Modification d'un billet publié le 31/12/2014
Quel est le
combat le plus violent mené par des forces occidentales depuis 2013 ? Il s’agit
certainement de l’affrontement survenu les 4 et 5 août entre les soldats
français du Groupement tactique De Boissieu et des combattants de l’ex-Seleka à
Batanfago au nord-ouest de la Centrafrique. Deux soldats français et un soldat
congolais de la MISCA y ont été blessés alors que les bandes de la Seleka ont
été détruites avec, selon les sources, de 37 à 70 tués et un nombre inconnu de
blessés. Le fait est que, hormis quelques images passées en boucle sur les
chaînes d’information pendant une journée, ces événements n’ont guère été mis
en avant par le gouvernement. Tout se passe comme si cette victoire et celle de Boguila le 5
mai ou de Grimari en avril, face à une bande
anti-balaka cette fois, ou encore les innombrables accrochages du Groupement Acier à Bangui dont celui du 20 août qui a provoqué des dizaines de blessés et beaucoup d'autres dans les différents mandats étaient des choses honteuses.
Il est vrai
que l’opération Sangaris ne s’est pas vraiment passée comme
prévue. Il n’existe que deux moyens d’user de la force légitime : la guerre et
la police. Dans le premier cas, on affronte, un ennemi politique ; dans le
deuxième cas, on s’oppose éventuellement à ceux qui contreviennent à la loi et
l’ordre. En Centrafrique,
contrairement au Mali, on a refusé de désigner un ennemi. On s’est donc lancé
dans une opération de police internationale mais sans l’avouer (le cabinet du
ministre de la défense m’a téléphoné pour me dire que ce n’était pas bien du
tout de le dire) et surtout sans se donner les moyens de réussir. Une mission
de sécurisation impose une présence humaine suffisante pour pouvoir s’imposer à
tout le monde partout et en en même temps et bien entendu cette masse critique
doit être d’autant plus importante que la situation est grave.
Par
sous-estimation de l’ampleur des bandes armées (certains hauts responsables auraient,
paraît-il parlé de « promenade » en préparant l’opération) et en pariant à la
fois sur la « sidération » des factions à l’arrivée des soldats français puis
sur le secours rapide des Alliés, on a cru que l’engagement d’une poignée
d’hommes, pour six mois suffirait (et 1 600 hommes au cœur d’une ville de plus
d’un million d’hommes et sans parler de l’ensemble du pays, c’est une poignée).
En réalité, c’est nous qui avons été surpris, par l’ampleur de la haine
accumulée, par la force du mouvement anti-balaka, par l’état du pays qui
nécessitait d’aller bien au-delà de la seule sécurisation, par le peu
d’empressement des Européens à nous aider, par la lenteur enfin de la
communauté internationale à nous relever. Il a donc été évident très vite que
cette opération avait été mal engagée mais plutôt que de l’avouer, on a préféré
fustiger les « pseudo-experts auto-proclamées » et les « généraux de Paris »,
puis, de plus en plus, jouer la discrétion.
Nous avons
donc laissé notre poignée de soldats, à peine et discrètement renforcés de
400 hommes, dans une situation impossible au cœur des ténèbres, en proie aux
spectacles de l’horreur, jusqu'au cannibalisme, aux mouvements plus ou moins rationnels des foules,
aux accusations d’aider les uns lorsqu’on désarmait les autres, à l’impuissance
devant les faits de délinquance (que faire des délinquants lorsqu’il n’y a plus
de justice ou de police locale), à la menace permanente d’agressions aussi
diverses que toujours soudaines. C’est ainsi donc que l’on a refusé aussi de
communiquer vraiment sur les combats, pourtant victorieux, ajoutant en plus le
manque de reconnaissance.
L’opération Sangaris est ainsi devenue peut-être la
plus difficile que les forces armées françaises aient eu à conduire depuis
vingt ans. Si peu de soldats, trois au total dont deux au combat, ont été tués
au regard des dangers encourus, le nombre de blessés et notamment de troubles
psychologiques (un homme sur huit pour les deux premiers mandats pour un pour
douze au retour d’Afghanistan) est particulièrement élevé. Beaucoup avouent
avoir connu là leur expérience la plus épuisante. Bien au-delà des six mois
initiaux évoqués, la force Sangaris et les contingents de la MINUSCA,
sans parler par décence de la mission européenne (un millier d’hommes
péniblement déployés après des mois de tractations sur les 1,7 millions que
comptent les armées de l’UE), sont parvenus à détruire des milliers d’armes et à assurer dans la plupart des
villes de l’ouest centrafricain, résultat remarquable au regard des effectifs
engagés.
Tout cela est à mettre à l’honneur de nos soldats mais cela aurait pu
être obtenu beaucoup plus vite, avec moins de souffrances et pour moins cher
que les 500 millions d’euros que nous avons finalement dépensés (sans parler de l’usure des
équipements) si on avait engagé tout de suite 10 000 hommes. Une opération de stabilisation comme Sangaris reste une opération de Sisyphe
tant qu’une force nationale et/ou internationale suffisante n'est pas en mesure
d’assurer la sécurisation minimale du pays. On espère que cela sera le cas avec
la MINUSCA (et les 350 soldats français en réserve d’intervention). Le fait qu’il
s’agisse de la sixième opération successive « MI », après l’échec des
cinq précédentes (MISAB, MINURCA, MINUC, MICOPAX, MISCA) depuis vingt ans n’incite cependant pas à l’optimisme même si on est en présence, avec au moins 10 000
hommes, d’effectifs enfin un peu conséquents. Les effectifs sont nécessaires mais pas suffisants.
Preuve est ainsi
faite que, par habitude, structure et surtout par effectifs insuffisants, les
forces françaises en Afrique restent des forces d’intervention « coup de poing
», forme d’engagement dans lequel elles sont encore très efficaces mais que dès
lors que l’on sort de ce schéma, en refusant de désigner un ennemi, on se condamne à l’enlisement. Il faut soit l’assumer
politiquement, soit en tirer des conséquences en infléchissant les évolutions
en cours de nos forces. Nous ne pouvons déjà plus apparemment mener seuls des
opérations de stabilisation et même les opérations de guerre tendent à se
réduire à une simple collection de frappes sans possibilité de contrôler
véritablement un espace important quelconque.
L’opération Sangaris est officiellement terminée depuis le 31 octobre dernier, presque trois ans après son lancement. La France peut en être légitimement fière. Nous sommes la seule nation occidentale à avoir vraiment voulu faire quelque chose et avoir réellement agi, nous avons sauvé des milliers de vie et posé des bases, certes fragiles, pour la reconstitution d’un Etat. On attend maintenant une reconnaissance réelle et visible du courage et des efforts des soldats qui ont été plongés dans les ténèbres.
L’opération Sangaris est officiellement terminée depuis le 31 octobre dernier, presque trois ans après son lancement. La France peut en être légitimement fière. Nous sommes la seule nation occidentale à avoir vraiment voulu faire quelque chose et avoir réellement agi, nous avons sauvé des milliers de vie et posé des bases, certes fragiles, pour la reconstitution d’un Etat. On attend maintenant une reconnaissance réelle et visible du courage et des efforts des soldats qui ont été plongés dans les ténèbres.