Le cahier de la Revue Défense Nationale : Penser autrement, pour une approche critique et créative des affaires militaires vient de paraître.
Il est disponible ici
Avant-propos
Né de la volonté de pousser la
réflexion sur la pratique de la guerre en dehors des sentiers battus, le comité
Penser autrement de l’École de Guerre regroupe une vingtaine d’officiers
français et étrangers curieux de la « chose militaire ». Mu par le désir de
remettre en question certitudes et préjugés, le comité a suivi une démarche
constructive visant à aborder les grandes problématiques de l’art de la guerre
de façon originale et parfois décalée. S’inspirant du monde de l’entreprise, du
milieu médical et des techniques de consulting, l’activité du comité s’est
structurée autour de trois grands piliers.
Comprendre
avec pour objectif l’acquisition d’une forme d’« hygiène de la pensée ». Les
biais culturels peuvent en effet nuire à l’appréhension d’une situation
complexe, et donc à la production d’un raisonnement réaliste. L’étude d’autres
civilisations, au travers de leurs systèmes de pensée, est un bon moyen pour
atténuer cette tendance naturelle à l’ethnocentrisme.
Créer
avec pour but le développement d’une méthode de pensée innovante. Si trouver la
bonne idée peut relever du facteur chance, cette approche demeure toutefois
hasardeuse dans un contexte d’engagement opérationnel militaire. La créativité
ne relève pas seulement de l’inné mais participe aussi d’un processus que l’on
peut contrôler et surtout entretenir.
Décider
avec pour leitmotiv la compréhension des ressorts qui entourent la décision du
chef. Convaincre, communiquer ou bien encore animer ont été les grandes
thématiques de ce pilier.
Afin de
répondre à cette ambitieuse feuille de route, le comité a organisé plusieurs
séances d’échanges avec des intervenants aussi passionnants que divers. De
l’innovation dans les armées aux dangers de la pensée Powerpoint, en passant
par le fonctionnement du cerveau ou bien encore la perception de l’Occident par
le Moyen-Orient, les sujets ont été nombreux, parfois originaux, mais toujours
en phase avec les attendus de la scolarité.
De plus,
bénéficiant de la bienveillance de la direction de l’École de Guerre, le comité
a aussi eu l’opportunité de mener une réflexion sur les modalités d’intégration
d’un module « Penser autrement » dans l’enseignement académique dispensé au
sein de cette vénérable institution, démontrant par ailleurs le souci des
armées d’adapter sans cesse la formation aux exigences d’un monde qui évolue.
Ainsi,
ce Cahier de la RDN est avant tout un recueil de l’ensemble de nos échanges et
réflexions menés au cours de cette année. Il a pour modeste ambition de
susciter le questionnement et, nous l’espérons, le débat.
Le comité Penser
autrement 22e promotion, « Maréchal Leclerc » École de Guerre
Sommaire
Notre force : les
idées François Perrier
La bataille des idées est certainement un des combats principaux
auxquels notre défense doit se préparer. Il faut penser plus vite et mieux que
nos adversaires. Pour être à la hauteur de ce défi, les officiers doivent être
armés pour comprendre le monde dans sa complexité, pour le penser autrement. Il
ne leur est plus simplement demandé d’être efficace sur le terrain, il faut
être créatif et innovant. C’est la raison pour laquelle l’enseignement
militaire supérieur doit devenir l’acteur principal qui préparera notre
institution à engager et à gagner cette bataille des idées.
Apprendre à penser
autrement dans l’Enseignement militaire supérieur Jean-Michel Millet
La supériorité technologique des pays européens se réduit
inexorablement. Le seul facteur permettant de prendre l’ascendant pourrait
alors être le « penser mieux ». Or, aujourd’hui, il n’existe, dans
l’EMS, aucun enseignement spécifique ou contenu précis sur l’apprentissage du
« penser autrement ». Dans l’histoire des conflits, les armées
victorieuses ont été celles qui avaient une façon commune d’envisager les
problèmes et leur résolution ou qui partageaient la même « culture
d’entreprise », intériorisée par chacun de ses agents et développant
l’initiative et la faculté de s’exprimer librement. Il s’agit donc de montrer
d’abord la nécessité stratégique de penser autrement pour vaincre.
Peut-on encore s’autoriser
de la fantaisie dans nos armées aujourd’hui ? Alexis Guegan
L’histoire nous a parfois démontré que la profession militaire
n’était pas exempte d’ironie, de comique et de bouffonnerie. Les XVIIIe
et XIXe siècles regorgent de figures plus ou moins excentriques
pour qui la guerre fut avant tout un art, le champ de bataille une nécessité
mondaine et la garnison un lieu de rencontre entre plusieurs esprits
capricieux. Ainsi, pas de fantaisie sans une forme d’audace à la légèreté ou à
l’espièglerie. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nos armées actuelles ont-elles perdu
la faculté de rire de tout,
y compris d’elles-mêmes ?
La grande roue de
l’évolution des armées Michel Goya
L’évolution des armées relève de la science complexe car elle doit
conjuguer plusieurs processus parallèles, face généralement à un ennemi soumis
aux mêmes contraintes. Ces processus : laisser-faire, améliorer ou transformer,
visent tous au bout du compte à changer un capital d’habitudes.
Pour un surge des idées David Petraeus
Dans cet entretien le général Petraeus nous délivre ses clés pour
une éducation militaire permettant la créativité et l’innovation. Il nous parle
également de son expérience en tant que chef pour faire des unités sous ses
ordres des « organisations apprenantes », ainsi que de son appréciation
de la situation en Irak et en Syrie.
De l’idéologie du
changement Gaétan Clin
Il arrive que des idées nouvelles et innovantes à un moment donné
deviennent une nouvelle doxa. C’est le cas de la notion de changement, qui tend
à devenir une fin en soi et consacre l’essor du « managérialisme » dans les
armées, non sans conséquences sur l’aspect humain des forces.
Tactique : le devoir
d’imagination Rémy Hémez
La guerre est à la fois une science et un art. À ce titre elle fait
appel à des qualités qui, de prime abord, ne sont pas celles du guerrier. Parmi
elles se trouve l’imagination qui se trouve être un facteur clé pour la
victoire. Face à un environnement de plus en plus complexe, l’imagination du
tacticien ne doit plus seulement être l’apanage de quelques chefs hors du
commun mais bien être institutionnalisée. Cela nécessite quelques évolutions,
en particulier en ce qui concerne l’esprit qui anime les officiers.
Jeux vidéo : une ouverture
sur l’Histoire Julien Pernet
Les jeux vidéo immergent les joueurs dans des décors et contextes
réalistes qui se nourrissent souvent de l’histoire. La découverte de ces
environnements est une vraie opportunité pour aller plus loin et développer
ainsi sa connaissance, sa culture.
Pour une hygiène de la
pensée dans le processus de prise de décision ou comment atteindre la haute
fiabilité Christian Morel
Après la publication de l’ouvrage Les décisions absurdes, l’auteur
s’est tourné vers les univers à hauts risques pour étudier les processus
favorisant les décisions éclairées. Dans l’aviation, la marine ou le nucléaire,
de nombreux travaux ont en effet eu pour but, et généralement pour effet, de
conduire à une haute fiabilité. Son enquête, menée aussi sur des terrains
inattendus comme les randonnées hivernales en haute montagne ou les blocs
opératoires, amène à renouveler en profondeur les « bons principes » de
fonctionnement des organisations. Il énonce des métarègles contribuant à la
prise de décisions hautement fiables : travail collégial, non-punition des
erreurs non intentionnelles, rigueur jurisprudentielle, renforcement
linguistique, formation aux facteurs humains…
La guerre que l’on devra
peut-être faire un jour Christian Harbulot
La guerre de l’information a deux dimensions : le contenant – de
nature technologique, via les systèmes d’information (piratage, virus,
paralysie ou destruction des communications) – et le contenu – opérations de
propagande et de contre-propagande, techniques de pression psychologique,
méthodes de désinformation, manipulation par la production de connaissances de
nature institutionnelle, académique, médiatique ou sociétale (fondations, ONG).
Le récent piratage de TV5, attribué à Daech, semble indiquer que nous avons
peut-être sous-estimé l’importance de l’information dans la conduite d’un
conflit, y compris avec un groupe terroriste.
Les armées occidentales
peuvent-elles encore gagner une guerre au XXIe siècle ?Marc-Antoine
Brillant
Confrontées au renouveau de la problématique insurrectionnelle, les
armées occidentales peinent aujourd’hui à s’imposer dans les conflits modernes.
Héritières d’une culture guerrière solide mais peu perméable au changement,
elles ont tendance à n’apporter qu’une réponse coercitive peu en phase avec les
réalités contemporaines. Le moment n’est-il pas enfin venu de repenser nos
idées en la matière ?
Relire Sun Tzu à l’ère des
réseaux Patrick Schmoll
La figure de l’ennemi est un point aveugle de la pensée stratégique
contemporaine. Elle oblige le stratège à penser les situations et l’action par
rapport à un ennemi à détruire dans un affrontement duel, et donc à se
focaliser sur l’accumulation des moyens pour être le plus fort. La complexité
des sociétés à l’ère des réseaux et de la mondialisation rend incertaine cette
figure de l’ennemi, et incite la pensée stratégique à approcher son terrain à
la manière de Sun Tzu : répondre à des problèmes limités avec peu de moyens, en
recherchant la disposition intelligente des pièces plutôt que leur nombre.
Les hybrides de Mars Ludovic Vestieu
Les menaces contemporaines sont de moins en moins portées par les
seuls acteurs étatiques. Terrorisme, trafics des êtres humains, trafics de
drogue ou piraterie, les acteurs non étatiques désagrègent l’échelle de la
menace pour descendre au niveau de la personne. Confrontées depuis 1989 à des violences
issues des sociétés civiles, les forces armées opèrent un effort d’adaptation
qui les conduit à quitter le champ de bataille pour investir le contrôle
social. Elles s’engagent dans un processus de « policiarisation ».
Le cyber en opérations Olivier Kempf
Le cyber appartient aux opérations. Si l’on peut discuter de la
possibilité d’une « guerre dans le cyber-espace » ou de
« cyberguerre », il y a à coup sûr du cyber dans la guerre. C’est
pourquoi cet article examine comment les armées s’organisent pour manipuler
l’information avant d’esquisser les fonctions cyberopérationnelles.
Comment vraiment paralyser
un pays à l’aide du cyber Éric Filiol
Contrairement à l’idée générale selon laquelle les cyberattaques
deviennent la nouvelle forme de guerre, reléguant la guerre conventionnelle au
domaine du passé, cet article entend montrer qu’en réalité le
« cyber » n’est qu’une dimension supplémentaire, dont le rôle est
surtout essentiel dans les phases de renseignement et de planification des attaques
classiques. L’article illustre ce propos avec une étude décrivant, selon cette
vision, une attaque (fictive) généralisée contre le réseau électrique des
États-Unis.
Les drones Male : une
capacité fondamentale dans la lutte antiterroriste Christophe Fontaine
Les drones Male avec leurs multiples capteurs, leur endurance
inégalée, et les équipages expérimentés sont une capacité unique et
sous-employée en Métropole. Ils peuvent être engagés depuis Cognac dans toute
la profondeur du territoire national. Si la plupart des drones Male sont
déployés en soutien des forces conventionnelles et spéciales en Opex, l’Armée
de l’air disposera toujours en permanence de moyens indispensables à la
formation et au maintien des compétences qui permettront de soutenir efficacement
en
préventif et en réactif, l’action antiterroriste engagée sur le
territoire national.
Quality versus Quantity:
Is it time to redress the balance of military equipment? Paul Tingey
Les forces armées européennes sont équipées de la technologie
militaire la plus perfectionnée au monde. Cependant, la diminution constante
des budgets a poussé à la réduction du volume des forces et des équipements.
Dans le même temps, nos ennemis potentiels se transforment dans le but de
contester la domination militaire occidentale. La question de la valeur de la
masse mérite ainsi un réexamen. Cet article explore le paradigme émergent des
actions en « essaim » et son potentiel comme alternative de la coûteuse course
à la technologie.
Penser un seabasing à la
française Céline Tuccelli
Disposer de par le monde de points d’appui dotés d’infrastructures
portuaires, véritables démultiplicateurs de puissance, a toujours été un
objectif central pour les grandes nations maritimes. Mais l’émancipation des
pays émergents et les contraintes budgétaires obligent aujourd’hui ces
puissances, et parmi elles la France, à chercher à s’affranchir de la
dépendance terrestre.
Russie-Ukraine : la
maskirovka ou le bénéfice du doute Gabriel Genkine
Comprendre la manière de penser de l’adversaire est un préalable
nécessaire pour cerner ses motivations. Quand les différences culturelles sont
extrêmement marquées, cette compréhension nécessite de laisser de côté ses
présupposés pour espérer décrypter l’état d’esprit de l’autre. Le rapport à la
vérité du pouvoir soviétique, puis du pouvoir russe actuel, est à ce titre
particulièrement révélateur. La seule vérité qui vaille est celle que l’on a
créée et qui supporte l’objectif final.
L’externalisation vers les
ESSD : un chantier non achevé, une avancée nécessaire Didier Bolelli
Si les expériences d’externalisation des armées françaises ne sont
pas un phénomène nouveau, le potentiel que représentent les Entreprises de
services de sécurité et de défense (ESSD) pour le soutien et l’accompagnement
des forces armées n’est pas encore pleinement exploité par la Défense. Un
certain flou dans la définition même des ESSD, une réticence traditionnelle à
externaliser des fonctions considérées comme régaliennes et l’absence d’un
cadre législatif clair peuvent expliquer en partie cette réticence. Pourtant,
même si des défis restent à relever, les raisons de poursuivre le processus
d’externalisation vers les ESSD et d’élargir le périmètre des services
externalisés sont nombreuses.
Éducation et culture : au
cœur de la résolution des conflits Boris Falatar
À la lumière des conflits en Afrique et au Moyen-Orient, la question
de l’éducation semble être au cœur de la résolution des crises. Elle s’intègre
totalement aux phases de stabilisation puis de normalisation. Dans ce cadre,
l’UNESCO joue un rôle clé en mettant en œuvre des programmes pour l’éducation
et la culture. Les armées doivent elles aussi prendre en compte ces facteurs
dans leurs opérations mais la coordination de leurs actions avec celles des
organisations internationales est loin d’être évidente.
Le cahier est disponible ici
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Penser autrement cela voudrait aussi dire, former différemment, vaste, très vaste chantier. C’est aussi comprendre que penser autrement demande, du courage, de la volonté personnelle, celles de se construire, de se cultiver et d’apprendre, parfois en dehors du cadre stricte du « programme ».Cela passe aussi par la capacité de tirer de sa propre expérience une forme d’ouverture d’esprit et de capacité d’adaptation qui ne sont pas également partagées.
RépondreSupprimerJ’ai croisé au cours de « mes carrières » quelques spécimens de diplômés parfaitement incultes, pétris de leur certitudes et incapables de suivre l’évolution du monde. J’ai croisé aussi quelques autodidactes qui en dépit de quelques lacunes pouvaient aisément penser au moins aussi bien que certains qui compte tenu des places acquises avaient obtenus le droit, à moins que ce ne soit un privilège, de ne plus penser, mais qui avaient cependant l’immense responsabilité de décider… sans penser. J’ai rencontré aussi des diplômées remarquablement intelligents et cultivés mais étonnamment muets et discrets au fur et à mesure de leurs ascension vers les sommets… La maskirovka est l’art du savoir-faire penser à l’adversaire ce que l’on voudrait qu’il pense, cette subtilité ne parait pas évidente, elle nous est d’ailleurs si peu ( évidente) qu’au cours de notre récente histoire militaire, nous avons souvent « pensé » un adversaire en le construisant en fonction de notre potentiel supposé, rarement en fonction de notre potentialité réelle, et pratiquement jamais en raison de sa réalité. Lorsque que l’on taille un ennemi à la mesure de sa faiblesse on est certain que la victoire est au bout du chemin. C’est en gros la caractéristique principale d’un exercice d’état-major, vaincre l’ennemi sous-estimé et sous-dimensionné avec des moyens que l’on est supposé avoir et des capacités qui ne seront jamais les nôtres. Penser mieux, pourquoi pas ? Penser autrement, ce n’est pas gagné car cela relève d’un process bien éloigné de celui qui a fait depuis des siècles la force des armées, la verticalité pyramidale de l’autorité. « Quand j'entends des talons qui claquent, je vois des cerveaux qui se ferment. » Le Maréchal Lyautey un grand soldat à la stature d’un homme d’Etat ne peut être contredit… Y’a du taf pour faire évoluer les esprits à défaut de la pensée comme dirait un bidasse, dont la race a disparu depuis si longtemps. .