La campagne de l’Adrar dirigée par le colonel Gouraud (1909)
n’est pas sans ressemblances avec l’opération Serval qui est en train de se dérouler
au Mali. Si l’époque et les hommes sont évidemment différents, les lieux n’ont
quant à eux guère changé ; les motivations ne sont pas, elles non plus,
sans analogies possibles en ce qu’il s’agissait de protéger les populations
vivant près des fleuves Sénégal ou Niger tandis que le fait religieux venait ajouter
de la complexité à une situation locale déjà passablement troublée.
La relation entre la France et les populations Maures remontaient à la
toute fin du XIXe siècle quand la mission d’exploration Blanchet
(avec M. Deriems et le lieutenant Jouinot-Gambetta) avait été capturée par
l’émir El Mokhtar Oul Ahmed Ould Aida, chef politique d’Atar (1900). Libérée
grâce à l’action du Cheikh Saad Bou, la mission était rentrée saine et sauve
mais l’autorité d’El Mokhtar avait été ruinée. Cela avait entraîné une série de
luttes entre tribus maures (les guerriers d’El Mokhtar luttant contre les Oulad
Bou Sba et les Régueibat) tandis que l’installation française sur la rive nord
du Sénégal et au Maroc contribuait à rejeter vers l’Adrar des opposants à la
présence française. Là, sur fond d’une disette sans précédent (1904), ils
devenaient ipso facto des étrangers
et des aventuriers alimentant encore davantage la puissance des compétiteurs
qui ne cessaient de se multiplier : Moulay Idriss, « l’oncle du
sultan » du Maroc, cheickh Ma el Aïnin et ses « hommes bleus »,
M’Hamed des Ouled Ghailane. La mort de Coppolani (1905) sur fond de guerre avec
les Trarzas et les Braknas laissait aux Français l’image d’un pays anarchique
qui menaçait de plus en plus le Sénégal au sud, le Maroc et l’Algérie au Nord
au moment où la France
intervenait au Maroc (dans la
Chaouïa en 1907).
Les attaques successives de détachements français au cours
de l’année 1908 - attaques au cours desquelles trois officiers (capitaine
Repoux et Georges Mangin, lieutenant Reboul) sont tués avec trois
sous-officiers et 85 tirailleurs indigènes - décident le gouvernement français
à intervenir. Son intention consiste alors à vouloir « purger le pays de
tous ses éléments de troubles, de désordre, et de réduire, une fois pour
toutes, les guerriers dissidents ». Sur la base d’une distinction
rhétorique fondamentale entre les notions de colonies et de protectorat,
il n’entre pas alors dans ses vues de transformer la mission de police en une
phase de conquête. L’opération de police prévoit donc de procéder à
l’occupation d’Atar, capitale de l’Adrar, de façon à aller chercher les bandes
qui, depuis le désert, organisent des rezzous généralement dirigés vers les
rives du fleuve Sénégal ; dans le même temps, les Français étant assurés
de l’existence d’un réseau de circulation des armes qui transite par le vaste
hinterland désertique, le Maroc et, au-delà, les Canaries, il s’agit de le
neutraliser.
Elaboré sur la base d’un recrutement local estimé devoir
coûter 1 500 000 francs, le plan est établi tout au long de l’année 1907 par le
gouverneur général Roume et le lieutenant-colonel Gouraud, Commissaire du
Gouvernement de Mauritanie par interim depuis août 1907 en remplacement du lieutenant-colonel Montané-Capdeboscq. Le plan
est approuvé par le gouvernement français à la fin de l’année 1908. En novembre
1908, Henri Gouraud, devenu colonel, est rappelé en Mauritanie où il reçoit le
titre de Commissaire du gouvernement en Mauritanie. Sa colonne est constituée à
Moudjeria le 5 décembre 1908. Elle se compose d’un état-major de 80 officiers
et sous-officiers européens, de 800 tirailleurs sénégalais, de méharistes
réguliers, d’un peloton de cavalerie, d’une section de mitrailleuses, d’un goum
de 100 auxiliaires méharistes maures et d’une compagnie de partisans. Au total,
un millier de combattants, une seule carte au 1/1.000.000e qui vient
à peine d’être relevée et une connaissance encore imparfaite de l’Adrar. On
sait alors simplement qu’Atar passe pour être une forte citadelle qui sert de
place d’armes aux tribus guerrières qui s’y rassemblent ; eu égard à la
présence de nombreux puits et palmeraies, le pays est riche et la population
relativement dense dans les villes d’Atar, de Chingueti, Ouadan et Ksar
Teurchan.
D’emblée et parce qu’il est un « broussard » déjà
confirmé, Gouraud sait donner les ordres de marche de façon à éviter les
rezzous diurnes et nocturnes : il fait adopter une marche en convoi en
carré simple afin de couvrir l’artillerie et le convoi, la colonne devant se considérer
comme étant de grand’garde en marche comme en station. Il a prévu dès les
premiers jours la formation de l’échelon de combat et de l’échelon de convoi,
de même qu’il soigne particulièrement la formation des bivouacs adoptant à
chaque fois des plans très rigoureux. Enfin, tous ses ordres rappellent la
nécessité de prendre soin du ravitaillement de la colonne, la question de
l’alimentation des chameaux n’étant pas la dernière de ses préoccupations.
Les combats commencent dès les premiers jours avec notamment
l’attaque du puits d’Amatil où un détachement de surveillance est sévèrement
malmené les 30 et 31 décembre 1908. Mais cela n’empêche pas la progression de
la colonne principale qui, avec une très grande rapidité, se dirige vers la
capitale. Quand elle arrive devant Atar le 7 janvier 1909, après avoir forcé le
défilé d’Hamdoune, le drapeau blanc flotte au-dessus de la ville. Les demandes d’aman se multiplient pendant que des
colonnes secondaires sont envoyées vers Chingueti et l’Adrar oriental ainsi
qu’à Ksar Teuchan. Neuf mois plus tard, après le nettoyage du massif d’Idjil,
l’Adrar semble pacifié. De très nombreuses tribus se sont soumises puis
ralliées : les Ouled Ghailane, les Ammoni Ackchar et des Snacides de Ksar
Teurchan ; les dissidents restants alliés de Ma el Aïnin ont fui vers le
nord, vers le Maroc notamment. Dès septembre 1909, estimant sa mission achevée, le colonel
Gouraud remet son commandement à son second le commandant Claudel et rentre en France.
A bien regarder l’ensemble de l’opération, la préparation de
l’opération de police a presque été plus longue que la campagne elle-même. La
colonne de l’Adrar a prouvé en définitive un principe que l’armée française
s’est appliquée à reproduire par la suite, celui de sa capacité à être mobile
tant dans le Sud-Algérie que dans les territoires militaires du Haut-Sénégal et
du Niger face aux nomades de Mauritanie.
Merc merci pour votre magnifique blog et, vos magnifique articles que vous y publiés.
RépondreSupprimerTrès intéressant article, comme d'habitude sur ce blog que je découvre, et je suis loin d'avoir fini de l'explorer. Une suggestion, mon Colonel, en un temps où Maroc et Algérie représentent à eux seuls - selon certaines sources - un peu plus de 60% des achats d'armement en Afrique : Pourquoi pas une synthèse documentée sur un hypothétique conflit entre Maroc et Algérie, les deux ordres de bataille et les possibles stratégies respectives ? Le sujet n'est pas si hypothétique que cela, quand on considère la nette dégradation des relations entre les deux pays..
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