Depuis
son indépendance en 1960, la Centrafrique a connu une succession de pouvoirs
népotiques et incompétents issus de coups d’Etat accentuant à chaque fois
l’instabilité politique du pays et maintenant la grande majorité population dans
la misère. Dans un contexte régional de montée en puissance d’organisations non-étatiques
face à des institutions affaiblies, la prise du pouvoir par François Bozizé en
mars 2003 avec l’aide du Tchad marque cependant bien plus que la nouvelle
expression d’une ambition rapace, c’est, après la Somalie, l’acte de décès de ce qui restait de l’Etat local et l’accélération
de l’effondrement d’un pays.
Au cœur des ténèbres
Dans
les mois qui suivent le coup d’Etat de Bozize se mettent en place des organisations
politico-militaires, conçues souvent pour défendre les intérêts d’une ethnie
avant d’élargir le champ de ses recrutements et de ses activités ayant souvent
peu de rapports avec leur nom. La principale d’entre elles est l’Union des
forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) de Michel Djotodia, proche du
nouveau régime avant d’être accusé de complot. L’UFDR occupe la préfecture de
Vakaga près des frontières soudanaise et tchadienne. Avec plusieurs autres
mouvements alliés, l’UFDR, engage la guerre contre le pouvoir central jusqu’au début
de 2007 lorsque François Bozize accepte de négocier.
Les
forces françaises, qui avaient quitté le pays en 1998, sont à nouveau
modestement présentes à partir de 2003 dans le cadre d’un programme d’aide à la
formation des Forces armées centrafricaines (FACA). Elles interviennent
ponctuellement contre les rebelles dans la région de Birao en novembre 2006 et
mars 2007 pour aider le petit contingent français sur place (voir ici). Une force interafricaine
sous mandat régional ou des Nations-Unies aux noms variés (MISAB, MINURCA,
MINUC, MICOPAX et désormais MISCA) est également présente en permanence à Bangui
depuis les troubles de 1996.
En
août 2012, quatre mouvements d’opposition dont l’UFDR et la Convention des
patriotes pour la justice et la paix (CPJP) du général Noureddine Adam, proche
du Tchad, s’associent pour former la Seleka (« Alliance » en langue
sango) et reprendre les armes face à un gouvernement qui n’a pas respecté les
accords de 2007. La Seleka regroupe de 15 à 20 000 combattants dont
beaucoup de jeunes désœuvrés et surtout d’étrangers, mercenaires ou simples
éleveurs nomades. Aidé par le Tchad, qui a décidé d’abandonner Bozize, la Seleka
contrôle rapidement la majorité du pays, en particulier le Nord, et entre
taxes, péages, confiscations ou pillages, le met en coupe réglée. L’Armée de
résistance du Seigneur (ALR) de Joseph Kony chassée d’Ouganda est également
présente dans le Sud-Est sans intervenir directement dans les combats. La Seleka
étant composée pour une grande majorité de musulmans alors que le pays est
chrétien à 80 %. François Bozize agite la peur du djihadisme et favorise les
milices d’auto-défense anti-balaka (« anti-machette »). Il est vrai
que exactions de la Seleka contre des villages Chrétiens et la destruction d’églises
donnent de la consistance à ses propos. Bozize fait appel aussi à la France, qui
refuse de l’aider, puis à la République sud-africaine qui envoie un bataillon de
200 hommes.
En
janvier 2013, les accords de Libreville mettent fin provisoirement aux combats.
Un gouvernement d’union nationale est mis en place avec Michel Djotodia comme
vice premier ministre et ministre de la défense. A la mi-mars 2013, Bozize
annonce qu’il se représentera aux élections de 2015 ce qui est contraire à la
constitution et suscite la colère des opposants. En mars, Noureddine Adam rompt
le premier la trêve en s’emparant de Sido et de Bangassou à la frontière
tchadienne. Le 24 mars, la Seleka aidée par Tchadiens s’empare de Bangui,
Bozize demande une nouvelle fois l’aide de la France puis s’enfuit. Le 25 mars,
13 soldats sud-africains sont tués.
Un
nouveau gouvernement, censé n'être que provisoire, est mis en place. Michel Djotodia s’autoproclame
Président de la république et Noureddine Adam est nommé ministre de la sécurité
publique. Une des premières mesures de ce nouveau gouvernement est de
reconsidérer les contrats pétroliers au profit du Tchad.
Le
pouvoir acquis et l’argent attendu ne venant pas de caisses vides, les groupes
de la Seleka reprennent leur autonomie pour «se payer sur la bête», en pillant la
population. En août 2013, le ratissage du quartier de Bouira à Bangui, considéré comme le refuge de partisans du Président déchu, est l’occasion d’un nouveau
massacre. La population fuit vers l’aéroport de M’Poko tenu par les forces
françaises. Le cycle de la violence et de la vengeance accélère et commence à déborder
sur les pays voisins. En septembre, Michel Djotodia se désolidarise de la
Seleka qui est officiellement dissoute. Aux abois, il fait appel à la France tout
en prenant contact en novembre avec Joseph Kony.
Le
pays, le 4e plus pauvre du monde, est désormais ruiné et exsangue. L’administration
et les services publics, modestement financés depuis quelques années par le
Congo, principal soutien de Bozize, n’existent pratiquement plus. Les Seleka
ont même brûlé les archives de l’état civil de Bangui et la plupart des
habitants n’ont plus de papiers d’identité. Il est désormais impossible de
déterminer la nationalité de chacun dans ce pays ouvert, ce qui rend de fait
impossible toute élection à court terme.
Une opération risquée
C’est
dans ce contexte que la France décide d’intervenir militairement dans le cadre
d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Outre l’urgence humanitaire,
il ne s’agit pas là de défendre des intérêts locaux très limités (malgré les voyages fréquents de Patrick Balkany à Bangui) mais plutôt de
préserver une influence dans la région (une quarantaine de votes quasi
automatiques africains aux Nations unies, la zone monétaire CFA et intérêts économique).
Il s’agit surtout d’éviter que la Centrafrique ne se transforme définitivement
en zone de non-droit entraînant les pays voisins dans une grave instabilité avec le risque de développement d’organisations islamistes radicales à la
manière de Boko Haram dans le nord du Nigéria.
On
aurait pu faire la guerre, en désignant un ennemi à combattre qui n’aurait pu être
que la Seleka. L’inhibition de l’accusation de retour à la « Françafrique »,
l’éclatement de la Seleka et sa criminalisation, l’ambiguïté du pouvoir de
Michel Djotodia, à la fois objet et cause de l’intervention, la dette envers le
président tchadien Idriss Déby, principal allié de la France au Mali et de la
Seleka en Centrafrique, rendaient difficile cette voie.
On
fait donc le choix d’une opération de stabilisation, c’est-à-dire une mission
militaire de sécurisation sans ennemi, autrement dit une mission de police. Comme
cela est déjà été évoqué, le premier principe de ce type d’opérations est d’être
suffisamment fort pour pouvoir s’imposer à tout le monde en même temps, de
manière à éviter que les désarmés soit tout de suite les victimes des représailles
de ceux qui ne le sont pas encore. Cela demande des effectifs d’autant plus
importants que les violences ont été fortes (voir ici). Une ville de plus d’un million d’habitants
demande ainsi la présence d’au moins 15 000 hommes pour assurer sa
sécurité, soit le contrat d’objectif qui est fixé aux forces françaises par le
dernier Livre blanc de la défense. L’engagement d’un tel volume, alors que d’autres
opérations sont en cours et que les effectifs globaux se réduisent par mesure d’économie,
était évidemment inconcevable avec notre modèle de forces. Par ailleurs, même
avec les effectifs militaires suffisants la véritable sécurité ne peut s’obtenir
qu’avec la mise en place d’institutions politiques stables avec des instruments
régaliens efficaces, ce qui demande beaucoup de temps.
Le
manque de moyens et le souci d’un faible coût politique intérieur associé à la version
française de la doctrine américaine de First
in, first out du début des années 2000 (et dont a pu mesurer le succès très relatif par
la suite) ont conduit au choix de l’audace avec une opération limitée mais à
haut risque. L’opération de stabilisation Sangaris
est finalement déclenchée a minima, avec
seulement 1 600 hommes. La seule arrivée de cinq compagnies d’infanterie survolées
d’avions Rafale était censée impressionner les factions, stimuler l’engagement
d’autres nations africaines et peut-être même européennes dans la force des Nations-Unies
et permettre ainsi d’imposer un minimum de sécurité dans la capitale et les
principales localités. Au bout de six mois, comme au Mali, la force française aurait
pu passer en deuxième échelon voire se retirer.
Malheureusement,
le temps n’est plus où 500 soldats français pouvaient changer l’histoire de
l’Afrique. Les différentes organisations armées sont motivées et bien
organisées. Force est de constater que le choc psychologique attendu n’a pas
été au rendez-vous et que la force française est dans une situation délicate,
incapable par son faible volume de s’imposer à tous. Le changement de stratégie
semble inévitable entre le retrait rapide, en considérant la mission comme
impossible et trop coûteuse, et le choix de la guerre contre la Seleka en
passant par le renforcement de la force française (au minimum 5 000 hommes)
et internationale (au moins 10 000 hommes) pour une opération de
stabilisation efficace.