mardi 18 septembre 2012

Le général Wood et le commandement par la confiance

John S Wood
Ceci est l’histoire d’une division blindée qui a parcouru plus de 3 000 km en 295 jours et éliminé 112 000 soldats ennemis tués, blessés ou prisonniers au prix de 1 366 tués et 6 200 blessés. Cette unité, ce n’est pas la 7e division panzer « fantôme » de Rommel en 1940 mais la 4e division blindée américaine en Europe en 1944-1945. Ce qui est extraordinaire c’est que cette grande unité a réalisé tout cela sans ordre écrit de son chef, ou plus exactement avec un seul, rédigé quelques jours avant la percée d’Avranches en août 1944 : « Ceci est le dernier ordre écrit que cette division aura préparé ! Tous les ordres que je donnerai le seront à la voix, soit les yeux dans les yeux, soit par radio ! ».

De fait, le général John Shirley Wood a commandé les 11 000 hommes et 2 650 véhicules de sa division depuis sa jeep ou son avion Piper Cab, rejoignant directement les chefs de Combat command (état-major de brigade interarmes, 12 officiers) lorsque cela était nécessaire pour leur expliquer la situation et leur donner un ordre graphique avec un ou plusieurs objectifs et les éléments à connaître sur l’ennemi, les voisins ou la logistique. Jamais plus d’une page, carte comprise (ou non d’ailleurs, la division ayant dépassé plusieurs fois la zone couverte par sa cartographie).

Un mois après ce premier et dernier ordre d’opération de Wood (qu’il recommandait de brûler après l’avoir lu pour ne pas s’encombrer de papier), cette division complètement néophyte avait déjà vaincu les 77e, 91e et 243e divisions d’infanterie, 5e de parachutistes et même la 2e Panzer SS. Elle avait également détruit entièrement la 6e division de parachutistes sur son passage. Plusieurs objectifs ont été atteints avant l’arrivée de l’ordre écrit du corps d’armée de rattachement. Un mois plus tard, alors en Lorraine près d’Arracourt, la 4e division affrontait et détruisait 241 chars de deux brigades de panzers (chars le plus souvent supérieurs aux  Sherman américains). Etonnamment, là où Wood s’était inspiré des méthodes des « nouveaux hussards allemands » jusqu’à même aller encore plus loin dans la rapidité de décision et d’action, les Allemands effectuaient le chemin inverse vers un contrôle de plus en plus étroit de troupes de qualité de plus en plus médiocre. Les deux chefs de Panzers d’Arracourt ont été tués à la tête de leur troupe sous la surveillance de la police politique.

La flexibilité extrême de la 4e division blindée a été rendue possible par un entraînement en commun de 32 mois qui a permis à tous les cadres (dont un futur chef d’état-major des armées et un futur commandant des forces de l’OTAN) de se connaître et de se faire confiance dans l’application de procédés connus de tous et de principes simples comme la recherche systématique du combat sur l’arrière de l’ennemi. Wood a ainsi organisé un mode de combat très agressif tiré par les éléments de reconnaissance à la recherche des points faibles de l’adversaire et conduit par des sous-groupements interarmes autonomes et dispersés pour le déplacement  mais capables de s’aider mutuellement ou de se réunir pour attaquer l’ennemi. Les appuis et le soutien s’organisaient autour de la manœuvre et non l’inverse à partir de structures suffisamment mobiles pour coller aux unités avancées et suffisamment fortes pour se défendre elles-mêmes en cas de rencontre avec l’ennemi. La coopération avec le XIXe Tactical Air Command était permanente, permettant de disposer en permanence d’au moins une escadrille pour flanc-garder la division, reconnaitre au plus loin ou appuyer les unités au contact. Dans tous les cas, la vitesse de décision et d’action était la priorité. Il fallait trente minutes à un sous-groupement de la taille d’un bataillon interarmes pour conduire une attaque après en avoir reçu l’ordre.

Preuve est ainsi faite de l’efficacité d’une organisation dont tous les membres se connaissent et se font confiance car ils savent ce que les autres font faire dans un contexte donné. La confiance permet la simplicité et donc la vitesse des ordres. La vitesse de commandement donne l’initiative et, donc, dans la majorité des cas, le succès. Le succès renforce la confiance.

9 commentaires:

  1. Bonjour,

    Voilà qui plante encore un clou supplémentaire sur le cercueil du mythe de la supériorité militaire allemande. Ceci étant dit, ne pensez-vous pas cette "hyper-mobilité" peut aussi mener à la défaite ?

    Si, par exemple, un adversaire averti offrait une opportunité apparente afin d'attirer un adversaire dans une embuscade à grande échelle ? Je ne connais pas bien le déroulement de cette bataille, mais Austerlitz viendrait à l'esprit.

    Avec mes cordiales salutations

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  2. Bonsoir colonel Goya,

    La 4th Armored Division a effectivement été une unité d'exception sur le théâtre d'opérations européen de 1944-1945, comptant dans ses rangs le fameux Creighton Abrams, commandant du 37th Tank Battalion, futur commandant en chef au Viêtnam et qui donnera d'ailleurs son nom au char M-1.
    Cependant, le style de commandement agressif de Wood que vous décrivez provoque parfois des pertes assez lourdes, comme lors du raid sur Bastogne ou lors d'un autre épisode méconnu de l'unité, le raid pour délivrer les prisonniers de l'Oflag XII-B (en fait, surtout le gendre de Patton qui était détenu là) à Hammelburg fin mars 1945. Ce dernier, mal planifié, conduit à la destruction complète d'une colonne d'une cinquantaine de véhicules par les Allemands, à quelques semaines de la fin de la guerre :

    http://www.taskforcebaum.de/index1.html

    Cordialement.

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    1. C'est vrai mais ce n'est déjà plus Wood qui commande mais Gaffey (depuis le 3 décembre 1944). On peut dire aussi qu'un des défauts de la méthode est son lien avec la personne même de Wood.

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  3. C'est exact (pour Gaffey). Dans l'affaire d'Hammelburg, la responsabilité pèse d'ailleurs surtout sur Patton plus que sur Abrams, par exemple (qui fournit les chars de la colonne), qui avait lui plaidé pour la prudence.

    Cordialement.

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  4. Je fais le parallèle avec mon expérience en entreprise où quand on arrive au point où on a le sentiment d'avoir une équipe hyper rodée qui se connait bien avec une chaine de confiance bas-haut/haut-bas, le chef qui aime déléguer apprécie grandement la situation mais a la tentation de scléroser la situation de peur de perdre cette efficacité. Peine perdue les gens vont et viennent et l'excellence ne peut être que transitoire.

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    1. Bonjour,
      une remarque à la volée : "un entraînement en commun de 32 mois". Aujourd'hui, la durée d'un commandement est de deux ans seulement pour un CDU ou un chef de corps ; est-ce suffisant pour arriver à commander par la confiance ?
      Bien à vous.

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  5. Bonjour. Indéniablement l'une des meilleures unités alliées en effet.

    Ma mémoire me fait un peu défaut sur le nom mais un général allemand interrogé après guerre a exprimé - à la fois en guise de critique et d'hommage - son incompréhension totale que les Américains n'aient pas constitué à partir de la division Wood flanquée de la 6th Armored de Grow et des Leclerc de la 2e DB un véritable corps blindé "d'élite", puissant et très manoeuvrier. Selon ce jugement, une telle masse de manoeuvre appuyée par une aviation tactique dédiée aurait été susceptible de "tuer le match" notamment à la fin de l'été 1944.

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  6. Indéniablement un style de combat et de commandement qui s'est avéré adapté à un certain contexte de combat marqué par l'initiative stratégique, la supériorité globale du rapport de force (les deux brigades allemandes de Lorraine n'avaient guère que quelques officiers expérimentés encadrant des très jeunes recrues peu ou pas entrainées ce qui devait être compensé par les qualités du Panther, prouvant par là même l'illusion de tels raisonnements), la supériorité aérienne et la disposition permanente d'appuis aériens massifs, etc... Quel en aurait été le rendement dans des opérations plus "équilibrées" ou défensives? Vraisemblablement bon voire excellent, mais cela reste un point de vue discutable.

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  7. Encore une fois, ceci est une preuve que la capacité d'adaptation est une des clefs de la réussite. Dans ce contexte, face à cet adversaire et avec ces moyens, c'est ce style de commandement qui a fonctionné.

    Malheureusement, il ne faut pas en faire une règle absolue car à une autre époque et après d'autres évènements cela n'aurait peut être pas fonctionné.

    En revanche, la chose qu'on ne peut enlever à ce général est sa grande capacité d'analyse et d'adaptation pour résoudre le problème qui lui était posé alors.

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