Extraits de « Soldat de l’armée future » du Lieutenant-colonel Robert B. Rigg, Army,
novembre 1956.
Le soldat américain de
1974 semblera fabriqué exprès pour la guerre. Son casque, au lieu des « pots »
grossiers du passé, sera un chef d’œuvre scientifique, équipé de commandes
électroniques minuscules pour ses communications radio, son confort personnel
et sa propre protection. Le reste de son équipements sera si condensé et si
léger que le soldat de l’armée future sera beaucoup plus efficient que celui d’aujourd’hui.
Il aura bien plus de chances de survivre sur un champ de bataille que n’importe
quel soldat contemporain […] La
caractéristique la plus extraordinaire du soldat de l’armée future sera son
équipement de base-une tunique en matière plastique très légère-. A l’épreuve
des balles et des éclats d’obus, cette armure sera coûteuse : de l’ordre
de 700 dollars [l’auteur estime le coût de l’entraînement du soldat
américain de 1956 à 3 200 dollars].
Installé dans le casque,
un minuscule poste de radio émetteur-récepteur mettra le combattant individuel
en communication avec tous les autres membres de son équipe de combat […] Le soldat de l’armée future sera masqué
comme le chevalier d’autrefois. En plus de la protection du visage, son masque
aura un rôle extraordinairement important. Par exemple, il aura des boutons
pour régler les objectifs des différentes lunettes. Une lunette de black-out
protégera ses yeux contre la boule de feu d’une explosion nucléaire et, ô
merveille, il pourra passer de l’obscurité à la lumière d’une simple
chiquenaude sur le bouton « infra-rouge » […] Vaincre l’obscurité de cette façon fera du
combattant un « superman ». Ce sera le coup de grâce pour les
guérillas communistes dans la jungle. Mieux encore que cet appareil qui vainc l’obscurité,
voici maintenant le radar de poche, destiné à avertir l’individu de l’approche
des véhicules ou des infiltrations ennemies.
Le soldat actuel sera
sans doute heureux d’apprendre qu’il possèdera dans l’avenir un uniforme de combat
d’un confort extraordinaire. On y trouvera des rations de survie sous la forme
de petites pilules ou comprimés de la taille d’un penny dans les talons ou les
rebords extérieurs des bottes en matière plastique à fermeture éclair. Des
poches à l’extérieur de chaque botte contiendront une trousse médicale d’urgence [on notera sur le schéma la
présence d’une poche spéciale pour mettre un paquet de cigarettes].
Pour se protéger contre
les projectiles et les armes de destruction massive, le soldat de l’armée
future devra creuser. Pour cela il sera équipé d’un bazooka miniature qui
propulsera une charge explosive dans le sol. Il en résultera un trou qui sera
rapidement agrandi avec une pelle à main. Cette pelle, très légère, sera
démontable et enroulée autour du bidon d’eau accroché au ceinturon. Accroché à ce même ceinturon, on trouvera aussi un léger masque à gaz en matière plastique transparente. La respiration sera facilitée par un filtre aérosol en forme de tampon.
Pour se protéger contre
la pluie, le soldat de l’armée future transportera un imperméable en matière
plastique transparente qui tiendra dans une capsule en forme de cigare quand il
ne s’en servira pas. Cet imperméable immunisera le combattant contre les pluies
radioactives. La source principale de chaleur du soldat de l’armée future sera
un vêtement
[gonflable et chauffé électriquement] qui
tiendra lieu à la fois de couverture et de manteau.
La protection sera
fournie par le casque fait d’un
alliage d’acier et de matière plastique pour assurer à la tête une protection
quasi parfaite mais aussi par la tunique blindée. Mais à la différence de la
cuirasse disgracieuse et encombrante du chevalier d’autrefois, l’armure du
nouveau soldat sera ultralégère, grâce à de nouvelles matières plastiques et
textiles synthétiques. Pendant de trop nombreuses générations, nos troupes ont dû
se battre avec un équipement encombrant et trop lourd […] La science peut et veut moderniser le
militaire en réduisant au strict minimum tout l’équipement qu’il transporte y
compris les objets nécessaires à sa toilette.
Outre des grenades en verre projetant des aiguilles d'acier, l’arme individuelle du
soldat de l’armée future sera une carabine automatique qui remplacera au moins
quatre de nos armes actuelles : l’USM1, le Garant, le FM Bar, la
mitrailleuse. La munition sera allégée et peut-être en matière plastique. Les soldats
de l’armée future possèderont aussi des armes collectives : mitrailleuses,
mortiers, lance-roquettes avec une gamme étendue de projectiles auto-télé ou
pré-guidés.
Les soldats de 1970 se
déplaceront avec rapidité dans les trois dimensions, devenant ainsi les
instruments de guerre les plus mobiles de l’histoire […] De nouvelles formes de voyages dans l’espace
sont en plein essor : le « convertiplane », l’ « aérocycle »,
la « plateforme volante », l’ « aérodyne » et le « tonneau
volant ». Encore vingt ans de perfectionnements techniques et on créera
une forme de guerre nouvelle. Bien sûr, les engins téléguidés joueront un rôle
important dans les conflits futurs mais ces projectiles seront certainement
beaucoup trop coûteux pour être alloués à d’autres armes que les armes
nucléaires.
Si vous deviez un jour porter
l’uniforme d’un soldat des années 1970 vous disposeriez d’étranges véhicules. Vous
pourriez vous trouvez attaché à une plateforme volante triangulaire [portant 15 soldats et
un pilote]. Vous pourriez vous trouver prêt
à vous envoler dans un hélicoptère nucléaire ou un tank volant. Ou bien vous
pourriez être le canonnier-pilote d’un étrange avion à trois ailes : le « centaure »,
à décollage ou atterrissage vertical. Le ravitaillement en essence et en
munitions se ferait en vol, par liaison directe avec un avion nucléaire.
Se rassemblant en
essaims sur des bâtiments à des centaines de milles en mer ou décollant des
gigantesques avions nucléaires, vos tanks volants, vos plateformes volantes,
vos hélicoptères s’abattront comme des sauterelles sur les troupes, les
aérodromes, les bases de lancement et les installations-clés de l’ennemi. Votre
mission sera de détruire toutes les forces militaires dans une zone donnée. Pour
vous aider à la remplir, l’artillerie volante et les engins téléguidés
encercleront la région et le verrouilleront, de façon à empêcher l’arrivée de
renforts ennemis
[…] Des petits écrans de télévision renseigneront
le commandement grâce à des caméras placés dans des plateformes de
reconnaissance et des avions d’observation. Les prévisions dans un tel conflit
mettront les Etats-majors à rude épreuve. Le combat sera sur la terre ferme,
une série de petites batailles à des endroits différents, tandis que les armes
se déplaceront et déferleront à travers un pays comme une tornade. Les
batailles verront se déplacer des tourbillons de forces sans cesse en
mouvement. La logistique sera assurée grâce aux hélicoptères nucléaires « Hercule »
transportant 30 tonnes d’une cargaison largable. Ces monstres élimineront les
camions et réduiront les dépôts de carburant.
Le développement de cette technique et de cette mobilité n’est qu’une question de temps. Dans moins de vingt ans, nous pouvons avoir à chasser les
soldats communistes de nos portes. Nous pouvons le faire si nous conservons la
supériorité technique dans tous les champs expérimentaux, surtout dans le
perfectionnement du fantassin, ultime instrument de la guerre.
Cette image du combattant futur, assez courante à l’époque et dont on retrouve des échos dans la science-fiction (Starship troopers de Heinlein qui date de 1959 ou plus tard le personnage Marvel de Nick Fury et l’organisation SHIELD) puis dans les films et feuilletons d’espionnage des années 1960, est éclairante sur les difficultés de l’anticipation militaire.
On est d’abord surpris par l’optimisme quant à la vitesse de réalisation de ces innovations émergentes. En réalité, le fantassin américain de 1970 n’est guère différent de celui de 1956 hormis qu’il est doté d’un fusil d’assaut et éventuellement des premiers gilets de protection (pour le fantassin français, il n’y a aucune différence). C’est un défaut classique de toute anticipation de se concentrer sur l’objet de référence en ignorant son environnement, en l’occurrence politique, économique, sociologique et autre. C’est aussi valable pour l’écrivain qui planifie la remise de son manuscrit en projetant simplement sa capacité d’écriture en ignorant, par exemple, ses contingences familiales comme pour les grands programmes d’armements. Au bilan, l’esquisse du « super-fantassin » ne commence à apparaître que 40 ans plus tard et ce « fantassin augmenté » par Félin ou autre système est encore bien loin du fantassin volant et bondissant de Rigg ou de Heinlein.
On constate ensuite l’échec des promesses technologiques fortes de l’époque (motorisation nucléaire étendue tout azimut, emploi du plastique, motorisation aérienne), ce qui doit inciter à une certaine prudence sur certains enthousiasmes actuels. Les inventions peuvent ne pas donner d’innovations applicables, susciter des adaptations de l’ennemi-constamment oublié dans les projections sur le combat futur-ou être transformées par le croisement avec d’autres inventions survenues ensuite. Même les success stories trouvent rapidement leurs limites dans un contexte dialectique. L’informatique et le combat aéromobile atteignent ainsi leur seuil de rendement décroissant au Vietnam quelques années seulement après les visions grandioses sur leurs possibilités. Les états-majors américains, étouffés par la gestion des systèmes de communication et d’information, y fonctionnent finalement plus lentement qu’avant l’arrivée de ces nouvelles technologies. Quant aux grands unités aéromobiles, on s’aperçoit très vite de leur coût, de leur dépendance à quelques zones de poser à portée des bases de l’artillerie et de l’incapacité à résoudre le problème de la lenteur de l’infanterie mise à terre.
Plus largement, cette anticipation est révélatrice des difficultés américaines à anticiper l’emploi de l’US Army après 1945. Après avoir été persuadés que l’arme atomique dispensait de forces terrestres, les Américains ont été obligé de reconstituer en catastrophe leur armée de terre pour mener un combat conventionnel en Corée. La leçon qui en a été tirée fut ensuite qu’il fallait développer des méthodes et des armes pour un champ de bataille atomique, afin de profiter de la supériorité technologique américaine face aux masses communistes. On créa donc tout un arsenal atomique jusqu’au lance-roquette Davy Crockett pouvant envoyer un projectile d’une puissance de 10 à 20 tonnes d'explosifs à 4 km. Les Américains admirent cependant rapidement l’inutilité de cet armement, par ailleurs très couteux, pour revenir à des formes plus classiques d’affrontement…juste avant de partir au Vietnam mener une guerre totalement différente. De retour sur le front principal face au Pacte de Varsovie, l’US Army s’est entichée du maneuver warfare et est tombée amoureuse de l’art de la guerre-éclair de la Wechmacht…pour finalement mener le combat le plus planifié et méthodique de son histoire lors de la Guerre du Golfe en 1990-1991 et face à l'Irak. Par la suite, la numérisation et d’une manière générale, les nouvelles technologies de l’information, étaient censées donner une supériorité informationnelle totale aux soldats. En fait, dans l'immense majorité des cas, en Somalie, Afghanistan et en Irak ce sont les miliciens-rebelles (un ennemi totalement inattendu) qui ont eu l'initiative des combats. On notera au passage que ces miliciens, eux, n'ont guère modifié leur physionomie et leur armement depuis les années 1960 (mais ils disposent de smartphones).
On pourrait en conclure qu’il faut se méfier des grandes visions américaines mais il n’est pas évident pour autant que nous, Français, ayons été plus perspicaces dans nos anticipations durant la même période, et dans tous les cas, cela est préférable à ne pas avoir de vision du tout.
On pourrait en conclure qu’il faut se méfier des grandes visions américaines mais il n’est pas évident pour autant que nous, Français, ayons été plus perspicaces dans nos anticipations durant la même période, et dans tous les cas, cela est préférable à ne pas avoir de vision du tout.
Merci, de très intéressantes associations d'idées, très percutantes et visionnaires!
RépondreSupprimerL'auteur mentionne t-il également quelles sources d'énergie seraient utilisées, afin que des flux permettent à ce "stock-soldat" d'évoluer sur le champ de bataille?
En définitive la plus grosse erreur de cette projection est l'utilisation de véhicule "nucléaire"... heureusement je vois bien un "Hercule" nucléaire se faire descendre au dessus d'une ville.
RépondreSupprimer+1 avec Montraudran.
RépondreSupprimerMais pas de problème, le nucléo-imperméable mettra nos grognards à l'abri des radiations.
Ce qui est assez comique, c'est que l'équipement hyper-technologique du soldat parait abordable, mais l'auteur souligne qu'un missile sera trop cher pour être employé par la troupe (quoiqu'à 200 000 dollars, le Javelin, c'est pas faux).
Je le trouve plutôt très bon et très proche notre réalité, le plu intéressent me semble le bazooka miniature qui propulsera une charge explosive dans le sol. Quant au reste tout existe même le char volant avec le Mi 24, quant à l’hélicoptère n nucléaire cela a pris du retard à cause du pétrole, mais cela ne vas pas tarder, il y a bien les sous-marin. Par contre il faut creuser la doctrine de » ils s’abattront comme des sauterelles »
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