La
France est engagée au Mali dans une guerre contre des organisations
non-étatiques. A trois exceptions près (Irak en 1991, Serbie en 1999 et Libye
en 2011), c’est ce type d’adversaire que nous affrontons depuis la fin de la
guerre d’Algérie et c’est celui que nous avons encore toutes les chances
d’affronter pendant encore des dizaines d’années. Comme je l’écrivais (ici) il y a
peu, je pense que notre modèle de forces doit désormais être organisé pour
affronter ce type d’adversaire, de loin le plus probable, tout en gardant la
possibilité de monter en puissance très vite pour faire face aux surprises
stratégiques. Cela suppose d’abord de bien appréhender ces ennemis non-étatiques
et les manières de les affronter, assez loin des canons habituels de la guerre tels
qu’ils se sont inscrits dans l’imaginaire collectif après les conflits
continentaux. On
peut les classer en deux grandes catégories.
Les
organisations telluriques, selon l’expression de Carl Schmitt, se caractérisent
par leur capacité à trouver des ressources (volontaires, renseignement,
dissimulation, financement) dans un groupe humain (ethnie, groupe social et/ou
religieux) particulier et leur capacité à utiliser un terrain complexe (urbain,
montagne, forêt, désert). Le pendant de cette capacité est souvent la
difficulté ou même la volonté de sortir de ce milieu géographique. L’armée du
Mahdi, les Taliban, le Hamas, le Frolinat tchadien ou le Front patriotique
rwandais sont ou ont été des organisations de ce type.
Les
organisations non-telluriques ou réticulaires trouvent leurs ressources humaines
et financières dans des réseaux nationaux ou, de plus en plus souvent,
transnationaux. Elles peuvent parasiter certains milieux hôtes mais n’en sont
pas dépendants. Al Qaïda et ses différentes « filiales » en constitue l’exemple
parfait.
La
frontière entre ces deux catégories est poreuse. Les organisations telluriques
peuvent s’appuyer sur un milieu humain qui déborde largement les frontières
et/ou rester d’un volume réduit. C’est le cas des deux organisations touaregs,
le MNLA et Ansar Dine, présentes dans le nord du Mali. Les organisations
réticulaires peuvent de leurs côtés avoir suffisamment de ressources pour
recruter des mercenaires et s’implanter dans une zone géographique comme AQMI
et le MUJAO. Tous ces groupes peuvent également, pour obtenir des ressources,
se lier, se confondre et parfois même se fondre dans des réseaux criminels
jusqu’à perdre tout aspect politique. Toutes ces distinctions sont importantes car
les réponses à donner sont différentes.
La
victoire contre les organisations telluriques passe par le rétablissement de
l’autorité de l’Etat local sur le milieu hostile. La victoire contre les organisations
réticulaires passe par une destruction par élimination directe de leurs membres
et étouffement de leurs ressources. Il s’agit là, dans les deux cas, de
processus généralement longs, aux phases plus ou moins violentes, et dont la
fin n’a que rarement la netteté des capitulations en rase campagne. Si la
guerre interétatique ressemble à un jeu d’échecs, la guerre contre les
organisations telluriques ressemble beaucoup plus à un jeu de go avec ses coups
nombreux et peu spectaculaires avec une fin de partie par accord, parfois
tacite, mutuel. Quant aux réseaux, ils jouent aux échecs mais avec des pièces
invisibles qu’il faut traquer. On peut en éliminer beaucoup et réduire
l’activité ennemie à rien mais sans avoir la certitude qu’il ne reste pas
quelques pions en sommeil.
Il
importe particulièrement de ne pas traiter une organisation tellurique comme
une organisation réticulaire, en la qualifiant notamment de
« terroriste ». Se contenter d’en traquer et éliminer les membres
d’une organisation de masse, c’est s’exposer à une guerre sans fin. Ce fut
l’erreur des Américains à l’égard des groupes nationalistes sunnites irakiens
en 2003. C’est la politique israélienne vis-à-vis des organisations
palestiniennes (selon l'image du gazon à couper régulièrement). Inversement, croire que l’on peut apporter une réponse
économique et sociale à un mouvement terroriste, c’est également s’exposer à de
profondes désillusions. Bien entendu, la stratégie à adopter se trouver
compliquée lorsque ces ennemis de nature différente s’associent dans un front
commun, même si l’expérience tend à montrer que cette association résiste mal
au temps.
(à suivre)
Il faut aussi regarder si culturellement ces groupes collent à la réalité culturelle et sociale locale.
RépondreSupprimerCertaines idéologies ne fonctionnent pas avec certains peuple (ca marche aussi pour la culture occidentale de la démocratie).
Le terrain joue aussi une part importante sur la pugnacité de groupe à résister.
La guerre dans le désert ou dans le jungle c'est pas la même chose! Les possibilités techniques ne sont pas les mêmes entre le désert et la jungle!
Par curiosité, le titre de l'article est-il une référence au monde des non-A?
RépondreSupprimerTrès probable.
SupprimerLe Cololonel-Bashar Goya nous a déjà démontré une grande culture futuriste.