mardi 22 janvier 2013

Quelles options opérationnelles au Mali ?

L’opération Serval est une action militaire d’ampleur mais qui reste un instrument au service d’une vision stratégique plus large englobant aussi nécessairement des actions diplomatiques et économiques voire idéologiques.  On ne peut donc lui demander plus d’effets politiques qu’elle ne peut offrir. C’est dans ce cadre que l’on peut essayer de réfléchir aux options opérationnelles possibles en fonction des forces disponibles de part et d’autre.

Au onzième jour de l’opération, nous sommes encore dans une phase que l’on qualifiera de « bouclier » dont l’objectif premier est de protéger Bamako ou au moins Mopti de toute offensive ennemie, en attendant la fin de la montée en puissance du dispositif français et africain. Face à nous, les possibilités d’action des rebelles et djihadistes sont limitées mais pas impossibles dans le cadre qui sera désormais celui d’un combat psychologique appuyé par des actions de combat. Du fait de la faible densité des forces (la zone de front fait presque 400 km de large), il leur reste toujours la possibilité de s’infiltrer par petits groupes pour tenter des « coups » symboliques comme des attentats à Bamako, éventuellement contre des ressortissants français, ou des actions de harcèlement contre les forces de Serval considérant l’impact stratégique de chaque mort français. Les djihadistes peuvent aussi refuser le combat contre les Français pour s’en prendre aux forces maliennes, plus vulnérables.

La seconde phase de l’opération Serval aura, conformément aux objectifs définis par le Président de la République et à la résolution 2085 du CSNU, de rétablir l’autorité de l’Etat malien sur l’intégrité du territoire, en d’autres termes de reconquérir le Mali du Nord.  Cette phase peut débuter assez rapidement dans quelques jours si le critère premier est la vitesse, auquel cas les forces françaises seront les plus impliquées, ou plus tardivement s’il s’agit surtout de mettre en avant des forces africaines encore en cours de mise en place.

L’objet premier de ce Serval 2 sera bien entendu la prise des villes le long du fleuve Niger. On peut imaginer une double attaque vers Gao, le point clé de la zone, l'une à dominante tchadienne partant de Niamey, l'autre à dominante franco-africaine partant de Sévaré. On profiterait ainsi d’un rapport de forces très favorables et d’axes routiers de meilleure qualité. Cela permettrait de frapper d’abord un mouvement djihadiste, le MUJAO, et donc de laisser encore une possibilité de négociation à Ansar Dine. A partir de Gao, il est ensuite possible soit de pousser vers Kidal, le fief d’AQMI dans le Nord, soit vers Tombouctou à l’Ouest. La progression franco-africaine vers Gao peut s'effectuer aussi en parallèle sur les axes Sévaré-Gao et Diabali-Nampala-Tombouctou-Gao. 

Face à cette manœuvre, tout en ayant toujours la possibilité de tenter ses actions symboliques dans la profondeur, l’ennemi peut essayer de nous harceler le long des axes ou nous freiner à partir des localités où il peut toujours s’appuyer classiquement sur les deux diviseurs de notre puissance de feu que sont les infrastructures et la population. A partir de ces « petits Falloujah » (Gao compte au maximum 80 000 habitants, Tombouctou, 50 000 et Kidal, 25 000), il peut s’efforcer de résister suffisamment longtemps pour ternir l’image des forces françaises et lui infliger des pertes, en considérant encore une fois que son but n'est pas de vaincre l'armée française au Mali mais en France, en influençant le comportement de ses dirigeants. Il peut décider aussi de refuser un combat jugé trop défavorable pour lui et se réfugier dans la zone désertique et l’Adrar des Ifoghas. Dans tous les cas, il préférable que l’offensive alliée sur le fleuve Niger se termine avant le mois de mai et le début de la saison des pluies, susceptibles de réduire nos possibilités de manœuvre et d’appui.

Une fois la reconquête du fleuve Niger terminée, il s’agira ensuite de considérer la poursuite de la lutte dans une zone sahelienne et saharienne plus grande que la France et face à des groupes qui, non seulement connaissent parfaitement cette région mais ont également la possibilité de se réfugier dans les pays voisins. A l’instar des opérations aéromobiles dans le Tibesti tchadien en 1970, cette phase risque d’être la plus difficile. Il faudra peut-être alors se poser la question de son coût-efficacité et de la possibilité de se contenter, là encore comme au Tchad, de la restauration de l’autorité de l’Etat sur le « Mali utile », Kidal incluse, et de laisser les groupes rebelles gouverner des cailloux. Il faudra aussi se poser la question de l’alliance plus ou moins ouverte avec le MNLA susceptible de nous aider dans cette guerre du désert et donc de pousser l’Etat malien à des concessions politiques.

La dernière phase, qui débutera aussi après la reconquête du fleuve Niger et qui sera la plus longue, sera celle de la stabilisation. Il ne suffit pas en effet de libérer les villes, il faut aussi les tenir. Ce sera là, logiquement, la mission des forces maliennes mais en faisant en sorte que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets et que ces forces ne s’effondrent pas à nouveau en cas de retour offensif des rebelles. Cette phase sera donc aussi une phase de transition avec la relève progressive des forces françaises et MISMA par des troupes maliennes à la fois solides et respectueuses de la population, chaque exaction de nos alliés entachant indirectement la légitimité de l’opération française. Une présence militaire française sera donc sans doute nécessaire, pendant plusieurs années, pour aider les forces locales, protéger les intérêts de la France et en premier lieu ses ressortissants tout en maintenant la pression sur les groupes djihadistes et sans apparaître comme une force occupante.

En résumé, la difficulté majeure sera sans doute de savoir où s’arrête ce qui suffit et de ne pas aller au-delà du point culminant de la victoire.

11 commentaires:

  1. Pas simple votre histoire :
    1 / avoir une bonne garde à gauche et à droite
    Protéger le centre est avec pour pivot Ségou/Niono un GTIA Franco-Africain solide (Sénégalais) (AMX10RC)
    Protéger l’ouest axe Mopti Kona un GTIA Franco-Africain (AMX10RC)
    2/Une offensive sur Gao
    Un direct du droit sur Gao depuis Kona via la RN 15 un GTIA Franco-Tchadien
    Et un crochet du droit via la RN 17 depuis le Niger avec 1 GTIA Franco-Touareg
    Une fixette sur Tombouctou via GOUDAM sans forcer 1GTIA Franco Malien
    3/ Après Gao Une offensive sur Tombouctou
    Un direct du droit à l’ouest en suivant le fleuve Niger un SGTIA Franco-Tchadien-Touareg
    Un uppercut depuis le sud depuis Goudam 1GTIA Franco Malien
    Protéger Gao avec un GTIA Franco Touareg
    Un coup de marteau sur Kidal avec SGTIA Franco Tchadien
    L’objectif les couper de l’est et les rabattre à l’ouest pour en laisser passer le moins possible
    4/ La zone SUD protégée avec des SGTIA MISMA attention à l’infiltration par les pays voisin impossible à surveiller.
    L’Algérie essai de surveiller sa frontière et intercepte
    La Mauritanie essai de surveiller sa frontière et intercepte (les renforcer dans la profondeur)
    Un détachement FSpé passe la frontière Mauritanienne direction Tombouctou et intercepte
    Le Niger essai de surveiller sa frontière et intercepte
    Le Burkina essai de surveiller sa frontière et intercepte
    5/ 2 SGTIA d’assaut en réserve VBCI et Hélico
    6/ Logistique un enfer des figues et des chameaux, des hélicos, largage pour les cargos UE et US. Les Allemands pourraient nous passer des CH 53 pour fêter l’entente Franco-Allemande et l’UE des CH 47. Prévoir un SG Matériel il y aura du boulot nous allons en laisser en route.
    Total équivalent à 8 GTIA 5000 hommes (sans compter les forces au sud)
    7/ Offensive diplomatique parallèle sur l’Europe et sur l’Afrique rendre compte à nos amis, essayer d’obtenir l’autonomie d’un territoire Touaregs dans un Mali unifié organiser une Gendarmerie nomade Malienne et une Assistance civil Nomade plutôt que l’armée (laissons cela au US) Organisons en France un appel aux volontaires Malien pour former une nuitée.

    Citoyen ne m’écoutez pas je rigole, mais en fait je suis triste je pense à ce vieux râleur un peu lourd d’Yves Debay il va me manquer se faire tuer en Syrie bien sûr il était ou personne n’était, mes condoléances à la famille et amis


    RépondreSupprimer
  2. Mes respects Monsieur le Colonel. Sous entendez vous des combats violents et assumés comme durant l'opération "Phantom Fury" de 2004/2005 à Falloujah ? D'où l'envoi de machines de combat lourdes et puissantes en nombre ces derniers jours ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est bien sûr possible à une échelle différente toutefois. Les amres lourdes servent un peu à tout.

      Supprimer
    2. J'ai du mal à imaginer que l'on a besoin de VBCI en tel nombre pour de la chasse au pick up en pleine savane là où l'on s'est contenté avec succès jusqu'ici, de VAB et Sagaie plus moyens aériens.

      Bref. On verra bien mais depuis avril dernier, nos petits amis d'AQMI et consorts ont certainement pensé à se protéger dans les zones urbaines qu'ils contrôlent.

      Supprimer
    3. Entre anonyme, mais je voudrais bien pouvoir ne pas l'etre dans ce forum, lisez vite la presse, o. Y parle de l'envoi de 4 chars Leclerc ( et d'un chef de corps avec sans doute!). Et le journal de parler de "fleuron de notre armee, veritable joyau de l'excellence guerriere de notre pays". Sic!
      Serait-il possible d'avoir un exemple de la rethorique employee durant les deux conflits mondiaux et les guerres coloniales du XIXe siiecle a titre de comparaison.
      Car l'histoire begaye, Non?
      Le reste du monde, russes compris en Tchetchenie emploie des strategies "globales". La France envoie ce qui est deja inutile au CENZUB. Comment on achemine les Tanks? Par C5 ou An124?
      Ni masse de blindes ni materiel efficace, et quant a la doctrine de reimplentation de la paix en espaces lacunaire sous peuples mais hostiles, on est presses d'attendre.

      Supprimer
  3. Nos adversaires sont de remarquables communicants, comptons sur eux pour ne pas oublier que pour les opinions publiques occidentales, quelque soit la réalité tactique sur le terrain, une opération qui dure et une opération qui s’enlise.
    Sous cette approche, réussir un nouveau ‘coup’ à la Gilad Shalit, l’enlèvement d’un de nos soldat, est sans doute un danger potentiel à évaluer. Cela se ferait préférentiellement dans une ville du sud où règne à présent un sentiment de relative sécurité, où l’environnement dicte une grande modération dans l’application des feux, où les caches potentielles sont innombrables et où nous n’avons pas les moyens de contrôler les déplacements de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Si certains de nos adversaires ont l’expérience des théâtres irakien afghan ou libyen, n’ont-ils pas les ‘savoirs-faire’ nécessaires pour une telle opération et tenter ainsi de nous mettre avec un seul coup, en grande difficulté sur la scène politique intérieure ?

    RépondreSupprimer
  4. Une fois de plus, la supériorité tactique et technique de nos troupes semble assurée. Il ne fait pas de doute que Serval permette de reconquérir les villes principales du Nord-Mali, si du moins le chef de l'opération n'a pas les mains liées par des autorités trop averses au risque. A écouter le Président de la République, ce ne devrait pas être le cas.
    Il ne reste donc à l'ennemi qu'à jouer la montre en dégoûtant notre opinion publique par une longue suite de piqûres de guêpe. C'est exactement ce que vous avez déjà écrit. Or, il me semble qu'à la différence de l'Afghanistan nous disposons d'un avantage de taille. Le chef des armées a affirmé que l'opération durerait "aussi longtemps que nécessaire". L'ennemi aussi peut donc douter de sa victoire. Pour une fois, je pense que nous sommes stratégiquement à égalité, et non désavantagés sur le long terme.

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour,
    je rejoins le dernier commentaire par un autre chemin : les Français sont avantagés aussi par le soutien populaire qui leur est assuré au Sud. Au Nord, en revanche, il reste à convaincre les opinions. Le fait de défendre le retour de la souveraineté sur le Nord d'un gouvernement de Bamako que la population population du Nord redoute (les cinquante dernières années ont leur lot d'exactions et d'inaction de ce gouvernement) ne met pas les Français en avantage. Les populations du Nord ne sont pas hostiles aux Français. Mais pour obtenir leur soutien plein et entier, nécessité de tordre le bras à Bamako pour 1/ l'empêcher de commettre ou de laisser commettre de nouvelles exactions et 2/ l'obliger à négocier un statut d'autonomie avancée avec ceux qui ont fait déguerpir l'armée malienne l'an dernier. Là les Français auront les opinions assurées des deux côtés. Là les conditions stratégiques d'une victoire complète seront réunies.

    RépondreSupprimer
  6. On prend conscience que la question touarègue est d'importance dans toute cette affaire et qu'il n'y a pas que la problème de l'islamisme radical militant. Il y a des antagonismes très forts entre des populations en Afrique et ils ont toute une histoire. L'opposition entre une Afrique du nord "blanche" et islamisée et une Afrique noire animiste et en partie chrétienne est très ancienne. On a focalisé sur la traite européenne et occulté le commerce des esclaves fait par les marchands arabes. Les mêmes Touaregs dont on parle tant ont été esclavagistes et beaucoup ont gardé cet état d'esprit exacerbé par l'humiliation de leur situation actuelle. Pas facile pour eux anciens maîtres de voir des noirs, considérés comme inférieurs venir les commander. Ceci n'existe pas qu'au Mali hélas. La zone touarègue est aussi beaucoup plus vaste et c'est là qu'on mesure l'absurdité de certaines frontières. La question est loin d'être simple et je ne suis pas sûr que la solution de l'autonomie soit suffisante. Cela pose la question des buts de cette guerre : l'urgence nous a amené à lancer cette opération, mais après ? Comment en sortir sans laisser derrière soi une nouvelle zone déstabilisée ? Il est vrai qu'elle l'était déjà. Décidément la Françafrique est comme le phénix : elle renaît toujours de ses cendres.

    RépondreSupprimer
  7. Il a été signalé que MUJAO et AQMI ont quitté Gao et Tombouctou - pouvons-nous y croire?
    Et, si c'était le cas - pourquoi???
    Il a été dit que le plus grand problème pour la CEDEAO se battait dans les villes.
    Avec Ansar Dine rupture, je pense que cette guerre est déjà gagnée. Jihad n'a pas de réel soutien local.

    Merci
    Le Suèdouin

    RépondreSupprimer
  8. Bonjour,

    Quelques commentaires sur votre billet, postés initialement, chez Alliance Géostratégique, ici: http://alliancegeostrategique.org/2013/01/26/serval-quelles-options-operationnelles-au-mali/comment-page-1/

    Cordialement,

    Amath

    RépondreSupprimer