Le
conflit de 2014 survient alors que le Hamas est en grande difficulté après
avoir perdu l’appui de ses sponsors syrien et iranien pour avoir condamné le
régime d’Assad et surtout égyptien après le départ des Frères musulmans en
juillet 2013. La circulation souterraine avec l’Égypte est coupée et le blocus,
un temps desserré, est à nouveau hermétique. Les revenus du Hamas dans Gaza
sont divisés par deux en quelques mois. Le mouvement tente alors de renouer
avec le Fatah avec qui il signe un accord en avril 2014, ce qui déplaît fortement
au gouvernement israélien qui décide d’une nouvelle guerre.
Le
12 juin, le meurtre de trois adolescents israéliens, qui succède à celui
de deux adolescents palestiniens un mois plus tôt, provoque l’arrestation de
centaines de suspects pour la plupart membre du Hamas, qui nie toute
implication. Les mouvements palestiniens les plus durs comme le Djihad
islamique, ripostent par des tirs de roquettes qui provoquent eux-mêmes des
raids de représailles. Le gouvernement israélien, poussé par son aile radicale,
saisit l’occasion de lancer une nouvelle campagne croyant rééditer le succès
de Pilier de défense en 2012. Mais cette fois le Hamas est prêt à un affrontement de longue durée dans l’espoir d’obtenir une réaction
internationale et la fin du blocus. Cet affrontement commence le 8 juillet
et dure jusqu’au 26 août 2014. L’opération israélienne est baptisée Bordure
protectrice.
D’un
point de vue tactique, cette opération se distingue avant tout des précédentes
par un taux de pertes des forces terrestres israéliennes singulièrement élevé.
L’armée de terre israélienne a ainsi déploré la perte de 66 soldats en
49 jours de combat contre deux lors de l’opération Pilier de
défense en 2012 (7 jours) et 10 lors des 22 jours de
l’opération Plomb durci en 2008-2009. Ces pertes israéliennes
se rapprochent de celles subies lors de la guerre de 2006 contre le Hezbollah
(119 morts pour 33 jours de combat), alors considérée comme un échec.
Elles sont à comparer à celles de leurs ennemis, de l’ordre de
90 combattants palestiniens tués contre aucun Israélien en 2012, mais selon
un ratio de 40 à 70 contre 1 pour Plomb durci et de 6 à 10
contre 1 pour Bordure protectrice. Tsahal perd également une
dizaine de véhicules de combat en 2014 contre aucun en 2008.
Cette
singularité s’explique essentiellement par les innovations opératives et
tactiques des brigades al-Qassam, contrastant avec la rigidité du concept
opérationnel israélien d’emploi des forces qui, lui, n’a guère évolué. Ces
innovations ont permis aux forces du Hamas, à l’instar du Hezbollah et
peut-être de l’État islamique, de franchir un seuil qualitatif et d’accéder au
statut de « techno-guérilla »
ou de « force
hybride ».
Cette évolution trouve son origine dans les solutions apportées par le Hamas à
son incapacité à franchir la barrière de défense qui entoure le territoire de
Gaza pour agir dans le territoire israélien.
L’arsenal
impuissant
La
première phase de la guerre ressemble aux précédentes. Grâce à l’aide de
l’Iran, le Hamas a développé sa force de frappe. Sur un total de 6 000 projectiles,
fabriqués sur place ou entrés en contrebande, le Hamas dispose d’environ
450 Grad, de 400 M-75 et Fajr 5 (80 km de portée) et surtout de
quelques dizaines de M-302 ou R-160 susceptibles de frapper à plus de
150 km, c’est-à-dire sur la majeure partie du territoire israélien. Le
Djihad islamique dispose de son côté de 3 000 roquettes, moins
sophistiquées, et les autres groupes, Front populaire et démocratique de
libération de la Palestine (FDLP) ou des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa de
quelques centaines.
À
l’imitation du Hezbollah et toujours avec l’aide de l’Iran, les Brigades al-Qassam se sont dotées également d’une petite flotte de drones
Abadil 1, dont certains ont été transformés en « bombes volantes ».
Hormis ces derniers moyens, l’ensemble reste cependant de faible précision et
condamné à un emploi majoritairement anti-cités. Il est utilisé immédiatement, mais finalement avec encore moins d’effet que lors des campagnes précédentes.
Au total, en 49 jours, 4 400 roquettes et obus de mortiers sont lancés
sur Israël causant la mort de 7 civils, soit un ratio de
626 projectiles pour une victime, trois fois plus qu’en 2008-2009.
L’emploi des drones explosifs par le Hamas se révèle également un échec, les
deux engins lancés, le 14 et le 17 juillet, ayant été rapidement détruits,
l’un par un missile anti-aérien MIM-104 Patriot et l’autre par la chasse.
Si
les destructions sont très limitées, les effets indirects sont plus sensibles.
L’économie et la vie courante sont perturbées par la menace des roquettes comme
jamais sans doute auparavant, jusque sur l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv qui
doit arrêter son activité pendant deux jours. Il n’y a cependant rien dans
cette menace qui puisse paralyser le pays. Plus que jamais, l’artillerie à
longue portée du Hamas est une arme de pression et un diffuseur de stress (le
nombre des admissions hospitalières pour stress est très supérieur à celui des
blessés) plutôt qu’une arme de destruction. Elle constitue surtout le symbole
de la résistance du Hamas, et de ses alliés. D’un autre côté, bien que faisant
200 fois moins de victimes civiles que les raids aériens, elles peuvent
par leur destination uniquement anti-cités être qualifiées par les Israéliens
d’« armes
terroristes »
et justifier le « besoin de sécurité » d’Israël aux yeux du
monde extérieur.
Cette
inefficacité des frappes du Hamas s’explique d’abord par leur imprécision,
réduisant le nombre de roquettes réellement dangereuses à environ 800 mais
aussi par la combinaison des mesures de protection civile israélienne et du
système d’interception Dôme de fer officiellement crédité de
88 % de coups au but. Si ce chiffre est contesté, il n’en demeure pas
moins que ce système très sophistiqué a démontré là son efficacité, surtout
contre les projectiles à longue portée, sinon son efficience au regard de son
coût d’emploi, estimé à entre 40 000 et 90 000 dollars
pour chaque interception d’un projectile.
La
force de frappe anti-cités
De
son côté, comme dans les opérations précédentes, Israël a utilisé sa force
aérienne et son artillerie pour frapper l’ensemble de la bande de Gaza pour,
comme dans les opérations précédentes, affaiblir l’instrument militaire du
Hamas, en particulier ses capacités d’agression du territoire israélien. De
manière moins avouée, il s'agit aussi de faire pression sur la population pour qu’elle se
retourne contre le gouvernement du Hamas qui est lui-même frappé. À défaut de
les détruire, il s’agit, encore une fois, de faire pression simultanément sur
les trois pôles de la trinité clausewitzienne.
Le
premier objectif n’est que très modestement atteint. Le nombre total de frappes
a représenté le double de celui de Plomb durci, soit environ 5 000,
pour des pertes estimées de combattants palestiniens sensiblement équivalentes.
Sachant que ces pertes sont aussi pour une grande part, et bien plus qu’en
2008, le fait des forces terrestres, il est incontestable que l’impact de la
campagne de frappes sur les capacités militaires du Hamas a été plus faible que
lors des opérations précédentes. Si quelques leaders du mouvement palestinien
ont été tués comme Mohammed Abou Shmallah, Mohammed Barhoum et surtout Raed al
Atar, les tirs de roquettes n’ont jamais cessé et la capacité de combat
rapproché a été peu affectée.
Cette
inefficacité est essentiellement le fait de l’adoption par le Hamas de procédés
de furtivité et de protection terrestre plus efficaces. Plus les Israéliens
dominent dans les « espaces fluides » et plus le Hamas densifie et
fortifie son « espace
solide »
pour faire face aux raids de toutes sortes, aériens ou terrestres. Par leurs
propriétés physiques et juridiques, murs et populations civiles sont de grands
diviseurs de puissance de feu. Avec le temps, le Hamas, comme le Hezbollah au
Sud-Liban, y a encore ajouté une infrastructure souterraine baptisée « Gaza
sous Gaza »
qui protège les centres de commandement du Hamas, ses stocks et une partie de
ses combattants, répartis en secteurs autonomes de défense bien organisés. À la
domination israélienne dans les airs répond par inversion l’emploi de la 3e dimension
souterraine, déjà utilisée pour contourner le blocus et se ravitailler par le
Sinaï égyptien.
Cette
tactique inversée se retrouve aussi lorsqu’il s’agit de combattre à l’air
libre. Aux complexes de reconnaissance-frappes israéliens sophistiqués, et donc
couteux et rares, répond l’emploi de lance-roquettes peu onéreux et abondants,
souvent employés de manière automatique pour que les servants ne soient pas
frappés. L’armée de l’air et l’artillerie israéliennes peuvent se targuer de
repérer les tirs très vite, grâce à la surveillance permanente de drones ou de
ballons, et de frapper les sites d’origine en quelques minutes, voire quelques
secondes, prouesse technique remarquable mais de finalement peu d’intérêt.
L’efficacité
militaire des frappes israéliennes massives dépend aussi beaucoup de la
surprise. Cela a été le cas en partie en 2008 et plus encore en 2012, et les
principales pertes ennemies ont eu lieu les premiers jours. Ce n’est plus du
tout le cas en juillet 2014 puisque les frappes avaient déjà commencé
ponctuellement en juin. Lorsque la campagne commence véritablement, il n’y a
plus de combattants du Hamas visibles dans les rues de Gaza.
Le
deuxième objectif, faire pression sur la population dans son ensemble pour,
indirectement, imposer sa volonté au « gouvernement »
du Hamas, est toujours aussi moralement et opérationnellement problématique.
Outre les 1 300
à 1 700 victimes
civiles et les dizaines de milliers de blessés, plus de 11 000 habitations
ont été détruites et presque 500 000 personnes, un tiers de la
population, ont été déplacées. Les systèmes d’alimentation en eau et en
électricité ont été détruits. Si le lien entre ces actions sur la population et
la haine que celle-ci peut porter à Israël est évident et si la dégradation à
l’étranger de la légitimité du combat d’Israël ou simplement de son image est
établie, on ne voit pas très bien en revanche la corrélation entre cette action
sur la population et les décisions du Hamas. Si des mouvements de colère ont pu
être constatés contre le Hamas, en particulier lorsque des trêves ont été
rompues par lui à la fin du conflit, il n’est pas du tout évident que le Hamas
sorte politiquement affaibli de ce conflit.
Au
bilan, on peut s’interroger sur la persistance, dans les deux camps, de
l’emploi de frappes à distance qui touchent essentiellement la population, emploi qui s’avère à
la fois moralement condamnable et d’une faible efficacité. La réponse réside
probablement dans les capacités défensives de chacun des deux camps qui
inhibent les attaques terrestres. Comme les premiers raids de bombardement
britanniques sur l’Allemagne en 1940, largement inefficaces, lancer des
roquettes ou des raids aériens apparaît comme la seule manière de montrer que
l’« on
fait quelque chose », avec ce piège logique que si l’un des camps
frappe, l’autre se sent obligé de l’imiter puisqu’il peut le faire. Le message
vis-à-vis de sa propre population l’emporte sur celui destiné à l’étranger.
Cet
équilibre de l’impuissance a cependant été modifié par le développement par le
Hamas de nouvelles capacités d’agression du territoire israélien par le sol.
Faire face à ces innovations imposait cependant de pénétrer à l’intérieur des
zones les plus densément peuplées de Gaza et de revenir à une forme de duel
clausewitzien entre forces armées.
La
nouvelle armée du Hamas
De
2012 à 2014, toujours grâce à l’aide de ses sponsors, le Hamas se dote de
moyens de frappe directe jusqu’à des distances de plusieurs kilomètres. Des
missiles antichars AT-4 Fagot (2 500 m de portée), AT-5
Spandrel (4 000 m)
et surtout des modernes AT-14 Kornet (5 500 m), provenant
principalement de Libye via l’Égypte de l’époque des Frères musulmans, ont été
identifiés, de même que des fusils de tireurs d’élite à grande distance (Steyr.
50 de 12,7 mm). Ces armes constituent une artillerie légère à tir direct
qui permet d’harceler les forces israéliennes le long de la frontière.
Le
Hamas développe également des capacités de raids à l’intérieur du territoire
israélien contournant la barrière défensive. Une unité de 15 hommes a été
formée à l’emploi de parapentes motorisés pour passer au-dessus du mur (elle ne
sera pas engagée), des équipes de plongeurs sont destinées à débarquer sur les
plages, surtout une quarantaine de tunnels offensifs ont été construits dont
certains approchent trois kilomètres de long. Ces tunnels offensifs sont à
distinguer des galeries destinées à contourner le blocus pour s’approvisionner
en Égypte et qui avaient constitué un objectif prioritaire de l’opération Plomb
durci. Il s’agit au contraire d’ouvrages bétonnés, placés entre dix et
trente mètres sous la surface et longs de plusieurs kilomètres. Certains sont
équipés de systèmes de rails et wagonnets.
Le
premier des six raids du Hamas en territoire israélien a lieu le
17 juillet. Un commando de treize combattants palestiniens, infiltré par
un tunnel, attaque un kibboutz situé près de la frontière. C’est la première
attaque de la sorte contre Israël, qui ne provoque pas de pertes civiles mais suscite
une grande surprise et donc une forte émotion dans la population. Au bilan, les
quatre raids souterrains ne parviennent pas à pénétrer dans les cités
israéliennes mais ils permettent de surprendre par deux fois des unités de
combat israéliennes et leur infligeant au total onze tués et douze blessés,
soit déjà plus que pendant les trois semaines de l’opération Plomb
durci. Les deux raids amphibies, en revanche, décelés avant d’arriver sur
les plages sont détruits sans avoir obtenu le moindre effet.
À
ces nouvelles armes et ces capacités de raids, la troisième innovation du Hamas
et mauvaise surprise pour Tsahal réside dans la professionnalisation de son
infanterie, de bien meilleure qualité que lors des combats de 2008. À la
manière du Hezbollah, les 10 000 combattants permanents du Hamas, auxquels
il faut ajouter autant de combattants occasionnels et de miliciens des autres
mouvements, sont structurés en unités autonomes combattant chacune dans un
secteur donné et organisé. Les axes de pénétration, par ailleurs généralement
trop étroits pour les véhicules les plus lourds, ont été minés dès le début des
hostilités selon des plans préétablis et des zones d’embuscade ont été
organisées. Des emplacements de tirs (trous dans les murs) et des galeries ont
été aménagés dans les habitations de façon à pouvoir combattre et se déplacer
entre elles en apparaissant le moins possible à l’air libre. Le combat est
alors mené en combinant l’action en essaim de groupes de combat d’infanterie et
celui des tireurs d’élite/tireurs RPG ou, plus difficile dans le contexte
urbain dense, de celui des missiles antichars. Dans tous les cas, la priorité
est d’infliger des pertes humaines plutôt que de tenir du terrain ou de
détruire des véhicules.
Le
retour du duel
La
nouvelle menace des raids palestiniens et la pression populaire qu’elle induit
obligent le gouvernement à ordonner l’engagement des forces terrestres, sur une
bande d’un kilomètre de profondeur, pour repérer et détruire les tunnels
permettant aux combattants du Hamas de s’infiltrer en Israël. Dans la nuit du
17 juillet, les brigades de la division de Gaza, 401e Brigade
blindée, Golani, Nahal et Parachutiste déployées le long de la frontière
commencent leurs actions de destruction des sites de lancement de roquettes et
surtout du réseau souterrain, en particulier à proximité de la frontière Nord
et Nord-Est. La mission est donc très similaire à celle de l’opération Plomb
durci.
Comme
en 2008, les Israéliens forment des groupements tactiques très lourds avec une
capacité de détection accrue pour déceler les entrées de tunnel, par les airs
et les senseurs optiques, phoniques, sismiques et infrarouges. Les véhicules
lourds Namer sont beaucoup plus présents qu’en 2008, les Merkava sont dotés du
système Trophy, qui associe un radar avec antennes pour déceler l’arrivée de
projectiles, un calculateur de tir et des mini-tourelles pour tirer des leurres
ou des salves de chevrotines. Le système, très couteux, semble avoir prouvé son
efficacité. Dans les zones ainsi ouvertes, les tunnels découverts sont soit
livrés aux frappes de bombes guidées soit, plus généralement, pénétrés et
détruits à l’explosif par les groupes de l’unité spéciale du génie Hevzek. Au
sol et en sous-sol, le génie israélien utilise pour la première fois à cette
échelle des robots de reconnaissance, comme le Foster Miller Talon-4 armé
d’un fusil-mitrailleur court. Ces robots sauvent incontestablement plusieurs
vies israéliennes.
Ces
opérations rencontrent une forte résistance qui occasionne des pertes sensibles
aux forces israéliennes. Contrairement à l’opération Plomb durci de
2008-2009 où elles s’étaient contentées de pénétrer dans les espaces les plus
ouverts de la bande de Gaza dans ce qui ressemblait surtout à une démonstration
de force, les unités israéliennes ont été contraintes cette fois d’agir dans
les zones confinées et densément peuplées de la banlieue de Gaza ville,
beaucoup plus favorables au défenseur.
Les
combats y sont d’une intensité inconnue depuis la guerre de 2006. Au moins cinq
sapeurs israéliens auraient été tués dans les tunnels, quatre autres en
conduisant des bulldozers D-9. Le 19 juillet, une section de la
brigade Golani est canalisée vers une zone d’embuscade où elle perd sept hommes
dans la destruction d’un véhicule M113 par une roquette RPG-29. Six
autres soldats israéliens sont tués aux alentours dans cette seule journée qui
s’avère ainsi plus meurtrière pour Tsahal que les deux opérations Plomb
durci et Pilier de défense réunies. Cinq hommes
tombent encore le lendemain dans le quartier de Tuffah, en grande partie par
l’explosion de mines. Le 22 juillet, deux commandants de compagnies de
chars sont abattus par des snipers. Le 1er août, un combattant
suicide sortant d’un tunnel parvient à se faire exploser au milieu d’un groupe
de soldats israéliens en tuant trois. Le nombre de tués et blessés de la seule
brigade Golani s’élève à plus de 150 dont son commandant, renouant avec la
tradition israélienne du chef au contact. Les pertes des Palestiniens sont
nettement supérieures mais certainement pas dans le rapport de 10 pour 1
revendiqué par Tsahal.
Dans
ce contexte d’imbrication et alors que la population civile est souvent à
proximité, la mise en œuvre des appuis est difficile. Les hélicoptères
d’attaque peuvent tirer sur la presque totalité de la zone d’action des forces
d’attaque mais les combattants palestiniens sont peu visibles depuis le ciel.
Les appuis indirects présentent toujours le risque de frapper la population, ce
qui est survenu le 20 juillet lorsque plusieurs obus tuent peut-être 70 Palestiniens
et en blessent 400 autres, pour la très grande majorité des civils, ce qui
provoque une forte émotion.
Le
1er août, l’annonce de la capture d’un soldat israélien près de
Rafah, démentie par la suite, suscite une forte émotion en Israël et des scènes
de liesse dans les rues de Gaza, témoignant de l’importance stratégique des
prisonniers. Tsahal ne voulait absolument pas renouveler l’expérience du soldat
Guilad Shalit capturé en juin 2006 et finalement libéré cinq ans plus tard en
échange de 1 000 prisonniers
palestiniens. Une opération de récupération est immédiatement lancée.
Au
bilan, les Israéliens revendiquent la destruction de 34 tunnels dont la
totalité des tunnels offensifs et de plusieurs zones de lancement de roquettes,
réduisant, avec l’action aérienne, le nombre de tirs de moitié, ainsi que la
mort de centaines de combattants du Hamas. La menace jugée principale est ainsi
considérée comme éliminée et l’armée israélienne a montré sa capacité tactique
à pénétrer à l’intérieur de défenses urbaines très organisées et sa résilience
en acceptant les pertes inévitables de ce type de combat, surtout face à une
infanterie ennemie déterminée et compétente. Ces pertes, qui, par jour
d’engagement au sol, sont de l’ordre de grandeur de celles infligées par le
Hezbollah en 2006 constituent les plus importantes jamais infligées
par des Palestiniens, y compris l’armée de l’Organisation de libération de la
Palestine occupant le Sud-Liban en 1982. À cette époque, l’armée de l’OLP avait
été détruite. Cette fois, le potentiel de combat du Hamas et sa volonté ne sont
pas sérieusement entamés. Après dix-huit jours d’offensive terrestre et alors
que l’opinion publique est, malgré les pertes, favorable à 82 % à sa
poursuite, le gouvernement israélien y renonce, reculant devant l’effort
considérable nécessaire pour détruire complètement le Hamas et la perspective
d’être peut-être obligé de réoccuper la zone. Le 3 août, les forces
terrestres israéliennes se retirent de la bande de Gaza après l’annonce que la
mission de destruction des tunnels est remplie. À la fin de la phase terrestre,
les capacités offensives du Hamas sont considérées comme détruites ou
neutralisées. Du 3 au 5 août, les forces terrestres israéliennes sortent
de la bande de Gaza.
L’armée
des ondes
Comme
à chaque fois, les combats sur le terrain se doublent de combats sur tous les
champs possibles de communication. Il s’agit peut-être là du champ de bataille
principal pour au moins le Hamas dont l’objectif principal est d’obliger Israël
à, au moins, desserrer le blocus autour de Gaza. Outre la chaîne de télévision
Al-Aqsa TV, créée en 2006, et son site Internet en langue arabe, le Hamas
utilise tous les réseaux sociaux, caisse de résonance nouvelle depuis 2008,
pour diffuser des images des souffrances de la population et justifier son
action. Ils trouvent des relais nombreux dans le monde arabe et les populations
musulmanes des pays occidentaux. Une guérilla électronique est lancée contre
les sites de l’administration israélienne, sans grand succès il est vrai, tant
la disproportion des forces est encore grande avec Israël dans cet espace de
bataille.
L’armée
israélienne est désormais la plus performante au monde en matière de
communication autour des combats. Son armée numérique, renforcée de milliers de
jeunes réservistes, occupe et abreuve Facebook, Instagram, Flickr ou encore
YouTube. Sur Twitter, elle poste des messages dans plusieurs langues. Les
espaces de débats sont saturés de milliers de messages favorables, parfois
générés à l’identique par des robots. Sur le fond, les messages sont toujours
les mêmes à destination d’abord de la population israélienne, qu’il faut
rassurer et assurer de l’issue de la guerre ; de l’opinion internationale
ensuite pour qu’elle prenne parti et de l’ennemi enfin et secondairement en
espérant contribuer encore à faire pression sur lui. Les combattants
palestiniens ne sont jamais qualifiés autrement, et avec de bonnes raisons, que de « terroristes »,
une manière de les disqualifier bien sûr mais aussi de rappeler que le Hamas
est sur la liste officielle des organisations terroristes, entre autres, des
États-Unis et de l’Union européenne. S’il est difficile, contrairement au
Hamas, de montrer des images de victimes, on insiste sur le fait que les
roquettes tirées depuis Gaza visent majoritairement et sciemment des civils. Il
s’agit donc là d’un acte terroriste prémédité, alors que l’armée de l’air
israélienne prend soin au contraire d’avertir par sirène (avec ce paradoxe que
c’est désormais l’agresseur qui alerte de l’attaque) de l’attaque imminente. Si
des civils sont tués à Gaza cela relève de l’entière responsabilité du Hamas
qui les utilise comme boucliers humains.
Sur
le fond, cette communication bien rodée ne peut masquer longtemps la
dissymétrie numérique des souffrances des populations concernées de l’ordre de
250 Palestiniens tués pour 1 Israélien. Elle peine à expliquer des
bavures manifestes comme lorsque le 16 juillet quatre enfants sont tués
sur une plage par deux tirs successifs. Mais à court terme, cela importe peu,
les émotions des opinions publiques ne changent pas le soutien diplomatique des
pays occidentaux, les États-Unis en premier lieu, qui ont tous réaffirmé le « droit
d’Israël à se défendre » et ensuite seulement leur « préoccupation
vis-à-vis des pertes civiles ». À long terme, la dégradation de l’image d’Israël
se poursuit mais à court terme, le soutien américain reste ferme. Le contexte
diplomatique est même encore plus favorable à Israël qu’en 2008 et le Hamas ne
parvient pas à susciter suffisamment d’indignation pour le modifier à son
avantage.
Finir
une guerre
Le
gouvernement israélien pouvait considérer la destruction des tunnels du Hamas
comme suffisant. Il estime plutôt se trouver ainsi dans une meilleure position
pour accepter la prolongation des combats puisqu’Israël ne risque plus
d’agression. Les forces terrestres ont été redéployées le long de la frontière
avec une démobilisation partielle des 100 000 réservistes, non pas en
signe d’apaisement mais, au contraire, pour préparer un combat prolongé, le
retour des réservistes facilitant aussi celui d’une vie économique plus
normale.
Paradoxalement,
si des signes de mécontentement contre le Hamas apparaissent dans la population
palestinienne, c’est peut-être du côté israélien que le soutien de l’opinion
publique s’érode le plus vite. Le 25 août, un sondage indique que
seulement 38 % des Israéliens approuvent la manière dont les opérations
sont menées, le principal reproche étant l’absence de résultats décisifs. De
nouvelles négociations aboutissent à un cessez-le-feu définitif le 1er septembre.
À
l’issue du conflit, s’il a fait preuve d’une résistance inattendue le Hamas est
militairement affaibli, avec moins de possibilités de recomplètement de ses
forces que durant les années précédentes, du fait de l’hostilité de l’Égypte.
Il lui faudra certainement plusieurs mois, sinon des années pour retrouver de
telles capacités. En attendant, au prix de la vie de 66 soldats et
7 civils (un rapport de pertes entre militaires et civils que l’on n’avait
pas connu depuis 2000) et de 2,5 milliards de dollars (pour
8 milliards de dollars de destruction à Gaza), les tirs de roquettes ont
cessé et le Hamas n’est pas parvenu à desserrer l’étau du blocus. Mais il n’y a
cependant là rien de décisif pour Israël. Il aurait fallu pour cela nettoyer
l’ensemble du territoire à l’instar de la destruction de l’OLP au Sud-Liban. Cela
aurait coûté sans doute plusieurs centaines de tués à Tsahal pour ensuite
choisir entre se replier, et laisser un vide qui pourrait être occupé à nouveau
par une ou plusieurs organisations hostiles, et réoccuper Gaza, avec la
perspective d’y faire face à une guérilla permanente. Le gouvernement israélien
a privilégié le principe d’une guerre limitée destinée à réduire régulièrement
(tous les deux ans en moyenne) le niveau de menace représenté par le Hamas. La
difficulté est que les opérations de frappes apparaissent de plus en plus
stériles et que les opérations terrestres sont aussi de plus en plus couteuses.
Après le Hezbollah, et encore dans une moindre mesure, le Hamas est parvenu à
franchir un seuil opératif en se dotant d’une infanterie professionnelle dotée
d’armes antichars et antipersonnels performantes et maitrisant des savoir-faire
tactiques complexes. Les deux adversaires sont donc largement neutralisés par
leurs capacités défensives mutuelles.
À
court terme, on ne voit pas ce qui pourrait permettre de surmonter ce blocage
tactique. On peut donc imaginer un prochain conflit qui ressemblera plutôt à
celui de 2012. À moyen terme, les possibilités de rupture de cette crise
schumpetérienne (l’emploi des mêmes moyens est devenu stérile) sont plutôt du
côté du Hamas qui peut espérer saturer le système défensif israélien par une
quantité beaucoup plus importante de tirs « rustiques »
et/ou utiliser des lance-roquettes modernes beaucoup plus précis comme les
BM-30 Smerch russes. Il peut aussi espérer disposer de missiles anti-aériens
portables comme le HN-6 chinois, toutes choses qui rendraient l’action du
modèle militaire israélien beaucoup plus délicat. Il faudra cependant que le
mouvement palestinien retrouve des alliés et des capacités de transfert de
matériels à travers le blocus, ce qui n’est pas pour l’instant évident.
Israël
reste donc pour l’instant dominant mais faute d’une volonté capable d’imposer
une solution politique à long terme, il est sans doute condamné à renouveler
sans cesse ces opérations de sécurité. Arnold Toynbee, parlant de Sparte,
appelait cela la « malédiction de l’homme fort ».
Extrait de "Sisyphe à Gaza"