Dans Starship Troopers, la Fédération
terrienne se trouve engagée dans une guerre contre une coalition extra-terrestre,
sans que l’on sache vraiment ce qui a provoqué ce conflit sinon la simple rencontre,
jugée menaçante, avec l’ « expansion
naturelle » terrienne. Cette guerre n’est donc pas très différente de celles
conduites par les Etats-Unis contre les entités politiques environnantes,
parfois proches culturellement comme les Espagnols-Mexicains (et les Squelettes)
ou très éloignées comme les Indiens (et les Arachnides).
Faire la
guerre consiste à s’efforcer d’imposer sa volonté à l’adversaire et pour cela en premier lieu de le réduire à l’impuissance. Cela suppose d’abord de connaitre
les sources de cette puissance avant d’agir contre elles.
Pression sur les Squelettes
Les Squelettes
ressemblent physiquement aux humains, et tout ce qui est décrit de leur monde
pourrait être sur la Terre. On applique donc contre eux une dialectique de la
force identique à celle qui serait appliquée à une puissance terrestre. La facilité
avec laquelle les Terriens parviennent à organiser le raid décrit dans le
premier chapitre, qui semble-t-il succède à des bombardements massifs de la
Marine, paraît indiquer que les Terriens l’ont emporté dans la
bataille des espaces fluides (espace proche, atmosphère). Ainsi et par
comparaison, aucune action squelette contre les planètes de la Fédération n’est
décrite.
A partir de
cette supériorité, sinon suprématie, les Terriens ont la possibilité de s’introduire relativement facilement dans l’espace solide ennemi. Il existe bien une défense
anti-aérienne mais celle-ci est décrite comme neutralisée par la saturation des
radars grâce à la multiplication des cibles (en grande partie due à l’éclatement
des capsules de saut). Ni le transport Rodger Young, y compris dans la phase de
récupération au sol, ni aucun des fantassins mobiles durant leur saut, ne semble
sérieusement menacé.
La situation opérationnelle
est donc très largement asymétrique en faveur des Terriens qui disposent d’une
grande liberté d’action. Ils pourraient profiter de cette liberté pour ravager
complètement les mondes squelettes voire les détruire mais outre que cela
radicaliserait peut-être une défense vacillante, cela ne correspond pas
semble-t-il à l’objectif stratégique qui est de les amener à changer d’alliance
(ou au moins à capituler).
Dans ces
conditions, le mode opératoire choisi contre eux est conforme à la doctrine qui
apparaît alors aux Etats-Unis à la fin des années 1950 et que l’on pourrait
baptiser « doctrine Poker ». L’idée est d’éviter une campagne terrestre
de combats et d’occupation au profit d’une campagne de frappes (ou de raids qui
sont une forme particulières de frappes) menée selon des dosages croissants sur
toute la profondeur du système ennemi jusqu’à l’émergence d’un comportement
souhaité chez lui, ce qui induit bien sûr l’existence d’une forme de
dialogue et donc au minimum de ne pas détruire l’interlocuteur.
C’est alors une
approche nouvelle qui combine les théories de l’Air power et la prudence imposée par la contrainte nucléaire. Si
l’ennemi ne dispose pas lui-même d’armes thermonucléaires, il est alors presque
obligatoirement allié à l’URSS, qui elle en dispose en grand nombre. Cinq ans après
la parution de Starship troopers,
l’opération aérienne Rolling Thunder,
est la première application de ce concept avec l’espoir d’obtenir du Nord-Vietnam
la fin de son aide au Vietcong. Au bout de trois ans et malgré un déploiement
de puissance et des destructions immenses, Rolling Thunder est clairement un
échec. On s’aperçoit à cette occasion
que, contrairement à une campagne d’occupation de territoire et de
destruction des forces dont on voit clairement la dynamique, les effets
stratégiques d’une campagne de pression sont très flous. L’émergence du
comportement politique souhaité peut ne jamais survenir pour peu que l’ennemi
fasse preuve d’une forte résilience.
Le raid décrit
dans le premier chapitre de ST s’inscrit donc dans une campagne de ce type avec
cette première originalité qu’il s’agit de forces terrestres. Il s’inscrit dans
une logique de dosage puisqu’il est expliqué qu’il succède à des bombardements
massifs et cherche à montrer à l’ennemi qu’il est à la merci de Terriens qui d’une
part n’hésitent pas à faire preuve de courage mais surtout peuvent faire à peu
près ce qu’ils veulent sur son territoire.
Les raids
terrestres depuis les espaces fluides, air ou mer, ne sont évidemment pas une
nouveauté. Les unités spécialisées ont connu un grand développement durant la
Seconde Guerre mondiale depuis les équipes du Long range desert group (LRDG) jusqu’aux Chindits en Birmanie en passant par les bataillons du Special Air Service (SAS) ou des Marines
Raiders. Le raid de la 11e division parachutiste américaine pour
libérer le camp de prisonniers de Los Banos en février 1945 aux Philippines constitue
sans doute alors le modèle le plus sophistiqué de ce que ce genre d'unité est capable de
faire.
Les armées occidentales
d’après-guerre sont pleines de ces unités commandos que l’on retrouve à tous
les échelons. Des guerres complètes, comme celle d’Indochine ou d’Algérie sont
faites de multiples raids. Avec ses 250 OAP, la guerre de
« corsaires », selon l’expression du général Navarre, en Indochine
est ce qui se rapproche le plus de ce que pratique l’Infanterie mobile dans ST, à ce détail près que la seule OAP de niveau section décrite contre les
Squelettes entraîne plus de destructions que le plus important des
bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis 1940,
le nombre de sorties aériennes nécessaires pour détruire un objectif de 200
mètres sur 300 est divisé par 100 tous les vingt ans. En 1959, ce nombre dépasse
encore la centaine avec environ 200 tonnes de bombes. Les
munitions guidées n’existent pas encore et Heinlein les remplace par le système
alors (et toujours) le plus précis : le fantassin. La fantassin mobile est
précis mais il est aussi très puissant. Avec ses seules munitions atomiques Rico
porte sur lui l’équivalent du tonnage de bombes de 6 000 bombardiers B-17.
Avec l’action de 52 hommes comme lui agissant sur plusieurs centaines de
kilomètres carrés, on obtient ainsi l’équivalent d’un bombardement atomique
plusieurs fois supérieur à Hiroshima. Malgré les précautions et la précision
des fantassins, les pertes civiles seraient par ailleurs considérables.
Le raid est
donc « un super-raid » et ressemble plus à un bombardement aérien
massif qu’à une action de commandos. Avec la conjonction de la multiplication des
munitions atomiques miniaturisées et de l’aéromobilité des forces terrestres à
la fin des années 1950, un raid de ce type n’est alors pas inconcevable. La principale
contrainte des unités aéroportées est qu’une fois au sol, les soldats se retrouvent à pied, lents et vulnérables. L’emploi d’armes nucléaires serait alors suicidaire.
Avec le développement des unités aéro-mécanisées, dotées de véhicules blindés
légers comme le BMD soviétique en 1969, cela devient de fait possible car les fantassins
déposés ou largués sont désormais dotés de plateformes de combat mobiles et
protégés. Mais c’est aussi l’époque où on s’aperçoit des énormes difficultés,
notamment politiques, que poserait le « champ de bataille atomique »
et les armes nucléaires sont retirées du champ tactique.
Dans le même
temps, avec le développement des munitions guidées par laser, comme la Paveway testée
au Vietnam en 1968, apparaît aussi le bombardement aérien de
précision même s’il faut attendre encore plusieurs dizaines d’années pour voir
des campagnes complètes menées avec ce type d’armes. Alors que la supériorité
aérienne occidentale, et particulièrement américaine, devient suprématie après la Guerre froide, il est devenu hors de question de mener des
raids de destruction d’infrastructures autrement que par les airs, aéronefs ou
missiles. Il est probable cependant qu’avec le développement et la diffusion de
systèmes anti-accès, ce passage des espaces fluides aux espaces solides devienne plus délicat. Peut-être
faudra-t-il envisager à nouveau, comme le font des organisations qui n’ont pas
accès au ciel, à d’autres formes d’intrusion par le sol.
En attendant,
en 1959, la stratégie de pression fonctionne sur les Squelettes puisqu’elle les
conduit à changer d’alliance. La guerre contre les Arachnides est d’évidence
plus difficile.
Comment vaincre des arachnides géants ?
La guerre
contre les Bugs commence par des accrochages avant de dégénérer en guerre
ouverte avec le bombardement de Buenos Aires. L’attaque surprise (qui n’aurait
pas ailleurs pas dû en être une, la trajectoire du météore frappeur ayant
normalement dû être observée et corrigée) fait l’objet d’une offensive
terrienne immédiate qui se veut décisive : l’opération DDT. Dans ce cas,
pas de pression ni enchaînement de batailles comme dans la campagne du
Pacifique mais un coup unique qui se veut décisif avec tous les moyens concentrés, comme si les forces américaines avaient tenté d'envahir le Japon tout de suite après l'attaque de Pearl Harbor.
Cette
opération est un désastre. Plus de 50 vaisseaux sont lancés dans l’atmosphère
de Klendathu et plusieurs divisions d’infanterie mobile sont larguées afin d’établir
une tête de pont pour des unités plus lourdes. La
coordination entre les vaisseaux projetés d’emblée sur la planète est
déplorable, plusieurs collisions ont lieu et surtout les défenses de l’ennemi
sont bien plus puissantes qu’imaginées. Les Punaises vivent en profondeur et
les soldats qui en sortent équipés d’armes laser individuelles sont aussi innombrables (« un homme tué pour 1000 punaises est une victoire des punaises »
[1]) qu'hyper-agressifs. Au bout de seulement dix-huit heures, ce qui reste de
la force de tête de pont est repliée.
Les batailles
sont des révélateurs des forces et faiblesses plus ou moins connues des deux
adversaires. Les premières confrontations sont donc toujours pleines de
surprises surtout avec des ennemis très différents et, pour le cas des Terriens
au moins, qui n’ont visiblement pas mené d’opérations de très grande ampleur depuis longtemps.
Les premières
batailles américaines, qui opposent une US
Army constituée dans l’urgence à des troupes ennemies aguerries, sont
traditionnellement des déconvenues. Il en est ainsi en 1812 contre l’armée
britannique, à Bull Run en 1861 contre les Confédérés, en Argonne en 1918 et
surtout à Kasserine en 1943 contre les Allemands. L’épisode de la Task Force
Smith en juillet 1950 en Corée marque sans doute la fin de cette impréparation perpétuelle,
conséquence récurrente de la démobilisation de l’armée américaine après chaque
guerre. Comme les forces armées américaines des années 1950, l’armée de la
Fédération terrienne est permanente, ce qui ne l’empêche visiblement pas d’être
surprise.
Tactiquement,
l’opération ressemble aux premiers jours de la bataille de Tarawa en novembre
1943, banc d’essai meurtrier des opérations amphibies de grande envergure. Au
niveau opératif, Heinlein s’inspire plutôt et assez clairement de la première
grande rencontre entre les forces des Nations-Unies et celles de l’armée
chinoise en novembre 1950. Le 24 novembre, le général Mac Arthur lançait
l’opération « A la maison pour Noël » destinée à écraser les
dernières résistances communistes en Corée du nord. Dès le lendemain, toutes
ses forces étaient submergées par les fantassins chinois, apparemment aussi nombreux et fanatiques
que les Arachnides d’Heinlein. Le général Mac Arthur, qui ressemble au
général Diennes de ST, est obligé d’ordonner un repli en catastrophe jusqu’au
sud du 38e parallèle. C’est la plus grande retraite de l’histoire
militaire américaine. Dans le roman, Diennes est tué au combat (l’offensive
chinoise est un des très rares cas où un général américain meurt au combat)
alors que Mac Arthur sera limogé après avoir critiqué le gouvernement et exigé
une escalade dans les opérations.
Après
l’opération DDT, commence une phase expérimentale où il s’agit à la fois de
découvrir des méthodes tactiques efficaces contre cet ennemi redoutable et de
comprendre son mode de décision afin de déterminer la voie qui permettra
d’imposer sa volonté. L’espace de guerre (les territoires et les espaces
fluides accessibles) s’étend sur plusieurs dizaines de dizaines
d’années-lumière et il contient autant de théâtres d’opérations que de planètes
ou de systèmes habités. Cela évoque évidemment les campagnes parallèles de Nimitz et
de Mac Arthur dans le Pacifique jusqu’aux Philippines et aux
abords du Japon. Comme la conquête des îles du Pacifique où les forces
japonaises étaient de plus en plus profondément retranchées ou la nouvelle remontée
vers le nord en Corée au printemps 1951, les combats sont beaucoup plus lents,
méthodiques et meurtriers.
Dans un
contexte où comme contre les Squelettes, les Terriens disposent au moins d’une
supériorité relative dans l’espace (« vaisseau contre vaisseau : notre flotte
était supérieure » [2]), la bataille décisive fait place à une série de combats
d’usure (comme les opérations Tueur
ou Eventreur en Corée en 1951)
destinée à infliger le maximum de pertes à l’ennemi grâce à l’emploi maximal de
la puissance de feu. L’analyse des prisonniers arachnides permet de mettre au
point des armes chimique létales pour les punaises et inoffensives pour les
humains. Les liquides sont projetés dans les trous des cités troglodytes
punaises, où ils se répandent ensuite sous forme gazeuse, tandis que les
fantassins et sapeurs terriens bouchent toutes les sorties. La population
arachnide de la planète Sheol est ainsi entièrement massacrée. Aucune question
éthique n’est alors posée pour ce qui constitue pourtant un massacre de masse,
pas plus qu’il n’en a été posée lorsque Tokyo, entre beaucoup d’autres villes, a
été ravagée par les flammes en mars 1945. La déshumanisation peut intervenir
très vite dès lors qu’il existe quelques différences et qu’il s’agit de massacrer
sans scrupule.
Les Terriens
profitent de leur supériorité spatiale pour lancer une nouvelle opération, sur
la planète P. P est une base possible pour un nouveau « saut de
puce » vers Klendathu. On ne voit pas bien en quoi cela est utile
puisqu’il est possible d’envahir directement cette planète. A moins qu’il ne
s’agisse de couper la planète-capitale de ses colonies et de l’étouffer
économiquement, si tant est que ce soit possible. Il s’agit surtout d’une
opération de renseignement, tactique d’abord en apprenant à combattre dans les trous,
stratégique ensuite en capturant des cerveaux ou des reines afin là-encore de
les étudier et de les échanger éventuellement contre des prisonniers.
Cette question
des prisonniers revient régulièrement dans le roman, expression d’un problème
nouveau apparue là aussi pendant la guerre de Corée. La question des
prisonniers et de leur libération avait alors fait l’objet de longues et
difficiles négociations, en particulier parce que, fait inédit, beaucoup de
prisonniers communistes, en particulier nord-coréens, ne voulaient pas revenir
chez eux. Outre la surmortalité des camps dans le nord, les Américains ont
découvert aussi à cette occasion et avec stupéfaction que certains de leurs
soldats prisonniers pouvaient coopérer avec l’ennemi, participer à sa
propagande et même refuser de revenir aux Etats-Unis. Surtout la Corée du nord a été fortement suspectée de ne pas avoir libéré tous les prisonniers. Le thème des « disparus » conservés dans les camps communistes
apparaît à cette occasion avant de connaître une nouvelle extension avec la
guerre du Vietnam.
Les moyens
déployés pour l'opération sur P sont considérables. La Marine encage la zone à contrôler en
vitrifiant ses abords jusqu’à former une croûte radioactive et organise un
appui permanent en orbite face aux concentrations de forces ennemies les
plus importantes. L’Infanterie mobile a alors pour mission de forcer les
Punaises à sortir, les massacrer et pénétrer ensuite en profondeur jusqu’aux
« décideurs ». Les sections sont ainsi déployées sur plusieurs
centaines de kilomètres carrés chacune en surveillance d’un secteur avec l’aide
des Talents spéciaux faisant office de radars souterrains. Le combat est long
et après l’usure des forces ennemies après ce qui ressemble aux « charges banzaï » des Japonais les fantassins mobiles pénètrent dans les souterrains (une forme de combat
initié dans le Pacifique puis en Corée et destinée à connaître un grand
développement au Vietnam). L’adjudant Zim, ex Drill instructor, est alors le « rat de tunnel »
qui s’empare d’un des six cerveaux pris par les Terriens. Le résultat est
finalement mitigé puisqu’aucune reine n’est capturée et que les cerveaux
meurent vite mais cela permet de faire progresser la connaissance de l’ennemi
et donc les moyens de le (con)vaincre.
Dans le même
temps, si les Terriens s’adaptent, les Arachnides semblent peu évoluer, soit qu’ils
ne disposent pas des moyens suffisants pour le faire, soit que leur processus d’adaptation
est aussi rigide que celui de l’appareil de guerre japonais. S'il s'avère aussi souple en revanche que celui des Chinois en Corée, capables de passer en quelques semaines de 1951 d’une doctrine de l’hyper-mobilité
à une défense en profondeur très efficace, ce sera beaucoup plus difficile. Entre capitulation ou arrêt négocié, la fin de cette guerre dépend largement de ce paramètre. A la fin du roman, rien n'est encore décidé et la section Rico s'apprête à sauter à nouveau.
[1] Robert A. Heinlein, Etoiles, garde-à-vous ! Jai Lu, 1974, p. 185
[2] Robert A. Heinlein, Etoiles, garde-à-vous ! Jai Lu, 1974, p. 124.