Version modifiée le 9 février 2013
Le
voyage du Président de la République au Mali, le 2 février, a marqué
symboliquement la fin de la phase de reconquête des villes du fleuve
Niger et la scission de l’opération française en deux directions nettement
séparées : stabilisation et, faute de meilleur qualitatif, contre-terrorisme,
dans deux cadres géographiques séparés. Ces deux nouvelles opérations
comportent des risques spécifiques et des logiques différentes qui peuvent par
ailleurs se contredire.
Plus
qu’avec les expériences en Bosnie et au Kosovo, où une longue phase de
stabilisation sans ennemi succédait à une courte phase de combat, la situation
ressemble plus à celle de l’Afghanistan au-début de 2002 lorsque les
Américains, et quelques troupes alliées, poursuivaient le combat le long de la
frontière avec le Pakistan tandis que se constituait à Kaboul la Force
internationale d’assistance et de sécurité. La situation apparaissait alors
également comme une belle victoire américaine, au moins partielle, et l’avenir
s’annonçait favorable jusqu’à ce que plusieurs erreurs stratégiques soient
commises.
La
première fut d’avoir confondu l’hôte et le parasite, c’est-à-dire les Taliban
et Al Qaïda, et d’avoir continué à combattre les premiers tandis que les
seconds avaient quitté le pays et continuaient à agir en réseau transnational.
L’organisation, locale, des Taliban, renforcée par le Pakistan et la présence
même de la Coalition, s’est finalement réimplantée dans les provinces
pashtounes jusqu’à engluer les forces étrangères. La seconde erreur fut d’avoir engagé
un projet très ambitieux de transformation du pays tout en le faisant reposer
sur des bases fragiles comme l’alliance initiale avec les seigneurs de guerre
ou la mise en place d’une constitution à l’américaine paralysante. L’aide
économique, à la fois massive et dispersée, a ensuite autant permis le
développement de la corruption (et donc rendue encore plus séduisants l’offre
administrative talibane « honnête ») que de celui des services sociaux ou éducatifs.
La compensation de ces erreurs initiales a alors imposé un engagement croissant
de ressources afin de tenter de dépasser les effets négatifs que cette même
fuite en avant engendrait. Cette spirale afghane est actuellement dans l’esprit
de tous même si personne ne l’évoque ouvertement pour le Mali.
Le
scénario prévu au Mali est celui d’une relève rapide des forces françaises par
les quatre bataillons de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA)
afin d’assurer la sécurité des villes le long du fleuve Niger au moins jusqu’à
la tenue des élections prévue en juillet prochain, première étape vers une
normalisation politique. Ce scénario présente de nombreuses inconnues comme les
délais de mise en place et l’efficacité de la MISMA puis de l’armée malienne,
la capacité locale à mettre en place des institutions et une culture politique
stables ou encore la possibilité d’une paix durable avec les Touaregs. Ce
processus est également à considérer dans un ensemble régional tourmenté par
des lignes de fracture anciennes mais aussi les effets de la mondialisation
(affaiblissement des Etats et des services publics), des évolutions climatiques (désertification)
et politico-idéologiques du monde arabe ou l’importance croissante du commerce
de la drogue. La stabilisation du Mali et plus largement du Sahel est une œuvre
de longue haleine, peut-être même une œuvre de Sisyphe.
Dans
ce processus, plusieurs types d’adversaires armés peuvent apparaître. Face aux
forces françaises ou à des forces africaines cohérentes, c’est-à-dire
probablement aidées par les Français, les organisations djihadistes peuvent
difficilement mener des attaques classiques sans être détruites. Elles peuvent
en revanche pratiquer une stratégie de harcèlement contre des objectifs
militaires ou civils, à l’aide de procédés asymétriques classiques comme les
attaques suicides, les engins explosifs, le sniping ou les tirs de roquettes ou
autres à inventer. A plus long terme, la persistance simultanée de la
présence française et du désordre peut engendrer des anticorps nationalistes
comme le toujours influent capitaine Sanogo, organisateur du coup d’état du 22
mars, et opposant à la fois à la présence française et à une classe politique
locale parmi les plus corrompus d’Afrique. On ne peut exclure non plus que les
djihadistes ou radicaux islamiques locaux ne trouvent des soutiens dans les
protestataires « à peaux noires » jusqu’à former de nouvelles organisations
armées à assise locale. Il ne faut pas oublier enfin les organisations armées
touaregs toujours promptes à la rébellion. La réponse française à ces menaces
réside sans doute à réduire la prise locale aux différentes sources d’hostilité
par une présence réelle mais légère et une organisation en réseau transnational
à partir de nos bases et points d’appui régionaux, de nos équipes de
conseillers et d’éléments d’intervention de forme et de taille variable, civils
et militaires.
Pendant
ce temps la guerre « contre le terrorisme » se poursuit dans l’extrême nord du
Mali avec des critères de victoire plus flous que pour la libération des villes
de la boucle du Niger. Le combat s’arrêtera-t-il lorsque les otages seront
libérés ? Les mouvements touaregs amenés à la paix ? Les organisations
djihadistes détruites ? Rien n’a été précisé et c’est sans doute mieux car
ainsi on ne se lie pas à des objectifs ambitieux dont la non-réalisation
pourrait passer pour une défaite. Pour autant, à moins de se lancer dans une
guerre éternelle, il faudra bien justifier positivement un jour l’arrêt de
cette opération.
Ces
deux opérations sont désormais disjointes mais elles ne peuvent manquer de
s’influencer. La stratégie d’étouffement des rebelles dans le Nord s’effectue
pour l’instant avec un remarquable « complexe reconnaissance-frappe » frappant
les indispensables nœuds logistiques (les dépôts de carburant) et les
transmissions tout en empêchant tout
mouvement important. Cette paralysie par le ciel doit cependant s’accompagner
d’un étouffement par le sol, notamment en cloisonnant les massifs de Timetrine,
très isolés, et surtout du nord des Ifoghas face au Hoggar algérien, par
l’occupation des vallées de l’Azawak et du Tilemsi. C’est sans doute, aidés de
conseilleurs et de forces légères française, le rôle prévu pour les 1 800
soldats tchadiens arrivés à Kidal mais la vraie interrogation est celle de
l’alliance avec les Touaregs.
L’intérêt
opérationnel de cette alliance est évident puisqu’en ne confondant pas l’hôte
et la parasite, on ne se lancerait pas dans une guerre difficile. Elle
permettrait aussi d’isoler encore plus AQMI et le MUJAO et de disposer
d’auxiliaires très précieux pour barrer la frontière et aider à aller chercher
les djihadistes dans les vallées encaissées et les grottes. Ce serait cependant
remettre en selle ceux-là même qui ont déclenché la crise du début de 2012 et
accepté la présence des djihadistes au Mali. Bien entendu une telle alliance
avec les « hommes bleus », et l’exclusion de l’armée malienne de la région Nord
ne peut que susciter de fortes réticences de la part de tout gouvernement
malien ainsi que d’une bonne partie des populations locales et nourrir le
ressentiment.
Les
deux opérations menées en parallèle sont condamnées à la réussite, et à la
réussite rapide si possible. Que l’une d’elle échoue ou tarde à produire des
résultats et c’est l’ensemble qui risque d’en pâtir. La victoire au Mali se
joue dans les mois qui viennent.
Mon Colonel,il nous faut trouver un modèle durable; un qui saura éviter l'enlisement financier. D'ailleurs les chiffres annoncés par le ministre de la défense montre que ce qui été projeté ne peut pas rester éternellement.
RépondreSupprimerAvoir un résultat, éviter les pertes et faire en sorte que la facture ne soit pas trop lourde. Et l'ennemi le sait.
Peut-être s'inspirer du modèle tchadien des années 70 dont vous nous avait parlé il y a quelque mois, mon Colonel ?
Très intéressant article et ensemble d'articles, merci. Tempérament sur les approximations sur les forces politiques dites "touaregues". Tous les Kal Tamashak ne sont pas indépendantistes, ni tous racistes. Les qualifier d'anciens esclavagistes est un peu simplificateur aussi. Il y a entre les populations nomades et les popuations sédentaires des relations historiques souvent conflictuelles et en même temps complémentaires qui ne peuvent se comparer à la traite telle que d'autres pays l'ont pratiquée. Quant à savoir quelles revendications portent les Kal Tamashaks... J'imagine que vous ciblez le MNLA, force sur laquelle s'appuyer pour traquer les terros? Il y a le MNLA de mars 2012, qui a une revendication laïque, indépendantiste et vraiment pas raciste. Il y a aussi les transfuges d'Ansar Eddine qui ont tôt fait de rejoindre le MNLA une fois Serval entamée : on peut plus s'en méfier. Il y a encore les Kal Tamashak qui se battent aux côtés de l'armée malienne (Ag Gamou par ex). Intérêt à mon avis de bien cerner ces aspects très complexes vu l'importance du politique dans les guerres asymétriques, importance que vous démontrez très bien dans nombre de vos écrits.
RépondreSupprimerA Bamako même, il faut refondre l'armée et les institutions du Mali. On annonce ce matin des combats entre ''bérets verts'' et ''bérets rouges'', rancœur du coup d’État et de la tentative de contre-coup d’État de l'année dernière.
RépondreSupprimerExcellente synthèse de la situation. Merci mon Colonel
RépondreSupprimerSur les "hommes bleus", je crains que vous ne soyez un peu rapide. On croirait lire un raccourci à la Lugan (souvent intéressant par ailleurs). Permettez-moi de vous conseiller la lecture de ce texte, que l'on m'a recommandé sur le forum air-defense.net :
RépondreSupprimerhttp://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010037541.pdf
Les populations du mali semblaient être dans une logique de complémentarité et de liens plutôt que dans une logique de domination.
Vous avez raison mais je ne suis pas très sensible au romantisme des hommes bleus. Lecture très intéressante, merci.
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