Lorsqu’il
accède à la présidence des Etats-Unis au printemps 1953, le général Dwight Eisenhower
doit faire face à un contexte international complexe. Staline meurt en mars
mais l’URSS réprime violemment les quelques mouvements insurrectionnels qui
apparaissent alors en Europe de l’est et se prépare à disposer de l’arme
thermonucléaire. La guerre de Corée est dans une impasse et les Français sont
en mauvaise posture en Indochine.
Eisenhower
entreprend alors de prendre le temps de mettre les choses à plat et de dégager
une stratégie face à l’URSS qui dépasse la gestion du court terme. Le 10 juin, au
« solarium » de la Maison Blanche, il ordonne à trois de ses
conseillers, George Kennan, le général de l’USAF James Mc Cormack et l’amiral
Richard Conolly, de former chacun une équipe chargée de défendre respectivement
une des trois stratégies possibles : endiguement (A), défense ferme (B) et
refoulement (C). Chaque
équipe, composée de sept experts civils et militaires issus de différentes
spécialités et disciplines, s’enferme alors pendant cinq semaines au National
War College, avec la possibilité de faire appel à n’importe quelle intelligence
du pays et en ayant accès à toutes les informations disponibles. Le
16 juillet, les équipes sont réunies à la bibliothèque de la Maison blanche avec
le Président, les chefs d’état-major et les membres du Conseil de sécurité
nationale. Pendant toute la journée, elles y exposent leurs propositions et répondent
à toutes les questions.
L’équipe
A, propose de mener une campagne psychologique et économique active contre
l’URSS et ses satellites, de favoriser les liens avec les Alliés et de
privilégier les négociations sur l’emploi de la force jusqu’à la transformation,
attendue à long terme, du régime soviétique.
L’équipe
B de son côté insiste sur la nécessité de disposer d’une forte capacité de
dissuasion, grâce à de puissants moyens conventionnels et nucléaires mais aussi
une doctrine d’emploi claire (Représailles massives), et de la définition de
limites géographiques précises à l’extension communiste. L’équipe B estime
aussi que l’URSS ne peut durer éternellement.
L’équipe
C enfin critique l’endiguement comme une stratégie sans fin et estime qu’il est
vain d’attendre un effondrement du régime soviétique. Elle propose de reprendre
le terrain sur l’ennemi par des actions clandestines et une forte pression
économique sur les satellites d’Europe de l’est.
Tous
les aspects de ces différentes options sont discutés et à la fin de la journée,
le Président Eisenhower prend la parole pendant 45 minutes, effectue une
synthèse des débats et annonce qu’il privilégie la stratégie comprenant le
moins de risque de guerre générale, c’est-à-dire celle de l’équipe A, et qu’il
soit possible de soutenir pendant une très longue durée sans épuiser l’économie
américaine ni renoncer aux valeurs de la nation. Cette
stratégie est décrite ensuite dans le document NSC 162/2 qui forme la pierre
angulaire de la stratégie des Etats-Unis jusqu’à ce que les administrations Kennedy
et Johnson décident de s’en écarter, provisoirement, en s’engageant massivement
au Vietnam avec le succès que l’on sait.
Pourquoi
reparler du projet Solarium maintenant ? Tout simplement car il illustre parfaitement la
difficulté de définir une stratégie à long terme, qu’elle soit politique ou entrepreneuriale,
et surtout l’intérêt, pour y parvenir, d’un débat contradictoire et ouvert fondé
sur un travail collectif, prenant le temps de l’approfondissement des
connaissances et de la variété des points de vue. Eisenhower
et son équipe ont pris le temps dans la journée du 16 juillet 1953 de s’imprégner de
tous les éléments du problème, la plupart d’entre eux leur ayant échappé jusque-là
dans la gestion à court terme, et de définir une vision suffisamment cohérente
pour servir de guide pendant finalement presque quarante ans. Difficile de
faire mieux.
Quel pourrait être l’exemple historique exactement à l’inverse des méthodes du Président Eisenhower, de son projet Solarium et de la stratégie clairement étayée qui en est ressortie ?
RépondreSupprimerBon sang, mais c’est bien sûr ! La tragicomédie actuelle de l’UE !
l'UE, on s'en fiche un peu. Ce qui compte, c'est la France, où il y a du travail.
SupprimerIl ne peut y avoir de projet de puissance nationale sans stratégie économique. Et c’est un truisme de dire combien notre économie est dépendante de la zone euro. Si la Grèce venait à quitter l’UE ou la zone euro, nul ne sait qu’elles en seraient les conséquences économiques et politiques pour notre pays (et les autres). En ce sens, l’UE est un problème de politique intérieure, mais également un problème de défense. Ne serait-ce qu’à cause des clauses budgétaires de traités, contraignant fortement le format de nos armées.
SupprimerEt plus ce format est petit, nonobstant la qualité des hommes et des matériels, et plus les choix stratégiques s’amenuisent.
Un article dans la lignée de War & Business ! Est-ce que vous allez reprendre ce blog ?
RépondreSupprimerPour l'instant, non. Il s'est avéré difficile d'animer deux blogs.
SupprimerLes administrations Kennedy et Johnson ne se sont pas du tout écartées du NSC 162/2 pour le Vietnam. Au contraire, elles ont réagi conformément à l'article 13.b qui précisait qu'une attaque contre l'Indochine ou Formose entrainerait une riposte américaine.
RépondreSupprimerPour Formose, il faudra sûrement attendre encore quelques années pour voir si la stratégie tient toujours.