Activer la
réserve est en général un geste de sécurité pour terminer un parcours avéré plus
exigeant que prévu. Difficile, lorsqu’on aime voir distinguée sa faculté
d’anticipation, reconnaître devoir compter sur la réserve. Or parler de la
réserve militaire aujourd’hui, c’est, souvent, évoquer ce soutien pour
rejoindre la station. Je rêve pourtant de voir se réaliser ce vieux rêve du plan
Armées 2000 : non seulement un complément à flux tendu pour le temps
ordinaire, mais une réserve professionnalisée, engagée aux côtés de l’active, l’accompagnant
dans de nouveaux défis, à l’heure d’une redéfinition des conflits, de nouvelles
crises, de nouvelles perspective d’engagement. Des militaires à temps partiel,
dont l’emploi serait un acte réflexe.
La réserve a
aujourd’hui besoin de voir ses missions redéfinies, adaptées aux nouveaux
scénarios de crise. Sa filiation avec les unités d’active doit être reconnue,
renforcée, entretenue, les parcours des officiers du complément individuel, mis
à l’épreuve de situation réelle. Pour cela, il y a aujourd’hui nécessité de
briser deux murs de verre. Le premier est celui qui existe dans les régiments
entre les filières « commandement » et « état-major ». Le
second sépare officiers d’active soucieux de préserver cohérence des troupes et
identité de leur statut, et des cadres de réserve à même de pouvoir, un temps
dans leur vie, pleinement leurs compétences au profit d’une institution dans
son ensemble, sous formes de contrats courts, définis et reconnus.
Des composantes autonomes et intégrées
Au lieu de
cela, bien souvent nous restons à la maison, pour garder la maison. Lothar,
Martin, Erika, Xynthia : les corvées «bois et mazout» trouvent à nous
exercer, lorsque cela a été prévu, qu’on se souvient de nous, que nos appels
aboutissent à une personne qui nous connaisse, un chef qui veuille bien prendre
le risque de nous employer. Certains
chefs de corps ont compris l’avantage d’avoir une composante de réserve
autonome, dans ses moyens, ses missions, son recrutement, de pouvoir ainsi
compter sur sa réactivité. D’autres, moins. A défaut de hanter les quartiers,
le syndrome des « Scouts du hangar B » est présent dans encore bien
des esprits. Mettre à profit son temps libre le week-end pour faire ce que
d’autres font la semaine reste mal
considéré. Or si notre vraie vie est ailleurs, l’armée est aussi notre métier. Pour
nous, plus que quiconque, l’armée est bien plus qu’un métier.
Un statut particulier
Il y a un
« iste » dans réserviste. Un suffixe qui éveille, chez les civils
comme les militaires, le doute, le soupçon : celui d’un discours plus que
de l’action, d’une idéologie, plus que d’un idéal. Pourtant, l’ idéal
républicain, les soldats de réserve, militaires à temps partiel, prémices d’une
nation en armes, ont toujours su le défendre, l’opposer avec succès aux
caprices de l’histoire. Si la formation d’un officier de réserve est (était?) bien
plus longue que celle d’un(e) officier sous contrat (OSC) aujourd’hui, sa
carrière l’est tout autant. Avant de
pouvoir prétendre au grade d’officier supérieur un jeune sous-lieutenant
choisissant la voie « état-major » pourra aisément servir jusqu’à 7 ou 8 chefs de corps, et au moins
autant de chefs de bureau opérations-instruction (BOI).
Nous avons
relevé le défi de la fin de conscription en allant chercher les grenadiers-voltigeurs
qui nous faisaient défaut, en formant nos cadres, en jouant le jeu de
formations exigeantes qui nous emmènent
longtemps loin de foyers où bien souvent cet aspect ne faisait pas
partie du contrat de base. Nous convainquons nos employeurs, partons souvent
sur nos congés. Nous n’en retirons d’autre bénéfice que notre solde, à l’indice
de base, (depuis peu) sans autre perspective d’avancement et de décorations que
ce que nous, composante réserve, voudrons bien nous octroyer entre nous. Le
danger de voire grandir une réserve « hors-sol », juste présente le week-end
dans des quartiers déserts, est à nouveau présent. Or Darwin a démontré que loin du berceau
initial, une espèce développait de nouvelles caractéristiques, pour devenir
quelque chose d’autre.
Le cimetière des éléphants
Cette situation
concerne les unités de réserve, mais plus encore la filière Etat-major :
le complément individuel. A part (se) former, (s’) instruire, quels
débouchés ?
Nos compétences,
acquises grâce à l’excellence de la formation ORSEM (pour ceux qui ont la
chance d’habiter près d’une grande ville, mieux, près de Paris encore mieux, à
Paris, c’est bien), reconnues, nous amènent à garnir les cellules lors des
exercices. Voilà. Certains régiments emploient quelques officiers volontaires
pour remplacer un départ, une absence, mais cela reste marginal. Loin du sérail
de l’active mais à ses côtés, près du terrain où s’ébrouent nos GV le WE, mais juste
un peu trop loin, il y a peu de perspective d’évolution pour le complément
individuel.
Officiers de
complément, garnissant jusqu’à 30 % des postes d’un centre opérationnel, il
n’est pourtant d’exercice qui ne puisse être mené sans leur concours. Lorsqu’un
jeune commandant d’unité sortant arrive au BOI pour se frotter aux dures
réalités de l’administration, tout en préparant un diplôme, son chef de BOI est
heureux de pouvoir lui faire bénéficier de la présence d’un ORSEM. Lorsque les
engagements se multiplient à la surface du globe, la présence de la réserve
devient une nécessité pour maintenir le taux d’opérabilité d’un régiment. Lorsqu’enfin
arrive la bascule, dans la douceur d’une fin d’été, quel colonel n’est pas
heureux de pouvoir confier à quelques cadres de réserve les clefs de son BOI
pour accueillir les nouveaux arrivants ?
Vue depuis la
réserve, l’image des officiers du complément individuel (CI) est moins idyllique.
Qu’importe qu’ils aient commandé ailleurs, ou, pire, soient partis en OPEX, les
officiers du CI ne sont décrits que comme les alliés objectifs d’une strasse,
prompts à frémir, (et c’est tant mieux), lorsqu’on préfèrerait voir le « terrain »
excuser certaines libertés. Plus limitatif, le complément individuel n’est
envisagé, pour les cadres d’unités de réserve, que comme un cimetière des
éléphants, où d’anciens commandants d’unité, frappés d’épectase, tenteront de
conclure les pactes noués en unité, pour ravir 1/ le poste de chef du CI, 2/
celui d’officier adjoint réserve (OAR). Vaste programme.
(à suivre)
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