jeudi 16 février 2012

Dans le crâne d'un sergent (3/3)


Sans même évoquer les règles d’engagement un des problèmes majeurs du combat de l’infanterie est la charge intellectuelle qui pèse sur le chef de groupe du fait de la diversité du groupe de combat (7 armes différentes, coordination entre un véhicule et des hommes à terre, coordination avec les autres) ; de la centralisation du combat du groupe (l’INF 202 est très flou sur le rôle des chefs d’équipe) et surtout des procédures de commandement réglementaires. De 1984 à 1999, j’ai procédé à plusieurs expérimentations pour tenter d’alléger cette charge. 

Considérons simplement le problème des procédures. Il existe un cadre d’ordre (en fait une « check-list »), résumé par une abréviation, pour chaque acte et pour l’usage de chaque arme. Pour commander « suivant le manuel », le chef de groupe doit donc connaître par cœur douze check-lists différentes : DPIF (pour « Direction-Point à atteindre-Itinéraire-Formation »), FFH, MOICP, PMSPCP, HCODF, GDNOF, ODF, IDDOF, PMS, SMEPP, etc. Outre que leur mémorisation occupe une large part de l’instruction, ces ordres « récités à la lettre » ont le défaut majeur de ralentir considérablement le groupe. Si on applique strictement ces méthodes, il faut par exemple presque 2 minutes pour qu’un groupe attaqué puisse ouvrir le feu. Bien entendu en combat réel, voire en exercice un peu réaliste, toutes ces procédures explosent. Dans le meilleur des cas, le sergent utilise des procédures simplifiées de son invention, dans le pire des cas (le plus fréquent) on assiste à des parodies d’ordres (autrement dit des hurlements variés).

Pour remédier à ce défaut, j’ai expérimenté (de 1984 à 1999) le remplacement de tous les cadres d’ordre par un cadre d’ordre universel baptisé, inspiré des ordres radio des blindés : OPAC, pour Objectif (à atteindre, à voir ou à tirer), Position (si celle-ci n’est pas évidente et en employant surtout le principe « cadre horaire + distance »), ACtion (que fait-on ou que fait l’objectif ?). Ce système vocal est doublé par un système aux gestes et sous-entend une redéfinition du rôle des chefs d’équipe. Il s’applique facilement à toutes les situations. L’idée générale est de parler à terre comme on parle à la radio lorsqu’on est à bord, avec les mêmes procédures et la même économie de mots. Un ordre OPAC, par exemple ressemble à cela :  
-         Chef de groupe : « Alfa ! Bravo ! » (le chef de groupe appelle ses chefs d’équipe par leur nom ou un indicatif) ;
-         Chef d’équipe 1 : « Alfa ! » (= « je suis prêt à prendre l’ordre ») ;
-         Chef de groupe : « ici (il montre la zone à occuper) (Objectif-Position) ; en appui face à la rue (Action) (il montre la zone à surveiller) » ;
-         Chef d’équipe : « Alfa ! » (= j’ai compris, j’exécute la mission et je place chacun de mes hommes avec un ordre OPAC) ;
-         Chef de groupe : « Bravo ! »
-         Chef d’équipe 2 : « Bravo ! »
-         Chef de groupe : « Le carrefour (O), midi, 100 (P), en avant ! (AC) »
-         Chef d’équipe 2 : « Bravo ! » (= j’ai compris, j’exécute la mission en choisissant une formation (ligne ou colonne) et un mode de déplacement (marche-bond-appui mutuel)

Ce système présente les avantages suivants :
-         il permet, avec un peu de pratique, de s’adapter à toutes les situations, même les plus confuses, sans perdre de temps à essayer de se souvenir du cadre d’ordre réglementaire ;
-         il offre un gain de temps très appréciable pour la réflexion du chef de groupe ;
-         il autorise des réactions rapides du groupe de combat, notamment en matière de feu ;
-         il facilite les remplacements du chef de groupe par un chef d’équipe et du chef d’équipe par un grenadier-voltigeur ;
-         il est identique pour tous les types de groupes voltige, les véhicules, etc.

Dans les expérimentations effectuées, la méthode OPAC, associée à d’autres innovations de méthodes et d’organisation, donnait au groupe de combat une boucle OODA (observation-orientation-décision-action) beaucoup plus rapide que celle d’un groupe « INF202 ». De fait, dans un combat de rencontre, le groupe OPAC l’emportait presque systématiquement sur le groupe INF 202. Au passage, il m’a fallu deux heures, montre en main, pour apprendre l’ensemble de ces méthodes à un groupe d’appelés mélanésiens, à peine sorti des classes, et à les transformer en groupe de combat manœuvrant plus vite et mieux que tous les groupes « anciens ».

Maintenant, toutes ces expérimentations datent de treize ans et je serai heureux de savoir d’abord ce qu’il en reste parmi ceux qui les ont pratiquées et surtout de savoir où on en est des problèmes de commandement du groupe de combat au regard de l’expérience récente, notamment afghane. 

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je viens de découvrir votre blog avec un grand plaisir. Votre étude sur le sergent est très pertinente, à l'exception d'un point. La mémoire courte et la réaction par rapport aux souvenirs. Autant, je suis accorde que les réactions vont tendre à être plus rapide d'un côté. Autant d'un autre côté, sachant que chaque situation est différente, il serait dangereux pour un chef de groupe (ou de section) de réagir en permanence en suivant ses expériences heureuses. En effet, essayer de reproduire en permanence le même schéma peut conduire à réagir de manière trop prévisible. Et dans nos conflits asymétrique actuels, être prévisible, c'est prendre un gros risque (IED ou autre joyeusetés). Après, je suis d'accord sur le fait que jamais rien ne remplacera l'expérience. Je pense juste qu'il est important de ne pas se laisser enfermé dans une tournure d'esprit qui se révélera au final meurtrière pour son groupe.

    Sinon, je suis entièrement d'accord avec votre simplification des procédures de communication. C'est déjà en gros, le cadre d'ordre qui ressort lorsqu'on s'habitue à travailler en groupe.

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  2. Grenadier de la Garde17 février 2012 à 15:44

    Tout à fait d'accord pour dire que les procédures réglementaires n'étaient pas adaptées. Mais au contact, elles pouvaient être simplifiées et donc relativement servir. On se raccroche à ce que l'on connait. En tout cas, elles servaient au moins à classer les gens en école...
    Dans certaines unités mécas, les CDG utilisent tout simplement la procédure radio méca en l'adaptant (plus ou moins bien...) au groupe débarqué.
    - Midi 5OO 1 FM posté
    - En bataille, en avant, etc
    - 11 heures,le tireur dans la maison, la minimi feu.

    Mais je pense que la vraie nouveauté depuis déja quelques années, ce sont les TAI (Techniques d'Action Immédiate) venues des F.S et popularisées par Philippe Perotti et l'Armée Suisse.
    Perotti écrit (page 3 /128 de son excellent opuscule) que ces TAI sont d'abord "une réponse imparfaite mais immédiate lors d'un contact". Ce ne sont pas non plus des drills de combat (faire un bouchon AC, s'installer en défense ferme) mais une capacité immédiate de réaction sans ordre préalable. Elles mettent aussi l'accent sur la préparation dans le détail des chargeurs, grenades, etc, tout le "small business" si souvent méprisé...
    Ensuite, c'est sûr que lors d'un TIC, forcément, le niveau de son augmente...Mais n'oublions pas non plus que le développement des "équipements de tête radio" a aussi apporté beaucoup aux chefs de groupe.
    D'ou la révolution des simulateurs de tir laser évoquée lors du post précedent. Même si la peur n'est pas totalement prise en compte, elle met le CDG et ses équipiers dans une situation beaucoup plus réaliste.
    Je pense aussi les britanniques avec l'Irlande du Nord puis les Malouines avaient bien avancé sur cette "micro tactique". Mais désormais, j'imagine que tout le monde doit être à peu près au même niveau...

    Cordialement

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  3. Bonjour,
    Je continue de croire que les cadres d'ordres traditionnels sont un apprentissage de culture qui permettent à chacun de se poser les bonnes questions (je parle de tous les équipiers quand c'est possible et pas seulement les chefs d'équipes et le chef de groupe) La notion qui me parait essentielle en complèment de cette très bonne analyse est l'action de coordination du feu et du mouvement et l'alternance dynamique des points forts et des cheminement à tout les échelons considérés, même seul.
    J'utilise un cadre d'ordre pour l'identification de ces points sur le terrain, très complexe en milieu bâti : V.P.C Vues, Protection, Chemin de repli. Plus le point fort est conforme plus l'arrêt peut être long et PB =PC/ GB/GC. Je pourrai dire beaucoup de chose à ce sujet et spécifiquement dans un cadre urbain... Le combat est une affaire de détails, vous avez cent fois raisons, avec l'expérience, l'analyse tactique et une unité de penser et d'action. Oui, un rien fait la différence entre vivre et mourir au feu. Bravo et merci pour OPAC, c'est un très bon choix, que je vais intégrer.
    Concernant les TAI, Philippe est un ami de Bayonne est j'ai beaucoup de respect pour ces compétences. J'ai néanmoins un désaccord majeur pour les techniques tubes arrières et avant qui sont en contradiction avec une règle fondamentale du combat. J'espère de tout coeur qu'elles ne sont pas appliqué par nos troupes. "face au danger la seule réponse est la ligne" même dans un couloir étroit; en décalant sur le plan vertical, par exemple. Encore merci pour cette séries dans le crâne d'un sergent. Au plaisir de vous lire.
    Bien Cordialement
    Fabrice B (dans votre réseau linked)

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