La bataille de Mossoul touche à sa fin. L’Etat islamique ne tient plus
désormais, avec peut-être un millier de combattants, qu’un rectangle de deux
kilomètres de long sur un de large adossé au fleuve Tigre. Ce dernier périmètre
est centré autour de la grande mosquée al-Nuri, celle-là même ou Abou Bakr
al-Baghdadi avait proclamé le califat en juin 2014, et correspond sensiblement
à la ville originelle. Les rues y sont étroites et la population civile encore
largement présente. Il sera donc difficile d’y engager des véhicules blindés et l’emploi
d’appuis indirects, par l’artillerie ou les moyens aériens, sera encore plus
délicat que dans les quartiers plus modernes et ouverts. Le combat final sera très difficile. La vitesse de progression des forces de sécurité
irakienne, de l’ordre de 100 mètres par jour jusqu’à présent à l’ouest du
Tigre, risque de diminuer fortement et les pertes augmenter. L’issue ne fait cependant
aucun doute.
Parfois présentée comme la grande bataille décisive, au moins en Irak, la prise de Mossoul ne marquera pas
pour autant la fin de la guerre. A l’ouest de la ville, l’Etat islamique tient
encore les villes de Tal Afar et de Baaj ; au sud, il contrôle
encore la région d’Hawiya entre le Tigre et Kirkouk et il est encore présent
sur l’Euphrate jusqu’à la ville d’Anah. S’il n’est plus, semble-t-il, en mesure
de réaliser des opérations offensives de grande ampleur comme celles de 2014 et
2015, l’EI est encore capable de mener de multiples attaques de harcèlement par
de petites cellules, en particulier à Bagdad et à Kirkouk. Les opérations
militaires ne sont donc pas terminées alors que déjà se dessine un nouveau paysage politique.
Le conflit en Irak, comme celui parallèle et interpénétré en Syrie, est un
conflit-mosaïque, c’est-à-dire qu’il fait intervenir simultanément plusieurs
camps aux intérêts divergents. Contrairement à un conflit polarisé, avec deux
camps clairement définis et où les gains de l’un signifient des pertes
équivalentes de l’autre, les opérations militaires d’un conflit-mosaïque ont
des effets politiques beaucoup plus complexes. Rappelons que la guerre qui se
déroule actuellement en Irak fait intervenir plusieurs coalitions. L’Etat islamique lui-même, nouvel avatar de l’Etat
islamique en Irak formé en 2006 autour d’Al-Qaïda en Irak, en est une.
Cette capacité à regrouper plusieurs groupes armés et milices sunnites, parfois
anciennement ennemis mais tous hostiles à la politique du gouvernement de
Bagdad, avait été un des facteurs principaux du succès de Daech à partir de 2013. Depuis 2016,
le comportement de l’Etat islamique, y compris contre la population sunnite, et
son affaiblissement ont contribué à dissoudre en partie cette coalition (et
donc à accélérer l’affaiblissement). Plusieurs tribus et organisations, en
particulier l'Armée des hommes de la Naqshbandiyya (JRTN) et plus récemment les Brigades de la
révolution de 1920, ont rejeté Daech et le combattent même parfois. Elles sont
surtout prêtes à prendre son relais, car si l’EI n’incarne plus la défense des Arabes sunnites irakiens, ce besoin de défense est toujours là.
Face à eux, on trouve une autre coalition, celle des
Kurdes du Parti démocratique (PDK, dirigé par Massoud Barzani) et de l’Union
patriotique kurde (UPK, de Jalal Talabani). L’UPK a profité de l’offensive de l’EI
en 2014 pour s’emparer de Kirkouk et de ses champs pétrolifères, jusque-là pomme de discorde avec Bagdad et surtout avec les Arabes sunnites qui se trouvent
ainsi privés de toute ressource pétrolière, confisquée au nord par les Kurdes
et au sud par les Chiites. Le Kurdistan a également obtenu de Bagdad d’exporter
son pétrole par la Turquie. L’UPK, proche de l’Iran, lutte avec les milices
chiites des unités de mobilisation populaires (UMP ou Hachd al-Chaabi), contre
l’EI dans la province de Diyala. Au nord, Massoud Barzani ne cache pas son
intention d’annexer plusieurs districts (d'ouest en est, Sinjar, Zummar et Hamdarin) autour de
Mossoul.
Le gouvernement de Bagdad est lui-même partagé entre la ligne du Premier
ministre Haïder al-Abadi et celle de son prédécesseur et actuel vice-président de l’Irak, Nouri al-Malilki toujours
très présent. Ce dernier, qui
avait gouverné de 2006 à 2014 et porte une grande responsabilité dans le
déclenchement de la nouvelle guerre civile et la renaissance de l’Etat islamique,
est proche de l’Iran. Il est le tenant de la ligne chiite radicale, dont
les bras armés sont les UMP et le ministère de l’Intérieur dirigé par Qassim al-Araji,
également leader de la milice chiite Badr (et emprisonné par les Américains en
2003 et 2007 pour avoir organisé des attaques contre eux). Cette armée chiite
irakienne secondée par les Gardiens de la Révolution iraniens est désormais présente
partout. Si l’armée régulière irakienne, soutenue par la coalition américaine
et beaucoup moins sectaire, a eu le premier rôle pendant les premiers combats à
Mossoul, ce n’est désormais plus le cas. Les divisions de l’armée, et notamment
la division d’intervention rapide (ou « division dorée »),
ont souffert pendant la prise de la partie Est de la ville et ont parfois été
déployées ailleurs pour des raisons politiques (dans la région de Tal Afar
notamment pour rassurer la Turquie inquiète de voir les milices chiites s’approcher
de cette ville à forte population turkmène). Ce sont désormais les divisions de
la police fédérale, en particulier sa division d’intervention d’urgence, qui
ont le premier rôle dans la conquête de la partie Est, soutenues seulement par
quelques bataillons blindés et mécanisés de la 16e et 9e
divisions de l’armée. Cette nouvelle phase de la bataille a pris un tour
beaucoup plus violent, les forces de police, moins bien formées et équipées que
la division dorée, prend moins de précautions avec la population et les appuis
indirects, toujours délicats d’emploi dans ce contexte, sont beaucoup plus employés.
Les conséquences ont été dramatiques, les seules frappes aériennes du 17 mars
dans le quartier de Jadida ayant occasionné au moins 150 morts parmi la
population, et la suite risque d’être encore plus difficile. Dans la province de
Diyala mais surtout à l’ouest de Mossoul, où les milices UMP sont en première
ligne, les témoignages d’exactions se multiplient confirmant les craintes que
les Arabes sunnites pouvaient avoir, au regard de tous les engagements précédents
de ces groupes.
L’avenir de l’Irak est donc en réalité assez sombre malgré la victoire attendue
à Mossoul. On n’a absolument aucune idée de la manière dont les provinces
sunnites, Anbar, Salaheddine, Diyala et surtout Ninive, vont être gouvernées après
le reflux de l’Etat islamique. Le retour à la « normale », qui n’a
pas fait l’objet de débats, ne sera pas forcément un retour à la
stabilité, sans doute bien au contraire. La situation des Arabes sunnites
irakiens est critique, peut être encore plus qu’en 2013. La protection de l’Etat
islamique s’est avérée désastreuse, les ressources pétrolières sont désormais
coupées et l’occupation des provinces sunnites par les milices chiites, dans
une moindre mesure kurdes, sera probablement l’occasion de nombreux règlements
de comptes et de pressions diverses sur la population. Les processus électoraux à venir pour le gouvernement des
provinces en septembre 2017 et pour celui du pays en 2018 sont aussi une source
de tensions fortes, notamment si, comme cela est très possible, Nouri al-Maliki
reprend le pouvoir. Sans un changement radical de contexte politique, peu
probable tant les forces de blocage sont importantes, la guerre continuera, sans
doute sous la forme d’une nouvelle guérilla généralisée. L’Etat islamique, dont
on rappellera l’essence irakienne, y aura sans part mais ce ne sera certainement
pas le seul acteur. Le scénario de la violence généralisée de 2006 ne peut être
exclu.
Les conflits-mosaïques sont difficiles à appréhender et encore plus à
présenter. Pour l’instant, le discours de la France sur son engagement en Irak
et en Syrie est un mélange d’hyperboles (« détruire les égorgeurs de Daech »,
« mettre tout en œuvre pour détruire l’armée des fanatiques »), de
simplifications abstraites (on ne donne même pas les noms des organisations que
l’on combat, réduites à un conglomérat unique de « groupes armés
terroristes » ou GAT) et d’horizons flous (un responsable politique français
a-t-il parlé pendant la campagne électorale de l’au-delà de la bataille de
Mossoul ?). Si l’objectif de la France est bien d’aider le gouvernement
irakien à détruire l’Etat islamique sur son sol et à normaliser la situation,
alors nous y sommes encore pour longtemps avec cette difficulté que les avions
Rafale et les canons Caesar ne seront pas forcément d’une grande utilité dans
cette nouvelle phase du conflit, complexe et imbriquée. Il est urgent de savoir ce que nous voulons
vraiment faire sur place, comment nous comptons parvenir à atteindre nos
objectifs et accessoirement de l’expliquer aux Français.
Belle illustration de "l'Orient compliqué" du général de Gaulle. Comme l'Afrique d'ailleurs cette région est complètement déstabilisée et pour longtemps. A-t-elle d'ailleurs été stable un jour? Relativelment sous le contrôle des Français, des Anglais, des Ottomans. Toujours la même règle la-bas : "Baise la main que tu ne peut pas couper".
RépondreSupprimerBonjour Mr Goya,
RépondreSupprimerVu la complexité de la situation en Irak où s affrontent Kurdes, Turcs, Iraniens en plus des Irakiens entre eux. La France a t elle la capacité d imposer un cessez-le-feu et des négociations à toutes ces factions? Ne faudrait-il pas plutôt concentrer nos moyens limités au Mali où la situation se dégrade?
Plus le temps passe et plus j ai l impression que le Moyen Orient est un cas désespéré...
Bonjour, je suis d'accord. J'avais écrit "Africa first" sur cette question.
SupprimerMon colonel,
RépondreSupprimerCertes comparaison n'est pas raison, l'imbroglio politico-religieu-militaire-économique régnant en Irak et Syrie que vous analysez fort bien est tel. Il me fait penser à celui du Liban dans les années 75 à fin 80, celui était relativement moins pire, et nous savons hélas ce qu'il nous a coûté en terme de morts et blessés pour un résultat quasi nul.
En conséquence je souscrit totalement à votre option "Africa first", et il me semble urgent-nécessaire de nous retirer de cette mécanique infernal que sont les conflits Irako-syrien. Outre une dispersion de nos moyens militaires restants, nous ne seront là que les "harkis" à la remorque des belligérants. De plus vu la politique de gribouille de Trump dans cette région (soutien sans nuance à l'Arabie Saoudite et Iran désigné comme l'ennemi prioritaire), ce(es) conflits-guerres risquent d'être sans fin !
Voilà un début d'explication de notre nouvelle ministre "Interrogée par Europe 1, la ministre des Armées françaises, Sylvie Goulard, a reconnu la présence de Forces françaises en Syrie.
RépondreSupprimerC’est un secret de polichinelle : des commandos français opèrent illégalement en Syrie depuis 2011, avec une brève interruption entre mars et juillet 2012.
Les Forces spéciales françaises fournissent un encadrement à divers groupes jihadistes. Elles avaient notamment organisé l’Émirat islamique de Baba Amr (en 2012) et l’attaque de la plus ancienne communauté chrétienne du monde à Maaloula.
« Syrie : Sylvie Goulard confirme la présence de forces spéciales françaises », Europe 1, 26 mai 2017.
Le Français moyen va avoir du mal à comprendre ,beaucoup de mal ,surtout les victimes du Bataclan et de Nice
Au vu des moyens réels déployés en combat urbain en Irak, on a pas la masse en effectifs, ni en matériels militaires pour la mener « la guerre la plus probable »:
RépondreSupprimerhttps://mobile.twitter.com/HKaaman/status/1484543766878904330