Affichage des articles dont le libellé est sangaris. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est sangaris. Afficher tous les articles

mercredi 2 novembre 2016

Un papillon sur l'épaule. Honneur aux soldats de l'opération Sangaris


Modification d'un billet publié le 31/12/2014


Quel est le combat le plus violent mené par des forces occidentales depuis 2013 ? Il s’agit certainement de l’affrontement survenu les 4 et 5 août entre les soldats français du Groupement tactique De Boissieu et des combattants de l’ex-Seleka à Batanfago au nord-ouest de la Centrafrique. Deux soldats français et un soldat congolais de la MISCA y ont été blessés alors que les bandes de la Seleka ont été détruites avec, selon les sources, de 37 à 70 tués et un nombre inconnu de blessés. Le fait est que, hormis quelques images passées en boucle sur les chaînes d’information pendant une journée, ces événements n’ont guère été mis en avant par le gouvernement. Tout se passe comme si cette victoire et celle de Boguila le 5 mai ou de Grimari en avril, face à une bande anti-balaka cette fois, ou encore les innombrables accrochages du Groupement Acier à Bangui dont celui du 20 août qui a provoqué des dizaines de blessés et beaucoup d'autres dans les différents mandats étaient des choses honteuses.

Il est vrai que l’opération Sangaris ne s’est pas vraiment passée comme prévue. Il n’existe que deux moyens d’user de la force légitime : la guerre et la police. Dans le premier cas, on affronte, un ennemi politique ; dans le deuxième cas, on s’oppose éventuellement à ceux qui contreviennent à la loi et l’ordre. En Centrafrique, contrairement au Mali, on a refusé de désigner un ennemi. On s’est donc lancé dans une opération de police internationale mais sans l’avouer (le cabinet du ministre de la défense m’a téléphoné pour me dire que ce n’était pas bien du tout de le dire) et surtout sans se donner les moyens de réussir. Une mission de sécurisation impose une présence humaine suffisante pour pouvoir s’imposer à tout le monde partout et en en même temps et bien entendu cette masse critique doit être d’autant plus importante que la situation est grave. 

Par sous-estimation de l’ampleur des bandes armées (certains hauts responsables auraient, paraît-il parlé de « promenade » en préparant l’opération) et en pariant à la fois sur la « sidération » des factions à l’arrivée des soldats français puis sur le secours rapide des Alliés, on a cru que l’engagement d’une poignée d’hommes, pour six mois suffirait (et 1 600 hommes au cœur d’une ville de plus d’un million d’hommes et sans parler de l’ensemble du pays, c’est une poignée). En réalité, c’est nous qui avons été surpris, par l’ampleur de la haine accumulée, par la force du mouvement anti-balaka, par l’état du pays qui nécessitait d’aller bien au-delà de la seule sécurisation, par le peu d’empressement des Européens à nous aider, par la lenteur enfin de la communauté internationale à nous relever. Il a donc été évident très vite que cette opération avait été mal engagée mais plutôt que de l’avouer, on a préféré fustiger les « pseudo-experts auto-proclamées » et les « généraux de Paris », puis, de plus en plus, jouer la discrétion.

Nous avons donc laissé notre poignée de soldats, à peine et discrètement renforcés de 400 hommes, dans une situation impossible au cœur des ténèbres, en proie aux spectacles de l’horreur, jusqu'au cannibalisme, aux mouvements plus ou moins rationnels des foules, aux accusations d’aider les uns lorsqu’on désarmait les autres, à l’impuissance devant les faits de délinquance (que faire des délinquants lorsqu’il n’y a plus de justice ou de police locale), à la menace permanente d’agressions aussi diverses que toujours soudaines. C’est ainsi donc que l’on a refusé aussi de communiquer vraiment sur les combats, pourtant victorieux, ajoutant en plus le manque de reconnaissance. 

Pire, l’espace médiatique, comme dans chaque opération de stabilisation en Afrique (Turquoise au Rwanda ou Licorne en Côte d’Ivoire), a été laissé à ceux qui nous voulaient du mal, exploitant les possibles fautes de comportement de quelques-uns des 15 000 soldats français qui finiront par être engagés au total dans cette « promenade » de six mois, mais surtout en les inventant. Pour beaucoup désormais l’engagement en Centrafrique, ce sera donc plus des accusations d’abus sexuels que des victoires au combat et surtout des milliers de vies sauvées. Les massacres évitées ne se voient pas et les aveux de manipulation ne sont jamais rapportés avec la même force que les accusations, quand ils sont rapportés.

L’opération Sangaris est ainsi devenue peut-être la plus difficile que les forces armées françaises aient eu à conduire depuis vingt ans. Si peu de soldats, trois au total dont deux au combat, ont été tués au regard des dangers encourus, le nombre de blessés et notamment de troubles psychologiques (un homme sur huit pour les deux premiers mandats pour un pour douze au retour d’Afghanistan) est particulièrement élevé. Beaucoup avouent avoir connu là leur expérience la plus épuisante. Bien au-delà des six mois initiaux évoqués, la force Sangaris et les contingents de la MINUSCA, sans parler par décence de la mission européenne (un millier d’hommes péniblement déployés après des mois de tractations sur les 1,7 millions que comptent les armées de l’UE), sont parvenus à détruire des milliers  d’armes et à assurer dans la plupart des villes de l’ouest centrafricain, résultat remarquable au regard des effectifs engagés. 

Tout cela est à mettre à l’honneur de nos soldats mais cela aurait pu être obtenu beaucoup plus vite, avec moins de souffrances et pour moins cher que les 500 millions d’euros que nous avons finalement dépensés (sans parler de l’usure des équipements) si on avait engagé tout de suite 10 000 hommes. Une opération de stabilisation comme Sangaris reste une opération de Sisyphe tant qu’une force nationale et/ou internationale suffisante n'est pas en mesure d’assurer la sécurisation minimale du pays. On espère que cela sera le cas avec la MINUSCA (et les 350 soldats français en réserve d’intervention). Le fait qu’il s’agisse de la sixième opération successive « MI », après l’échec des cinq précédentes (MISAB, MINURCA, MINUC, MICOPAX, MISCA) depuis vingt ans n’incite cependant pas à l’optimisme même si on est en présence, avec au moins 10 000 hommes, d’effectifs enfin un peu conséquents. Les effectifs sont nécessaires mais pas suffisants.

Preuve est ainsi faite que, par habitude, structure et surtout par effectifs insuffisants, les forces françaises en Afrique restent des forces d’intervention « coup de poing », forme d’engagement dans lequel elles sont encore très efficaces mais que dès lors que l’on sort de ce schéma, en refusant de désigner un ennemi, on se condamne à l’enlisement. Il faut soit l’assumer politiquement, soit en tirer des conséquences en infléchissant les évolutions en cours de nos forces. Nous ne pouvons déjà plus apparemment mener seuls des opérations de stabilisation et même les opérations de guerre tendent à se réduire à une simple collection de frappes sans possibilité de contrôler véritablement un espace important quelconque. 

L’opération Sangaris est officiellement terminée depuis le 31 octobre dernier, presque trois ans après son lancement. La France peut en être légitimement fière. Nous sommes la seule nation occidentale à avoir vraiment voulu faire quelque chose et avoir réellement agi, nous avons sauvé des milliers de vie et posé des bases, certes fragiles, pour la reconstitution d’un Etat. On attend maintenant une reconnaissance réelle et visible du courage et des efforts des soldats qui ont été plongés dans les ténèbres.

vendredi 1 mai 2015

Quatorze salopards ?

Actualisé le 02 mai 2015

On le sait depuis longtemps, il faut l’effort de milliers de courageux pour mettre un peu de lumières au cœur des ténèbres alors que le comportement d’un seul suffit à compromettre toute une opération militaire. Un soldat porte sur lui de quoi tuer 200 personnes, qu’il défaille, par exemple face à une foule manipulée qui l’insulte et le provoque de mille manières, et c’est le désastre sur tous les écrans. Si l’acte terroriste est une action médiatique provoquée par un acte de violence, faire faire cet acte par l’adversaire est évidemment encore plus rentable. Pour autant, les occasions d’ouvrir le feu restent rares en opérations. L’immense majorité du temps du soldat en opération est en attente, en déplacement ou en surveillance et très souvent au contact de la population locale pour laquelle, il constitue un corps étranger. Là aussi, par son comportement, il peut à tout moment provoquer le désastre.

Nous voici donc dans ce cas de figure, en attente des résultats d’une enquête pour savoir si nous, Français, allons rétrospectivement subir une défaite majeure sur le continent africain par l’action d’une poignée de salopards. Encore quelques jours et les médias auront de toute façon plus parlé de cela que des milliers de vies qui auront été sauvées par les soldats français plongés au cœur de ce chaos. Un grand mal est déjà fait.

Pour l’instant, comme tout autre citoyen, un soldat est innocent jusqu’à preuve du contraire. Les dégâts des affaires d'Outreau ou du "réseau de Toulouse" devraient déjà inciter à la prudence. Surtout, dans un contexte d’affrontement, avec notamment tous ces groupes qui ne sont pas satisfaits de ne plus pouvoir massacrer en rond, il ne faut pas exclure la manipulation. On l’a vu sur d’autres théâtres, en Bosnie déjà avec le relais de journaux britanniques (tiens donc ?), en Iturie où cette fois l’intox était suédoise, au Rwanda, là les complicités, y compris françaises, étaient nombreuses, mais peut-être surtout en Côte d’Ivoire où les mensonges et montages les plus dramatiques se sont succédés. J’ai ainsi le souvenir de la photo d’un soldat français apparemment indifférent au-dessus du cadavre d’un enfant mort. Bien sûr, le cadavre avait été placé sciemment et la photo prise juste avant que le soldat ne le voit. Pour avoir été en opération en Centrafrique, je sais aussi que les rumeurs y sont des armes en vente libre. Dans le cas présent, je m'interroge quand même sur l'ampleur étonnante du phénomène décrit. Quatorze tordus agissant sur plusieurs mois cela paraît étrangement beaucoup, en soi déjà -la perversion a ses limites statistiques- et pour passer inaperçu ensuite. Comme les preuves de manipulation sont toujours plus faibles que l’émotion des scandales, il en reste toujours quelque chose. Pourquoi se priver alors de cette info-arme, d'autant plus que nous sommes encore bien maladroits pour la contrer ?

Mais de la même façon qu’un soldat est présumé innocent, il peut aussi être coupable. Il ne faut pas être naïf, les centaines de milliers de soldats français qui ont été envoyés sur les théâtres les plus divers depuis cinquante ans n’ont pas tous eu un comportement exemplaire, simplement parce qu’ils sont aussi humains. Les tentations sont nombreuses et les contextes souvent suffisamment sombres et ambigus pour inciter aux petites et grandes magouilles (de l’or pour les braves cons), et, bien plus grave, faciliter ce « décrochage du sens moral » dont parle remarquablement Patrick Clervoy. Quand le sordide devient apparemment la normalité, le sens moral devient un îlot qui peut parfois être submergé. On en vient alors à se confondre avec ce qu’on est censé combattre, comme lorsqu’on finit par se croire obligé d’étouffer une ordure après l’avoir fait prisonnier. Ces faits sont en réalité extrêmement rares et c’est cette rareté qui doit en fait surprendre plus que le fait que des hommes soient faillibles.

Le soldat français est un soldat nomade. Il est même sans doute celui qui voyage le plus au monde et, il faut le répéter, sans doute aussi le meilleur dans ce rôle. Par formation, préparation (nous sommes les seuls à avoir une école dédiée à l'intégration avec les milieux locaux), la réputation du soldat pas seulement par principe éthique d’abord, pour éviter le scandale ensuite, parce que c’est un impératif tactique enfin. La population locale est ce qui nous soutient, nous renseigne, nous nourrit parfois. Elle est, le plus souvent, ce pour quoi nous sommes-là. J’ai le souvenir d’une mission où on m’avait dit : « La population de ce secteur est sous ta responsabilité et quand tu pars dans six mois, tout le monde doit pleurer ». J’avais compris alors que ces pleurs devaient être de tristesse et non de rage.

Alors si les faits dont on parle actuellement pour l’opération Sangaris sont avérés je vous dirais bravo les gars. Grace à vous, sordides salopards, toute l’action de vos camarades, les combats, les vies sauvées par milliers, l’aide, les soins, le tout dans un des contextes parmi les plus dégueulasses qu’on l’on ait connu depuis longtemps, tout cela sera sali. Grâce à vous, pauvres tordus, l’image de toute une armée et donc aussi de la nation sera engagée, en Afrique en particulier. J’espère, encore une fois si tout cela est vrai, que vous paierez très cher pour ce que vous avez fait d’abord, pour les autres dégâts que vous aurez causé ensuite.

samedi 28 décembre 2013

Un papillon dans le chaos

Depuis son indépendance en 1960, la Centrafrique a connu une succession de pouvoirs népotiques et incompétents issus de coups d’Etat accentuant à chaque fois l’instabilité politique du pays et maintenant la grande majorité population dans la misère. Dans un contexte régional de montée en puissance d’organisations non-étatiques face à des institutions affaiblies, la prise du pouvoir par François Bozizé en mars 2003 avec l’aide du Tchad marque cependant bien plus que la nouvelle expression d’une ambition rapace, c’est, après la Somalie, l’acte de décès de ce qui restait de l’Etat local et l’accélération de l’effondrement d’un pays. 

Au cœur des ténèbres

Dans les mois qui suivent le coup d’Etat de Bozize se mettent en place des organisations politico-militaires, conçues souvent pour défendre les intérêts d’une ethnie avant d’élargir le champ de ses recrutements et de ses activités ayant souvent peu de rapports avec leur nom. La principale d’entre elles est l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) de Michel Djotodia, proche du nouveau régime avant d’être accusé de complot. L’UFDR occupe la préfecture de Vakaga près des frontières soudanaise et tchadienne. Avec plusieurs autres mouvements alliés, l’UFDR, engage la guerre contre le pouvoir central jusqu’au début de 2007 lorsque François Bozize accepte de négocier.

Les forces françaises, qui avaient quitté le pays en 1998, sont à nouveau modestement présentes à partir de 2003 dans le cadre d’un programme d’aide à la formation des Forces armées centrafricaines (FACA). Elles interviennent ponctuellement contre les rebelles dans la région de Birao en novembre 2006 et mars 2007 pour aider le petit contingent français sur place (voir ici). Une force interafricaine sous mandat régional ou des Nations-Unies aux noms variés (MISAB, MINURCA, MINUC, MICOPAX et désormais MISCA) est également présente en permanence à Bangui depuis les troubles de 1996.

En août 2012, quatre mouvements d’opposition dont l’UFDR et la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) du général Noureddine Adam, proche du Tchad, s’associent pour former la Seleka (« Alliance » en langue sango) et reprendre les armes face à un gouvernement qui n’a pas respecté les accords de 2007. La Seleka regroupe de 15 à 20 000 combattants dont beaucoup de jeunes désœuvrés et surtout d’étrangers, mercenaires ou simples éleveurs nomades. Aidé par le Tchad, qui a décidé d’abandonner Bozize, la Seleka contrôle rapidement la majorité du pays, en particulier le Nord, et entre taxes, péages, confiscations ou pillages, le met en coupe réglée. L’Armée de résistance du Seigneur (ALR) de Joseph Kony chassée d’Ouganda est également présente dans le Sud-Est sans intervenir directement dans les combats. La Seleka étant composée pour une grande majorité de musulmans alors que le pays est chrétien à 80 %. François Bozize agite la peur du djihadisme et favorise les milices d’auto-défense anti-balaka (« anti-machette »). Il est vrai que exactions de la Seleka contre des villages Chrétiens et la destruction d’églises donnent de la consistance à ses propos. Bozize fait appel aussi à la France, qui refuse de l’aider, puis à la République sud-africaine qui envoie un bataillon de 200 hommes.

En janvier 2013, les accords de Libreville mettent fin provisoirement aux combats. Un gouvernement d’union nationale est mis en place avec Michel Djotodia comme vice premier ministre et ministre de la défense. A la mi-mars 2013, Bozize annonce qu’il se représentera aux élections de 2015 ce qui est contraire à la constitution et suscite la colère des opposants. En mars, Noureddine Adam rompt le premier la trêve en s’emparant de Sido et de Bangassou à la frontière tchadienne. Le 24 mars, la Seleka aidée par Tchadiens s’empare de Bangui, Bozize demande une nouvelle fois l’aide de la France puis s’enfuit. Le 25 mars, 13 soldats sud-africains sont tués.

Un nouveau gouvernement, censé n'être que provisoire, est mis en place. Michel Djotodia s’autoproclame Président de la république et Noureddine Adam est nommé ministre de la sécurité publique. Une des premières mesures de ce nouveau gouvernement est de reconsidérer les contrats pétroliers au profit du Tchad.

Le pouvoir acquis et l’argent attendu ne venant pas de caisses vides, les groupes de la Seleka reprennent leur autonomie pour  «se payer sur la bête», en pillant la population. En août 2013, le ratissage du quartier de Bouira à Bangui, considéré comme le refuge de partisans du Président déchu, est l’occasion d’un nouveau massacre. La population fuit vers l’aéroport de M’Poko tenu par les forces françaises. Le cycle de la violence et de la vengeance accélère et commence à déborder sur les pays voisins. En septembre, Michel Djotodia se désolidarise de la Seleka qui est officiellement dissoute. Aux abois, il fait appel à la France tout en prenant contact en novembre avec Joseph Kony.

Le pays, le 4e plus pauvre du monde, est désormais ruiné et exsangue. L’administration et les services publics, modestement financés depuis quelques années par le Congo, principal soutien de Bozize, n’existent pratiquement plus. Les Seleka ont même brûlé les archives de l’état civil de Bangui et la plupart des habitants n’ont plus de papiers d’identité. Il est désormais impossible de déterminer la nationalité de chacun dans ce pays ouvert, ce qui rend de fait impossible toute élection à court terme.

Une opération risquée

C’est dans ce contexte que la France décide d’intervenir militairement dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Outre l’urgence humanitaire, il ne s’agit pas là de défendre des intérêts locaux très limités (malgré les voyages fréquents de Patrick Balkany à Bangui) mais plutôt de préserver une influence dans la région (une quarantaine de votes quasi automatiques africains aux Nations unies, la zone monétaire CFA et intérêts économique). Il s’agit surtout d’éviter que la Centrafrique ne se transforme définitivement en zone de non-droit entraînant les pays voisins dans une grave instabilité avec le risque de développement d’organisations islamistes radicales à la manière de Boko Haram dans le nord du Nigéria.

On aurait pu faire la guerre, en désignant un ennemi à combattre qui n’aurait pu être que la Seleka. L’inhibition de l’accusation de retour à la « Françafrique », l’éclatement de la Seleka et sa criminalisation, l’ambiguïté du pouvoir de Michel Djotodia, à la fois objet et cause de l’intervention, la dette envers le président tchadien Idriss Déby, principal allié de la France au Mali et de la Seleka en Centrafrique, rendaient difficile cette voie.

On fait donc le choix d’une opération de stabilisation, c’est-à-dire une mission militaire de sécurisation sans ennemi, autrement dit une mission de police. Comme cela est déjà été évoqué, le premier principe de ce type d’opérations est d’être suffisamment fort pour pouvoir s’imposer à tout le monde en même temps, de manière à éviter que les désarmés soit tout de suite les victimes des représailles de ceux qui ne le sont pas encore. Cela demande des effectifs d’autant plus importants que les violences ont été fortes (voir ici). Une ville de plus d’un million d’habitants demande ainsi la présence d’au moins 15 000 hommes pour assurer sa sécurité, soit le contrat d’objectif qui est fixé aux forces françaises par le dernier Livre blanc de la défense. L’engagement d’un tel volume, alors que d’autres opérations sont en cours et que les effectifs globaux se réduisent par mesure d’économie, était évidemment inconcevable avec notre modèle de forces. Par ailleurs, même avec les effectifs militaires suffisants la véritable sécurité ne peut s’obtenir qu’avec la mise en place d’institutions politiques stables avec des instruments régaliens efficaces, ce qui demande beaucoup de temps.

Le manque de moyens et le souci d’un faible coût politique intérieur associé à la version française de la doctrine américaine de First in, first out du début des années 2000 (et dont a pu mesurer le succès très relatif par la suite) ont conduit au choix de l’audace avec une opération limitée mais à haut risque. L’opération de stabilisation Sangaris est finalement déclenchée a minima, avec seulement 1 600 hommes. La seule arrivée de cinq compagnies d’infanterie survolées d’avions Rafale était censée impressionner les factions, stimuler l’engagement d’autres nations africaines et peut-être même européennes dans la force des Nations-Unies et permettre ainsi d’imposer un minimum de sécurité dans la capitale et les principales localités. Au bout de six mois, comme au Mali, la force française aurait pu passer en deuxième échelon voire se retirer.

Malheureusement, le temps n’est plus où 500 soldats français pouvaient changer l’histoire de l’Afrique. Les différentes organisations armées sont motivées et bien organisées. Force est de constater que le choc psychologique attendu n’a pas été au rendez-vous et que la force française est dans une situation délicate, incapable par son faible volume de s’imposer à tous. Le changement de stratégie semble inévitable entre le retrait rapide, en considérant la mission comme impossible et trop coûteuse, et le choix de la guerre contre la Seleka en passant par le renforcement de la force française (au minimum 5 000 hommes) et internationale (au moins 10 000 hommes) pour une opération de stabilisation efficace.