Ceux qui ont lu la France et la
guerre depuis 1962
peuvent tout de suite
aller au dernier paragraphe.
Imaginons
que Le magazine de la santé ne soit
pas présenté par des médecins et ne fasse même intervenir aucun d’entre eux sur
leur plateau. Pire, imaginons que lorsque se posent de graves problèmes
sanitaires en France, on ne fasse jamais appel à des médecins mais simplement à
des représentants politiques, des experts « non-pratiquants » ou, au
mieux, au porte-parole du Conseil de l’ordre.
C’est
exactement ce qui se passe pour les questions militaires et c'est ainsi que l’on raconte souvent n’importe quoi en la matière sur les plateaux de télévision. Après cinquante années et 115 opérations militaires, on
continue à demander si c’est la guerre à chaque fois que l’on tire un coup de
feu, à s’étonner qu’un soldat tombe au combat ou à parler d’enlisement dès
qu’une opération dure plus d’une semaine.
Il est
donc pas inutile de rappeler les principales caractéristiques des opérations
militaires modernes.
1. La France est en guerre depuis
1962…presque exclusivement contre des organisations non étatiques
Les
forces armées françaises ont été engagées depuis 1962 dans environ 400
opérations dont 115 ont engendré des affrontements, soit une moyenne de deux
par an. Ces opérations ayant toutes le même but et presque toutes le même type
d’adversaire, même si celui-ci a eu des visages différents, on peut considérer
que la France
est de fait engagée dans une forme fragmentée de guerre mondiale pour la
défense de ses intérêts et la stabilité du monde face à des organisations
armées non étatiques. Près de 400 de ses soldats sont « morts pour la France » dans ses
opérations et des milliers d’autres y ont été blessés.
Cette
idée ne s’est pas imposée avec évidence car la guerre reste, malgré la lutte
contre le Vietminh et le FLN, encore largement associée dans les esprits à la
guerre interétatique avec sa déclaration et son traité de paix.
En
réalité, sur 155 opérations militaires, 5 seulement relèvent d’un conflit
interétatique : contre l’Irak en 1990-91, la république bosno-serbe en
1995, la Serbie
en 1999, l’Etat taliban en 2001 et le régime de Kadhafi en 2011. Dans tous les
autres cas nos ennemis se sont appelés Frolinat, Tigres kantagais, Polisario,
Hezbollah, Amal, FPR, Taliban, HIG, AQMI, MUJAO, etc. Ce sont eux qui ont
provoqué 99 % de nos pertes et tout semble indiquer que cela va continuer.
C’est le caractère politique de
nos adversaires qui fait de l’affrontement une guerre, sinon il s’agit de lutte
ou au moins de protection contre du banditisme. Cette distinction est essentielle
pour définir le cadre juridique, psychologique et politique de l’emploi des
forces. C’est avec des ennemis que l’on fait la paix, pas avec des délinquants
dont la répression est sans fin. Cette
vision est brouillée par le fait que ces organisations se greffent souvent sur
l’économie illégale pour trouver des ressources et que les Etats hôtes n’aiment
généralement pas qualifier ces organisations de politiques, qui induit un
statut équivalent, leur associant plutôt les qualificatifs de criminelles ou
terroristes.
Après les
embarras afghans, la qualification immédiate de guerre pour l’opération Serval
au Mali témoigne d’une prise en compte de cette réalité par l’échelon
politique.
On notera
également que ces cinq conflits interétatiques ont eu lieu dans une phase
stratégique de vingt ans où la puissance américaine a pu s’exercer avec une
grande liberté. La « fatigue américaine », la réduction de ses
moyens, les contraintes diplomatiques accrues en particulier au Conseil de
sécurité laissent présager une fermeture de cette fenêtre. La possibilité d’un conflit interétatique dans les dix-quinze ans à
venir ne peut être exclue, sa probabilité est faible et il est presque certain qu’il faudra agir de
manière différente, c’est-à-dire sans bénéficier de la puissance aérienne
américaine.
2. Les tentatives de
substitution au duel clausewitzien ont échoué
Pour
Clausewitz, la guerre c’est la confrontation de deux trinités : un Etat
(ou une direction politique)-une force armée-un peuple. L’affrontement est
d’abord un duel entre les deux forces armées antagonistes. L’Etat dont l’armée
a perdu le duel se soumet et impose la paix à son peuple.
L’acceptation
de ce duel induit une prise de risques et donc généralement des pertes humaines,
très peu populaires politiquement. On a
donc essayé de résoudre les nécessaires confrontations en évitant ce duel.
La
première tentative a consisté se
déclarer comme neutre et à se placer au milieu des organisations combattantes,
comme si l’empêchement des combats signifiait la paix. Cela n’a en réalité
jamais fonctionné, les adversaires se nourrissant ou instrumentalisant la force
d’interposition pour continuer le combat. La liste des missions
d’interpositions se confond avec celle des humiliations.
Une autre
approche à consisté à profiter de la
suprématie aérienne des forces occidentales (en fait américaines) pour
considérer l’ennemi comme un système dont on pouvait obtenir l’effondrement par
une campagne de frappes. Dans cette conception, plus les frappes sont
éloignées du contact et en profondeur et plus elles sont considérées comme
efficaces (les premières sont qualifiés de tactique, les secondes de
stratégiques). Dans les faits, seule de la campagne contre la Serbie en 1999 peut être
mis au crédit de cette vision mais en sachant que l’action diplomatique et
surtout la présence d’une puissante force terrestre en Macédoine sur le point
d’intervenir. Tous les autres exemples prouvent que l’emploi seul des frappes à
distance (y compris avec l’artillerie, des hélicoptères d’attaque ou même des
raids d’infanterie légère) s’avère impuissant à obtenir une soumission de
l’autre, surtout les organisations non étatiques dès lors qu’elles ont un
minimum d’implantation populaire. On n’a jamais vu personne se constituer
prisonnier devant un chasseur-bombardier ou un drone.
La décision ne s’obtient finalement
et toujours que par l’occupation ou la destruction des centres de gravité adverses (capitale, base, leader) et cela
passe nécessairement pas des opérations au sol, rendues évidemment beaucoup
plus puissantes lorsqu’elles sont appuyées par des systèmes de feux à distance
dont est dépourvu l’adversaire.
3. la principale
difficulté s’est toujours située après le « duel »
La supériorité sur le champ de
bataille n’amène pas forcément la paix, du moins au sens classique du terme
synonyme de dépôt des armes.
Cette
paix classique est plus facile à obtenir dans le cadre d’un conflit
interétatique et à condition de ne pas détruire l’Etat adverse car c’est lui
qui va gérer la paix en interne. Cela à été le cas de la République de Palé, de la Serbie et de Saddam Hussein
en 1991 et cela a permis une normalisation de la situation. Cela n’a pas
empêché la mise en place d’importantes forces de stabilisation en Bosnie et au
Kosovo.
Lorsque
Saddam Hussein ou les Talibans ont été chassés, il a fallu les remplacer et la
situation politique locale a évolué débouchant sur une nouvelle guerre beaucoup
plus difficile que la première. La destruction, non souhaitée initialement, du
régime de Kadhafi a abouti également à un désordre local aux répercussions
régionales.
Les choses sont encore plus
difficiles à conclure avec des organisations non étatiques. Lorsque nous intervenons contre
ces organisations, c’est que le plus souvent que la situation locale est déjà
grave et qu’elles ont déjà constitué des forces armées. Contrairement à la
période des guerres de décolonisation, la guérilla ne précède pas
l’affrontement sur le champ de bataille mais tend à lui succéder.
Les
batailles ont été rares contre les organisations armées (Kolowezi et Tacaud en
1978, Adrar des Ifhoghas en 2013) et nous les avons toujours gagnées, du fait
de la supériorité qualitative de nos soldats, de la variété de nos moyens et
parce que nous avons toujours combiné la recherche du combat rapproché et les
feux.
Nous
n’avons pas encore été confrontés à des adversaires « hybrides »,
c’est-à-dire disposant d’armements antichars et antiaériens modernes, comme le
Hezbollah, mais a priori les moyens
et méthodes employées jusque-là paraissent adaptées contre eux.
Ces batailles peuvent être
décisives si l’adversaire n’a pas d’implantation populaire locale, comme les Tigres katangais par
exemple à Kolwezi ou même dans une moindre mesure AQMI au Mali. La force n’a
pas besoin de rester sur place dans ce cas.
La vraie difficulté réside lorsque
l’organisation que nous affrontons bénéficie d’un soutien local qui peut la cacher, la nourrir,
la renseigner et surtout lui fournir des recrues. La difficulté est bien sûr
accrue si l’organisation est également aidée par l’étranger et peut s’y
réfugier. Dans ce cas, le combat continue normalement sous forme de guérilla
et/ou d’attaques terroristes. Cette forme de combat est beaucoup plus complexe
à mener. Il peut l’être de deux manières.
On peut
s’engager dans la voie de la
contre-insurrection, c’est-à-dire mener une opération globale visant non
seulement à combattre les forces ennemies mais aussi à s’attaquer aux causes du
soutien populaire à l’organisation. Cela peut réussir, provisoirement, comme au
Tchad de 1969 à 1972, mais cela demande généralement un engagement long et
couteux.
On peut décider au contraire de ne
pas s’engager dans cette voie de contre-insurrection, de se retirer du théâtre ou de
se placer tout de suite en deuxième échelon de la force locale, qui dans tous
les cas de figure doit forcément prendre à son compte la mission de sécurité.
Cette approche impose parfois de revenir « gagner » des duels.
4. On peut aussi
engager la force dans des opérations qui ne relèvent pas de la guerre
On l’a déjà dit, s’il n’y pas ou
plus d’opposition politique, il n’y a pas de guerre. sans parler des opérations d'aide humanitaire, la force
peut aussi être employée pour sécuriser une population. On parle alors de mission de stabilisation. Il n’y a pas ou plus
d’ennemi et les forces locales ne sont pas capables d’assurer la sécurité de
leur territoire soit qu’elles ont failli, soit qu’elles n’existent pas
encore.
Ces missions de stabilisation, qui
ne doivent pas être confondues avec des missions de contre-insurrection, peuvent
prolonger des missions de guerre, comme au Kosovo, ou non. L’engagement actuel
en république centrafricaine relève clairement de cette dernière logique.
Ce type de mission impose une présence physique sur le territoire et
donc des effectifs relativement importants au regard de la population locale. Or, les effectifs des armées
professionnelles occidentales ayant tendance à diminuer aussi vite que les
populations à sécuriser ont tendance à augmenter, le risque premier est celui
de l’insuffisance. On compense ce phénomène par l’engagement en coalition, ce
qui augmente les délais d’intervention alors que la situation impose souvent
l’urgence, et une complexité organisationnelle accrue.
Ces forces de stabilisation ont
pour vocation là-encore à être relevé par des forces de sécurité locales, ce
qui suppose l’existence d’un Etat viable et légitime, généralement la
principale difficulté de la mission. De
fait, les opérations de stabilisation sont presque obligatoirement longues, ce
qui ne doit pas confondu avec un enlisement.
« On n’a jamais vu personne se constituer prisonnier devant un chasseur-bombardier ou un drone. » : lors de l’opération ‘Tempête du désert’, des soldats irakiens se seraient précipités avec un drapeau blanc devant un drone US non armé. Info ou intox ? Si quelqu’un a déjà entendu parler de cette histoire…
RépondreSupprimerOui, c'est une anecdote bien connue. Je ne crois pas cependant que le drone ait ramené les prisonniers au camp. C'était une bonne information sur l'état d'esprit de l'ennemi, ce qui est toujours difficile à déterminer vu du ciel.
SupprimerLa question de l'absence de militaires dans les débats sur les opérations militaires et l'intervention politique dans ces sujets trouve il me semble sa genèse dans le Révolution française et dans la IIIè République (1ere GM) quand les politiques prennent les directions des opérations et tentent de présenter l'Armée comme un pilier de la République (voir illustration le triomphe de la République 1880)
RépondreSupprimerC'est pas moi qui le dit...
Supprimer"La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires."
Georges Clemenceau
Le problème est de la confier à des journalistes ou des politiciens à la recherche de popularité.