Niveau stratégique
Contre-offensive des Etats-Unis qui se trouvent devant la guerre en Ukraine dans la position de l’Union soviétique profitant de l’engagement massif, absurde et maladroit des Américains au Vietnam dans les années 1960 pour armer leurs ennemis. Les Etats-Unis prennent ainsi clairement la direction d’une nouvelle coalition, où comme à chaque fois ils fournissent au moins 70 % des moyens, non plus de guerre comme pendant le Nouvel ordre mondial, mais de confrontation. L’ennemi est cette fois la Russie et les moyens sont sans limites hormis celle de la guerre ouverte, ce qui n’exclut pas les petits combats pourvus qu’ils n’entrainent pas d’escalade.
On analysera cette posture plus en détail plus tard, notons simplement à ce stade la relative faiblesse de la Russie face à cette offensive, Russie qui peut se trouver contrer dans tous les champs d’action possible hormis peut-être avec l’arme du gaz-arme à double tranchant et qui ne touche vraiment que les pays européens. A cet égard, l’appel à la menace régulière plus ou moins voilée d’emploi d’armes nucléaires, contredite à chaque fois quelques jours plus tard par le rappel que ce type d’arme ne pourrait être utilisée qu'en cas de menace existentielle, est plutôt un aveu d'impuissance.
Constatons que les
Etats-Unis sont capables de faire cela, et de fournir par exemple 30 fois plus
d’aide militaire en valeur que la France, car ils s’en sont donnés les moyens depuis
plusieurs dizaines d’années au lieu de les réduire sans cesse. Ils ont des stocks
et leur industrie de Défense fait de l’industrie, pas de l’artisanat de luxe. Par
comparaison, la commande totale prévue du très couteux Missile moyenne portée
(MMP) pour équiper les forces françaises correspond à environ une semaine de
combat en Ukraine.
Notons l’extension de la théorie de la victoire, qui n’est plus seulement de faire renoncer Vladimir Poutine
devant le coût faramineux de cette guerre pour la Russie (une stratégie qui n’a
jamais fonctionné seule) ou la pression interne (de la part du peuple ou de son
oligarchie administrativo-mafieuse, une option très hasardeuse) mais aussi maintenant
de vaincre, voire de détruire, l’armée russe sur le terrain. Historiquement et
particulièrement en Russie, c’est d’abord la situation militaire sur le terrain
qui conditionne la suite. Le régime tsariste s’est effondré d’abord du fait de
la défaite et de la démoralisation de son armée, le régime soviétique aussi
après les expériences malheureuses en Afrique et surtout en Afghanistan en
parallèle du délitement de la société.
Niveau opératif
L’effort russe se porte toujours depuis l’axe
Yzioum-Lyman-Rubizhne, soit un front de 100 km de large, en direction de Severodonetsk
à l’Est et en direction de Sloviansk-Kramatorsk à l’Ouest,
depuis Yzium et Lyman. Cette attaque est appuyée par des attaques secondaires,
depuis Yzium vers Velyka, pour couvrir l’action principale face à l’Ouest et
depuis Kadiivka (République populaire de Louhansk, RPL) pour envelopper
Severodonetsk par le Sud en particulier à Novotoshkivske (prise) et Popasna,
avant sans doute de se diriger vers Bakhmut et Kramatorsk.
Gagner la bataille du Donbass équivaut à s’emparer
d'un rectangle de 100 km de front sur 70 de profondeur, soit la superficie d’un
département français, dans lequel se trouve les trois grandes villes. Cette
zone est actuellement défendue par les Ukrainiens avec cinq brigades de manœuvre,
deux brigades territoriales et plusieurs bataillons de Garde nationale et de
milices, soit sensiblement l’équivalent de 20 groupements tactiques (GT) russes.
On estime la concentration des forces russes dans la zone à 30 à 40 GT. Les
forces russes s’appuient sur leur artillerie et leur capacité de 600 000 obus/jour,
et les forces ukrainiennes sur la supériorité tactique de leurs unités de manœuvre,
un terrain fortifié et surtout sur les grands bastions urbains équivalents à
Marioupol. Toutes choses égales par ailleurs, il faudrait au rythme actuel entre
deux et trois mois aux forces russes pour s’emparer de ce rectangle.
Mais les choses ne sont pas égales par ailleurs.
Les forces russes conjuguent cet effort par des attaques le long de la frontière
des deux républiques séparatistes à partir d’Horlivak et de Donetsk, puis dans
la zone Sud du Dniepr à la RP Donetsk sans grand succès, sauf partiellement au
centre à Houliaopole. Il est difficile d’imaginer une plus large progression dans
la région sans renforcements en unités de manœuvre.
On note en revanche une
grande activité russe dans la région de Kherson au Nord du Dniepr, activité par
le feu d’abord avant peut-être de nouvelles attaques en direction de Mykolayev
et ou de Kryvyi Rih. Peut-être que cette activité est à relier avec la mise en alerte
de la 14e Armée en Transnistrie et la destruction du pont de Zatova
à l’embouchure du fleuve Dniestr, qui viseraient à fixer les forces ukrainiennes
d’Odessa et notamment la 5e brigade blindée pendant l’attaque contre
Mykolaev. On ne voit pas cependant comment avec les Russes pourraient progresser
avec les forces dont ils disposent. Peut-être s’agit-il de sécuriser l’éventuel
référendum de création d’une République populaire de Kherson (RPK) avant d’avoir
l’équivalent à Mélitopol, et fixer ainsi politiquement les gains militaires
russes.
A Marioupol, les dernières
forces ukrainiennes résistent toujours dans le complexe industriel Azov, malgré
les bombardements aériens et les attaques qui continuent. Malgré ce bastion de
plusieurs kilomètres carrés à l’intérieur de la ville, la victoire – qui sera célébrée par
une cérémonie militaire le 9 mai – et le retour à une « vie normale »
sont annoncés en Russie.
Situation inchangée dans
la région de Kharkiv, toujours bombardée alors que les forces ukrainiennes ont progressé
au Nord et à l’Ouest de la ville.
De part et d’autre, on s’efforce
d’entraver les communications de l’ennemi vers le front. Les forces aériennes
russes s’attaquent à l’infrastructure ferroviaire ukrainienne et on signale plusieurs
mystérieuses destructions de dépôts sur le sol russe et même une attaque par le
ciel à Voronej au Nord-Est de Moscou.
Niveau tactique
La comptabilité des pertes matérielles par oryxspioenkop.com
indique 587 véhicules blindés de combat (chars, véhicules d’infanterie) russes perdus du 5 (fin définitive de la bataille de Kiev) au 28 avril, sur un total
de 1622, soit l’équipement d’un groupement tactique (40 véhicules de combat
blindés) tous les deux jours, contre un GT par jour auparavant. Il ne s’agit là
que des pertes vérifiées, on peut estimer que les pertes réelles sont environ
50 % supérieures. La proportion des véhicules détruits est désormais de 2/3 et
celle des abandonnés se réduit beaucoup. Les Russes n’ont perdu que 72 pièces d’artillerie
en avril contre le double auparavant et 200 camions contre 600. Cette évolution
reflète le désastre qu’à pu représenter la bataille de Kiev pour les Russes -transformée
en opération de diversion par la propagande-et l’évolution des combats.
La forte proportion de véhicules d’appui, et notamment
de pièces d’artillerie, et de soutien, perdus indique que les arrières des armées russes étaient attaqués, du fait des élongations des
armées russes parfois étalées sur des axes étroits de plusieurs centaines de
kilomètres et du fait des capacités de raids et de harcèlement des forces
ukrainiennes. Les attaques russes actuelles dans le Donbass ou la région de
Kherson sont de moindre profondeur et plus larges. On y progresse peu, mais la densité
des forces à l’avant est plus importante et la protection des arrières est mieux
assurée.
On répertorie également 382 véhicules de combat perdus
du côté ukrainien, soit une moyenne de pertes de 5 par jour, assez constante
depuis le début. Là encore, la proportion de destruction a augmenté par rapport
aux pertes par capture ou abandon. Le rapport des pertes - 1 pour 4 - est toujours
très favorable aux Ukrainiens, y compris pour les pertes par destruction. Il
faudrait une étude précise des causes de destruction, mais cette différence s’explique
en grande partie par la supériorité tactique des Ukrainiens et leur posture
générale défensive, qui leur permet de prendre l’initiative des combats dans la
grande majorité des cas et une grande densité d’armes antichars « top-down »
- missiles Javelin, obus guidés, drones TB2, drones rodeurs, roquettes tirées
depuis des bâtiments, - c’est-à-dire pouvant frapper les véhicules depuis le
haut.
Pour y faire face dans l’immédiat, les forces
russes font appel à la puissance de feu et la neutralisation préalable des
zones d’origine de tirs possibles ou réelles. L’artillerie conquiert, les forces
blindées-mécanisées occupent. Cela donne un combat très lent et ravageur.
On notera qu’outre la résistance des hommes, la poursuite des combats n’est possible que parce que les deux adversaires ont des stocks de matériels majeurs, qui compensent les pertes considérables, mais aussi dans une moindre mesure de munitions. C’est peut-être de ce côté-là que se situe le talon d’Achille des deux adversaires. Les Russes ont besoin de millions d’obus, les Ukrainiens de milliers de projectiles antichars en tout genre.