Hugues Esquerre, Dans
la tête des insurgés, Editions du Rocher, Lignes de feu, 8 novembre 2013,
320p.
De Galula à Trinquier en passant par Kitson et Robert
Thompson ou encore John J. McCuen, nombreux sont les auteurs à s’être penchés
sur l'étude de la contre-insurrection.Hugues Esquerre, lui, a choisi de se
plonger « dans la tête des insurgés », il fait le choix de se placer
du côté des insurgés pour comprendre leurs motivations, leur organisation et
leur identité. Tout en revisitant les auteurs « classiques » de la
contre-insurrection, il fait aussi la part belle aux théoriciens de
l’insurrection tels que Lénine, Mao, Che Guevara ou encore Ben Laden. Cette
forme ancienne de conflit a retrouvé une actualité depuis la fin de la Guerre
froide. Les Russes en Tchétchénie, tout comme les Américains en Afghanistan et
en Irak la redécouvrent à leurs dépens, mettant en lumière l'urgence d'un
renouvellement de la pensée en matière de contre-insurrection. Hugues Esquerre
y répond à merveille dans cette analyse historique des insurrections.
L’insurrection reste difficile à définir. En France, deux
termes cohabitent : l'insurrection et la rébellion. La rébellion désigne
la situation dans laquelle la population est majoritairement neutre, alors que
l’insurrection est une situation dans laquelle la population est assez
largement opposée au pouvoir. Dès lors, il apparaît que la population est un
élément central à prendre en compte en matière d’insurrection. Elle n’est pas
non plus une révolution populaire pour Lénine qui considère cette dernière
comme le fruit de l’action des travailleurs qui fragilisent un pouvoir en place
jusqu’à créer les conditions d’une rupture. Celle-ci peut alors être un
préalable à une insurrection mais celle-ci n’est en aucun cas ni spontanée ni
désorganisée et nécessite un fort degré de préparation pour aboutir. L’autre
différence avec la rébellion est que celle-ci est surtout un refus d’obéir pour
attirer l'attention et stopper un système alors que l’insurrection tend à renverser
dans la violence un système et à détruire les structures qui imposent la
désobéissance.
L’étude des stratégies d’insurrection constitue la
première partie de l’ouvrage. Se fondant sur les théoriciens communistes
(bolcheviques, castristes, maoïstes…), l’auteur distingue trois phases à
l'insurrection. La première est clandestine et défensive puis se transforme en
guérilla par la multiplication des attaques. La troisième phase de
l’insurrection est ensuite le passage à la guerre conventionnelle contre les
forces loyalistes, censée mettre en lumière pour les insurgés la capacité à
incarner un autre État. La discipline d’action est primordiale ici. Il est
nécessaire de tempérer l'ardeur à combattre pour définir un plan de campagne.
Cela implique la présence de chefs respectés et compétents au sein de
l'insurrection. L'organisation est ainsi l'élément clé de l'insurrection.
Contrairement à l'image populaire de l'insurgé
enthousiaste au combat qui compense son infériorité par sa ferme intention de
vaincre, l'insurrection apparaît dans l'ouvrage comme le résultat d’un travail
opiniâtre de constitution de réseaux, de structures et d'unité. L’insurgé
n’apparaît plus ici comme le héros romantique se lançant sur les barricades
mais comme un soldat discipliné et un gestionnaire sérieux. Hugues Esquerre
distingue quatre piliers autonomes au sein de l'organisation de
l'insurrection : l'organisation politico-administrative, l'appareil
militaire (créer des unités, des milices puis des forces régulières pour la
dernière phase de l'insurrection) ; la branche terroriste (elle est
incontournable et doit être encadrée tout en restant autonome de l'appareil
militaire pour ne pas le mettre en danger) ; ainsi que une ou plusieurs
vitrines légales (parti politique, associations, clubs sportifs, …). La
coordination de ces piliers sera déterminante pour l’insurrection et doit être
commandée par un chef unique. Cette autorité unique n’est cependant pas
nécessairement un seul et même individu mais peut se présenter sous la forme d’un
commandement unifié. L’unité doit être à tout prix préservée, car les luttes
intestines constituent un des dangers principaux auxquels doit faire face
l'insurrection, l’histoire nous l’enseigne. Si l’organisation est nécessaire,
elle ne doit cependant pas se faire au détriment de l'autonomie et de
l’initiative de la base sans quoi l’insurrection serait menacée de mort. Aussi,
si le pouvoir doit être absolu à la tête de l'insurrection, le militaire doit
être subordonné au politique en ce que l’insurrection est avant tout un projet
politique pour construire une société nouvelle.
L'insurgé lui-même doit être entraîné et discipliné, sa
foi en la victoire doit être cultivée par l'organisation, allant jusqu’à une
véritable religiosité qui s'apparente parfois en l'endoctrinement. L’usage de
nombreux témoignages par l'auteur, par exemple de nombreuses lettres de Ben
Laden, donnent à voir, de façon éminemment vivante, le caractère sacerdotal de
l'engagement de l'insurgé.
Le recours à la violence est l'autre point central de
l'ouvrage. L’audace, l’offensive et l'initiative sont les maîtres mots des
insurgés. Elles lui permettront de conserver ce qu’il a de plus précieux :
sa liberté d’action.
Le recours à la guérilla est ici la forme la plus
répandue: l’objectif n’est pas de défaire l'ennemi dans des batailles pour
l’amener à capituler mais de détruire sa volonté de combattre jusqu’à son
effondrement. Une leçon ressort alors de l'analyse : la violence sans
l'intelligence avantage le plus fort alors que la violence avec l'intelligence
avantage le plus souple et le plus rusé. C’est la course dans ce que Clausewitz
nomme « l'art de la tromperie ». Dans son activité de guérilla,
l'insurgé a pour lui différents outils : le « coup de main »,
qui désigne les petites opérations militaires visant un objectif précis,
l'embuscade et le harcèlement. C’est là qu’apparaît un concept clé de
l'insurrection : la supériorité numérique relative, que Mao résume en ces
termes : « d’un point de vue stratégique, le principe de guérilla est
de se battre à un contre dix, mais d’un point de vue tactique, c’est de se
battre à dix contre un ». L’objectif de l'insurgé sera alors de créer un
surnombre local malgré un sous-nombre global. Dans cette optique, les cibles
les plus faciles (objectifs non gardés, objectifs civils ou objectifs
militaires isolés) seront frappées en priorité. Il faudra alors, pour
l'insurgé, faire preuve de furtivité pour préserver ses forces.
Le terrorisme est l'autre manière répandue de mener
l'insurrection. Si son emploi ne fait pas l'unanimité parmi les insurgés, il
reste amplement utilisé. Son usage est risqué, car il peut retourner la
population contre l'insurrection mais ses effets psychologiques ainsi que son
faible coût le rendent non négligeable pour une insurrection.
L'action psychologique est déterminante. La propagande, le
renseignement et l'action politique sont primordiaux pour l’insurrection.
L'insurgé cherchera alors à rallier un maximum de soutiens. La première des
propagandes est ici l'attitude des insurgés, qui se doit d'être irréprochable,
exemplaire. Elle doit aussi chercher à faire peur aux ennemis, chercher à le
diviser, à le décrédibiliser. La population apparaît alors comme l'enjeu
central de l'insurrection. Elle est pour Mao « l'eau dans laquelle nage
l’insurgé ». Pour les forces légalistes, elle est avant tout un moyen de
maintenir le système existant, un outil au service de la victoire et du
contrôle. En revanche, pour les insurgés, elle est plus que cela : elle
est aussi un outil au triomphe mais ils présentent une relation plus étroite à
la population, car ils en sont issus. Elle est aussi et surtout à la fois la
cause et le but de leur action. Notons toutefois qu’il n'est pas forcément
besoin d'avoir le soutien de la population pour réussir mais il faut à tout
prix éviter qu’elle soutienne massivement les forces légalistes : la
passivité de la population peut être suffisante aux insurgés. Pour s'assurer de
la neutralité ou du soutien de la population, la persuasion et la peur sont les
deux outils à la disposition des insurgés : c'est la « conquête des
cœurs et des esprits » (Sir Gerald Templer, 1952). Convaincre est
insuffisant, il faut aussi intimider la masse de la population pour l'empêcher
de basculer dans l'autre camp.
Ces points constituent les enjeux de l'insurrection. Cette
forme de conflictualité conserve une grande actualité, les conflits en
Afghanistan ou en Syrie en sont témoins. Hugues Esquerre, par une analyse
historique d'une grande richesse redonne ses lettres de noblesse à une théorie
qui intéresse de nouveau les chefs militaires d'aujourd’hui.
Adrien Desbonnet
Che Guevara en photo de couverture!!!Symbole des insurrections ratées qu'il essaya de lancer au Congo ex belge où les partisans de Kabila pére le mirent à la porte et en Bolivie où il fut trahi.Il paya de sa vie sa théorie des ''focos''.
RépondreSupprimerLa leçon fut retenue.Une insurrection doit être nationaliste surtout si des troupes extérieures la combattent.D'autant plus facile si elles sont en nombre(cas afghan).L'idéal est qu'elle repose sur 3 piliers:
Pilier de la guérilla prolongée en milieu rural si possible montagnard ou difficile d'accés(Sierra Maestra pour Fidel Castro).L'ennemi a du mal à occuper en permanence le terrain,s'épuise en contre marches alors que l'insurgé gagne l'estime et le soutien des populations.Son principal probléme est l'approvisionnement en armes et munitions(asphyxie des willayas du FLN) .
Pilier extérieur souvent ''bourgeois'':il lui revient d'assurer l'approvisionnement armé des insurgés, de préserver le soutien apporté par le pays hôte,de gagner la bataille politique médiatique et diplomatique,de créer des possibilités de négociations internes et internationales,parfois d'organiser une armée des frontières qui vole le plus souvent au secours de la victoire après avoir servi de réservoir en hommes et matériels.
Pilier ''prolétarien'' urbain:clandestin son existence est essentielle dans la capitale.Il est source de renseignement militaire et politique pour les deux autres piliers.Il assure la permanence médiatique par des coups d'éclats(attentats, prises d'otages) qui tiennent en haleine les opinions nationale et internationale(présence des journalistes).Son action d'insurrection, préparée souterrainement de longue date ,n'intervient que pour emporter la décision.Là est la difficulté.Le moment du soulévement populaire doit être bien choisi et suppose donc de prendre perpétuellement le pouls de la population grâce à des capteurs qui deviennent des meneurs (religieux,syndicalistes).
Que peut faire dans ce contexte le chef militaire?S'y intéresser comme le souligne Adrien Desbonnet dans sa conclusion.......tout en restant conscient qu'il ne résoudra jamais à lui seul le probléme.Ce sont les politiques qui ont la clef du probléme soit en fuyant de Saigon, de La Havane,de Managua par exemple,soit en négociant en interne,soit en laissant intervenir des médiateurs extérieurs.
Si l'insurrection est étouffée dans l'œuf gare à une nouvelle ponte.Si elle se développe une solution est de jouer les incompréhensions obligatoires entre les piliers,d'abord en les connaissant et en sachant les accentuer et là encore le militaire pur et dur n'est pas adéquat.
Ce sont les politiques qui doivent donc se mettre dans la tête des insurgés mais en ont-ils le temps et l'envie?
Toutes les guérillas n'ont pas connu le succès loin de là : elles ont surtout triomphé face à des pouvoirs en pleine déliquescence et à bout de souffle. Quand elles sont arrivées au pouvoir, elles s'y sont maintenues dans la grande majorité des cas par la violence et grâce à un régime dictatorial.
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