syrie un an plus tard.
Ce cadre doit être clairement défini. Il y a cent ans, en 1917, la France était découpée entre la « zone des armées » (le « front »), où s’appliquait le droit de la guerre (et donc la possibilité de tuer hors légitime défense ou application d’une peine de justice), et la « zone arrière », où s’appliquait le droit normal. Il en est de même dans la guerre contre l’Etat islamique. Même si cela peut heurter la logique aristotélicienne de certains (A et non-A ne peuvent coexister), il peut et il doit y avoir des zones différentes de droit dans une même guerre. Il est nécessaire toutefois de délimiter clairement celle « des armées ». Dans le cas de la guerre de l’EI, on s’est limité d’abord à l’Irak avant de s’étendre à la Syrie un an plus tard.
Dans cette zone précise tout combattant ennemi, à condition bien sûr qu’il soit clairement identifié comme tel, peut évidemment être tué et pour cette simple raison qu’il est justement un combattant ennemi. Dans les différentes zones de guerre que la France a créée précédemment depuis cinquante ans, nos soldats ont exercé ce droit de tuer sur, au moins, 6 000 combattants adverses, pour l'immense majorité membres de groupes armés. Et on ne parle pas ici des agresseurs tués au autodéfense dans les opérations de stabilisation (qui relèvent de la police internationale).
Dans ce cadre, justifier des attaques contre l’ennemi uniquement pour prévenir des attaques sur le sol français, comme ce fut le cas avec les premières frappes aériennes françaises en Syrie en octobre 2015 (en voulant sans doute justifier ainsi l’invocation de l’article 51 de la charte des Nations-Unies), paraît donc étrange. Soit nous agissons dans une zone de guerre et il est inutile de justifier des attaques de cette façon puisque par principe tout combattant ennemi est une menace potentielle, soit nous ne sommes pas dans une zone de guerre et dans ce cas cet acte constitue une violation flagrante du droit. Il peut arriver que cela soit malgré tout absolument nécessaire mais cela relève alors de l’action clandestine et des services spécialisés.
Ajoutons que l’encadrement de la guerre se fait par un droit
spécifique, un espace défini mais aussi par une fin, car contrairement à la
mission de police qui subsiste tant qu’existent des contrevenants à la loi et
l’ordre (autrement dit probablement éternellement) la guerre a forcément une
fin. Cette fin il est préférable de l’anticiper avant de déclarer la guerre, en
décrivant la « meilleure paix » que l’on souhaite obtenir. Annoncer
que l’on va détruire l’ennemi est très ambitieux surtout lorsqu’on affronte un
groupe armé bénéficiant d’un minimum de soutien populaire et capable de mener
un combat clandestin sur la longue durée. L’Etat islamique est le dernier
avatar d’une série qui a commencé en 2003 avec le groupe Tawhid wal Djihad d’Abou Moussab al-Zarquaoui et a survécu à tous les combats
y compris la défaite de 2008. Celui qui ne se fixe pas d'objectif réaliste ne risque pas de l'atteindre. Maintenir une zone de guerre jusqu’à l’élimination
définitive du dernier combattant de Daesh, et on ne parle ici que du Levant, équivaut à nous maintenir dans une mission permanente dont on ne pourrait sortir que par une évolution radicale de l'environnement politique indépendante de notre fait.
Le plus réaliste serait probablement de déclarer comme objectif la fin de l’Etat islamique en tant que proto-Etat et donc de sa territorialisation, en espérant que ces capacités d’action à distance, directement ou par délégation, en soient amoindries et qu’il ne soit donc plus en mesure de mener des attaques importantes contre la France. Il sera alors temps de refermer la zone de guerre, quitte à la rouvrir plus tard si nécessaire. En attendant, il existe toujours une autre zone ouverte de guerre au Sahel, plus claire dans sa géographie et avec une prise de risque plus importante mais dont il serait utile d’exprimer aussi une fin un peu plus claire.
Le plus réaliste serait probablement de déclarer comme objectif la fin de l’Etat islamique en tant que proto-Etat et donc de sa territorialisation, en espérant que ces capacités d’action à distance, directement ou par délégation, en soient amoindries et qu’il ne soit donc plus en mesure de mener des attaques importantes contre la France. Il sera alors temps de refermer la zone de guerre, quitte à la rouvrir plus tard si nécessaire. En attendant, il existe toujours une autre zone ouverte de guerre au Sahel, plus claire dans sa géographie et avec une prise de risque plus importante mais dont il serait utile d’exprimer aussi une fin un peu plus claire.
Dans ce cadre délimité de droit, d’espace et de temps, le fait que
les combattants que nous affrontons soient des ressortissants français passés à
l’ennemi ne change fondamentalement rien, sinon qu’on peut logiquement
considérer qu’ils représentent une menace encore plus importante pour la France
que les autres et méritent donc une attention particulière. Tuer en zone de guerre n'a d'intérêt que si cela finit par produire des effets stratégiques. Dans la mesure où un seul individu peut provoquer un attentat, tuer des djihadistes français (pas les seuls mais les plus susceptibles de le faire en France) à des effets stratégiques immédiats pour notre pays. Les ressortissants français et même européens constituent donc logiquement un front particulier à l'intérieur du combat général contre l'EI. Il faut évidemment profiter de leur présence de la zone de guerre pour éliminer le plus possible de traîtres, si possible physiquement, à défaut en les capturant. Dans ce dernier cas et de la même façon hors de la zone de guerre, ils constituent des prisonniers mais des prisonniers particuliers car ils ont pris les armes contre leur Patrie. Ils doivent donc être traduits en justice pour trahison (article L331-2 de justice militaire ou art. 411-4 du code pénal). Je regrette pour ma
part qu’on ne fasse pas plus d’effort pour les traquer et les tuer nous-mêmes autrement
(au moins officiellement) que par des tirs à distance. Il est quand même singulier dans une guerre que les seuls soldats français que l'on voient affronter l'ennemi soient en métropole.
La guerre est un objet politique et la politique, selon
l’expression du général de Gaulle, est une chose trop sérieuse pour être
confiée aux politiciens. La guerre est aussi une chose grave qui devrait, si
possible, faire l’objet d’un minimum de débats contradictoires. La guerre
contre l’Etat islamique aurait eu sans doute plus de clarté et plus de force
après un vrai débat suivi d’un vote du Parlement. Je ne suis pas sûr pour ma
part qu’à l’époque, une telle décision se justifiait mais maintenant, si on
décide de faire la guerre, on ne doit pas faire semblant et la faire vraiment.
La faire vraiment, implique, outre la désignation claire d’un ennemi, la définition
d’un espace précis où la violence s’exercera pleinement contre l’ennemi afin
d’atteindre les objectifs politiques que l’on s’est fixé. En
dehors de cet espace, il ne doit y avoir que le droit normal ou la
clandestinité.